En prélude à une future communication sur les accords de partenariat dans le domaine de la pêche durable (APPD), la Commission européenne a publié un document intitulé « Évaluation et analyse des accords de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l'UE et les pays tiers, y compris une analyse approfondie de la composante de soutien sectoriel des APPD ».
En résumé, l'évaluation conclut que les APPD sont « à la hauteur de la situation ». Toutefois, elle identifie plusieurs domaines susceptibles d'être améliorés. Nombre d'entre eux concernent le cadre de gouvernance des APPD, comme la clause de non-discrimination ou la clause de transparence, dont la mise en œuvre relève de la responsabilité du pays partenaire. Selon nous, cela suggère un manque d'engagement de la part de certains pays partenaires pour faire de ces accords de pêche un succès.
La question à laquelle l'UE doit répondre pour l'avenir des accords de partenariat est la suivante : comment convaincre les pays tiers partenaires de s'engager davantage dans leur mise en œuvre ?
Avantages actuels pour les pays africains partenaires des APPD
L'UE a actuellement 12 protocoles d'accords de partenariat dans le domaine de la pêche durable en vigueur avec des pays africains. Il s'agit principalement d'accords portant sur la capture de ressources thonières et d'espèces apparentées, conclus avec le Cap Vert, la Côte d'Ivoire, Sao Tomé e Principe, le Gabon, les Seychelles, Maurice, Madagascar, le Sénégal et la Gambie, ainsi que de deux « accords multi-espèces » avec la Mauritanie et la Guinée-Bissau. L'UE a aussi quatre accords avec des pays africains qui sont « dormants » - pour lesquels il existe un accord mais pas de protocole en vigueur - avec la Guinée équatoriale, le Libéria, le Maroc et le Mozambique.
L'évaluation détaille les différents avantages dont ont bénéficié les pays partenaires entre 2015 et 2020. Au cours de cette période, les APPD ont représenté une dépense annuelle moyenne de 159 millions d'euros, dont 98 millions d'euros au titre de la compensation pour l'accès, 28 millions d'euros au titre de l’appui sectoriel et 33 millions d'euros payés par les opérateurs de pêche au titre de droits d'accès. Les 211 navires pêchant dans le cadre des APPD ont capturé environ 300 000 tonnes par an, dont la moitié était constituée de petits pélagiques. On estime que 27 000 tonnes de captures de l'UE approvisionnent chaque année les marchés intérieurs des pays partenaires, principalement grâce aux ventes de captures accessoires par les thoniers de l'UE, ainsi qu’aux débarquements d'une partie des captures des chalutiers de petits pélagiques en Mauritanie et des chalutiers de crevettes/céphalopodes en Guinée-Bissau en guise de contribution à la sécurité alimentaire.
L'évaluation note que « lorsque les pays partenaires disposent de ports pouvant accueillir des navires de pêche industrielle ou d'industries de transformation du poisson conformes à la législation alimentaire de l'UE, ils tirent des avantages socio-économiques significatifs des APPD ». On pourrait toutefois faire valoir que, dans ces pays bien équipés, la plupart de ces avantages - fourniture de biens et de services, transformation du poisson débarqué - existeraient toujours en l'absence d'un APPD.
Il aurait été intéressant que l'évaluation examine plus en détail la manière dont les APPD, par le biais de l'appui sectoriel en particulier, ont aidé certains pays à accroître leurs capacités de débarquement et de transformation du poisson au niveau local : dans un pays comme la Mauritanie, où l'appui sectoriel a été utilisé pour moderniser les infrastructures de débarquement et de transformation pour les flottes artisanales et industrielles, il est clair que sans l'APPD, moins d'emplois auraient été créés pour la population locale.
Un tiers des fonds de l’appui sectoriel a bénéficié à des hommes et des femmes du secteur de la pêche locale...
