À l’aune du futur partenariat Union européenne-Afrique, et dans la mouvance du European Green Deal, un changement de paradigme doit s’opérer par rapport aux accords de partenariat de pêche durable (APPD) entre l’Union européenne (UE) et les pays tiers. Le citoyen européen, contributeur financier, doit pouvoir être assuré que l’UE œuvre, de manière cohérente à travers ses différentes politiques, pour une pêche responsable en dehors de ses eaux, par l’encadrement qu’elle fait des activités de ses flottes, et par ses activités de coopération au développement et de commerce.
De ce fait, les budgets alloués aux APPD doivent être consacrés au développement d’un cadre pour une pêche durable dans les pays partenaires, en concertation avec toutes les autres actions de l’UE affectant la pêche dans le pays partenaire, alliant rigueur budgétaire et renforcement des capacités, ainsi que la transparence des systèmes de gestion, pour une utilisation efficiente des financements, et un partenariat fructueux.
1. Postulats de notre réflexion
Notre objectif est d’encourager l’UE à mener un réel renforcement des politiques publiques de gestion des pêches dans le cadre de son partenariat avec les pays tiers en développement.
En effet, de par son engagement pour la Cohérence des politiques pour le développement (CPD) l’UE doit s’assurer que l’impact cumulé de ses différentes actions contribue à atteindre les objectifs de la politique européenne de coopération au développement, ainsi que les Objectifs de Développement durable (ODD) comme l’ODD 14 - la promotion d’une pêche durable, et le 2 - la sécurité alimentaire. Pour ce faire, l’UE doit se doter d’une stratégie pêche globale quant à son action extérieure.
Budgétairement, le budget de l'UE doit tout d’abord servir à financer le renforcement des politiques publiques de gestion des pêches dans les Etats partenaires afin de leur permettre de répondre aux principes et normes internationaux (CNUDM et autres) tels que repris dans la Politique Commune de la Pêche (PCP). Cela doit impliquer un dialogue politique, et que les fonds soient réalloués du paiement lié aux possibilités de pêche des opérateurs européens (compensation financière) à la dimension partenariale de l’APPD (actuellement appui sectoriel).
Ensuite, le budget de l’UE pourrait éventuellement contribuer au développement économique de la filière halieutique du pays tiers, mais ce dans une logique relevant de la politique de coopération et de développement de l’UE, tenant compte des priorités de développement dans le domaine de la pêche exprimés par le pays tiers, et de ses capacités à les atteindre.
En effet, les APPD gardent encore en substance les caractéristiques d’accords commerciaux (notamment du fait du décaissement sur une base annuelle et sur le calcul du montant de l’appui sectoriel basé sur les droits d’accès). De plus, l’appui sectoriel actuel (qui conduit à la vérification des factures entre autre) n’est pas responsabilisant pour l’État partenaire et trop proche du modèle d’action ciblée, alors que ce n’était pas dans l’esprit de l’appui sectoriel à l’origine.
En outre, l’UE doit évoluer de l’approche de simple donneur à celle de partenaire. Ainsi, l’appui aux politiques publiques de la pêche et au développement des filières halieutiques dans les États tiers pourrait effectivement être mis en œuvre au travers de dispositifs plus performants et responsabilisants, dans le cadre d’APPD rénovés, en utilisant les outils existants développés par la direction générale de la coopération internationale et du développement (DG DEVCO), la DG des négociations de voisinage et d'élargissement (NEAR) et le Service européen pour l’action extérieure (SEAE), tout en restant pilotés par la DG pour les affaires maritimes et la pêche (MARE).
2. Proposition stratégique
I. UNE STRATÉGIE HOLISTIQUE ET CONCERTÉE
Dans le cadre de la cohérence des politiques pour le développement (CPD), l’UE doit se doter d’une stratégie pêche globale et concertée entre toute les DG et SEAE sur les problématiques liées à la pêche et aux océans, ainsi qu’au minimum une stratégie régionale par bassin océanique (Atlantique, Océan indien, Pacifique).
II. UNE COMPENSATION FINANCIÈRE POUR L’ACCÈS RE-ALLOUÉE INTÉGRALEMENT AU SOUTIEN D’UNE PÊCHE DURABLE
Il s’agit de continuer à diminuer le financement public des droits d’accès des flottes européennes à travers les APPD, conduisant finalement à ce que les armateurs financent 100% des coûts d’accès, afin de réaffecter ce budget à l’appui à une pêche durable, tout en conservant le cadre juridique protecteur des APPD avec les droits et obligations pour les flottes.
III. UNE EFFICIENCE BUDGÉTAIRE ET UN RENFORCEMENT DES CAPACITÉS
L’objectif est de rendre plus efficient et responsabilisant l’appui à une pêche durable dans le pays partenaire en utilisant transformant l’appui sectoriel actuel en un appui budgétaire pour une rigueur budgétaire et mettant en place un réel renforcement des capacités via une assistance technique (à travers des projets), sur le modèle des instruments utilisés par la DG DEVCO et DG NEAR, mais en restant entre les mains de la DG MARE.
3. Une mise en œuvre par étapes
La réalisation de ces changements peut s’opérer dès à présent, de manière progressive jusqu’à la consolidation juridique.
4. Nota bene
Appliquer dès à présent les outils de développement évoqués nécessite que la DG MARE et la Commission de manière générale en ait la réelle volonté et s'en donne les moyens. Cela nécessiterait par ailleurs une véritable convergence entre le volet international de la PCP et de la politique de Coopération et de Développement, assurant une cohérence effective entre politiques publiques de l'UE et une complémentarité de programmation entre les différents instruments financiers.
A noter une opportunité réelle pour un changement possible de paradigme, le fait que la Commission de la pêche (PECH) du Parlement européen souhaite pousser dans le sens d'une intégration plus forte entre les directions générales de la Commission (ex. MARE, DEVCO, SANTE, etc.) de façon à ce qu'il y ait une concertation effective entre ces services dans la mise en œuvre des appuis sectoriels prévus par les APPD.
Du fait du positionnement décisif de l’UE en tant que partenaire de l’Afrique pour son développement durable (cf. les ODD), les APPD doivent clairement s’inscrire dans cette dynamique. N'oublions pas cependant que même si à la base ce sont des accords commerciaux, la dimension partenariat et appui sectoriel leur a donné une nouvelle envergure sans laquelle ils ne pourraient plus exister. Il s’agira de bien communiquer et assurer une coopération et transparence optimales entre les DG. Il faudrait une grande visibilité pour éviter que la DG MARE soit accusée comme par le passé de ne négocier que des accords de type « payer, pêcher, partir ».
La commission mixte de l’APPD Mauritanie-UE se tiendra du 4 au 6 décembre à Nouakchott. L’auteure de cet article émet des recommandations à la lumière des conclusions du Comité des pêche pour l’Atlantique centre-est (COPACE). Dans son dernier rapport, le COPACE faisait état de la situation catastrophique des stocks partagés de petits pélagiques et préconise une réduction substantielle et immédiate de l’effort de pêche de 60 % pour la sardinelle plate et ronde.