Cet article rappelle les demandes de la pêche artisanale mauritanienne, telles que le poulpe réservé aux pêcheurs artisanaux locaux, le maintien du zonage pour les chalutiers et des débarquements de petits pélagiques. Les questions de gouvernance sont également essentielles, telles que la transparence et la nécessité pressante d’une gestion régionale des stocks partagés.
En avril dernier, le Parlement européen a adopté la prorogation pour un an du protocole à l'Accord de partenariat de pêche durable (APPD) entre l'UE et la Mauritanie. Dans sa recommandation, le Parlement a demandé que ce délai ne soit pas utilisé comme un « prétexte pour prolonger inutilement les négociations ». Quelques semaines plus tard, les restrictions du Covid-19 ont empêché la Commission de poursuivre les négociations avec son homologue mauritanien. En juillet 2020, la CE a négocié à contrecœur la prolongation du protocole actuel pour une année supplémentaire. Entre-temps, la CE est sur le point de relancer les négociations pour un nouveau protocole.
Alors que ces négociations sont en cours, il est important de rappeler les demandes du secteur de la pêche artisanale mauritanienne. Il s'agit notamment de la transparence des activités des autres flottes de pêche lointaine non communautaires, du maintien du zonage convenu dans le protocole actuel, de l'accès exclusif au poulpe pour les pêcheurs mauritaniens et d'une gestion régionale des petits pélagiques, dont les stocks sont dans un état précaire.
1. Conditions techniques
A. POULPE : RÉSERVER LA RESSOURCE POUR ASSURER LE DÉVELOPPEMENT DU SECTEUR LOCAL
En 2012, les pêcheurs artisanaux mauritaniens ont obtenu une grande victoire : les navires céphalopodiers européens ont été retirés de la ZEE. Cela a permis à la pêche locale de poulpe de décoller. Depuis lors, le nombre de pêcheurs a doublé, le nombre de pirogues a augmenté de 50%. Un représentant de la pêche artisanale mauritanienne s'est exprimé au Parlement européen, en novembre 2019, et a expliqué que dans la pêche artisanale du poulpe mauritanien, la valeur ajoutée est 8 fois supérieure à celle de la pêche industrielle.
La pêche mauritanienne au poulpe est également une pêche sélective : les pêcheurs ramassent à la main le poulpe caché au fond d'un pot. S'il est trop petit, ils le remettent immédiatement à la mer sans le blesser. Le départ des navires céphalopodiers étrangers a permis à ce stock surexploité de commencer à se reconstituer (Le document de stratégie de développement 2015-2019 de la Mauritanie pour le secteur de la pêche souligne que "malgré une récente reconstitution, l'état des stocks de poulpe est toujours surexploité à un niveau estimé à 17%"). Les pêcheurs demandent aussi que le gouvernement mauritanien inscrive dans la loi que le poulpe soit réservé aux pêcheurs artisanaux.
L'UE devrait garantir que cet acquis du dernier protocole se poursuive et que les flottes de l'UE n'aient aucun accès au poulpe.
B. ZONAGE : RÉDUIRE L'ACCÈS AUX ESPÈCES SUREXPLOITÉES (DÉMERSALES ET PETITS PÉLAGIQUES)
Un autre acquis très important du dernier protocole a été la modification du zonage visant principalement à empêcher les chalutiers de l'UE d'accéder à la sardinelle, à protéger l'environnement fragile contre le chalutage de fond et à réduire les interactions potentielles entre les flottes de l'UE et les flottes de pêche mauritaniennes. Cette mesure a permis de protéger le Banc d'Arguin et les ressources capturées par les pêcheurs artisanaux, mais a également contribué à prévenir la surexploitation des espèces démersales et des petits pélagiques.
L'une des plus grandes préoccupations des pêcheurs artisanaux de la région est que les flottes étrangères, notamment de Russie, de Turquie, de Chine et de l'UE, ont accès aux petits pélagiques, sans que cet accès ne soit correctement géré. Ces stocks migrateurs sont partagés entre le Maroc, la Mauritanie, le Sénégal, la Gambie et la Guinée-Bissau et l'on soupçonne qu'ils sont gravement surexploités. L'absence de gestion régionale, y compris de données scientifiques solides, signifie qu'il est impossible d'identifier un surplus de petits pélagiques auquel les flottes de l'UE pourraient avoir accès. Si des mesures décisives ne sont pas mises en place pour la gestion régionale (voir point 3 ci-dessous), ces ressources ne devraient pas faire l'objet d'une discussion sur l'accès des flottes européennes dans le cadre d'un futur protocole ‘durable’ avec la Mauritanie.
