Un effort collectif ou une fête communautaire : la senne de plage au Bénin

AVEC Mamadou aliou diallo

Ce reportage a été écrit et mis en image avec la collaboration d’Aliou Diallo, reporter et responsable de communication de la Confédération africaine d’organisations professionnelles de pêche artisanale (CAOPA).

Le long de la route entre Cotonou et le Togo, les cultures maraîchères occupent les communautés de pêche quand « la mer ne donne pas ».

Parcelle après parcelle, c’est vert, c’est fertile. Le sol sablonneux produit oignons, carottes, betteraves, salades, piments. De temps en temps, à travers champs, sur la gauche, c’est à dire, la côte, on voit deux files parallèles de personnes tirer des cordes. Il s’agit d’une senne de plage, une méthode de pêche traditionnelle pratiquée en communauté tout au long de l’année.

À la frontière avec le Togo, dans la commune de Grand-Popo où l’activité principale est la pêche, on peut observer une senne de plage tous les quelques kilomètres. Le filet est attaché avec une corde tôt le matin à un cocotier ou un piquet dans le sol, puis lâché en mer par une pirogue qui revient ensuite vers la plage pour attacher l’autre bout à terre, formant ainsi un demi-cercle. Et puis, les pêcheurs se mettent en file et commencent à tirer de chaque côté. Cela peut prendre des heures, voire toute la journée, selon les courants. Ils indiquent que quand le courant va d’ouest en est, le filet revient plus vite à la plage. Il y a aussi beaucoup plus de poissons.

Nous nous sommes arrêtés à Agoue, un des 60 villages de la commune de Grand-Popo. Ici, la plage est immense, mais seulement depuis quelques mois. L’entreprise hollandaise Boskalis a protégé et reconstitué la plage sur plus de 40 km avec un projet financé par la Banque mondiale. Elle vient tout juste de planter les cocotiers, donc pas une ombre aux alentours. À 200 mètres, nous observons un groupe de personnes tirant une corde. La deuxième file est trop loin. Zéphirin Amedome, membre de la communauté et propriétaire, lui, de deux sennes tournantes [NDLR : filet encerclant les poissons en mer], s’installe sur une pirogue posée sur la plage : « Il n’y a plus qu’à attendre qu’ils s’approchent ». Ah bon. Ils semblent pourtant très loin. Mais le courant est d’ouest en est et il pousse donc le filet avec son sac vers nous.

Une activité en équipe qui dure toute la journée

En effet, quelques vingt minutes plus tard, ils doivent passer la corde par-dessus la pirogue accostée. Sous le soleil battant, nous restons assis sur la pirogue tandis que les pêcheurs et femmes continuent de tirer. Un jeune homme tient une cloche dans sa main qu’il fait sonner constamment, de façon rythmée, donnant une cadence à l’effort collectif. Au fur et à mesure que le temps passe, de plus en plus de gens se joignent au groupe, ils semblent apparaître de nulle part. La senne de plage, c’est un rassemblement communautaire : enfants, femmes, pêcheurs, jeunes migrants nigérians venus trouver fortune, tous essaient d’avoir une petite part du gâteau.

Zéphirin nous explique que le patron pêcheur, qui dirige les activités de la senne et qui est différent du propriétaire, connait très bien les membres de la communauté et qu’il va faire une répartition des captures une fois que le filet sera tiré hors de l’eau et que le propriétaire aura pris sa part. Ce dernier, d’ailleurs, n’arrive qu’en fin d’après-midi, lorsqu’il a reçu l’appel que le filet approche.

Quelques dizaines de minutes passent. L’attente se fait longue quand on n’est pas en activité. Nous nous éclipsons pour aller chercher de l’eau. En revenant, Zéphirin gare la voiture encore plus loin, vers l’ouest. Nous nous installons à l’ombre d’une pirogue et attendons la senne qui s’est encore déplacée de quelques centaines de mètres. Les deux lignes parallèles se sont rapprochées et au-delà des files de gens qui tirent, quelques femmes démêlent la partie du filet qui est déjà sur le sable tandis que, l’une ou l’autre glaneuse récupère les petits poissons attrapés dans les mailles.

