Dans une communication publique, les organisations professionnelles africaines de la pêche artisanale mettent en garde contre le risque d'investir dans des industries polluantes pour des gains à court terme alors que les gouvernements africains tentent de relancer leurs économies à la suite de la pandémie de COVID
En préparation d'un atelier consultatif sur la mise en œuvre de la stratégie de l'Union africaine pour l'économie bleue en Afrique, prévu pour le 15 octobre avec les principales parties prenantes, notamment la société civile et les acteurs de la pêche, la Confédération africaine des organisations professionnelles de la pêche artisanale (CAOPA) a publié une communication indiquant que la mise en œuvre de cette stratégie entraine des menaces fondamentales pour la pêche artisanale africaine et les millions de personnes qui en dépendent pour leurs revenus et leur sécurité alimentaire.
La CAOPA craint que les gouvernements africains, pour relever le défi de la reprise économique à la suite de la pandémie COVID-19, et encouragés par cette stratégie d'économie bleue, donnent la priorité aux industries destructrices ou polluantes qui apportent des gains économiques à court terme. La stratégie encourage des secteurs tels que la pêche industrielle, l'exploitation des combustibles fossiles au large des côtes et l'exploitation minière en haute mer, qui provoquent des dommages durables aux écosystèmes marins et aux communautés côtières de pêche artisanale.
L'élaboration de cette ‘Stratégie pour une économie bleue en Afrique’ a été soutenue par l'UE et la Norvège. Elle a été rédigée par un groupe d'experts qui s'est rendu dans 13 pays africains en 2019 et le document a été examiné par les parties prenantes en août 2019 à Nairobi. Le résultat a été, selon le CAOPA, "un document étonnamment confus" avec cinq domaines thématiques principaux. La pêche est incluse dans le premier domaine thématique, avec 3 buts généraux, 15 objectifs, 91 cibles et 177 indicateurs. "La dénomination d'un même indicateur est différente suivant le chapitre où on le retrouve; 101 sur 177 des indicateurs impliquent essentiellement la tenue de réunions et la production d'autres études et rapports", déplore la CAOPA.
Le document du CAOPA examine cette stratégie et souligne les principaux points litigieux pour la pêche artisanale africaine, tant dans le contenu du document que dans le processus de validation :
A. CONSULTATION ET VALIDATION
Alors que la stratégie parle de la participation des communautés côtières, le processus d'élaboration de la stratégie n'a pas réussi à les inclure. Sur les 13 pays visités par les experts, il n'y a aucune preuve de consultations communautaires et presque aucune organisation professionnelle de pêcheurs n'avait vu le document avant qu'il ne soit finalisé pour l'approbation des parties prenantes à Nairobi. CAOPA affirme également que des commentaires critiques concernant les menaces de la croissance bleue et du changement climatique ont été partagés lorsqu'ils ont été informés du processus, mais qu'ils n'ont pas été reflétés dans le document final qui "donne la fausse impression que la croissance bleue est une idée qui ne pose pas de problème, sans controverse politique ou idéologique. [...] c'est un document qui représente les réflexions d'un petit nombre de consultants étrangers de l'UE et d'une sélection d'universitaires et de bureaucrates africains".
B. AUTRES DOCUMENTS DE L'UA ET MEILLEURES PRATIQUES
Le premier domaine de la stratégie (la pêche) a la même structure que la Stratégie de réforme de la pêche et de l'aquaculture en Afrique - qui a également été produite avec le financement de l'UE - mais il est difficile de savoir lequel des deux documents est le plus important. La CAOPA insiste sur l'importance des Directives volontaires de la FAO de 2014 visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale, qui "contrairement aux stratégies de croissance bleue élaborées ces dernières années, sont le fruit d'années de consultations et de délibérations entre représentants des communautés de pêche artisanale", et qui ne sont cependant mentionnées qu'une seule fois dans la stratégie de l'économie bleue.