Autre stock partagé, le merlu noir est également surpêché, selon le COPACE. Des chiffres récents de la FAO indiquent une surexploitation : 17 000 tonnes de captures dans toute la sous-région pour un potentiel de 10 900 tonnes. Alors que l'UE a pris des mesures pour réduire les captures dans le cadre de l'APPD UE-Sénégal récemment renouvelé, le problème est que les chalutiers crevettiers de l'UE ont des captures accessoires des espèces démersales et que les navires de pêche démersale dépassent souvent le tonnage des captures ciblées. Dans ce cas également, l'UE devrait envisager une stratégie régionale pour promouvoir une gestion durable du merlu noir.
Le zonage existant pour les chalutiers pélagiques et démersaux est essentiel pour protéger les zones entourant le Banc d'Arguin, et pour prévenir la surpêche. Par exemple, récemment, la presse mauritanienne a informé dans un article que deux navires lettons pêchant dans le cadre de la APPD pêchaient à proximité de la côte. L'UE doit veiller à ce que les moyens de surveillance soient suffisants pour la mise en œuvre effective de ce zonage.
En outre, selon un expert scientifique, la plupart des chalutiers pélagiques de Lituanie et de Lettonie refusent d'embarquer des observateurs. Les dispositions du protocole ne sont pas très strictes en ce qui concerne l'embarquement d'observateurs (Voir Annexe 1, Chapitre X, article 2). Cependant, étant donné les préoccupations sur l'état des stocks de petits pélagiques, il est essentiel que les navires pélagiques embarquent des observateurs. L'UE devrait conditionner le renouvellement des licences de ces navires à l'embarquement d'un observateur. Cette recommandation a été faite à plusieurs reprises par les Comité scientifiques conjoints à toutes les Commissions mixtes des APPD depuis plusieurs années.
C. SÉCURITÉ ALIMENTAIRE : POURSUITE DES DÉBARQUEMENTS DE PETITS PÉLAGIQUES
Dans le dernier protocole, il a été convenu que 2 % des captures européennes de petits pélagiques seraient débarquées en Mauritanie pour la consommation humaine (Voir l'annexe 1 du protocole, chapitre III : Redevances, article 2 « Redevances en nature ».). Ceci a été un grand succès car cette mesure a permis à la consommation locale de poisson de passer de 4 à 12 kg/personne/an en quelques années seulement, assurant ainsi la sécurité alimentaire des communautés locales car le poisson apporte à la population une source abordable et irremplaçable de protéines et de nutriments clés (vitamines et acides aminés). Pour autant qu'une gestion durable des petits pélagiques soit garantie et que l'UE convienne avec la Mauritanie d'un accès aux petits pélagiques pour sa flotte, l'UE devrait également veiller à ce que ces débarquements se poursuivent.
D. MARINS MAURITANIENS : EMBARQUER CEUX QUI SONT FORMÉS
La Mauritanie forme des marins dans son Centre de Qualification et de Formation aux Métiers de la Pêche (CQFMP) de l'Académie navale sur les techniques de pêche, la sécurité à bord, etc. Cependant, ceux qui sont embarqués par après ne sont pas nécessairement ceux qui sont formés. Si les dispositions du protocole prévoyant l'embarquement de marins mauritaniens à bord des navires de l'UE constituent une évolution positive, l'UE devrait veiller à s'assurer ce que cet embarquement soit lié à une formation (Voir Annexe 1 du protocole, chapitre IX).
2. Transparence
A. ENGAGEMENTS DE TRANSPARENCE : ENCOURAGER LA MAURITANIE À REMPLIR SES OBLIGATIONS
La Mauritanie est signataire de l'Initiative pour la transparence dans les pêches (FiTI) qui fixe des standards de transparence, notamment la publication des licences des grands navires. En plus de cela, l'article 1.6 du protocole exige que la Mauritanie rende public « tout accord public ou privé accordant l'accès à sa ZEE à des navires étrangers ». Toutefois, à ce jour, la Mauritanie n'a pas respecté ses engagements. L'inclusion de l'article sur la transparence dans le dernier protocole avec la Mauritanie a été un pas positif, mais il n'est pas suffisant.
L'UE devrait faire de la publication de ces informations une condition pour le renouvellement d'un protocole, car il est essentiel d'identifier un surplus potentiel, ainsi que de s'assurer que les autres flottes étrangères respectent des conditions d'accès similaires à celles des flottes de l'UE. Pour garantir une plus grande transparence au niveau de l'UE, la Commission devrait publier les procès-verbaux des Commissions mixtes et des comités scientifiques conjoints.
B. APPUI SECTORIEL : COMPRENDRE LE PROCESSUS DÉCISIONNEL ET L'UTILISATION DES FONDS
L'UE devrait également publier les rapports annuels de la Mauritanie concernant la mise en œuvre de l'appui sectoriel. Ce serait un premier pas pour faire la lumière sur la manière dont les fonds ont été dépensés, car il y a un manque de transparence dans les choix d'allocation et d'utilisation des fonds d'appui sectoriel. Les communautés côtières et de pêcheurs continuent de regretter leur manque de participation à la prise de décision, alors même que la pêche artisanale est bénéficiaire de l'appui sectoriel.
