1. Le partenariat Europe-Afrique
La politique de coopération de l'Union européenne est confiée à la Direction générale des partenariats internationaux. L'UE a une longue tradition de coopération dans le secteur de la pêche qui a reçu un nouvel élan en 2014, avec un budget total accru dédié à ce secteur dans la programmation pour la période 2014-2020, sur la base du 11ème FED et d'autres instruments financiers.
Alors que la programmation 2021-2027 est encore en cours, semblant suivre la voie des restrictions budgétaires globales de la Commission, on sait déjà que l'accent de cette programmation bénéficiera davantage à la pêche artisanale et aux organisations de la société civile. Comme ce ne sont pas les montants des fonds dépensés qui font le succès d'un projet, mais plutôt sa pertinence et son caractère inclusif, tant dans la phase d'élaboration que de mise en œuvre, cette nouvelle est la bienvenue.
Schématiquement, les programmes se répartissent entre le soutien au budget de l'État (soutien budgétaire) et le soutien aux projets (via les ONG, les organisations professionnelles, etc.). La combinaison de ces deux approches est importante pour la gouvernance de la pêche et de l'aquaculture, car elle renforce les capacités institutionnelles et juridiques au niveau de l'Etat, tout en appuyant directement les acteurs.
L'importance accordée aux organisations de la société civile (OSC) et aux acteurs du secteur de la pêche artisanale dans la prochaine programmation constitue une opportunité unique pour le secteur de sortir de son « invisibilité » et de faire entendre sa voix et reconnaître ses besoins.
2. Synthèse de la programmation 2014-2020 : une prise en compte progressive de la pêche artisanale
De 2014 à 2020, un montant estimé à 720 millions d'euros a été engagé pour promouvoir une meilleure gouvernance des océans dans les pays partenaires.
La pêche et l'aquaculture représentaient une grande partie de ce portefeuille, réparti sur plus de 40 projets dans le monde et composé de projets régionaux, continentaux et intercontinentaux et bilatéraux. L'Afrique était le principal bénéficiaire de ces fonds européens et les projets étaient axés sur trois grands domaines d'intervention : l'aquaculture, les pêches de capture marines et les pêches de capture continentales.
Le soutien à la pêche artisanale a été fourni à différents niveaux, soit directement, soit indirectement, la majorité des projets ayant des répercussions sur le secteur de la pêche artisanale - le principal secteur de la pêche pour la plupart des pays partenaires. Ces projets sont notamment intervenus dans les chaînes de valeur, par exemple FISH4ACP, qui est mis en œuvre par la FAO, où la majorité des 12 chaînes de valeur sélectionnées sont issues du secteur artisanal.
Certains projets ciblent spécifiquement le secteur artisanal, par exemple à travers des programmes régionaux comme ECOFISH dans l'océan Indien, qui apporte un soutien spécifique à des acteurs sélectionnés de la pêche artisanale, avec neuf projets de terrain pleinement opérationnels. Le programme PESCAO, qui soutient le Comité des pêches pour l'Atlantique Centre-Est (COPACE), dispose d'un groupe de travail sur la pêche artisanale qui travaille à l'exploitation durable des petits pélagiques en Afrique de l’Ouest. Toujours dans le cadre de PESCAO, DEMERSTEM documente les activités des navires de pêche artisanale à l'aide de dispositifs de surveillance afin d'améliorer la collecte de données. En outre, il existe des programmes bilatéraux qui soutiennent des aspects spécifiques de la pêche artisanale, par exemple l'emploi en Mauritanie avec PROMOPECHE, la sécurité alimentaire au Liberia, la transformation des aliments au Mali.
De nombreux petits projets mis en œuvre par des OSC, en coopération avec les communautés locales, ont également été sélectionnés, comme le programme FAR BAN BO au Ghana, le programme d'appui à la Fédération nationale de la pêche artisanale (FNPA) en Mauritanie, et un autre sur la cogestion à Sao Tomé-et-Principe.
L'inclusion du genre est abordée de façon transversale dans la majorité des projets de l'UE. Dans le cadre du PEUMP dans le Pacifique, l'UE investit dans la collecte de données sur la contribution des femmes au secteur de la pêche. L'UE collecte des données dans le cadre d'autres projets tels que FAR BAN BO au Ghana, AMPIANA à Madagascar, PROMOPECHE en Mauritanie et CAPFish au Cambodge.