En attendant, les plus jeunes femmes commencent à ramener les cordes et les premières parties du filet tandis que les hommes tirent encore. Elles enroulent dans leurs bassines le filet, qu’elles placent sur leurs têtes et marchent à la queue leu-leu pour déposer le filet au pieds du patron. Tout près, le ramendeur répare les trous du filet.

Quand la mer donne

Quelques mareyeuses arrivent, posent leurs bassines à terre et s’assoient dedans. Autour d’elles, d’autres femmes en profitent pour vendre leurs produits : des sachets avec de l’eau ou des beignets. On dirait qu’elles ont été prévenues que ça n’allait plus trop tarder car, soudain, tout va très vite. Les plus jeunes commencent à crier et l’on hisse le reste du filet avec le sac, chargé à craquer de juvéniles de toutes sortes, quelques crevettes et l’une ou l’autre petite sole ou petit barracuda.

On détache le sac du filet et repousse les poissons jusqu’au bout du sac. C’est la fête autour du sac mais personne n’ose toucher la pêche avant que le patron pêcheur ne lance l’ordre. Parfois, il faut attendre le propriétaire de la senne, d’autres fois, le patron pêcheur veut que l’on démêle, nettoie et range le filet dans la pirogue, pour que tout soit prêt pour le lendemain.

Mais il est l’heure pour le patron pêcheur de répartir le butin. Les plus jeunes femmes utilisent maintenant leurs bassines pour mesurer les captures et en faire des petits tas. Il y a différentes sortes de bassines : la petite (10-15 kgs), la moyenne (15-20 kgs) et la grande (20-25 kgs). Zéphirin précise que le choix d’une bassine ou une autre dépend de la demande et de la capture : « Les bassines sont utilisées selon la taille de la capture pour satisfaire les mareyeuses présentes sur le théâtre ». Les plus belles captures sont gardées à part pour le propriétaire de la senne, qui apparaît discrètement et se tient à l’écart.

Repos biologique, il était temps ?

Cette pêcherie de subsistance est considérée comme non durable de par le grand nombre de captures juvéniles et les risques de captures de mammifères marins. Zéphirin Amedome, qui est aussi le secrétaire général de l’Union Nationale des Pêcheurs, Marins, Artisans et Assimilés du Bénin (UNAPEMAB), précise qu’il est important que l’administration communique bien sur les mesures de gestion des pêcheries : « La sensibilisation des communautés est la base de toute entente. S’il y a de la communication, l’entente va arriver ».

Les ONG de protection de l’environnement ont bien compris ce principe, car elles sensibilisent les communautés par rapport aux tortues marines. « Avec un peu de chance, nous verrons une tortue », nous dit un membre de la communauté locale de pêche, mais qui rapidement se ressaisit : « Bien évidemment on espère la retrouver vivante pour pouvoir la relâcher ». Souvent les écogardes sont issus eux-mêmes de communautés de pêche, donc ils comprennent bien les enjeux. Quand l’on retrouve une tortue et qu’elle est morte, l’écogarde fait le constat – si elle a des traces de filet, alors on sait qu’elle n’a pas été tuée par les pêcheurs. Elle est alors dépecée et partagée dans la communauté, car la tortue est encore considérée comme un mets privilégié dans toute la zone.

Pour la première fois cette année (nous sommes en Novembre 2023), plusieurs pays du Golfe de Guinée en collaboration avec la FAO ont mis en place un repos biologique pour la senne de plage, même s’il n’a pas été adopté en même temps par tous les pays. Zéphirin attend mai 2024 avec impatience, car il devrait y avoir un nouveau repos généralisé : « Si le gouvernement, pour notre futur, nous dit qu’il faut le faire, ce serait salutaire, pour le bien-être de nos communautés ».





Photo de l’entête: La senne de plage est un évènement communautaire, où tous les membres mettent la main à la pâte - que ce soit pour tirer, glaner, déméler le filet ou le ranger. Photo par CAPE.