Les océans jouent un rôle fondamental dans la régulation du climat de la planète. Ils sont les principaux ‘amortisseurs’ du changement climatique grâce, notamment, à l’absorption des émissions de dioxyde de carbone et du rayonnement solaire, ainsi qu’à la production de vapeur d’eau qui aide à refroidir l’atmosphère.
Toutefois, la santé des océans est elle-même aujourd’hui affectée par le changement climatique, attribué par la Convention-cadre sur les changements climatiques (CCNUCC) « directement ou indirectement à l’activité humaine, qui modifie la composition de l’atmosphère mondiale et qui s’ajoute à la variabilité naturelle du climat observée sur des périodes comparables ».
Comme le souligne depuis des années dans ses rapports le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), ce réchauffement mondial dû aux activités humaines entraîne des températures plus élevées des eaux de surface, une élévation du niveau des mers, des zones de carence en oxygène, une acidification et une modification des courants océaniques. Cela a un impact important sur les écosystèmes côtiers, la biodiversité et la répartition des organismes marins, dans les régions tropicales en particulier, comme en Afrique.
Une grande partie des pays africains côtiers seront fortement impactés par le changement climatique, qui commence déjà à y faire sentir ses effets : la côte sud-est de l’Afrique, dans l’océan indien, est une des régions où les plus fortes augmentations de température ont été enregistrées.
Les communautés de pêche artisanale des pays africains seront les premières à subir les impacts du changement climatique sur les océans qui entourent le continent, à cause de leur emplacement géographique, mais aussi des moyens limités dont les pays africains disposent pour faire face à ce phénomène.
1. Impacts sur les communautés de pêche artisanale et les populations
Selon un scénario de fortes émissions de CO2, d’ici 2050, les prises de la pêche diminueront de 7,7% à l’échelle de la planète à cause du changement climatique. Cette baisse pourrait atteindre 26 % en Afrique de l’Ouest et encore plus dans les pays plus proches de l’Équateur : 53 % au Nigéria, 56 % en Côte d’Ivoire et 60 % au Ghana.
Cette baisse des captures affectera les moyens de subsistance des plus de 12 millions d’hommes et de femmes qui travaillent dans le secteur de la pêche artisanale africaine, y compris dans les activités post-capture telles que la transformation et la commercialisation, où les femmes sont particulièrement nombreuses. Par ricochet, cela affectera également la disponibilité et l’accès au poisson pour des millions de familles africaines pour qui le poisson représente une source essentielle de protéines, de vitamines et de minéraux.
A) BOULEVERSEMENT DES ACTIVITÉS DU PÊCHEUR ARTISAN AFRICAIN
L’augmentation de la température de l’océan causée par le changement climatique oblige les poissons à migrer des zones équatoriales vers des zones plus froides. Lorsqu’ils subissent un stress thermique, les poissons les plus grands et les plus actifs, comme les thons tropicaux qui parcourent des milliers de kilomètres dans les océans, sont généralement capables d’étendre leur aire de distribution et de chercher de nouvelles zones d’eau plus froides.
Dans les régions côtières tropicales, en revanche, les espèces de poissons démersales (qui vivent sur le fond marin), les crustacés, les mollusques, qui sont étroitement associés aux récifs, aux mangroves, aux herbiers marins ou aux zones sablonneuses, ne peuvent pas échapper à ces perturbations climatiques. Le niveau de reproduction et la croissance de la taille de ces espèces se réduisent et les stocks déclinent. Les projections prévoient un déclin de 20 à 80 % des stocks de poissons associés aux récifs d’ici la fi n du siècle, et de 10 à 20 % pour les espèces de fond.
En agissant sur la répartition des ressources et sur leur abondance, le changement climatique déstabilise les activités de la pêche artisanale africaine. Cela va obliger les communautés de pêche artisanale à diversifier leurs moyens d’existence, à s’adapter à des espèces qu’elles ne consomment pas normalement et à ajuster les calendriers de pêche au changement du comportement de certaines espèces migratrices qui ne seront plus disponibles à certains moments de l’année.
En outre, le changement climatique est à l’origine d’une hausse de phénomènes météorologiques extrêmes, comme les cyclones, les tempêtes, les inondations et l’élévation du niveau de la mer. Cela représente des risques accrus pour la vie des pêcheurs, qui exercent déjà un métier parmi les plus dangereux au monde.
