En septembre 2020, la EU Food Policy Coalition a publié une note de position (“policy paper”) contenant des recommandations, intitulée “Raising the ambition on global aspects of the EU Farm to Fork strategy”. La communication de la Commission européenne sur la stratégie « De la ferme à la table » comprend une section sur la dimension extérieure intitulée « Promouvoir la transition globale », qui souligne que « l'UE soutiendra la transition mondiale vers des systèmes agroalimentaires durables, conformément aux objectifs de cette stratégie et aux ODD ». Le document de la coalition explique comment la dimension extérieure de la stratégie « De la ferme à la table » pourrait être renforcée pour favoriser une transition efficace et équitable au niveau mondial vers des systèmes agroalimentaires inclusifs et durables, y compris dans le secteur de la pêche.
La stratégie « de la ferme à la table » ignore la production de produits de la mer
La note souligne d'abord que la stratégie « De la ferme à la table » (F2F) ignore presque totalement la production de produits de la mer. Bien que « la pêche et l'aquaculture sont des facteurs clés de la perte de biodiversité mondiale », elles ne peuvent être négligées car elles sont toutes deux « des éléments importants pour un système alimentaire durable ».
Cette coalition d'ONG souligne que la dimension extérieure de la politique commune de la pêche (PCP) devrait être prise en compte dans la stratégie, en plaidant pour que le secteur européen de la pêche, y compris sa flotte externe, « engage la transition vers une pêche à faible impact en mettant fin à la surpêche, en interdisant les pratiques de pêche destructrices et en éliminant les prises accessoires d'espèces sensibles ». La pêche à faible impact signifie que les pêcheurs réduisent leur impact sur l'environnement marin en utilisant moins d'énergie par tonne de poisson capturé, et en empêchant la destruction d'habitats marins essentiels, la prise accessoire de poissons trop petits et non désirés, et le massacre d'espèces sensibles comme les cétacés, les oiseaux de mer ou les tortues.
Elle demande également que « le futur Fonds européen pour la pêche (FEAMP) ne soutienne pas les mesures qui contribuent à maintenir la surcapacité et la surpêche, y compris par la flotte de l'UE pêchant dans les eaux des pays tiers » et que « les fonds de l'UE dépensés dans le cadre des accords de pêche soient utilisés exclusivement pour soutenir l'établissement d’une politique de pêche transparente, écologiquement et socialement durable dans les pays tiers, en accordant une attention particulière aux besoins des communautés côtières locales dépendantes de la pêche ».
Les aspects relatifs à la coopération, aux importations et au commerce sont aussi cruciaux pour la pêche externe
Au-delà de l'examen des activités des flottes de pêche de l'UE, le document de EU Food Policy Coalition propose quelques recommandations qui sont cruciales pour promouvoir une pêche durable dans la dimension externe de la stratégie F2F :
3.1. UTILISER LA COOPÉRATION INTERNATIONALE POUR METTRE EN PLACE DES SYSTÈMES ALIMENTAIRES DURABLES DANS LES PAYS PARTENAIRES
La EU Food Policy Coalition se félicite de l'engagement pris dans le cadre de la stratégie F2F de concentrer la coopération internationale sur la recherche et l'innovation alimentaires, en particulier sur des questions telles que l'adaptation au changement climatique et son atténuation, la gouvernance durable des terres, les chaînes de valeur inclusives et équitables : « L'UE devrait veiller à utiliser la coopération internationale pour mettre en place des systèmes alimentaires durables dans les pays partenaires ».
En Afrique, où la pêche fournit des nutriments essentiels à la population, y compris aux plus pauvres, le secteur est caractérisé par une importante pêche artisanale qui non seulement fournit de la nourriture, mais assure aussi la subsistance des pêcheurs et des femmes transformatrices de poisson, et est une source de devises provenant des exportations de produits de la pêche. La contribution de la pêche artisanale à des systèmes alimentaires durables en Afrique doit être prise en compte.
Dans la mise en œuvre de la stratégie F2F, il conviendrait d'accorder une plus grande attention au soutien de la résilience de la pêche artisanale africaine au changement climatique, de protéger ses droits prioritaires d'accès aux ressources et d'investir dans des chaînes de valeur du secteur de la pêche artisanale socialement et écologiquement durables, notamment pour des conditions de travail décentes, des stratégies de transformation améliorées pour diminuer les pertes après captures, etc. La stratégie F2F pourrait fournir un cadre cohérent afin que toutes les relations UE-Afrique qui couvrent la coopération pour une pêche durable, en particulier le futur partenariat UE-Afrique, mais aussi les projets de développement et de coopération, les Accords de partenariat pour une pêche durable (APPD) et autres, contribuent à ces objectifs.