L'évaluation détaille les contributions de l'UE pour l’appui sectoriel entre 2015 et 2020 : environ 200 millions d'euros ont été utilisés principalement pour les infrastructures sur les sites de débarquement et les sites de transformation (24%) ; le soutien à la recherche et à la collecte de données scientifiques (17%) ; le développement et la mise en œuvre de mesures nationales de gestion de la pêche (13%) ; la contribution pour le SCS et la lutte contre la pêche INN (13%) ; le développement de l'aquaculture (10%) et la sécurité en mer (5%). L'évaluation souligne que 33 % de l'aide sectorielle a bénéficié au secteur local de la pêche et que ces initiatives « ont permis de soutenir efficacement le développement social et économique du secteur de la pêche, et en particulier du secteur artisanal, dans les pays tiers partenaires ». Cela couvre une variété d'interventions publiques, y compris :
Amélioration des conditions dans les sites de débarquement existants : entreposage frigorifique et transformation des produits de la pêche artisanale au Cap Vert, en Côte d'Ivoire, en Gambie, en Guinée-Bissau, au Maroc, au Sénégal et aux Seychelles ;
Fourniture d'équipements de sécurité en mer aux pêcheurs artisans dans des pays tels que le Cap Vert, la Guinée-Bissau, Madagascar et le Sénégal ;
Soutien à la formation professionnelle pour attirer et améliorer les compétences professionnelles des travailleurs du secteur de la pêche : Guinée Bissau, Mauritanie, Maroc et Seychelles ;
Incitations (prêts, subventions) à la modernisation ou à l'adaptation des flottes artisanales : Côte d'Ivoire, Maurice, São Tomé-et-Príncipe et Seychelles ;
Développement de programmes de surveillance participative impliquant les communautés de pêcheurs artisans : Gambie et Sénégal ;
Programmes de collecte de données pour la pêche artisanale afin d'évaluer la contribution du secteur à la pêche nationale et de sensibiliser aux dimensions socio-économiques : Cap Vert, Guinée Bissau, Liberia, Madagascar et São Tomé-et-Príncipe.
...dommage qu'ils ne le sachent pas
Cependant, la plupart des pêcheurs artisans africains ne savent pas ce qui est fait avec l'argent de l'appui sectoriel. « Aucun représentant des pêcheurs artisans, ni de la société civile, n'est impliqué dans la planification de ces activités, ni dans leur mise en œuvre, et encore moins dans leur évaluation. Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner que l'opinion publique africaine n'ait pas toujours une bonne opinion de l'Union européenne en tant que partenaire dans le domaine de la pêche, alors que les actions d'appui menées par d'autres pays, comme la Chine, sont clairement identifiables par tous », a souligné Gaoussou Gueye lors de l'événement organisé par le LDAC cette année sur la dimension extérieure de la PCP européenne, ses défis actuels et opportunités futures.
Ce constat est repris dans l'évaluation, qui souligne que « la nécessité de plans de communication et de visibilité adéquats a été clairement identifiée par la Commission européenne pour améliorer la sensibilisation du public aux activités financées par la contribution de l'UE à l'appui sectoriel, avec des mesures pertinentes introduites dans le cadre de certains protocoles récemment négociés ».
Il est essentiel que des informations détaillées sur ce qui est fait avec les fonds provenant de l'appui sectoriel des accords de pêche soient mises à la disposition du public et que les parties prenantes, y compris les communautés de pêcheurs artisans, soient impliquées de manière adéquate dans l'identification, la mise en œuvre et l'évaluation de ces actions si celles-ci doivent bénéficier à ces communautés. Il s'agit là d'une question de responsabilité, qui pourrait également, à condition que l'appui sectoriel soit dépensé de manière efficace, améliorer le niveau d'acceptabilité des APPD par la société civile dans les pays tiers partenaires.
Financement de la conservation de la biodiversité dans les APPD : Faisons bien les choses
Les communautés de pêche côtière sont en première ligne des impacts changement climatique, qui induit d'importants changements dans la distribution, la diversité et la productivité des ressources halieutiques, réduisant la résilience des écosystèmes marins aux pressions extérieures, menaçant ainsi l'avenir de ceux qui dépendent de ces écosystèmes pour leurs moyens de subsistance. Le soutien des moyens de subsistance des communautés dépendantes de la pêche, ainsi que leurs initiatives en faveur de la restauration et la conservation des écosystèmes marins sont deux domaines clés sur lesquels l'UE devrait se concentrer dans ses relations avec l'Afrique, y compris par le biais de l’appui sectoriel des APPD.
