Les parties prenantes africaines et européennes appellent au développement d’un cadre réglementaire pour des sociétés mixtes de pêche durables

Le jeudi 23 mai 2024, le Conseil consultatif de pêche lointaine (LDAC) et CAPE ont coorganisé un séminaire, intitulé « Les entreprises de pêche ayant des investissements et des opérations dans des pays tiers non membres de l'UE », qui s'est concentré sur des études de cas africains.

Environ 60 personnes ont pris part en personne à ce séminaire, qui s'est tenu au siège de Pain pour le monde à Berlin, à la suite de l'assemblée générale annuelle du LDAC. Le LDAC regroupe des acteurs du secteur de la pêche (y compris les secteurs de la capture, de la transformation et de la commercialisation, ainsi que les syndicats) et d'autres groupes d'intérêt (ONG de défense de l'environnement et de coopération au développement).

Ce séminaire a été organisé suite à une recommandation émise en 2015, il y a presque 10 ans, par la Conférence internationale du LDAC sur la dimension extérieure de la politique commune de la pêche (PCP), qui demandait que les entreprises conjointes de pêche soient incluses et reconnues par la PCP : « L'UE doit promouvoir un dialogue avec les pays africains qui favorise le développement d'un cadre réglementaire pour les sociétés mixtes (applicable à tous les navires d'origine étrangère), la transformation et la commercialisation qui assure que les sociétés mixtes opèrent de manière transparente, ne soient pas en concurrence avec la pêche artisanale et contribuent aux objectifs de développement du pays concerné. »  Le séminaire de Berlin visait à « identifier les aspects clés de la gouvernance afin d'établir un cadre solide », à créer une « base pour un document accepté au niveau mondial » qui pourrait servir de guide, et enfin à faire « une proposition visant à inclure et à reconnaître les investissements de l'UE dans le secteur de la pêche dans les pays tiers comme faisant partie de la dimension extérieure de la PCP. »

Des représentants des institutions étatiques africaines ont également participé au séminaire. Les parties prenantes africaines étaient bien représentées lors du séminaire. Dr. Huyam Salih, directrice du Bureau interafricain des ressources animales de l'Union africaine (UA-BIRA), a détaillé les attentes des pays africains vis-à-vis des sociétés mixtes de pêche. M. Mohamed Sadiki, de la COMHAFAT (Conférence ministérielle sur la coopération halieutique entre les États africains riverains de l'océan Atlantique), a mentionné la nécessité d'une évaluation des impacts, de la transparence, de la responsabilité et du respect des règles de ces sociétés mixtes. À cet égard, ils ont tous deux fait état du travail conjoint que la COMHAFAT et l'UA ont entamé en octobre, dans le cadre duquel les organisations ont convenu d'élaborer des directives pour les pays africains en vue de négocier des accords de pêche équitables, durables et transparents.

Mme Diénaba Beye, experte en droit international, a présenté le cadre juridique général des sociétés mixtes de pêche en Afrique et a expliqué que la plupart des législations des pays africains exigent qu'un ressortissant du pays d'accueil détienne au moins 51 % de la propriété du navire avant que celui-ci puisse être inscrit au registre national.

Des représentants de la pêche artisanale africaine de plusieurs pays ont également pris la parole. Le président d'Afrifish-net, la plateforme panafricaine des acteurs non étatiques de la pêche et de l’aquaculture, également président de la Confédération africaine des organisations professionnelles de pêche artisanale (CAOPA), M. Gaoussou Gueye, a retracé l'histoire des sociétés mixtes, expliquant comment les pays africains y ont eu recours pour développer leur capacité industrielle mais comment cela s'est fait avec « une connaissance limitée des écosystèmes, de l'état des ressources ou des besoins de la pêche artisanale ». Pour lui, le principe de précaution a rarement été mis en œuvre. En ce qui concerne la règle des 51 % de propriété locale, pour M. Gueye, « dans la plupart de nos pays, cette règle n'est pas appliquée, ce qui conduit à la création de sociétés mixtes « de façade » avec un capital social symbolique ». Il s'interroge sur la capacité des pays d'accueil à réellement « contrôler ces navires sous contrôle étranger battant leur pavillon ».

Mme Adama Djaló, vice-présidente de la CAOPA et transformatrice de poisson de Guinée-Bissau, a expliqué l'impact sur les femmes transformatrices de poisson de la concurrence avec ces flottes industrielles d'origine étrangère dans toute la région de l'Afrique de l'Ouest, où de nombreuses ressources sont surexploitées. « Nous voyons de plus en plus de navires de pêche industrielle, de chalutiers étrangers, qui viennent pêcher dans nos eaux. Les femmes ne voient jamais le poisson pêché par ces navires ». Ces navires concurrencent les pêcheurs artisans qui approvisionnent généralement les femmes. « Avec moins de poisson disponible, les femmes transformatrices de poisson doivent payer des prix plus élevés (…). Cela réduit leurs marges bénéficiaires et rend leurs entreprises moins viables. »

« Dans la plupart de nos pays, la règle des 51 % de propriété locale n’est pas appliquée, ce qui conduit à la création de sociétés mixtes de façades avec un capital social symbolique. Dans les faits, les pays africains sont incapables de contrôler tous les navires étrangers qui se repavillonnent chez eux.” »
— Gaoussou Gueye, Président d'Afrifish-net

M. Babacar Sarr, secrétaire général du CONIPAS (Conseil interprofessionnel de la Pêche artisanale au Sénégal), a insisté sur l'importance de la transparence et de la consultation des pêcheurs locaux lors de l'attribution de l'accès aux navires d'origine étrangère. « Au Sénégal, nous avons le Comité consultatif pour l'attribution des licences de pêche, où toutes les parties prenantes sont représentées, y compris, depuis peu, un représentant du secteur artisanal. » Il a cependant déploré que les avis donnés par ce comité ne soient pas toujours suivis par les autorités.

Dans sa conclusion, M. Gueye, président d'Afrifish-net, a félicité l'Espagne d'avoir donné l'exemple de la transparence et d'avoir partagé des informations sur ses entreprises ayant des intérêts en Afrique. Il a recommandé que « tous les pays européens ayant des navires qui mènent des opérations de pêche dans le cadre de sociétés mixtes dans les pays africains (...) adoptent, sous l'égide de l'Union européenne, une approche de transparence concernant les bénéficiaires effectifs des navires opérant en société mixte. » Il a également encouragé le développement du cadre réglementaire et a ajouté qu'il « devrait garantir que les sociétés mixtes opèrent dans la plus grande transparence, ne contribuent pas à la surexploitation des ressources ou à la destruction des écosystèmes, et ne concurrencent pas la pêche artisanale. »

Le LDAC s'est engagé à poursuivre le débat dans les mois à venir dans le cadre de ses groupes de travail : « Ce séminaire constitue un point de départ (...). Le débat commence aujourd'hui (...) avec pour objectif d'apporter progressivement une réponse aux questions » que l'Union européenne pourrait se poser. Le LDAC s'est également engagé à impliquer ses partenaires africains : la COMHAFAT, l'Union africaine et Afrifish-net, la plateforme panafricaine des acteurs non étatiques de la pêche.


Photo bannière : Séminaire sur “ Les entreprises de pêche ayant des investissements et des opérations dans des pays tiers non membres de l’UE”.