3.2. ÉLABORER UNE LÉGISLATION VISANT À EMPÊCHER LES IMPORTATIONS DE PRODUITS LIÉS À LA DÉFORESTATION ET AUX VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS
Dans son document, la EU Food Policy Coalition considère l'annonce de la proposition législative susmentionnée comme une étape positive car les niveaux de consommation de l'Europe contribuent de manière significative à la déforestation - et à la surpêche - dans le monde entier. Elle demande instamment à l'UE « d'élaborer une législation forte pour garantir que les produits mis sur le marché de l'UE sont exempts de déforestation et de violations des droits humains ».
En examinant les importations de produits de la mer de l'UE, on peut mettre en évidence deux exemples de violation des droits humains : les importations de farine et d'huile de poisson d'Afrique de l'Ouest qui menacent le droit à l'alimentation des populations africaines ; les violations des droits des travailleurs par certaines flottes de pêche industrielle qui fournissent du poisson pour le marché de l'UE.
Les usines de farine et d'huile de poisson se multiplient en Afrique de l'Ouest en raison d'une demande mondiale croissante. La farine de poisson est utilisée pour nourrir les porcs, les poulets, ainsi que les poissons carnivores, comme le saumon ou les crevettes d'élevage industriel (« scampis »). Sa production en Afrique de l'Ouest conduit à la surexploitation des petits pélagiques, une base de l'alimentation dans la région, traditionnellement pêchés par les pêcheurs artisans et fumés et séchés par les femmes transformatrices de poisson. La diminution des stocks et la concurrence pour l’accès au poisson qui s’ensuivent provoquent l'insécurité alimentaire, la perte d'emplois dans le secteur artisanal local, ainsi que des dommages environnementaux et un danger pour la santé publique là où les usines de farine de poisson sont installées, en raison de la pollution générée. Farine et huile de poisson d'Afrique de l'Ouest sont toutes deux importées sur le marché de l'UE, qui est également un marché important pour le saumon et les crevettes d'élevage. Autoriser la consommation sans restriction de saumon et de crevettes d'élevage intensif qui dépendent de la farine de poisson produite en Afrique viole le droit à l'alimentation des populations africaines et menace la survie même des communautés côtières africaines.
Ces dernières années, des cas graves d'abus de travail ont été observés dans le secteur de la pêche, principalement sur les bateaux asiatiques. Les pêcheurs - dont beaucoup sont des travailleurs migrants - sont victimes de violations extrêmes des droits humains à bord de certains navires de pêche, y compris de pays qui approvisionnent les marchés de produits de la mer de l'UE. Ils sont notamment victimes de pratiques illégales à bord qui menacent leur intégrité physique, leur sécurité et parfois leur vie, du travail forcé et de la traite des êtres humains. Des cas récents montrent également les abus physiques affligeants dont sont victimes les pêcheurs artisans africains de la part de l'équipage des navires de pêche industrielle qui envahissent la zone de pêche artisanale.
Le marché de l'UE étant le marché le plus important et le plus lucratif pour les produits de la mer au niveau mondial, une future législation qui garantirait que les produits mis sur le marché de l'UE sont exempts de violations des droits humains serait une occasion de répondre à ces préoccupations dans l'UE, mais aussi de montrer la voie à suivre dans le domaine de la pêche mondiale.
Toutefois, la stratégie F2F doit aller plus loin que la réglementation des importations. Actuellement, plus de 60 % des produits de la mer consommés dans l'UE proviennent d'importations, y compris de pays où la production de produits de la mer (pêche de capture et élevage de poissons et de produits de la mer) entraîne une perte de biodiversité, menace la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance locaux et génère de la pollution et des abus sur les travailleurs. La EU Food Policy Coalition souligne que « des mesures sont nécessaires pour réduire la consommation globale de ces produits, la farine d’origine animale en étant un exemple ». En effet, il est contre-productif de promouvoir la consommation de poisson dans la stratégie F2F, sans tenir compte des impacts environnementaux et sociaux néfastes que les secteurs de la pêche et de l'aquaculture ont dans les pays tiers.