Si les évaluateurs indiquent qu'un tiers de l’appui sectoriel des APPD bénéficie au secteur de la pêche locale, ils soulignent également que « les activités soutenant la protection des écosystèmes ne représentent que 2 % du financement total de l’appui sectoriel des APPD de l'UE, soit 3,6 millions d'euros ». Il s'agit d'initiatives diverses, telles que la protection des requins au Cap Vert, la dépollution et l'immersion d'épaves pour créer des récifs artificiels au Sénégal, ou la régénération des mangroves en Gambie. La part du lion de ce montant va toutefois aux Aires Marines Protégées (AMP).
Depuis plus de 15 ans, l'UE soutient financièrement les AMP par le biais de certains de ses accords de pêche bilatéraux. Cela a commencé avec le protocole d'accord de pêche UE-Mauritanie de 2006, dans lequel un fonds d'un million d'euros par an provenant de l'appui sectoriel a été consacré aux parcs nationaux côtiers du pays. Ainsi, « l'appui sectoriel de l'UE a permis à l'Etat mauritanien de devenir le principal contributeur financier du Parc du Banc d'Arguin, pour la première fois en 30 ans d'existence, devant les donateurs étrangers traditionnels et les fondations ». Ceci est intéressant dans un contexte où la création récente d'AMP, levant des fonds par le biais de marchés de capitaux privés, a été fortement critiquée comme étant une façon de privatiser des biens publics.
Le protocole de l'APPD de l’UE avec les Seychelles ne mentionne pas le soutien aux AMP du pays dans le cadre de l’appui sectoriel. Toutefois, il prévoit la création d'un fonds « pour la gestion environnementale et l'observation des écosystèmes marins » auquel les armateurs de senneurs de l'UE contribuent, pour un montant estimé à 175 000 EUR par an, sur la base du tonnage de chaque navire. À ce jour, on ne sait toujours pas si et comment ce fonds est utilisé, ni même s'il est transféré au Seychelles Conservation and Climate Adaptation Trust (SeyCCAT), un fonds créé en 2015 pour gérer les recettes de l'échange dette contre nature des Seychelles. Ce fonds fournit des subventions « pour soutenir la gestion des ressources océaniques des Seychelles, la vie insulaire et l'économie bleue », y compris pour la gestion des aires marines protégées. CAPE s'est interrogée sur le fait que, dans le cadre de cette échange dette contre nature, une organisation environnementale internationale, TNC, exerce un pouvoir considérable sur les décisions prises, et sur l'espace laissé pour organiser une participation réelle des pêcheurs à la création et à la gestion de ces AMP.
La manière dont les populations locales sont impliquées dans ces initiatives d’AMP et le degré de leur implication constituent un élément clé à prendre en compte dans le soutien à la restauration et à la conservation de la biodiversité. Les organisations africaines de pêche artisanale se sont souvent plaintes des AMP créées et gérées sans qu'elles soient informées, impliquées ou même prises en compte. Comme le souligne l'ONG Blue Ventures : « le secteur de la conservation a souvent été associé à des violations des droits humains », comme en Guinée Bissau ou Afrique du Sud. Heureusement, ces dernières années, on a assisté à un abandon progressif de la conservation fondée sur l'exclusion au profit d'approches participatives, telles que les accords de cogestion et la création d'aires marines gérées localement (LMMA).
Dans ce contexte, lorsqu'elle envisage de financer la conservation de la biodiversité par l'intermédiaire d’un APPD, l'UE devrait veiller à ce que les principes fondamentaux de la participation pleine et effective, de la justice environnementale, de la justice sociale et des droits humains soient respectés. Il convient d'encourager une gestion collaborative, un fonctionnement transparent et sensible aux enjeux de genre, pour le financement d’Aires Marines Protégées.
En outre, les coûts sociaux et économiques de la création d'une aire protégée pour les communautés de pêcheurs artisans vivant à proximité de cette zone doivent être pris en compte. En effet, si les pêcheurs doivent éviter certaines zones protégées et aller plus loin en mer, cela a un coût en termes financiers mais aussi en termes de temps supplémentaire passé en mer par les pêcheurs. Ces coûts doivent être compensés. Le soutien de l'UE aux aires marines protégées, par l'intermédiaire des APPD, doit également tenir compte de la compensation nécessaire des coûts associés pour les communautés de pêcheurs.
