La Commission européenne envisage de recommencer les négociations pour un accord de partenariat pour une pêche durable (APPD) avec la Guinée.
Ce pays d’Afrique de l’Ouest ouvert sur l’Océan atlantique a 300 km de côtes. La pêche est la principale activité des populations vivant le long du littoral. Les activités de ce secteur sont réglementées par le Code de pêche maritime du 14 septembre 2015.
Dans une contribution au mandat de négociation en 2020, CAPE soulignait que dans ces négociations, « L'UE doit veiller à ce que les activités de pêche artisanale ne soient pas empiétées […] afin de garantir à la fois les moyens de subsistance des communautés côtières et la sécurité alimentaire de la population ». Il s’agit d’une problématique que les pêcheurs artisans dénoncent depuis quelques temps. Aujourd’hui, malgré les dispositifs mis en place par les autorités, les acteurs de la pêche artisanale se disent victimes des activités de la pêche semi-industrielle, une catégorie de pêche qui n’« existe qu’en Guinée ».
Selon un arrêté de la Ministre de la Pêche, de l’Aquaculture et de l’Economie maritime, Mme Charlotte Daffé, signé le 29 décembre 2021, il y a deux catégories de pêche en Guinée : la pêche artisanale et la pêche industrielle. La pêche artisanale est subdivisée en deux sous-catégories, selon l’article 2 dudit Arrêté : la pêche artisanale traditionnelle et la pêche artisanale motorisée. Sous la pêche industrielle se trouve une sous-catégorie qui est appelée pêche semi-industrielle dans l’article 5 de l’Arrêté, celle que les pêcheurs anciennement appellent « pêche artisanale avancée ».
Alors que l’article 6 parle définit la pêche semi-industrielle :
Au port de Bonfi, situé dans la capitale guinéenne, Conakry, des pêcheurs artisans estiment que la pêche semi-industrielle ne vise qu’à appauvrir les ressources halieutiques, et compromettre ainsi leur devenir.
« C’est seulement en Guinée qu’on trouve cette catégorie de pêche, parce que nous avons parlé avec beaucoup d’autres pays de la sous-région qui nous disent que chez eux il n’y a que deux types de pêche. C’est la pêche artisanale et la pêche industrielle. Aujourd’hui ils [les autorités guinéennes, ndla] ont créé cette forme de pêche pour détruire la pêche artisanale parce qu’elle est beaucoup plus pratiquée dans les zones de pêche artisanale », dénonce Abdoulaye Soumah, Secrétaire général de la Fédération nationale des pêcheurs artisans de Guinée (FENAPAG).
Selon ces pêcheurs, ces embarcations seraient opérées principalement par des personnes d’origine asiatique, ce qui est contraire à la loi, qui spécifie que la pêche semi-industrielle est réservée exclusivement aux pêcheurs de nationalité guinéenne. Soumah demande aux autorités guinéennes de prendre des dispositions idoines pour freiner l’élan des pêcheurs asiatiques au risque de voir les ressources aquatiques disparaitre. « Si la ressource est appauvrie, quel sera le futur de la Guinée ? Parce que s’il n’y a pas de contrôle, la ressource va s’épuiser. Et dans ce cas, quel sera notre futur? Il faut que des dispositions soient prises ».
Les otolithes et les Asiatiques, une histoire d’amour
Des bateaux chinois et coréens sont accusés de venir jusqu’au niveau des côtes afin de capturer certaines ressources. Abdoulaye Soumah explique: « Il y a une espèce de poissons qu’on appelle les otolithes qui étaient pêchés par les Coréens, parce que c’étaient les espèces les plus prisées par leurs populations. Et ces otolithes se trouvent le plus souvent au niveau des côtes. Ces Coréens ont trouvé l’astuce pour pouvoir pêcher ces otolithes ». Les pêcheurs croient que la catégorie « pêche semi-industrielle » a été créée pour permettre à ces asiatiques d’accéder à des zones plus près de la côte, où se trouvait les otholites mais aussi les crevettes côtières, autre ressource très prisée.
Le plan d’aménagement et de gestion des pêcheries maritimes pour 2022 mentionne que la pêche semi-industrielle bénéficie de quotas importants de poissons démersaux (comme les otolithes) de presque 7000 tonnes (92.000 tonnes pour la pêche artisanale), de 65.000 tonnes de petits pélagiques (183.000 tonnes pour la pêche artisanale), et de 15.000 tonnes de crevettes côtières (3300 tonnes pour la pêche artisanale). Le plan indique également (voir page 11) que le nombre de bateaux de pêche semi industrielle est limité à 50, mais en pratique, il semblerait qu’il y en ait beaucoup plus.
Mohamed Condé, un autre pêcheur artisan au niveau du port Nènè à Kamsar, dans la préfecture de Boké, exprime la même inquiétude. « Nous les pêcheurs, nous ne sommes pas à l’aise. On va en mer, on ne gagne pas de poisson. Donc on fait des dépenses et on ne gagne rien en retour», dit-il à la RTG, la télévision nationale, lors de la visite de la ministre de la Pêche dans cette localité, le 8 février 2022. Il accuse les navires chinois et coréens de « pêcher jusqu’aux bras de mer », dépassant ainsi les limites des zones de pêche du secteur semi-industriel. « C’est là que nous pêchons pour satisfaire les besoins de la famille », rappelle-t-il.
Des conflits sont récurrents entre pêcheurs artisans et semi-industriels, rapporte Abdoulaye Soumah. « A tout moment, nous sommes en conflit avec eux parce qu’ils ont des engins de plus de 250 CV, alors que nous, la dernière puissance de nos moteurs, c’est 40 chevaux. Nous sommes de la ligne de base jusqu’à 12 miles marins, et eux [pêcheurs semi-industriels, ndla] de 12 miles jusqu’à 18 ou 20 miles marins. Mais cela n’est pas respecté. Ils viennent jusqu’au niveau des côtes pour pêcher ».
Le non-respect par les pêcheurs semi-industriels de la zone limite a des lourdes conséquences sur les pêcheurs artisans. « Il y a assez d’accidents en mer, parce qu’eux ils ont des embarcations plus solides que les nôtres. Si nous nous rencontrons, des fois il y a des accidents mortels. Il y a des pertes de matériels », souligne-t-il.
La Préfecture maritime confirme qu’il y a des collisions entre piroguiers et navires de la pêche semi-industrielle, mais précise que ces genres de situations ne se sont pas produits ces derniers mois.
Au niveau du ministère de la Pêche, de l’Aquaculture et de l’Economie maritime, aucun responsable n’a voulu réagir malgré les nombreuses sollicitations faites au Secrétaire général du département, puis au Directeur général des Pêcheries. Ces deux ont donné plusieurs rendez-vous et ont même fini par refuser de décrocher nos appels téléphoniques.
Photo de l’entête: Pirogues en Guinée par Aliou Diallo.
Dans cet article qui traite du renouvellement du protocole de l’APPD UE-Guinée-Bissau, l’auteure, d’une part, passe en revue les points essentiels de l’accord du point de vue de la pêche artisanale locale et relaye ses demandes et, d’autre part, détaille l’aspect de la durabilité : bien que le protocole ne permette pas aux flottes européennes de pêcher des petits pélagiques en situation de surexploitation, au moins 4 navires d’origine européenne se seraient repavillonés en Guinée-Bissau et pêcheraient ces espèces, mettant à mal la sécurité alimentaire de la région et concurrençant la pêche artisanale.