« Dans la gestion des pêches et de la biodiversité, les femmes sont une force de proposition »

« Les femmes dans la pêche artisanale africaine sont un pilier de la famille, de l’économie et de la sécurité alimentaire ». Mme Raissa Nadège Leka Madou est une mareyeuse et transformatrice de poisson basée à Abidjan, en Côte d’Ivoire.

Sa coopérative « Faveur divine » est membre de l’union de coopératives de femmes transformatrices et mareyeuses de la Côte d’Ivoire. Elle est venue à Bruxelles à l’occasion des Dialogues sur la pêche et les océans, organisés par la Commission européenne pour consulter les parties prenantes en vue du développement d’un Pacte européen pour les océans.

Ce nouveau Pacte, censé établir un cadre de cohérence pour toutes les politiques touchant aux océans, devrait avoir un impact sur les politiques de partenariat avec l’Afrique, car l’Union européenne a l’obligation d’appliquer les mêmes principes de sa politique interne dans son action externe. Mme Madou, représentante de la Confédération africaine des organisations professionnelles de pêche artisanale (CAOPA) durant les dialogues, rappelle que « l’Union européenne devrait promouvoir, dans ses relations de partenariat avec les pays africains, un pacte européen pour les océans qui met la pêche artisanale au centre […] car elle est essentielle pour la sécurité alimentaire, l’emploi et aussi la conservation de la biodiversité dans les zones côtières ».

Mais pendant sa visite à Bruxelles, Mme Madou a aussi profité pour souligner plus spécifiquement les défis auxquels font face les femmes dans la pêche. À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, nous l’avons interviewée afin qu’elle nous partage ses réflexions et idées pour avancer dans l’amélioration des conditions de travail et de vie des femmes dans la filière pêche.

Pour elle, il faut tout d’abord que l’on mette en lumière le rôle et le travail de la femme, qui est si peu connu et reconnu : « Nous nourrissons et payons pour l’éducation de nos enfants. Nous apportons du travail et de l’emploi. Nous faisons parvenir des produits à un prix abordable à nos communautés ». En effet, les femmes de la pêche artisanale en Afrique s’occupent de la majorité des activités post-capture, depuis l’arrivée du poisson au débarcadère jusqu’au moment où il arrive dans l’assiette des consommateurs. Le long de la côte ouest-africaine, elles fournissent le principal apport en protéines pour les populations côtières. Elle insiste sur le fait que « quand on parle de la pêche, l’impact n’est pas sur une seule personne, les défis impactent toute une communauté ». Ces femmes, elles sont un maillon essentiel de leurs communautés.

Elle se demande « pourquoi pas même garantir un statut aux femmes afin que nous puissions vivre décemment de notre travail, de nos activités ». Et il faut le reconnaître, les défis à relever sont nombreux avant qu’elles puissent avoir des conditions de travail acceptables.

Le premier défi est l’accès à la matière première : « Quand la ressource s’amenuise, il y a de la spéculation ». Que ce soit la surpêche, le changement climatique ou les changements dans les dynamiques du commerce international, la pénurie de poisson impacte directement les femmes ou les communautés ? et les empêche d’avoir un accès stable à la ressource. « Notre savoir est transmis de mère en fille, de père en fils », explique-t-elle. Le changement climatique, en revanche, est en train de changer la donne : « Nous ne savons plus prévoir quand est-ce que le poisson viendra ».

Hors saison, ces femmes importaient des cartons surgelés de petits pélagiques en provenance du Sénégal et de la Mauritanie. « Importaient », car elles ne le peuvent plus : la prolifération d’usines de farine et huile de poisson dans la région est en train de siphonner ces petits poissons huileux et riches en éléments nutritifs au détriment de la sécurité alimentaire de toute la région. « Nous sommes en concurrence avec ces usines ». Ces poissons sont broyés entiers puis exportés pour nourrir des poissons d’élevage dans des pays développés. « Nous ne sommes pas contre l’aquaculture, mais nous voulons une aquaculture durable et respectueuse de l’environnement et de la sécurité alimentaire ». Elle martèle : « il faut privilégier la consommation humaine ».

Parfois, la pêche est très bonne, mais le manque d’infrastructures de conservation fait qu’elles doivent brader leurs prix : « Si nous avions des frigos, nous pourrions écouler nos produits de façon plus régulière et les vendre à des prix qui nous permettraient de tirer un profit ». Des frigos solaires, bien évidemment, pour contourner le coût élevé de l’électricité. De plus, l’électricité n’est pas toujours acheminée jusqu’aux nombreux sites de transformation.

« Nous voulons une aquaculture durable et respectueuse de l’environnement et de la sécurité alimentaire. Dans la gestion des ressources halieutique, il faut privilégier la consommation humaine ». »
— Raissa Nadege Leka Madou

La création de coopératives permet que les femmes peuvent s’organiser, faire un plaidoyer ou même – parfois – accéder à des fonds. Elles sensibilisent les autres femmes transformatrices à de bonnes pratiques, comme ne pas acheter des poissons juvéniles ou bien à ne plus utiliser du bois de mangrove pour le fumage. « Il est essentiel d’intégrer les femmes dans la gestion de la biodiversité », car elles ont du poids dans leurs communautés, mais aussi au-delà : « Nous sommes une force de proposition ».

Elle appelle les partenaires à accompagner les femmes transformatrices et à renforcer leurs capacités. Elle regrette que parfois, les femmes reçoivent un début de formation, mais qu’il n’y a plus de continuation : « Quand on renforce, on ne peut pas laisser en chemin, il faut évaluer, puis continuer de marcher ».

En tout cas, Mme Madou continue de marcher. Pour le reste de la semaine, elle aura pu rencontrer plusieurs décideurs européens et fait passer le message que la pêche artisanale est un « levier pour le développement social et économique inclusif de nos pays », mais il faut qu’elle soit reconnue et soutenue par « nos États et le partenaire européen ».


Photo de l’entête: Raissa Nadège Leka Madou lors de la Journée Internationale de la Femme organisée à Abidjan (Côte d’Ivoire) par la Confédération africaine des organisations de pêche artisanale (CAOPA) en mars 2023, par Joëlle Philippe