Au Sénégal, les exportations de farine et d’huile de poisson « explosent »

Le Direction des Industries de Transformation de la Pêche du Sénégal a publié son rapport annuel des exportations de produits halieutiques de l’année 2022.

Ce rapport confirme que le Sénégal devient, après la Mauritanie et la Gambie, un des pays qui favorise la production et l’exportation de farine et d’huile de poisson au détriment de la nutrition de sa population.

Bien que les quantités ne soient pas comparables à celles de la Mauritanie, il faut remarquer une augmentation de 86% des exportations de farine et 129% pour l’huile de poisson entre 2021 et 2022, une forte augmentation par rapport aux moyennes – bien que fluctuantes - de ces dernières années (voir tableau ci-bas). Le rapport indique cela sobrement : « il faut noter le boum des exportations… », alors que de nombreuses espèces de petits pélagiques utilisées dans la production de farine et d’huile de poisson sont fortement surexploitées.

Sur le terrain, les acteurs de la pêche artisanale sonnent pourtant l’alarme depuis longtemps : la rareté de la ressource, des tables vides sur les marchés, des prix qui flambent, un poisson qui n’arrive plus dans l’assiette. En effet, un rapport de 2021 indiquait qu’en seulement 10 ans, la disponibilité de petits pélagiques, les poissons consommés par les populations et utilisés aussi pour la farine, est passée de 18kg/personne/an à 9kg/personne/an.

Même en Côte d’Ivoire cela se ressent. Raissa Leka Nadege Madou, transformatrice de poisson à Abidjan indique : « Nous importions des cartons de Mauritanie et du Sénégal mais cela devient de plus en plus difficile. De nombreuses femmes quittent la transformation pour vaquer à d’autres occupations ».

Des entreprises européennes bénéficient de cette production non durable. En janvier dernier, CAPE dénonçait, avec 10 autres organisations, le fait que la plupart de l’huile de poisson produite en Mauritanie arrivait en France. Il en va de même avec l’huile et farine du Sénégal : parmi les pays importateurs se trouvent plusieurs états membres de l’Union européenne, notamment l’Espagne, le Danemark et, en moindre mesure, la France. Malgré le fait que les pays asiatiques, notamment la Chine, sont souvent pointées du doigt dans la région pour ce commerce et bien que dans les années 2018 à 2020, le Sénégal ait exporté la plupart de sa farine vers le Vietnam, l’Espagne et la Turquie sont en première place dans ce dernier rapport qui donne des chiffres pour 2022. C’est aussi l’Espagne, puis le Danemark, qui ont importé la plupart de l’huile de poisson sénégalais.

Et le nouveau gouvernement… ?

Nombreux sont ceux qui célèbrent les bonnes intentions et placent leur espoir dans le nouveau gouvernement du Sénégal. Par exemple, l’Union européenne, tout en pré-notifiant le pays comme non-coopérant dans la lutte contre la pêche INN, indiquait se voir « rassurée » par « les mesures prises récemment par le nouveau gouvernement (à savoir la publication de la liste des licences de pêche et l’audit de la flotte de pêche) ».

Néanmoins, l’Association pour la promotion et responsabilisation des acteurs de la pêche artisanale maritime (APRAPAM) avait alerté début avril sur certaines propositions du programme électoral du gouvernement fraîchement élu. Dans une prise de position, ils signalaient leur incompréhension face au fait que le gouvernement de Diomaye Faye veuille encourager « la production d’aliments de poissons au niveau local à travers de la mise en place d’unités industrielles ».

Pour APRAPAM, cela relève du non-sens : « la pêche de petits pélagiques est une source d’emplois et revenus pour les populations, et en particulier les femmes transformatrices, qui le commercialisent dans toute la région ». Cette organisation de la société civile sénégalaise insiste que s’il faut prioriser une production, c’est celle qui va produire des aliments pour les populations locales et non pour des poissons d’aquaculture consommés dans les pays riches. Ils demandent aussi une « approche cohérente qui diminue la pression » sur ces ressources clé. Gaoussou Gueye, président de la Confédération africaine d’organisations professionnelles de pêche artisanale, insiste que « la sardinelle doit être réservée à la pêche artisanale qui pêche pour nourrir les populations ».

Photo de l’entête: le site de débarquement de Fass Boye, Sénégal, par Agence Mediaprod.