Non-discrimination entre les flottes de l'UE et les autres dans le cadre des accords de partenariat ? Difficile à évaluer ...
La « clause de non-discrimination » des APPD engage le pays partenaire à appliquer les mêmes mesures prises dans le cadre de l'APPD à toutes les flottes étrangères. Ces mesures comprennent : les droits d'accès payés par les opérateurs de pêche ; les mesures techniques telles que les zones de pêche autorisées, les fermetures spatio-temporelles, la composition des captures ; les mesures de suivi, de contrôle et de surveillance (SCS), y compris l'embarquement d'observateurs nationaux ; l'emploi d'équipages locaux, les débarquements locaux de poissons.
Certains exemples sont fournis dans l'évaluation et montrent que la discrimination entre les flottes étrangères a parfois été en faveur des flottes de l'UE, comme en Guinée-Bissau, où il y a eu « un traitement plus favorable pour les navires de l'UE qui ont été exemptés de débarquement dans les ports nationaux dans le cadre du protocole 2014-2017 ». Dans d'autres cas, des mesures plus restrictives ont apparemment été appliquées aux flottes de l'UE, comme à Madagascar, où les thoniers de l'UE ont été la seule flotte étrangère à se voir imposer une limite de capture pour les requins.
Une application stricte de la clause de non-discrimination sera particulièrement importante pour les pêcheurs artisans locaux lorsqu'il s'agit de mesures restrictives pour l'accès des flottes de l'UE à certaines zones, ou à certaines ressources surexploitées qui sont également ciblées par les pêcheurs artisans. Mais, jusqu'à présent, la mise en œuvre de la clause de non-discrimination est inégale : l'évaluation souligne que, dans les cas où les ressources des pays partenaires sont surexploitées, la diminution des possibilités de pêche pour les flottes de l'UE, « bien qu'appropriée compte tenu de l'état des stocks, peut ne pas suffire à elle seule à reconstituer les stocks surexploités si l'effort de pêche des autres flottes n'est pas suffisamment réglementé par l'État côtier ».
...en particulier en l'absence de transparence
Dans l'ensemble, pour les évaluateurs, il a été difficile de déterminer si le pays partenaire a accordé des conditions plus favorables aux flottes étrangères non européennes qu'aux flottes européennes : « La raison principale est que la transparence des accords d'accès étrangers n'est pas encore une pratique répandue dans le monde entier, y compris dans les pays tiers partenaires ». Une « clause de transparence », par laquelle le pays partenaire s'engage à rendre public tout accord d'accès à la pêche étrangère, figure dans plusieurs APPD conclus avec des pays africains : Cap Vert, Gambie, Guinée Bissau, Libéria, Mauritanie, São Tomé et Príncipe et Seychelles. Dans d'autres cas, comme la Côte d'Ivoire, l’Ile Maurice et le Maroc, le pays partenaire s'est seulement engagé à fournir des informations sur les accords d'accès à l'UE, mais pas au public. Seul le Sénégal a jusqu'à présent refusé d'inclure une clause dans son APPD pour partager des informations avec l'UE ou le grand public sur ses accords d'accès pour les flottes étrangères.
Cependant, dans la pratique, et malgré ces engagements, l'évaluation souligne que « la publication des détails des accords d'accès reste l'exception ». Si, en 2021, la Mauritanie et les Seychelles ont publié des informations détaillées sur leurs accords d'accès, cela s'est fait dans le cadre de leurs initiatives visant à se conformer à la norme de l’Initative pour la transparence dans les pêches (FiTI). En effet, pour la Mauritanie, « la clause de transparence de l'APPD devait être respectée beaucoup plus tôt en raison de la clause de transparence introduite dans le protocole de 2015 ».
D'une manière générale, l'UE n'exerce que peu de contrôle sur la manière dont ces deux clauses - de non-discrimination et de transparence - sont mises en œuvre par le pays partenaire : « Les évaluateurs soulignent qu'’il n'y a pas d'exemples de comités mixtes de l'APPD examinant ou discutant de l'application de la clause de non-discrimination par les pays tiers partenaires ». Très justement, ils suggèrent un meilleur suivi par les comités mixtes des APPD de l'application de ces clauses.