La DG INTPA publiera un état des lieux de son programme de pêche et d'aquaculture dans les semaines à venir, et organisera une session d'information (InfoPoint) probablement en mai.
3. La prochaine programmation 2021-2027 : un accent clair sur les OSC et les acteurs de la pêche à petite échelle
La programmation des projets couvrant la période 2021-2027 est en cours de finalisation. Le programme indicatif pluriannuel (PIP) pour l'Afrique subsaharienne 2021-2027 jette les bases de la coopération régionale entre l'UE et l'Afrique. Il est complété par des PIP nationaux. Cette nouvelle programmation régionale accorde aux océans et à la pêche une plus grande importance, avec un accent spécifique sur l'implication des organisations de la société civile, et des femmes, en adoptant une approche inclusive.
Le PIP identifie 6 priorités, dont une sur la transition verte avec une sous-priorité dédiée à l'eau et aux océans, et un objectif spécifique sur l'amélioration de l'utilisation et de la gestion durables des océans, des zones côtières, des bassins fluviaux et des lacs.
Ce que l'on peut saluer, c'est que l'UE met l'accent sur le soutien aux OSC comme une priorité clé appliquée de manière transversale, avec une « approche centrée sur les personnes » qui se concentre sur l'amélioration de l'autonomie des communautés locales, la justice sociale et la prise de décision participative.
Citant le PIP, l'UE s'engage à soutenir « une société civile inclusive, participative, autonome et indépendante [...] et un dialogue inclusif et ouvert avec et entre la société civile ». L'UE souhaite travailler « avec les principaux réseaux et associations régionaux » dans les secteurs de la pêche et de l'aquaculture et avec les opérateurs du secteur privé dans les chaînes de valeur de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation.
En outre, l'UE reconnaît l'importance des systèmes alimentaires aquatiques pour la sécurité alimentaire et l'importance de la pêche artisanale dans la réussite de la sécurité alimentaire, et se penchera clairement sur la pêche artisanale, en proposant « un partenariat structuré avec [...] les réseaux du secteur de la pêche artisanale pour renforcer leur capacité dans la prestation de services et dans le plaidoyer ».
Par ailleurs, la promotion de l'égalité des sexes, de l'inclusion et d'une approche fondée sur les droits de l'homme ainsi que l'investissement dans les femmes et les jeunes sont également au cœur de la programmation de l'UE. Elle prévoit « l'intégration systématique d'une éducation accrue pour les femmes, les filles et les jeunes, l'accent mis sur l'autonomisation économique des femmes et les droits fonciers dans les projets et les programmes ».
Le PIP appelle à l'égalité d'accès, au commerce durable et aux opportunités économiques pour tous, y compris les femmes, les jeunes et les personnes handicapées, en mettant l'accent sur les associations de femmes entrepreneures. En outre, le soutien au niveau régional pour améliorer les services aux entreprises pour les entrepreneurs et les micro, petites et moyennes entreprises (MPME) se fera dans une perspective d'avenir, notamment en contribuant à la formalisation de l'économie et des travailleurs avec un accent particulier sur les femmes et les jeunes (résultat 3.2). L'accès des femmes au financement devrait donc être facilité (résultat 3.3). La programmation insiste également sur la prise en compte de l'ensemble des chaînes de valeur, avec une approche globale des systèmes alimentaires aquatiques, notamment pour éviter les pertes alimentaires, et l'amélioration du respect des mesures sanitaires et phytosanitaires, en renforçant les contrôles aux frontières des produits agroalimentaires et halieutiques.
Une attention particulière est accordée aux ressources partagées, et un appel à des approches communes et à une gestion régionale des espèces de poissons transfrontalières, telles que les petits pélagiques en Afrique de l'Ouest. Le PIP insiste sur le renforcement de la coopération et de la coordination régionales sur les politiques, telles que le suivi, le contrôle et la surveillance (SCS), la recherche et le partage des données, la gestion durable et également la cohérence avec d'autres politiques (APPD, ORGP...).
Une économie bleue durable revêt désormais une plus grande importance dans les partenariats de l'UE, par rapport aux précédents programmes INTPA. À ce sujet, le PIP insiste sur l'utilisation inclusive des ressources océaniques et hydriques et, bien qu'elle ne mette pas l'accent sur la pêche en soi, la programmation pour une économie bleue durable comprend des projets sur la gouvernance des océans qui incluent la pêche durable et la lutte contre la pêche INN.
