Du 9 au 13 septembre 2024, les Ministres en charge de la Pêche de l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OEACP) se sont rencontrés pour la huitième fois à Dar es Salaam (Tanzanie).
Des délégations de 34 États membres, des représentants de dix organisations régionales ainsi que des partenaires internationaux et des représentants de la société civile ont échangé sur le thème « Accélérer les actions pour les océans, une pêche et une aquaculture durables et résilients dans les pays et régions membres de l’OEACP ». La Confédération africaine des organisations de pêche artisanale (CAOPA), seule organisation de professionnels présente, représentant pour l’occasion la pêche artisanale des pays ACP, a pu faire entendre ses préoccupations. La réunion a été suivi d’un forum sur les aliments bleus organisé par FISH4ACP (« du poisson pour les ACP », un projet de l’OEACP mis en oeuvre par la FAO), soulignant la nécessité de transformer les systèmes alimentaires pour répondre aux défis mondiaux de préservation de l’environnement marin.
En guise d’introduction, le ministre de l’Élevage et de la Pêche de la Tanzanie, Hon. Abdallah Hamis Ulega, a lancé un appel fort devant les hauts fonctionnaires présents: « Nous ne devons pas fermer les yeux pour préserver les intérêts des petits pêcheurs ». Il a souligné l’importance des océans pour la survie des communautés côtières et la nécessité d’agir face aux menaces croissantes qui pèsent sur ces écosystèmes. Mme Cristelle Pratt, sous-secrétaire générale de l’OEACP, a quant à elle insisté sur « la nécessité d’une coopération internationale pour aller vers plus de durabilité et de résilience ».
Les défis de la pêche artisanale : résilience, équité et protection
Les échanges qui ont suivi ont mis en lumière les difficultés des communautés côtières face aux effets des changements climatiques surtout dans les îles du Pacifique et des Caraïbes. Le continent africain n’est pas en reste avec la situation dans les grands lacs et sur la côte atlantique. En Afrique, la situation est critique notamment dans la région des grands lacs et sur la côte atlantique. Pour surmonter ces obstacles, une priorité a été donnée aux acteurs locaux avec un accent particulier sur les femmes en facilitant un accès aux marchés, au foncier et aux financements. La création de zones co-gérées par la pêche artisanale, protégées des menaces comme la pêche industrielle et les activités concurrentes de l’économie bleue, a également été mise en avant.
La pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) est un autre fléau qui compromet dangereusement les efforts menés par les membres de l’OEACP et menace les communautés de pêche artisanale. Il est urgent que des mesures contraignantes soient appliquées en toute transparence à tous ceux qui sont impliqués dans la pêche INN, quelle que soit leur origine. Cela passe par une volonté politique et un engagement des États, une coopération régionale et internationale en partenariat avec les communautés de pêche artisanale dans le cadre de la surveillance participative.
Concernant la surveillance participative, on peut rappeler que la pêche artisanale africaine a, lors du sous-comité sur la gestion de la pêche de la FAO en janvier 2024, rappelé que, pour que le système fonctionne, il faut fournir aux communautés de pêche artisanale des équipements adéquats leur permettant d'informer directement les autorités d'activités suspectes et définir clairement les rôles et responsabilités qui incombent respectivement aux pêcheurs et aux autorités.
Les participants ont également abordé le sujet de la bonne gouvernance, en particulier la question de la transparence. Pour bâtir des partenariats durables à bénéfices réciproques au niveau national, régional et international, il est essentiel de promouvoir la transparence, la responsabilité et la participation des parties prenantes. Cela passe par l’échange d’informations, le partage des connaissances scientifiques et technologiques, la mise à disposition, en langues locales, des lois et règlements et toute autre disposition juridique s’appliquant à la pêche. Afin de les accompagner dans cette démarche de transparence et de participation, les États de l’OEACP ont été encouragés à rejoindre l’initiative pour la transparence dans la pêche (FiTI).