L'amélioration de la transparence et de la responsabilité dans la signature des accords de pêche, conformément à la norme de l'Initiative pour la Transparence dans la Pêche (FiTI), commence par l'inclusion d'un article sur la transparence dans tous les APPD, l'interdiction des clauses de non-divulgation dans tous les accords et la publication des rapports sur l'utilisation des fonds destinés à l'appui sectoriel. Dans la mise en œuvre des APPD, les clauses de non-discrimination et de transparence doivent se voir accorder une plus grande priorité et être examinées et évaluées pendant toute la durée de l'accord.
Rendre les APPD plus attrayants pour les pays partenaires : La cohérence des politiques est indispensable
Le manque d'engagement des pays tiers partenaires dans la mise en œuvre des APPD s'explique tout d'abord par un manque de capacité : pour les pays partenaires, le coût de la gestion et de l'exploitation durables de leurs pêcheries, objectifs communs proclamés des APPD, est élevé, en particulier pour les petits pays insulaires en développement (PEID), qui doivent gérer et surveiller une zone économique exclusive immense. Le soutien nécessaire pour remédier à des lacunes telles que le manque de données scientifiques, la médiocrité du Suivi, Contrôle et Surveillance (SCS), va bien au-delà des fonds - fonds publics et redevances des opérateurs - disponibles dans le cadre des APPD.
En plus des fonds des APPD, entre 2014 et 2020, l'UE a engagé plus de 450 millions d'euros dans des programmes de coopération au développement dans le domaine de la pêche et de l'aquaculture durables. Pour l'Afrique, cela a été réalisé à la fois via des programmes régionaux, - PESCAO (15 millions d'euros), FISHGOV2 (12 millions d'euros) et E€OFISH (28 millions d'euros) -, ainsi que des programmes de l'UE mis en œuvre au niveau bilatéral. L'évaluation a confirmé que les interventions de l'UE dans le cadre des APPD étaient bien « cohérentes avec d'autres interventions de l'UE affectant le secteur de la pêche des pays tiers partenaires par le biais de programmes de développement mis en œuvre au niveau national ou régional ». Elle fournit de nombreux exemples de synergies et de complémentarités entre les différentes interventions de l'UE, notamment dans les domaines du contrôle et de la surveillance au niveau régional et du soutien aux communautés de pêche artisanale.
La question reste toutefois posée de savoir pourquoi, d'une part, les fonds manquent pour permettre aux pays partenaires de remédier aux lacunes dans la gestion de leurs pêcheries, alors que, d'autre part, les pays partenaires éprouvent tant de difficultés à « absorber » les montants relativement modestes de l'appui sectoriel, comme l'a souligné la Cour des comptes en 2015. En effet, le règlement de la PCP de 2013 (article 32) exige la réalisation de résultats spécifiques comme condition de paiement : le déboursement de l'aide sectorielle est lié à la mise en œuvre d'actions préalablement convenues. Il s'agit d'une question clé pour les ONG qui soutiennent que 100 % du financement public des APPD devrait être consacré, à long terme, à la création d'un cadre favorable - en termes de gestion, de transparence, de participation des parties prenantes, de responsabilité - pour le développement durable de la pêche dans les pays partenaires, tandis que les opérateurs devraient payer 100 % de leurs coûts d'accès.
Les évaluateurs suggèrent que « l'établissement d'un mécanisme interne formel de l'UE pour la coordination et l'alignement des méthodes de mise en œuvre de l'aide budgétaire » garantirait une plus grande efficacité et une meilleure cohérence entre les dépenses de l’appui sectoriel des APPD et la coopération au développement. Nous soutenons pleinement cette approche - à notre avis, pour renforcer les capacités des pays partenaires à exploiter durablement leurs ressources halieutiques et à en tirer profit, il est nécessaire de rationaliser les actions de l'UE pour mettre en œuvre, par le biais d'un soutien budgétaire, les priorités qui ont été identifiées conjointement, de manière transparente et participative, dans les APPD.
La « cohérence des politiques pour le développement durable », un élément clé de l'effort global de l'UE pour mettre en œuvre l'Agenda 2030, qui insiste sur la coordination des politiques et des actions et la prise en compte de leurs impacts sur les pays en développement, doit être la pierre angulaire des futurs partenariats de l'UE pour une pêche durable.
