Note: Cet article a été mis à jour le 11 juin 2024 suite à un commentaire par Europêche Tuna Group sur ce blog (voir tout en bas).
Les petits États insulaires en développement (PEID) sont extrêmement vulnérables au changement climatique. Sao Tomé-et-Principe, la plus petite économie insulaire d'Afrique, ne fait pas exception à la règle.
Les communautés de pêche artisanale, figurent en première ligne de la crise climatique et font face à une recrudescence des inondations, à l'érosion côtière et à des voyages en mer de plus en plus périlleux. De plus, la surexploitation des ressources côtières dont dépendent les communautés côtières aggravent d’autant plus leurs difficultés. Quel sera donc l'impact de l'accord de partenariat de pêche avec l'UE – un nouveau protocole est en cours de discussion – sur leur situation ?
1. À Sao Tomé-et-Principe, la pêche artisanale essentielle à l'emploi et à la sécurité alimentaire
Selon un récent rapport de la FAO, à Sao Tomé-et-Principe, le secteur de la pêche artisanale est, après le cacao, la plus importante source de revenus pour les familles à faible revenu, et fournit un emploi à environ 30 000 personnes, soit plus de 10 % de la population, dont plus de 4 000 pêcheurs. Le poisson joue également un rôle clé dans la sécurité alimentaire du pays. Plus de 50 % des protéines consommées localement proviennent du poisson, principalement des pélagiques côtiers, la consommation annuelle atteignant environ 29 kg de poisson par personne, plus du double de la moyenne africaine !
Le pays réserve une zone exclusive de 12 milles nautiques à la pêche artisanale, où la pêche industrielle est interdite (Règlement général sur la pêche, article 18). Toutefois, le gouvernement peut délivrer une autorisation spéciale pour permettre aux navires industriels d'accéder à cette zone. Ces dernières années, le secteur de la pêche artisanale a augmenté ses captures, alimentant une population croissante, et son mode d'exploitation a évolué de la pêche de subsistance vers la pêche commerciale. Cette évolution a été rendue possible grâce au développement des infrastructures routières qui a facilité le transport du poisson frais vers les principaux centres de consommation: en 2021, les captures annuelles de pélagiques côtiers s’élevaient à près de 8 500 tonnes, dont 80 % se retrouvaient vendu frais sur les marchés locaux. Cependant, cette pêche pélagique côtière croissante inquiète quant à son impact sur la durabilité des ressources, la biodiversité et les écosystèmes, et à la menace qu’elle fait pesait sur l’avenir du secteur.
2. Le changement climatique rend la pêche artisanale au large dangereuse...
Un autre nuage sombre plane sur les communautés de pêche artisanale de Sao Tomé-et-Principe : le changement climatique. Afin de les aider à y faire face, de nombreux projets ont été mis en place ; la construction de structures rocheuses et des digues limite notamment l'érosion côtière.
La surpêche des ressources côtières pousse les pêcheurs à s’éloigner de la côte à bord de leurs petites pirogues afin de trouver du poisson. Il est donc essentiel d'améliorer les mesures de sécurité pour qu'ils puissent se consacrer à leur activité en toute sécurité et rentrer chez eux le soir venu. Dans le cadre d'un programme régional (WACA) géré par la Banque mondiale, l'Association internationale de développement (IDA) a distribué à environ 3 000 pêcheurs des kits de sécurité en mer comprenant un GPS, des gilets de sauvetage et une formation. Dans un article récent, un pêcheur témoigne : « Depuis la plage, la mer peut sembler accueillante, mais lorsque vous naviguez en eaux profondes, elle est dangereuse et effrayante. Il y a des requins, et même des baleines. Il est facile de perdre la terre de vue. Lorsque j'ai commencé à pêcher, je n'avais pas de GPS. J'ai perdu beaucoup d'amis. Certains se sont perdus, d'autres ont dérivé vers des pays étrangers et d'autres encore sont morts. Maintenant que j'ai un GPS, ma famille est beaucoup moins inquiète. »
La WACA a également financé la rénovation de onze phares qui fonctionnent désormais à l'énergie solaire. Enfin, sur demande des communautés, la construction de nouvelles installations récréatives, sanitaires et éducatives peut compléter les investissements dans l'infrastructure côtière. L’ensemble de ces biens crée un environnement de vie plus sûr et plus propre pour les communautés de pêche.
3. ... mais elle est encouragée pour améliorer l'approvisionnement local en poisson et sa durabilité
L’enjeu pour les pêcheurs artisans reste d'avoir accès à plus de poissons, tout en évitant la surexploitation des ressources côtières. Les autorités font donc face au défi de satisfaire la demande croissante de poisson de la population tout en augmentant la rentabilité et la durabilité du secteur sur le plan environnemental. Leur plan consiste à déplacer une partie de l'effort de pêche artisanale vers le large, car 80 % des ressources s'y trouvent.
En novembre 2023, le gouvernement de Sao Tomé-et-Principe, par l'intermédiaire de son ministère de l'agriculture, du développement rural et de la pêche, a présenté une stratégie décennale pour améliorer la chaîne de valeur des poissons pélagiques côtiers, résultant d'un dialogue sectoriel organisé par FISH4ACP (projet financé par l'UE et mis en œuvre par la FAO). Parmi ces pêcheries pélagiques côtières se trouvent des espèces telles que le poisson volant, le petit thon et la bonite à ventre rayé.
La stratégie comprend des propositions visant à mieux organiser le secteur, à améliorer l'équipement de pêche et la chaîne du froid, à renforcer les capacités des pêcheurs (techniques de manutention, développement de nouveaux produits, sécurité en mer, construction de bateaux) et à assurer une gestion plus responsable de la pêche, notamment en améliorant l'évaluation des stocks afin de mettre en œuvre des mesures de gestion de manière cohérente.
