San Pedro, Mars 2022. En août 2020, les représentantes des différentes coopératives de l’USCOFEP-CI se retrouvaient à San Pedro pour célébrer la mise en place d’un conteneur de 40 pieds, le premier vrai impact perçu par les mareyeuses et transformatrices provenant de l’accord de partenariat de pêche durable entre la Côte d’Ivoire et l’Union Européenne.
La décision de mettre ce conteneur à la disposition de San Pedro avait été prise par les membres de l’Union, lors d’une réunion du comité de gestion. En choisissant d’implanter le conteneur dans cette zone poissonneuse, cette décision stratégique devait devenir un levier pour approvisionner la région du Bas Sassandra en produits de pêche, mais aussi Abidjan, où la saison de pêche artisanale ne dure qu’environ 3 mois par an.
En plus du conteneur, le comité de gestion avait acté la décision de mettre à disposition un fonds de roulement de 2 000 000 XOF [+/- 3050€, NDLR] à la coopérative de San Pedro, pour faciliter l’acquisition de poisson.
Deux ans et demi plus tard, en 2022, la Présidente de la coopérative de San Pedro, membre de l’USCOFEP-CI, pose toujours avec fierté devant le conteneur, en compagnie du trésorier de la coopérative. Le conteneur est très bien entretenu, la coopérative y met un point d’honneur. « Le conteneur doit être toujours propre, c’est une question d’hygiène primordiale », indique le trésorier. « Même si ça entraîne une grande consommation d’eau ».
Pourtant, à l’intérieur du conteneur, seules quelques caisses parsèment le sol. Et ce jour n’est pas une exception. La réalité est qu’aujourd’hui, la coopérative ne possède pas les fonds nécessaires pour acheter du poisson et le stocker dans le conteneur. Les caisses que l’on voit aujourd’hui appartiennent à des mareyeuses qui ne sont pas membres de la coopérative, et que la coopérative de San Pedro stocke contre rémunération. Les revenus du conteneur sont donc issus de services rendus à des acteurs hors de la coopérative. Les recettes de ce service permettent à Monique Benye et à son équipe de couvrir les dépenses liées à l’utilisation du conteneur : le loyer pour l’emplacement au port, les deux jeunes employés qui s’occupent de l’entretien et de la maintenance du conteneur ainsi que les factures d’eau et d’électricité. Après paiement des charges, il ne reste plus rien à la coopérative. Si elle ne perd pas d’argent pour le moment, elle ne fait pas non plus de bénéfices.
Les femmes de San Pedro ont pourtant une vision et des ambitions, qui sont freinées par le manque d’accès au financement. « On fait faire des choses grandes », dit Monique. « On veut que les gens nous connaissent ». Contrairement à Abidjan, où l’approvisionnement en ressources halieutiques peut être compliqué par le manque de transparence du marché, les embarcations qui débarquent au port de pêche de San Pedro sont volontaires pour vendre le produit de leur pêche aux femmes de la coopérative. A la condition qu’elles aient ont les fonds pour l’acquérir, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Alors qu’elles pensaient avoir trouvé la solution pour assurer l’approvisionnement de la coopérative et contribuer à la redynamisation de l’ensemble de l’Union, les femmes de San Pedro se heurtent à un autre défi de taille, qui touche malheureusement toutes les femmes de la filière : l’accès au crédit et ainsi à la liquidité nécessaire pour constituer un fonds de roulement, nécessaire à l’achat du poisson.
Aujourd’hui, la priorité des femmes est donc de constituer un fonds de roulement, afin de pouvoir acheter du poisson en quantité suffisante pour rentabiliser le conteneur, et pour économiser en vue d’investir dans d’autres équipements productifs, y compris du matériel roulant permettant l’acheminement de leurs produits. Dans un premier temps, la priorité ira à l’achat de bacs, paniers ou encore des brouettes pour transporter le poisson. Sur le long terme, une ambition serait de se tourner vers des innovations plus efficaces d’un point de vue énergétique, comme des équipements de réfrigération fonctionnant à l’énergie solaire. Les regards se tournent actuellement vers les sœurs de Grand-Béréby, qui bénéficient de l’appui de l’ONG CEM pour l’acquisition et l’installation d’une chambre froide solaire au port de pêche de ce paradis des touristes en Côte d’Ivoire.
Pour l’heure, les femmes se sont déjà cotisées pour mobiliser des fonds. Elles payent à présent leurs cotisations, ce qui leur a permis de réunir de quoi commencer. Mais ce n’est pas encore suffisant, puisqu’elles évaluent leur besoin en fonds de roulement à un minimum de 15 millions XOF [approx. 22900€, NDLR]. Elles ont essayé d’approcher la COOPEC, mais les intérêts sont très élevés. L’USCOFEP-CI mise à présent sur une demande de prêt auprès d’une autre micro-finance en Côte d’Ivoire.
Le conteneur de San Pedro est une solution clé pour lutter contre les pertes post-captures en Côte d’Ivoire, qui d’après les derniers chiffres de la FAO variait entre 20 et 50 pourcent des prises en 2016. En réduisant ces pertes et en favorisant la conservation de produits de pêche frais, le conteneur représente une opportunité directe d’augmenter les revenus des membres de la coopérative et, par ricochet, de l’Union, mais aussi celle de réduire la pression sur la ressource et de renforcer la sécurité alimentaire des populations. Néanmoins, de telles innovations ne peuvent être efficaces que si elles sont mises en œuvre d’une manière globale, en mettant en place un accompagnement technique de l’innovation et en adressant les défis rencontrés par les femmes de manière holistique, à commencer par l’accès au financement et au crédit et la capacité à gérer de tels financements.
En œuvrant au déploiement d’innovations comme le conteneur de San Pedro, l’USCOFEP-CI peut jouer un grand rôle dans l’application de la « Déclaration de Malabo sur la croissance et la transformation accélérées de l’agriculture en Afrique pour une prospérité partagée et de meilleures conditions de vie », dans laquelle les chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine se sont engagés à réduire de moitié d’ici à 2025, les niveaux actuels de pertes post-récoltes (y compris les pertes post-captures) par rapport à 2015.
Nous, les femmes de l’USCOFEP-CI ainsi que toutes les femmes mareyeuses et transformatrices de produits de pêche, faisons partie de la solution. Rappelons que, selon la FAO, « les solutions à apporter au problème des pertes et gaspillages de nourriture reposent à la fois sur la mise en œuvre de bonnes politiques, l’utilisation de technologies adaptées, les compétences et les connaissances, les services et les infrastructures, l’environnement réglementaire, l’équité sociale et la parité hommes-femmes, les liens avec les marchés et la connaissance des marchés ». C’est sur la base de ce constat que nous exhortons les partenaires institutionnels et financiers de Côte d’Ivoire à mettre en place un cadre propice à la réalisation de ce potentiel.
Dans cet article, reconnaissant que l'Afrique de l'Ouest a été pionnière pendant des décennies en matière de réforme de la pêche artisanale, Hugh Govan examine les principaux obstacles à la cogestion dans la région. Citons un manque de volonté politique, qui se traduit par de faibles allocations budgétaires ; un soutien insuffisant et mal ciblé aux organisations de pêche ; les rôles et les responsabilités des communautés de pêche restent mal définis dans la cogestion ; le non-respect des zones exclusivement réservées à la pêche artisanale ; et une défense inadéquate des droits humains et en particulier du rôle important des femmes dans la pêche artisanale.