B) PERTE DE MANGROVES ET DE RÉCIFS CORALLIENS, NURSERIES D’UN GRAND NOMBRE D’ESPÈCES
Les zones côtières telles que les estuaires et les deltas avec de riches forêts de mangroves sont menacées par la montée du niveau des mers. Bien que les mangroves soient capables de se déplacer à l’intérieur des terres en cas d’élévation modérée du niveau de la mer (par exemple dans la baie de Gazi à Mombasa), si le niveau de la mer augmente rapidement, l’entrée d’eau salée réduit la croissance de ces plantes. En outre, le renforcement des mesures de construction visant à protéger la côte peut empêcher une future propagation des mangroves. Étant donné qu’un tiers des espèces de poissons marins ont leur nurserie dans les forêts de mangroves, la perte de cet habitat aura un fort impact négatif sur les ressources de poissons. Le même effet est observé dans les récifs coralliens en raison du stress thermique et du blanchiment des coraux.
Selon un article publié sur le blog de la Banque mondiale, « en Afrique de l’Est, le réchauffement de l’océan a déjà détruit une bonne partie des récifs coralliens qui abritaient certaines espèces et a considérablement réduit les stocks » halieutiques. La perte d’habitats côtiers pourrait être l’impact à long terme le plus grave du changement climatique sur les pêcheries artisanales africaines.
C) EROSION CÔTIÈRE ET PERTE DE TERRES EN BORDURE DU LITTORAL
Finalement, le changement climatique peut aussi provoquer ou accélérer l’érosion côtière. Dans quelques pays d’Afrique de l’Ouest, comme le Sierra Leone, l’élévation du niveau de la mer a provoqué des inondations dans les villes et villages du littoral, exposant davantage les populations déjà très vulnérables. Une élévation du niveau de la mer d’un mètre entraînerait l’inondation et l’érosion de 1800 km2 de terres basses en Côte d’Ivoire, de plus de 6000 km2 au Sénégal et de 2600 km2 de terres au Nigeria, dont la plupart sont des zones humides. D’après la Banque Mondiale, l’érosion côtière a déjà coûté à quatre pays d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Côte d’Ivoire, Sénégal et Togo) 5,3% de leur PIB, soit 3,8 milliards de dollars.
Pour les communautés de pêche artisanale, l’érosion côtière signifie la disparition des infrastructures liées à leurs activités et même la destruction de leurs habitations qui se trouvent souvent en bordure du littoral. Les mesures prises pour lutter contre l’érosion côtière peuvent elles-mêmes affecter négativement la pêche artisanale, comme au Ghana, où la construction de digues empêche les pêcheurs de ramener leurs filets.
2. Facteurs d’aggravation
Les écosystèmes et les ressources halieutiques africaines ont été intensivement exploités au cours des dernières décennies. Cette situation, aggravée dans de nombreux pays africains par des systèmes de gestion de la pêche déficients et peu transparents, et un contrôle inadéquat, ont conduit à la surexploitation de nombreux stocks de poissons. Dans l’ensemble, près de la moitié des stocks évalués de la zone côtière de l’Atlantique Centre-Est, au large de la côte atlantique de l’Afrique, sont exploités à des niveaux biologiquement non durables.
D’autres pressions anthropiques sur les écosystèmes marins, côtiers et humides proviennent de l’utilisation des terres côtières. L’augmentation des populations côtières a entraîné une urbanisation avec des conséquences sur de nombreux habitats naturels. Les mangroves ont subi des pertes dues à la conversion à des fins agricoles, d’urbanisation et à la récolte du bois (y compris pour les activités artisanales de fumage du poisson). Entre 20 et 30 % de la végétation de mangrove d’origine a été perdue en moins d’un quart de siècle dans la région Ouest et Afrique Centrale. Des efforts de conservation ont permis ces dernières dix années une réduction mondiale des pertes de mangroves due à l’activité humaine. L’Afrique reste, néanmoins, le seul continent où la conversion non productive de la mangrove est la première cause de perte.
La pollution provenant des eaux usées, des produits chimiques (y compris les engrais et les pesticides) et des déchets, de la construction de barrages, l’extraction de sable et l’exploitation d’hydrocarbures dans plusieurs ZEE, notamment dans le golfe de Guinée sont quelques-unes des autres menaces qui pèsent sur de nombreux écosystèmes.
L’eutrophisation, c’est-à-dire l’apport excessif d’éléments nutritifs dans les eaux, accélérée par les températures plus élevées des eaux de surface, entraîne une prolifération végétale et un appauvrissement en oxygène. C’est une préoccupation majeure, par exemple pour le grand écosystème marin du courant de Guinée où l’eutrophisation d’origine humaine a entraîné la formation de plusieurs zones mortes (par exemple, la lagune de Korle au Ghana).
Ces facteurs de stress sont souvent des problèmes transfrontaliers, qui demandent des solutions régionales.