L'UE devrait également continuer à développer et à mettre en œuvre des stratégies régionales globales pour une pêche durable, comme proposé dans la dernière réforme de la PCP. Cette proposition a été testée par le Parlement européen pour le Pacifique, en vue de garantir la cohérence entre les différentes politiques de l'UE dans la région, telles que l'aide, le commerce et la pêche. Ces stratégies régionales, au niveau des bassins maritimes, devraient être établies de manière à ce que les parties prenantes des pays en développement puissent faire part de leurs préoccupations et de leurs attentes. Les APPD ont un rôle clé à jouer dans la promotion de ce dialogue entre l'UE et les parties prenantes des pays en développement.
Navires de l'UE impliqués dans des sociétés mixtes ou des affrètements : Des loups déguisés en moutons ?
Le fait que l'UE et certains de ses États membres n'appliquent pas les principes vertueux qu'ils proclament à tous les navires originaires de l'UE, pêchant ou non dans le cadre d'un APPD, contribue au scepticisme des pays partenaires à l'égard de ces accords de partenariat.
Nous avons signalé le cas de certains navires de la société lettone Baltreids, pêchant dans le cadre de l'accord de partenariat avec la Mauritanie, qui ont été observés en train de pêcher, illégalement, dans les zones côtières. Ce sont ces mêmes navires qui, par le passé, n'ont pas respecté les obligations d'embarquer des observateurs. À ce jour, aucune sanction dissuasive ne leur a été appliquée. Récemment, des navires d'origine italienne, connus pour leurs multiples infractions, ont été pris en flagrant délit, une fois de plus, en train d'opérer illégalement en Gambie. CAPE et d'autres organisations de la société civile avaient déjà attiré l'attention sur le cas de ces navires il y a quatre ans, et, à l'époque, la Commission européenne nous avait pourtant assuré qu'elle faisait le nécessaire pour mettre fin à leurs opérations illégales... De tels exemples donnent une impression d'impuissance des institutions de l'UE face aux mauvais comportements des navires originaires de l'UE, en particulier lorsque l'État de leur pavillon, comme l'Italie ou la Lettonie, ferme les yeux.
Certains navires, liés à des entreprises européennes, pratiquent une pêche non durable ou illégale, en particulier lorsqu'ils peuvent se cacher derrière le pavillon d'un pays en développement, comme le Cameroun, l’Angola, ou le Sénégal. Ces cas montrent que ces navires ayant des liens établis avec des sociétés européennes peuvent agir en toute impunité. Dans ces conditions, comment les pays partenaires des APPD pourraient-ils croire que l'UE s'engage honnêtement en faveur d'une pêche durable, alors qu'elle ferme les yeux sur la pêche non durable perpétrée par des navires, battant pavillon d’un pays européen ou non, liés à des entreprises de l'UE ?
Cependant, il faut reconnaître que pour de nombreux pays africains, le re-pavillonnement ou l’affrètement de bateaux d'origine étrangère, en accroissant leurs interactions avec les opérateurs économiques locaux, -par le biais du débarquement, de la transformation et de l'exportation du poisson-, sont le meilleur moyen de maximiser les bénéfices de la pêche. Un cas d'espèce a été l’Angola, qui a donné la préférence il y a des années à la constitution de sociétés mixtes plutôt qu'à des accords d'accès.
Cette stratégie n'a pas toujours abouti aux résultats escomptés - dans de nombreux cas, la constitution de sociétés mixtes n’a de ‘mixte’ que le nom, - le contrôle du navire, de ses opérations, ses bénéfices, restant fermement entre les mains de l’opérateur étranger - chinois, russe, européen -. Les schémas tels que les sociétés mixtes ou l'affrètement de navires d'origine étrangère ont également conduit à la surexploitation des ressources, à la concurrence avec le secteur artisanal local et à des dommages à l'environnement, en particulier par des incursions dans la zone réservée aux pêcheurs artisans.