L’OEACP doit parler d’une seule voix
Lors des débats sur les accords internationaux, il a été souligné l’importance de parler d’une seule voix pour influencer les décisions mondiales. L’accord sur la conservation de la biodiversité marine, l’Accord de l’OMC sur les subventions à la pêche, la Conférence des Nations Unies sur les Océans 2025 ; autant d’évènements cruciaux où l’OEACP doit se faire entendre.
L’importance de ces accords, cadres et évènements n’est plus à démontrer mais seuls les États sont engagés. Les communautés locales, qui seront les plus affectées par ces décisions, sont malheureusement peu impliquées. Le contenu et les conséquences, même positives, sont méconnus au plan national. Le besoin de renforcement de capacités est une nécessité à tous les niveaux pour que les États s’impliquent activement dans les négociations et la mise en oeuvre des accords internationaux. Les défis signalés portent sur le manque de capacités, d’infrastructures, le partenariat et le partage de connaissances, y compris concernant les conséquences de ces accords pour les communautés de pêche artisanale.
Ainsi, les dispositions prises par la Convention sur le commerce international des espèces de faunes et de flores sauvages menacées d’extinction (CITES) peuvent parfois affecter les communautés de pêche qui vivent de certaines espèces protégées. Une sensibilisation accrue de ces communautés côtières aux dispositions de la CITES est donc nécessaire. De même, les négociations en cours à l’OMC ont mis en lumière l’impact négatif des subventions accordées aux navires et opérateurs pratiquant la pêche INN, contribuant ainsi à la surcapacité, à la surpêche et à une concurrence déloyale avec la pêche artisanale.
Un potentiel de développement immense pour l’OEACP
Sur tous ces grands dossiers, il est impératif que l’OEACP, regroupant 79 États, parle d’une seule voix. Il a été rappelé que, l’OEACP et l’UE représentent, ensemble, plus de 50% des membres des Nations unies notamment grâce à leur partenariat privilégié. Cette force doit être exploitée pour tirer pleinement parti du potentiel de développement des ressources marines et favoriser des synergies au sein de l’OEACP.
Deux opportunités de parler d’une seule voix ont été présentées. Les États insulaires de l’OEACP présents à la rencontre, ont fait part des effets visibles et permanents du changement climatique sur leur vie et leur culture, ils ont appelé l’OEACP à les appuyer. Désormais, le lien climat-océan doit figurer dans tous les programmes. Les États de l’OEACP doivent aussi bien préparer et que participer à la COP29 de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques qui aura lieu du 11 au 22 novembre 2024 à Bakou (Azerbaïdjan) et aux auditions publiques de la Cour Internationale de la Justice sur le changement climatique qui débuteront le 2 décembre 2024.
D’autre part, du 9 au 13 juin 2025 aura lieu la troisième conférence des Nations unies sur les océans, organisée conjointement par la France et le Costa Rica, et qui aura lieu à Nice. Là aussi, le besoin de ralliement fort des États de l’OEACP sur le thème « Accélérer les actions et mobiliser tous les acteurs pour la conservation et l’utilisation durable des Océans » a été souligné.
Un engagement pour la pêche artisanale et la biodiversité
Un panel sur comment « accélérer les actions et les partenariats pour surmonter les défis et favoriser un secteur de la pêche et de l’aquaculture florissant » a permis notamment de mettre en lumière des éléments du partenariat existant entre l’OEACP et l’UE. Charlina Vitcheva, Directrice générale des affaires maritimes et de la pêche de la Commission européenne, a souligné l’importance capitale du poisson pour la sécurité alimentaire dans les pays membres de l’OEACP. Elle a rappelé que « tout commence avec la ressource – s’il n’y a pas de poisson, il n’y a pas de pêche ». Elle a présenté plusieurs initiatives de l’UE qui visent à appuyer les membres de l’OEACP à organiser des évaluations scientifiques de leurs ressources, mais aussi a établir un climat propice pour le développement d’activités de pêche durables, citant des projets comme PESCAO, ECOFISH ou encore FISH4ACP.