A) LA SUREXPLOITATION DE PETITS PÉLAGIQUES ET LES RISQUES POUR LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE EN AFRIQUE DE L’OUEST
La surexploitation des petits pélagiques en Afrique de l’Ouest est un exemple de problématique transfrontalière qui nécessite la coopération entre pays, faute de quoi elle déclenchera une grave crise alimentaire dans la région. En effet, les ressources de poissons petits pélagiques, comme la sardinelle, jouent un rôle essentiel dans la sécurité alimentaire et la réduction de la pauvreté en Afrique de l’Ouest.
Au Bénin, Ghana, Mali, Mauritanie et Sénégal, plus de la moitié de la population consomme quotidiennement des produits à base de petits pélagiques. Dans des pays tels que le Sénégal, la Gambie, le Sierra Leone et le Ghana, les communautés de pêche artisanale, tant les pêcheurs que les femmes transformatrices, dépendent fortement des ressources de petits pélagiques.
L’abondance des petits pélagiques est très influencée par le phénomène d’upwelling qui se produit lorsque de forts vents marins poussent l’eau de surface des océans vers le large formant un vide où peuvent remonter les eaux de fond, accompagnées d’une quantité importante de nutriments dont se nourrissent des espèces comme les petits pélagiques. L’upwelling nord-ouest africain au large du Maroc, de la Mauritanie, de la Gambie et du Sénégal est le système le plus productif au monde : on trouve donc dans cette région une importante biomasse de poissons dominée par les petits poissons pélagiques.
Une étude, menée au large de l’Afrique du Nord-Ouest, suggère une hausse de la température des eaux de surface dans la région, qui résulterait dans une migration progressive du plancton plus en profondeur. De manière générale, la température de l’eau plus élevée, la réduction de la saturation en oxygène de l’eau de mer et l’acidification provoquent une évolution des communautés planctoniques vers des espèces plus petites et moins productives. Ces phénomènes auront pour conséquence une diminution de l’abondance et de la taille des petits pélagiques qui s’en nourrissent. Les activités des hommes et des femmes de la pêche artisanale mais aussi la sécurité alimentaire des populations seront négativement impactées.
Ce phénomène est aggravé par la surpêche, en partie encouragée par l’industrie minotière en Mauritanie et dans d’autres pays de la région. Depuis de nombreuses années, le groupe de travail de la FAO sur l’évaluation des petits pélagiques au large de l’Afrique du Nord-Ouest a recommandé chaque année de diminuer l’effort de pêche sur la sardinelle, mais aucune mesure n’a été prise par les pays concernés. Le manque de données empêche d’avoir une connaissance de l’état réel du stock ainsi que de vraiment déterminer l’existence d’un surplus. Alors que l’approche de précaution s’impose dans un tel cas, le manque de concertation entre pays rend difficile la prise de décision pour la conservation de ces stocks.
Conclusions et raisons d’espérer
L’Afrique sera l’une des régions les plus touchées par les effets néfastes du changement climatique sur les océans, y compris là où vivent les communautés de pêche artisanale. La perturbation dans la répartition et l’abondance des stocks de poisson, et l’intensité croissante des effets des phénomènes naturels vont causer une situation alarmante pour ces communautés.
Il est impératif, comme le proposent les Directives volontaires de la FAO pour une pêche artisanale durable dans son chapitre consacré au changement climatique, que les Etats mettent en place, en consultation avec les communautés de pêche artisanale, des politiques et des plans spécifiques pour d’adaptation au changement climatique et d’atténuation de ses effets. Les états devraient aussi mettre en place des mesures pour réduire des risques de catastrophe et pour répondre aux situations d’urgence, tout en abordant des questions telles que l’érosion côtière, la pollution, la destruction des habitats.
En ligne avec les Directives de la FAO, plusieurs initiatives qui améliorent la résilience de la pêche artisanale africaine face au changement climatique ont déjà été prises, comme la replantation de mangroves, ou encore la vulgarisation d’une nouvelle technique de fumage du poisson, le four de fumage FTT, qui réduit les pertes après-capture, les coûts, le temps de fumage et la pénibilité pour les femmes, améliore leur santé, tout en contribuant à conserver l’environnement (en utilisant moitié moins de bois à brûler) et réduire les émissions de CO2 dans l’environnement.
Note : Ce rapport sur les impacts du changement climatique sur la pêche artisanale en Afrique a été compilé par Mohamed Ali Jebali et Béatrice Gorez, CAPE, sur la base d'un rapport global rédigé par le biologiste Dr. Onno Gross et publié en allemand par les ONG Bread for the World et Fair Oceans.
Photo de l’entête : Image d'illustration par peeterv, via Canva Pro.
En septembre 2024, les Ministres en charge de la Pêche de l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OEACP) se sont rencontrés à Dar es Salaam (Tanzanie) pour échanger sur le thème « Accélérer les actions pour les océans, une pêche et une aquaculture durables et résilients dans les pays et régions membres de l’OEACP ».