Dans le dernier protocole, il a été convenu que l'appui sectoriel serait géré par une ‘Cellule d'exécution’ qui était « chargée de coordonner la mise en œuvre en collaboration avec les bénéficiaires » des projets sélectionnés (Voir l'annexe 2 du protocole, article 3.2). Cette mesure visait à surmonter le manque de transparence et de participation des bénéficiaires. Un rapport final sur la mise en œuvre de chacune des mesures et de chacun des projets devait être publié et un atelier annuel devait être organisé pour le présenter aux bénéficiaires (Voir les articles 3.3.3 et 3.3.7 de l'Annexe 2 du protocole). Selon les communautés locales, cela a été fait partiellement : seule la cellule a été mise en place. Étant donné le succès d'initiatives similaires dans d'autres pays dans le cadre des APPD, comme au Cap Vert, avec un très bon retour de la part des communautés, l'UE devrait assurer un suivi plus étroit de ces processus.
C. LES ENTREPRISES COMMUNES : GARANTIR LA DURABILITÉ DES INVESTISSEMENTS
Le protocole de l'APPD Mauritanie encourage la création de sociétés mixtes. Il est prévu que ces sociétés soient également encouragées dans le cadre du futur partenariat UE-Afrique. La Confédération africaine des organisations professionnelles de pêche artisanale (CAOPA) a rédigé une position commune avec CAPE concernant les problèmes de la pêche artisanale pour les sociétés mixtes de pêche. Celles-ci opèrent souvent de manière opaque, sont en concurrence avec les pêcheries locales et pratiquent une pêche non durable.
Les négociations entre l'UE et la Mauritanie sont l'occasion d'entamer un dialogue public, qui inclurait les acteurs de la pêche des deux parties, afin de définir et d'élaborer un cadre pour la pêche industrielle mixte afin de garantir que les investissements soient écologiquement et socialement durables.
3. Aspects régionaux
A. STOCKS PARTAGÉS : ENCOURAGER LA GESTION RÉGIONALE
L'épuisement du stock de sardinelle ronde (un aliment de base pour la région), notamment par une industrie de production de farine et d'huile de poisson en pleine expansion, est en train de provoquer une crise de la sécurité alimentaire et met en danger les emplois tout au long de la chaîne de valeur de la pêche artisanale de plusieurs pays voisins comme la Gambie et le Sénégal. L'UE doit veiller à prendre en compte cette dimension régionale dans ses négociations avec la Mauritanie.
La création d'une organisation régionale de gestion des pêches (ORGP) qui couvrirait ces petits pélagiques et d'autres espèces, comme les espèces démersales, partagées par le Maroc, la Mauritanie, le Sénégal, la Gambie et la Guinée-Bissau, est donc urgente. Et si des efforts ont été et sont également faits pour mettre en place une organisation, comme l'étude récente de la COMHAFAT pour une nouvelle ORPG, cette question a besoin d'une impulsion politique claire. Les efforts renouvelés de l'UE pour contribuer à la création d'une telle ORGP seront un élément important pour la promotion d'une pêche durable dans la région.
Les négociations avec la Mauritanie sont l'occasion d'encourager un dialogue entre la Mauritanie et le Sénégal pour fixer des limites de captures, établir un système de répartition de l'accès, améliorer la recherche commune et les avis scientifiques. En effet, même si les deux pays ont ratifié la Convention sur les conditions minimales d'accès de la CSRP, qui appelle à cette gestion concertée des stocks partagés, aucune mesure spécifique n'a été prise.
B. THON : DÉVELOPPER LA PÊCHE LOCALE AU NIVEAU DE LA CICTA
Même si la pêche artisanale mauritanienne ne cible pas les thons de haute mer, elle a récemment capturé jusqu'à 1 600 tonnes de thons juvéniles par an. Les organisations locales estiment qu'il existe des possibilités de développer la pêche artisanale au thon dans les années à venir.
CAPE et son partenaire africain, la CAOPA, ont plaidé auprès des ORGP thonières comme la CTOI pour l'établissement de systèmes d'allocation d'accès qui donnent la priorité aux pêcheurs qui pratiquent la pêche la plus durable et apportent le plus d'avantages sociaux et économiques aux pays côtiers en développement membres de ces ORGP. L'UE devrait encourager la réflexion au niveau régional pour le développement d'une pêche artisanale au thon, et encourager le dépôt par la Mauritanie et le Sénégal, au niveau de la CICTA, de plans de développement durable pour une telle pêche.
Photo d’entête: Un senneur turc par Şahin Sezer Dinçer - @sahinsezerdincer/Unsplash. Les senneurs turcs pêchent les petits pélagiques dans les eaux mauritaniennes.
Une organisation de la société civile sénégalaise, membre du réseau OECD Watch, a soutenu des pêcheurs de Saint-Louis dans le dépôt d'une plainte auprès des points de contact nationaux de l'OCDE du Royaume-Uni et des États-Unis contre les multinationales British Petroleum et Kosmos Energy.