Dans ce même panel, Gaoussou Gueye, président de la CAOPA, a souligné qu’un défi important est de garantir la place de la pêche artisanale dans l’économie bleue: « Il est essentiel que l’OEACP aide ses membres à mettre en place des mécanismes pour assurer la sécurité des droits fonciers et des droits d'accès aux ressources halieutiques pour les hommes et les femmes des communautés de pêche artisanale vis-à-vis des secteurs plus puissants de l’économie bleue. »
Il a aussi rappelé l’importance de zones d'accès réservées à la pêche artisanale, entièrement cogérées : « Les communautés de pêche artisanale sont déjà engagées depuis longtemps dans la conservation de la biodiversité, maintiennent ou restaurent les écosystèmes locaux et s'engagent dans une gestion locale ou communautaire de la pêche, au bénéfice des populations locales… À ce titre, la pêche artisanale est un allié des États membres de l’OEACP pour réaliser leur engagement de conserver efficacement 30 % des terres et des mers d'ici à 2030 (30 x 30) ». Il a soutenu l’idée que « lorsqu’il est démontré que la conservation de la biodiversité est un résultat évident de l’établissement de zones réservées à la pêche artisanale et interdites à la pêche industrielle, co-gérées par la pêche artisanale et le ministère de la Pêche, alors ces zones devraient être considérées par nos États comme des contributions à l'objectif « 30 x 30 ».
Ces points soulevés par la CAOPA sont au cœur de l’Appel à l’action défendu par des organisations professionnelles de la pêche artisanale des pays ACP. Cet appel illustre bien l’avance qu’ont aujourd’hui les professionnels sur les institutions et les États, et transmet un message fort : il y a assez de cadres et de textes aujourd’hui ; il faut accélérer et passer à l’action.
Les institutions présentes – la FAO, l’UE, le Fida et la coopération allemande, après un rappel de leurs différents appuis en faveur du secteur, ont réitéré leur engagement à mobiliser les ressources financières disponibles à leur niveau pour accompagner l’accélération des actions au bénéfice d’une pêche et d’une aquaculture durables.
Forum sur les aliments bleus : vers des solutions innovantes
La rencontre des Ministre de l’OEACP a été suivie d’un forum sur les aliments bleus organisé par FISH4ACP, qui a examiné comment les chaînes de valeur alimentaires aquatiques peuvent contribuer à transformer les systèmes alimentaires et à nourrir une population mondiale croissante tout en préservant la santé de la planète. Le forum s’est déroulé sous un format intéressant qui a permis les échanges d’expériences, les discussions sur de bonnes pratiques durant des plénières, des ateliers et des expositions en provenance des douze pays où le projet est en cours.
Selon Manuel Barange, sous-directeur général de la FAO, 35 % de la population de la planète vit dans une pauvreté extrême avec 10 % de sous nourris. Pour la FAO, une des solutions à cette crise alimentaire est l’utilisation des aliments bleus. Pour développer cette piste, Barange a parlé du besoin d’établir un environnement propice au niveau national et international ; avoir une volonté politique et une bonne gouvernance. Il a également commenté les défis à relever : l’accès aux financements, l’accès aux marchés, l’accès à la technologie, le partage des connaissances dans les langues accessibles aux communautés, leur appropriation par ces dernières.
Un vote a été organisé à l’issue duquel le projet des femmes de Néma Bah (Yoonu Diofior - Toubacouta – Sénégal) a été primé meilleure initiative de l’« Inclusion sociale dans la chaîne de valeur ». Pour rappel, la CAOPA intervient auprès de ces femmes qui s’activent dans l’ostréiculture à travers son programme de restauration de la mangrove par le reboisement.
Photo de l’entête: Une pirogue sur le fleuve Mansoa en Guinée Bissau.
Dans cet article, l'auteur analyse le rapport principal qui plaide pour une augmentation des financements en faveur de la conservation, Financing Nature, et s'appuie sur des exemples de pêche et de gouvernance des océans pour révéler les failles de ses calculs. L'auteur déplore également le fait que l'accent mis sur l'augmentation des dépenses détourne les discussions essentielles sur les causes profondes de la crise et il dénonce le rapport comme étant un outil au service du financement de la conservation, une publication performative qui présente des opportunités d'investissement privé.