Le PIP insiste en outre sur l'importance d'une gestion intégrée des zones côtières et de l'économie circulaire. Cela pourrait servir de base aux organisations professionnelles et de la société civile pour souligner la nécessité de protéger la pêche artisanale des autres secteurs concurrents de l'économie bleue. Cela pourrait également résonner avec leur appel à la cogestion des zones côtières, y compris pour le développement et la gestion des AMP.
4. Cohérence des politiques de développement au profit de la pêche artisanale
La cohérence des politiques pour le développement (CPD) est une obligation inscrite dans le traité (article 208 du TFUE). L'UE doit s'assurer que les impacts de ses différentes politiques sur les pêcheries africaines conduisent à un développement durable de ces pêcheries. La cohérence est également essentielle pour garantir l'efficacité des financements de l'UE en faveur de la gouvernance des océans et de la pêche durable.
Par exemple, le soutien sectoriel de l'UE - intégré dans les accords de partenariat pour une pêche durable (APPD) avec les pays tiers - repose sur un outil spécifique qui n'est pas aligné sur les mécanismes de coopération. L'appui sectoriel est une partie de la contribution financière entièrement financée par l'UE, et doit être utilisé pour soutenir les secteurs locaux de la pêche et la gouvernance de la pêche dans le pays partenaire, y compris le secteur artisanal, et en tenant compte des besoins des communautés locales.
Bien que les projets de développement ne sont pas toujours cohérents entre eux, ce qui nuit à leur efficacité, il existe des exemples de bonnes synergies, notamment dans l'océan Indien.
Pour parvenir à une meilleure cohérence entre les actions de l'UE dans les pays partenaires bénéficiant de la pêche, les outils budgétaires devraient être conciliés afin de renforcer l'efficacité budgétaire et la cohésion des politiques. Cela contribuerait à optimiser les résultats de ces projets et à faire en sorte qu'ils apportent des résultats concrets aux bénéficiaires visés.
5. Implication des OSC : vers une plus grande efficacité des fonds européens
Les impacts des projets de coopération, et pas seulement ceux de l'UE, ne sont pas très visibles. Le plus souvent, les projets eux-mêmes ne sont pas connus des parties prenantes, qui ne voient que rarement les avantages des projets qui leur sont destinés.
Le problème ne se situe pas seulement au niveau du suivi des projets mais déjà au niveau de leur définition. La définition des projets est principalement effectuée par les administrations nationales qui ont généralement une mauvaise connaissance du secteur de la pêche artisanale du pays. Par conséquent, elles prennent rarement en compte ce secteur, que ce soit dans les politiques nationales ou dans les projets pour lesquels elles demandent des financements aux bailleurs de fonds.
Par ailleurs, si l'UE a fait des progrès en matière d'inclusion des OSC dans sa politique de partenariats internationaux, c'est loin d'être le cas au niveau des administrations et des organisations régionales africaines. Les pays partenaires ont le devoir de favoriser la participation des OSC aux processus décisionnels, de consulter systématiquement les organisations professionnelles et de concevoir les projets avec elles. Cela montre également la pertinence d'une société civile locale forte, capable de plaider aux niveaux national, régional et panafricain pour que les besoins de la pêche artisanale africaine soient entendus et pris en compte.
La task force UE-Afrique pour la coopération politique et le dialogue sur la gouvernance internationale des océans, récemment annoncée par la Commission européenne, sera une occasion de favoriser le dialogue entre les décideurs africains et européens et les parties prenantes de la société civile. Suite à une étude de faisabilité publiée le mois dernier - et pour laquelle les parties prenantes de la pêche artisanale ont été consultées. Cette task force "bleue" devrait compter des OSC parmi ses membres à part entière.
La participation des acteurs de la pêche artisanale doit être une priorité pour la définition, la mise en œuvre et l'évaluation des résultats des projets soutenus dans le cadre du futur partenariat UE-UA.
Les OSC, les organisations professionnelles et les communautés de pêche doivent profiter de ce momentum pour s'assurer qu'elles sont connues, écoutées et que leurs opinions sont prises en compte. C'est le bon moment pour s'impliquer dans les partenariats UE-Afrique, ainsi que dans la définition et la mise en œuvre des programmes à venir.