Pour remédier à cette situation, l'UE devrait suivre deux voies. Premièrement, développer des outils pour traiter les cas des navires dont les propriétaires sont européens et qui battent pavillon d'un pays tiers – et pour cela, il est nécessaire de disposer de plus d'informations sur les propriétaires bénéficiaires. C'est ce que demandent les organisations de la société civile depuis de nombreuses années et ce à quoi ont récemment fait écho les Ministres de la Pêche et de l'Aquaculture OACPS, qui se sont engagés à prendre des mesures en tant qu'États du pavillon ou États côtiers « pour actualiser et mettre en œuvre la législation nationale exigeant la déclaration des propriétaires bénéficiaires ultimes des navires de pêche et des sociétés lors de l'attribution d'un pavillon ou d'une autorisation de pêche; à tenir un registre des propriétaires bénéficiaires des navires de pêche au niveau national et à renforcer les poursuites et les sanctions en cas de non-divulgation des propriétaires bénéficiaires ».
Dans ses accords de pêche, l'Union européenne encourage la constitution de sociétés mixtes, sans donner plus de détails. Cela ne semble pas être une attitude responsable compte tenu de la situation. Nous demandons que l'UE promeuve le développement dans les pays africains d'un cadre réglementaire pour les sociétés mixtes, applicable à tous les navires étrangers, dans les secteurs de la capture, de la transformation et de la commercialisation, qui garantisse que les sociétés mixtes opèrent de manière transparente, ne concurrencent pas la pêche artisanale et contribuent aux objectifs de développement du pays concerné.
Les navires de l'UE n'ont-ils accès qu'au surplus de ressources qui ne peuvent être capturées localement ?
Un autre problème de durabilité qui alimente la méfiance de la société civile à l'égard des APPD est l'identification des surplus. En vertu du règlement de la PCP (article 31, paragraphe 4), les APPD doivent offrir aux navires de l'UE des possibilités d'accès portant exclusivement sur le surplus des captures autorisées qui ne peuvent être capturées par les flottes locales, et ce surplus doit être identifié de manière transparente sur la base des meilleures informations scientifiques disponibles.
L'évaluation précise que « le concept de surplus n'est pas applicable au thon et aux espèces apparentées qui sont de grands migrateurs et se trouvent principalement dans des zones situées au-delà des juridictions nationales [...] la détermination des ressources de thon et d'espèces apparentées disponibles pour l'accès dans le cadre des APPD thoniers doit tenir compte des évaluations scientifiques réalisées au niveau régional ainsi que des mesures de conservation et de gestion adoptées par les ORGP thonières concernées ». Étant donné qu'à l'heure actuelle, la plupart des APPD sont des APPD thoniers, le concept ‘d'accès au surplus’ ne s'applique donc qu'aux APPD multi-espèces.
Le fait que cette règle ne s'applique qu'à une poignée d'APPD ne la rend pas plus simple à mettre en œuvre, en particulier pour les stocks partagés entre pays voisins, comme les petits pélagiques d'Afrique de l'Ouest. Dans le cas de l'APPD de Mauritanie, l'évaluation note que, lorsque la Commission mixte lui a spécifiquement demandé de fournir une évaluation quantitative d'un surplus, le Comité scientifique mixte de 2016 n'a pas été en mesure de fournir une telle évaluation : « Les principales raisons invoquées étaient : i) le manque de données complètes sur les captures (débarquées et rejetées) et l'effort pour les différentes flottes ; et ii) l'absence d'une clé de répartition établie entre les différents États côtiers partageant les mêmes stocks ».
Cette difficulté est une grande préoccupation pour les pêcheurs artisans : « Comment peut-on parler d'accès au surplus dans le cas des petits pélagiques en Afrique de l'Ouest, des ressources partagées qui ne sont toujours pas gérées de manière concertée ? Pour nous, les accords de pêche donnant accès aux stocks de poissons partagés entre pays voisins devraient être basés sur des preuves scientifiques de l'existence d'un surplus au niveau régional approprié », a déclaré le président d'Afrifish-net, la plateforme panafricaine des acteurs non étatiques de la pêche, M. Gaoussou Gueye, en mai dernier.
Ces demandes trouvent un écho dans les suggestions des évaluateurs, qui conseillent de « renforcer les apports scientifiques à la conception des mesures écosystémiques et à l'identification formelle des surplus dans le cadre des APPD multi-espèces ».
