« Lorsque l'on parle de changement climatique, les hommes et les femmes dans la pêche artisanale ne sont pas le problème, ils font partie de la solution et vous devez tous mieux respecter et protéger leurs droits », a déclaré M. Michael Fakhri, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l'alimentation, aux représentants des gouvernements du monde entier réunis au sein du Conseil des droits de l'homme de l'ONU.
Le CDH, réuni à Genève pour sa 55e session, a tenu un dialogue interactif avec M. Fakhri pour discuter de son dernier rapport sur la pêche et le droit à l'alimentation dans le contexte des changements climatiques. Ce rapport se concentre exclusivement sur les droits des hommes et des femmes dans la pêche artisanale, des travailleurs du secteur de la pêche et des peuples autochtones et aborde de nombreuses tendances mondiales dans le domaine de la pêche et dans d'autres secteurs qui ont un impact sur leurs droits humains.
M. Fakhri a insisté sur le fait que la faim et la malnutrition « ne sont pas causées par un manque de nourriture » et ne sont donc « pas un problème de production ». Il a pointé du doigt les défaillances politiques et les faiblesses institutionnelles, et a fait remarquer que dans le contexte de la « menace existentielle » que représente le changement climatique, les communautés de pêche artisanale sont celles qui peuvent s'adapter et nourrir le monde. « La science ne peut nous aider que partiellement : en fin de compte, l'adaptation est une question de choix politiques, sociaux et culturels, ainsi qu'économiques et écologiques ». Il a ajouté que « le problème actuel n'est pas tant un problème économique ou scientifique », même s'il a précisé que ces éléments étaient importants, « le problème est que les acteurs de la pêche artisanale sont trop souvent marginalisés, harcelés et menacés par les États et les entreprises ».
Pour ce faire, le rapporteur spécial a brièvement décrit la pêche artisanale et a fait remarquer que « le concept "artisanal" est spécifique au contexte » et que les gouvernements doivent définir la pêche artisanale de manière transparente, participative et avec une approche basée sur les droits humains : « Il ne s'agit pas seulement d'une question technique : la pêche est un mode de vie et un moyen de subsistance [...], elle donne un sens et une valeur à la vie quotidienne » de millions de personnes. Il a ensuite souligné les droits culturels des personnes et la valeur sociale que la pêche apporte aux communautés côtières.
Au cours du dialogue interactif, le représentant du Cameroun a souligné l'importance de l'accès aux ressources, à la terre et à l'eau pour la « capacité à exercer le droit à l'alimentation ». Le représentant du Togo a également noté que « la pêche artisanale a de plus en plus de mal à mener ses activités » en raison de la concurrence des grands navires industriels. À cet égard, M. Fakhri a ajouté que les choix des gouvernements face au changement climatique doivent tenir compte d'aspects tels que « les droits fonciers pour la pêche, les aires marines gérées localement et la gouvernance marine ». Pour lui, les solutions existent déjà : il faut écouter les hommes et les femmes dans la pêche artisanale, qui sont les mieux placés pour s'adapter au changement climatique, et mettre en œuvre les outils juridiques déjà disponibles. Il a appelé les gouvernements à reconnaître les droits des hommes et femmes dans la pêche artisanale (1) en mettant pleinement en œuvre les Directives pour une pêche artisanale durable dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l'éradication de la pauvreté, et si nécessaire en demandant des conseils à la FAO, (2) en protégeant les droits des peuples autochtones et en faisant respecter leur droit au consentement libre, préalable et éclairé, et enfin en (3) respectant et protégeant le droit des travailleurs de la pêche à un travail digne en ratifiant et en mettant en œuvre au niveau national des outils tels que la convention C188 de l'OIT sur le travail dans la pêche.
AUTRES QUESTIONS ABORDÉES DANS LE RAPPORT : L'AQUACULTURE ET LA FINANCIARISATION DE LA CONSERVATION DES OCÉANS
Une grande partie du rapport de M. Fakhri concerne l'aquaculture, pour laquelle il recommande aux États de « faire preuve d'une grande prudence ». Il établit une distinction entre l'aquaculture artisanale et l'aquaculture industrielle, cette dernière nécessitant une réglementation plus stricte. « Lorsque l'aquaculture est proposée comme solution, c'est en réponse à l'augmentation des taux de consommation », critique-t-il implicitement l'approche « Transformation bleue » de la FAO, et il souligne les « risques majeurs » associés à l'aquaculture, en particulier avec les espèces « qui ont besoin de produits alimentaires provenant des stocks halieutiques sauvages », ce qui accroît la pression sur des stocks de poissons sauvages déjà en déclin.
Dans la section suivante du rapport, M. Fakhri aborde également les risques posés par la financiarisation des océans, qui « creuse les inégalités, nuit à la transparence de la gouvernance et crée des risques majeurs de violation des droits de l’homme, en particulier pour les communautés côtières ». A cet égard, il prend l'exemple des échanges de dette contre océan, le peu de bénéfices qu'ils apportent tout en soulevant des questions de manque de transparence et de redevabilité, et des risques pour la souveraineté des Etats. Pour le rapporteur spécial des Nations unies, « en fin de compte, il est impossible de séparer la conservation aquatique des droits de l'homme ».
Photo de l'entête : M. Fakhri a répondu aux questions des représentants des délégations lors du dialogue interactif de la 55e session du Conseil des droits de l'homme des Nations unies, le 7 mars 2024.
Dans un échange avec Arınç Onat Kılıç, qui a récemment publié un article sur l’obligation bleue des Seychelles, Andre Standing, conseiller principal à CAPE, aborde les conséquences du financement privé dans le développement de l’économie bleue.