C. L'INCOHÉRENCE DE LA CROISSANCE BLEUE
La CAOPA souligne le fait que la stratégie pour une économie bleue est presque une "liste de souhaits d'activités et de projets à financer par les donateurs", ce qui en soi signifierait qu'elle est "moins un document stratégique" qu'elle ne devrait l'être. Cependant, le pire pour la CAOPA est que la liste des "activités positives" pour la pêche artisanale pourrait détourner l’attention de l'orientation générale de la stratégie et ses implications sur la pêche artisanale. La CAOPA insiste sur cinq points :
La croissance bleue et la concurrence pour des ressources rares
Le récit d'un "processus consensuel" et gagnant-gagnant de la stratégie "détourne l'attention du fait que la croissance des secteurs de l'économie bleue, y compris l'exploitation minière, le tourisme, l'aquaculture, le transport maritime et la conservation marine, ont tous des impacts complexes sur le développement côtier et la vie des communautés les plus vulnérables", qui sont souvent déplacées ou doivent se battre pour des ressources rares. La CAOPA explique que les communautés de petits pêcheurs sont "le groupe le plus vulnérable dans cet environnement concurrentiel" et insiste sur le fait que la stratégie de l'UA devrait reconnaître les "conflits et vulnérabilités inévitables" que l'approche de la croissance bleue produit.
La croissance économique rapide détruit les écosystèmes marins
La stratégie de l'économie bleue mentionne l'importance de réduire les émissions de carbone tout en encourageant l'exploitation du pétrole et du gaz en Afrique. Si la CAOPA reconnaît que la discussion est difficile, elle estime que l'Union africaine rechigne à répondre à la question de savoir "comment l'Afrique et la communauté internationale peuvent tracer une voie qui combine la réduction de la pauvreté et l'augmentation du niveau de vie, sans détruire la planète".
Développement inclusif
Les hypothèses stratégiques entre la croissance des secteurs de l'économie bleue et la réduction de la pauvreté sont fallacieuses. Les "économies africaines fortement basées sur l'exploitation minière, l'agriculture commerciale et le tourisme international [...] produisent souvent des niveaux élevés d'inégalité et d'exclusion" car les entreprises sont concentrées dans les mains d’entreprises et d’investisseurs étrangers. La CAOPA déplore que la stratégie ne traite pas de la manière dont les politiques devraient être conçues pour garantir une redistribution équitable de la richesse créée.
Une approche de la pêche fondée sur la richesse
La stratégie recommande l'introduction de "droits d'utilisation" pour mettre fin au libre accès à la pêche. Il faudrait pour cela que des droits individuels soient accordés aux pêcheurs, ce qui signifie qu'ils peuvent être vendus et échangés. Si cette approche vise à mettre fin à la surpêche, elle permettra également d'accroître les bénéfices privés et aura des "effets dévastateurs" sur les communautés côtières. La CAOPA avertit que "le retrait d'un grand nombre de pêcheurs est très problématique si, comme c'est le cas dans la plupart des pays africains, il n'existe pas d'autres emplois et sources de revenus".
Les défis de la gouvernance
La stratégie reconnaît qu'il pourrait y en avoir, mais ne les décrit pas et en ignore d'autres : premièrement, le défi de la participation des communautés de pêche marginalisées et le manque de transparence dans la plupart des processus de décision, et deuxièmement, la corruption et les abus des entreprises dans l’économie bleue. Étant donné que "la confiance dans les gouvernements africains pour lutter contre la corruption reste très faible sur tout le continent", la CAOPA estime que la stratégie devrait inclure un volet anti-corruption.
Photo entête: @hellolightbulb / Unsplash
Dans cet article, l'auteur analyse le rapport principal qui plaide pour une augmentation des financements en faveur de la conservation, Financing Nature, et s'appuie sur des exemples de pêche et de gouvernance des océans pour révéler les failles de ses calculs. L'auteur déplore également le fait que l'accent mis sur l'augmentation des dépenses détourne les discussions essentielles sur les causes profondes de la crise et il dénonce le rapport comme étant un outil au service du financement de la conservation, une publication performative qui présente des opportunités d'investissement privé.