L'UE devrait s'engager au niveau international en faveur d'accords d'accès transparents, équitables et durables
Dans les pays partenaires des APPD, il y a également un manque de volonté politique pour mettre en œuvre les conditions restrictives des APPD, dans un contexte où d'autres pays pratiquant la pêche lointaine, en particulier la Chine, offrent des fonds sans conditions en échange de l'accès à leurs pêcheries. Sans changement d’attitude de ces autres pays de pêche lointaine par rapport à la durabilité et la gouvernance, il sera difficile de convaincre les pays partenaires de mieux respecter les restrictions en termes d’accès, de transparence, de redevabilité, introduites dans les APPD. Cette question a été abordée dans certains forums, tels que le Conseil consultatif de l'UE sur la pêche lointaine, qui préconise une « coordination accrue des mécanismes de coopération multilatérale et bilatérale, des mesures fondées sur le commerce et des politiques de transparence de la pêche mondiale, y compris dans les ORGP et avec d'autres acteurs clés des océans tels que le Japon et les États-Unis d'Amérique, afin de tirer parti de la puissance du marché pour pousser la Chine à réaliser les réformes nécessaires de son cadre de gouvernance de la pêche ».
Récemment, la commission de la pêche du Parlement européen a également adopté un rapport sur « Les implications des opérations de pêche chinoises sur les pêcheries de l'UE et la voie à suivre », qui appelle à la poursuite du dialogue tant au niveau bilatéral avec la Chine qu'au niveau multilatéral (au sein de la FAO, des ORGP et de l'OMC) afin de parvenir à une pêche plus durable et mieux réglementée partout où elle opère, y compris par le biais de ses accords d'accès aux pêcheries - principalement des sociétés mixtes et des affrètements - en Afrique.
Au niveau international, le débat sur la manière dont les acteurs mondiaux sont impliqués dans les accords de pêche d'accès s'accélère. La résolution de l'AGNU demande depuis quelques années que les accords de pêche d'accès soient transparents, durables et équitables, en faisant valoir que les attentes légitimes des États côtiers en développement de bénéficier pleinement de l'utilisation durable des ressources naturelles de leurs zones économiques exclusives doivent être dûment prises en compte.
En 2022, la FAO a publié un rapport sur les accords d'accès, qui cartographie les principaux accords d'accès aux pêcheries de capture marine dans les eaux sous juridiction étrangère, en mettant l'accent sur les pays en développement. Il a été annoncé qu'il s'agissait de la première phase d'une étude globale sur l'analyse des accords d'accès, dont l'objectif sera de faciliter l'identification des possibilités d'améliorer les avantages des accords d'accès pour les pays en développement.
L'UE devrait promouvoir et participer activement à ce débat international sur l'équité et la durabilité des accords de pêche d'accès. Le nouveau sous-comité de la FAO sur la gestion des pêches pourrait être un forum idéal pour ce faire.
En bref : quelques pistes à suivre pour rendre les APPD plus attrayants pour les pays partenaires
Rendre les futurs accords de partenariat scientifique plus attrayants pour les pays africains partenaires implique plusieurs considérations clés pour s'assurer que ces accords sont équitables, durables et que les populations locales en tirent des avantages tangibles. Pour ce faire, l'UE devrait redoubler d'efforts pour que les APPD :
En fin de compte, les APPD ne sont qu'un élément de la boîte à outils des politiques de l'UE à l'égard des pays africains. Pour rendre le partenariat dans le domaine de la pêche plus attrayant pour les pays africains, il faut donner la priorité à la durabilité, à l'équité et au bien-être des communautés locales, tout en encourageant la coopération internationale et la gestion responsable de la pêche. Dans l'esprit de la cohérence des politiques pour le développement, cet objectif devrait être poursuivi dans les APPD ainsi que dans d'autres interventions de l'UE (et des États membres de l'UE) dans la pêche africaine (aide, commerce, investissements, économie bleue).
Photo de l’entête : Deux pêcheurs sur le lac Victoria, Ouganda, par Hennie Stander.
Dans une prise de position, APRAPAM s’interroge sur la proposition du gouvernement de soutenir la production d’aliments de poissons et insiste plutôt sur l’importance d’un plan d’aménagement pour les petits pélagiques et la priorisation de l’alimentation humaine.