L’année 2022 a été décrétée par les Nations unies Année Internationale de la Pêche et de l’Aquaculture artisanale. En Afrique, la pêche artisanale mobilise plus de dix millions d’hommes et de femmes, et nourrit plus de 200 millions d’Africains. La pêche africaine, composée à 75% de la pêche artisanale, est le plus grand secteur de l’économie bleue en Afrique, que ce soit au niveau de la contribution à la sécurité alimentaire, des emplois créés ou des revenus générés pour le ménage.
Dans la perspective du sommet qui va rassembler les dirigeants de l'Union européenne et de l'Union africaine à Bruxelles ces 17 et 18 février 2022, nos organisations demandent que les décideurs européens et africains unissent leurs forces pour soutenir une pêche artisanale durable en Afrique, en mettant en œuvre, à travers leurs politiques respectives et leurs partenariats, les Directives de la FAO pour une pêche artisanale durable et du Cadre politique et stratégie de réforme de la pêche et de l'aquaculture en Afrique (PFRS).
Nos organisations proposent à l’UA et à l’UE d’engager des actions concrètes dans trois domaines prioritaires :
Notre première priorité, faisant écho à l’Objectif de Développement Durable 14b, c’est de garantir un accès exclusif aux zones côtières, intérieures et fluviales africaines pour la pêche artisanale et de leur donner les moyens de la gérer de façon durable. En Afrique, de nombreux pays ont la volonté d’instaurer une zone réservée à la pêche artisanale, mais celle-ci n’est souvent pas bien délimitée, pas bien gérée ni protégée des incursions de la pêche industrielle et d’autres aménagements marins. Du côté de l’Union européenne, dans sa politique de pêche, - la PCP-, des droits d’accès préférentiels sont octroyés à la pêche artisanale dans la zone des douze miles côtiers. A l’article 17 de la PCP, l’Europe a aussi inscrit sa volonté d’octroyer un accès préférentiel à ceux qui pêchent de façon durable et qui contribuent le plus aux économies locales. Il y a donc une volonté commune de l’Europe et de l’Afrique de réserver l’accès aux ressources de leurs zones côtières, intérieures et fluviales au bénéfice de la pêche artisanale durable. Cela doit se refléter dans les relations de pêche UE-Afrique, que ce soit au niveau des Accords de Partenariat de Pêche Durables bilatéraux, ou par un soutien technique et financier à des actions concrètes permettant aux pêcheurs de gérer eux-mêmes et durablement l’entièreté des zones côtières et continentales, avec des outils comme des Aires Marines Protégées (AMP) ou la surveillance participative.
Valoriser le rôle des femmes dans la pêche artisanale africaine est également une priorité. Les femmes de la pêche artisanale travaillent et vivent dans des conditions très dures. Il n’est pas rare de voir des femmes transformatrices travailler plus de dix heures par jour dans la fumée, parfois avec leur bébé auprès d’elles. Malgré cela, elles font preuve d’innovation au quotidien pour améliorer leurs conditions de travail et les conditions de vie de leurs familles. La première chose dont les femmes ont besoin, c’est d’avoir du poisson à transformer en quantité suffisante, de bonne qualité, à des prix abordables. Dans plusieurs pays, les femmes trouvent des solutions pour cela, comme de se lancer avec de petits moyens dans la pisciculture artisanale. C’est un bon moyen de compléter leur approvisionnement en matières premières, mais aussi de faire face à des périodes d’arrêt de pêche (repos biologique par exemple). Les initiatives des femmes dans ce secteur devraient être soutenues.
Nous saluons également ici les efforts de l'UE et de l'UA qui doivent être poursuivis, par exemple dans les pays d'Afrique de l'Ouest et de l'Est, y compris dans la région du sud-ouest de l'océan Indien (SWIO), pour promouvoir une gestion concertée des pêches artisanales les plus importantes, notamment les petits pélagiques en Afrique de l'Ouest. La plupart de ces petites espèces pélagiques sont essentielles pour que les femmes puissent les transformer et approvisionner les marchés locaux et régionaux.
Aujourd’hui, les communautés de pêche et aquaculture artisanales africaines sont inquiètes de la compétition d’autres secteurs de l’économie bleue, financièrement et politiquement plus puissants, comme l’exploitation de pétrole et de gaz, le tourisme ou le développement d’industries côtières polluantes. Pour nous, c’est l’approche de précaution qui doit guider le développement de l’économie bleue. Des études d’impacts sociaux et environnementaux indépendantes et transparentes doivent être réalisées, avec la participation des communautés côtières et de pêche affectées. Aucune nouvelle activité d’utilisation des océans ne devrait être permise par les Etats, ni soutenue par des bailleurs de fonds, si elle impacte négativement les écosystèmes et les activités des communautés qui en dépendant pour vivre. Nous souhaitons également la mise en place de mécanismes transparents de consultation et de résolution des conflits entre les usagers des espaces côtiers, intérieurs et fluviales africains, qui permettent une participation informée et active des communautés de pêche affectées. Dans ce contexte, nous nous réjouissons de la mise en place d’une Task Force UE-Afrique sur la gouvernance internationale des océans qui, nous l’espérons, sera l’occasion pour la pêche artisanale africaine de faire entendre ses préoccupations et d’en discuter avec les parties prenantes européennes.
De manière générale, nous sommes heureux de voir que, dans le cadre du partenariat Europe-Afrique, la programmation des projets pour l’Afrique sub-saharienne couvrant la période 2021-2027 accorde aux océans et à la pêche une plus grande importance, avec un accent spécifique sur les organisations de la société civile (OSC) et les femmes. Nous sommes également sensibles à l’appel de L'UE qui souhaite travailler avec les principaux réseaux et associations régionaux dans les secteurs de la pêche et de l'aquaculture.
Cependant, un aspect doit être concrètement amélioré. Actuellement, nous déplorons le manque de contrôle mis en place pour garantir que les fonds sont utilisés de manière optimale pour servir les intérêts des communautés de pêche artisanale. Le problème n’est pas seulement au niveau du suivi des projets mais déjà au niveau de la définition de ces projets. La participation des acteurs de la pêche artisanale par des moyens appropriés doit être une priorité pour la définition, la mise en œuvre et l’évaluation des résultats des projets pêche soutenus dans le cadre du partenariat UE-UA.
Dans toutes les actions que nous demandons, - que ce soit au niveau de la gestion des ressources, des partenariats et projets en matière de pêche-, l’implication des professionnels et de la société civile, à travers des mécanismes transparents, est essentielle. L’UE et l’UA en sont bien conscients, comme le montre l’appui donné aux plateformes d’acteurs non étatiques pêche, à travers les projets FISH GOV I et FISH GOV II. Ce dialogue avec la pêche artisanale doit être renforcé, dans tous les aspects des relations pêche Europe- Afrique, allant des accords de pêche bilatéraux et multilatéraux à la programmation des projets ou à l’évaluation de leurs résultats.
Nous sommes prêts à nous engager !
Les signataires
Photo de l’entête: Femmes pêchant sur la plage à Ilonde (Guinée Bissau), par Carmen Abd Ali.
Cette déclaration aborde la plupart des sujets brûlants de la pêche : lutte contre la pêche INN, bonne gouvernance, transparence, subventions à la pêche, entre autres. Sur la plupart de ces sujets, les ministres mettent l'accent sur la pêche artisanale.