La EU Food Policy Coalition se penche également sur les écolabels, qui sont nombreux dans le secteur des produits de la mer, et recommande que « lors de la clarification des règles de concurrence pour les initiatives collectives qui favorisent la durabilité dans les chaînes d'approvisionnement, l'UE devrait s'assurer que ces initiatives se traduisent réellement par des avantages clairement justifiés en matière de durabilité, et qu'il n'y a pas de violation des droits humains ou des normes environnementales tout au long de la chaîne de valeur ». Cela est également important pour la pêche, où certains écolabels prétendent assurer la durabilité environnementale, souvent sans tenir compte des questions de droits humains.
3.3. DES CHAPITRES SUR LE DÉVELOPPEMENT DURABLE EFFICACES DANS LES ACCORDS COMMERCIAUX
La stratégie F2F propose d'inclure des chapitres ambitieux sur le développement durable (CDD) dans tous les accords commerciaux bilatéraux de l'UE et d'améliorer leur mise en œuvre et leur application grâce à la nomination d'un chargé de l'application au sein de la DG TRADE. La EU Food Policy Coalition fait remarquer que « Premièrement, de tels chapitres sur le commerce et le développement durable existent déjà dans tous les accords commerciaux récents de l'UE mais ne sont pas juridiquement contraignants. Deuxièmement, les chapitres CDD n'abordent pas les effets négatifs de l'accord lui-même sur les droits humains et sur l'environnement et ne constituent donc pas une réponse suffisante aux nombreux défis liés aux effets négatifs des politiques commerciales et d'investissement ».
La EU Food Policy Coalition recommande non seulement de renforcer les mécanismes d'application des chapitres CDD, mais aussi que « l'UE intègre les objectifs environnementaux et sociaux de manière globale et holistique dans toutes les dispositions des accords commerciaux, au-delà des chapitres CDD, et veille à ce qu'aucune disposition de l'accord ne porte atteinte aux objectifs et aux normes inscrits dans le chapitre CDD ».
Cela fait écho aux préoccupations exprimées par de nombreux acteurs de la pêche de l'UE, ONG et secteur, qui ont été récemment formulées dans un avis du Conseil consultatif des marchés de l'UE (MAC). Cet avis demande que tous les accords bilatéraux de libre-échange incluent des chapitres renforcés sur le développement durable qui traitent des préoccupations spécifiques à la pêche et qui renforcent explicitement les exigences du règlement sur la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN). Les accords de libre-échange (ALE) devraient intégrer un mécanisme contraignant de règlement des différends (comprenant des consultations de gouvernement à gouvernement, une procédure de panel, l'accès du public aux documents et la consultation de la société civile), et, en outre, la possibilité d'appliquer des sanctions en cas de non-respect par les pays tiers des engagements internationaux.
La EU Food Policy Coalition demande également à l'UE « d’obtenir des engagements de la part des pays tiers pour qu'ils respectent les normes européennes lorsqu'ils exportent des produits agroalimentaires vers l'UE ». À cet égard, l'avis du MAC demande à la Commission européenne « d'exiger du pays tiers avec lequel elle négocie un ALE/offre un schéma SPG qu'il ratifie et applique effectivement les principaux instruments internationaux en matière de pêche, tels que la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, l'Accord des Nations unies sur les stocks de poissons, l'accord sur les mesures du ressort de l'État du Port de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et l'accord de conformité de la FAO, de respecter les normes des organisations régionales de gestion des pêches (ORGP) concernées et, dans le cas du SPG, les dispositions permettant la suspension du statut SPG+ dans les cas où les dispositions de ces instruments ne sont pas appliquées; tout accord devrait au moins permettre à chaque pêcherie de démontrer son adhésion à ces exigences ». Il souligne également « qu’un soutien approprié devrait être fourni aux pays tiers et aux producteurs des pays tiers afin de faciliter la mise en œuvre de normes de durabilité sociale et environnementale pour les produits de la mer ».
Photo de l’entête : Oziel Gomez - @ozgomz/Unsplash
En septembre 2024, les Ministres en charge de la Pêche de l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OEACP) se sont rencontrés à Dar es Salaam (Tanzanie) pour échanger sur le thème « Accélérer les actions pour les océans, une pêche et une aquaculture durables et résilients dans les pays et régions membres de l’OEACP ».