Cette stratégie décennale définit une série d'objectifs à atteindre d'ici 2032 :
les ressources halieutiques pélagiques côtières font l'objet de plans de gestion bien définis fondés sur une approche écosystémique et reposant sur la collecte et l’analyse de données statistiques fiables ;
90 % de la flotte artisanale est immatriculée et dispose d’une licence de pêche ;
25 % des pirogues sont remplacées par des embarcations de type prao ou des bateaux en fibre de verre ;
75 % des pêcheurs et 75 % des mareyeurs travaillant dans la chaîne de valeur sont membres d'une organisation professionnelle fonctionnelle et représentative ; ils ont accès à des installations frigorifique appropriées afin de pouvoir effectuer leur travail efficacement et de garantir l'hygiène et la sécurité alimentaires.
La stratégie énumère également les menaces externes susceptibles d'entraîner un déclin des ressources halieutiques qui seront exploitées par la future chaîne de valeur des pélagiques côtiers. Citons notamment l’augmentation générale de la température causée par le réchauffement climatique, qui affectera le comportement reproductif, alimentaire et migratoire de certaines espèces : « La capacité d'action pour faire face à ces menaces est limitée à l'amélioration des pratiques de gestion des ressources, de capture, de récolte, de traitement et de stockage qui peuvent atténuer l'impact d'un futur déclin des ressources ».
4. La fin de l’opacité sur les accords d'accès étrangers grâce à la FiTI
Cette stratégie s'inscrit dans un contexte où Sao Tomé-et-Principe s'efforce d'améliorer la gouvernance des pêches à tous les niveaux. En effet, depuis décembre 2023, le pays est devenu un membre candidat de l'Initiative pour la transparence des pêches (FiTI) et s'engage ainsi à accroître la transparence dans sa gestion des pêches par la mise en œuvre progressive de la norme FiTI.
Cet engagement fait suite à un rapport de 2022 de la FiTI montrant que les autorités santoméennes ne divulguaient que le minimum d’information en ligne : « Ce manque d'accès public à l'information limite clairement la capacité de toutes les parties prenantes concernées à participer aux débats publics et aux réformes visant à une meilleure gouvernance du secteur, et à contrôler les décisions du gouvernement concernant la gestion durable du secteur de la pêche maritime du pays ».
Selon le même rapport, les autorités de Sao Tomé-et-Principe n’ont pas communiqué les informations concernant les accords de pêche conclus par Sao Tomé et Principe avec des navires de pêche étrangers, tels que l'accord de partenariat de pêche durable (APPD) avec l'Union européenne et un accord privé, pour une douzaine de senneurs à senne coulissante, avec l'association d’armateurs espagnols AGAC. Pourtant, conformément à la nouvelle loi sur la pêche de 2022 (Article 46), il existe une obligation de publier les accords d'accès, tant publics que privés, dans le journal officiel (Diário da República).
Les thoniers espagnols ont donc accès aux eaux santoméennes par le biais et de l'accord bilatéral avec l'UE et d'un accord privé. La raison de cette « double entrée » n'est pas claire, d'autant plus que les conditions de l'accord privé signé avec l'AGAC en 2017 sont, selon l'évaluation rétrospective de 2019 de l’APPD UE-Sao Tomé-et-Principe, « basées sur celles du protocole conclu avec l'UE ». [Ajout 11/06/2024: L’Europêche Tuna group précise que les navires espagnols rassemblés dans l'association AGAC ne peuvent pas pêcher sous APPD car ils ne battent pas pavillon d'un état de l'UE. AGAC a donc conclu pour eux un accord direct avec le gouvernement de São Tomé: « Cet accord se base sur l'APPD européen afin de garantir les meilleurs standards à bord de leurs navires et d'assurer la meilleure garantie juridique possible à ses parties ».]
Le texte de l'accord privé avec l'AGAC n'est pas accessible au public. Les conditions de l'accord privé de 2017 comprennent le paiement d'un droit d'accès de 54 000 € par navire, payable en une seule fois. À ce montant s'ajoute le paiement d'une redevance de 20 € par tonne de jauge brute (TJB) pour les navires auxiliaires (soit un total de 21 280 € pour cinq navires auxiliaires, d'une capacité combinée de 1 064 TJB) et un budget de 78 000 € pour financer des mesures de développement du secteur. Les navires AGAC ont également l'obligation d'embarquer 8 marins santoméens pour une période de trois mois sur l'ensemble de la flotte, ainsi que l'obligation de transmettre les données VMS aux autorités de Sao Tomé, y compris les données de capture.
Début 2017, un autre accord de pêche entre Sao Tomé-et-Príncipe et la province chinoise de Fujian a été rendu public. L'évaluation de l’APPD de 2019 commente que « il semble toutefois hautement improbable que l’accord puisse concerner l’accès aux ressources côtières étant donné la faible superficie des fonds accessibles à des engins de fond (chalut, casier, filets). Il pourrait néanmoins inclure l’accès de navires thoniers chinois (palangriers) aux eaux de São Tomé-et-Príncipe ». Cependant, selon le rapport FiTi, « il semblerait qu'en fin de compte aucun accord de ce type n'ait été signé ».
Cet exemple plaide en faveur d'une plus grande transparence des accords d'accès conclus par le pays avec des entités de pêche étrangères.
Dans une lettre adressée à la FiTi, le ministre de l'agriculture, de la pêche et du développement rural de São Tomé e Príncipe, Francisco Martins dos Ramos, a reconnu ce besoin d'une plus grande transparence, et a déclaré que son pays « a reconnu très tôt que les flottes nationales et étrangères exploitaient de manière non transparente et non inclusive les précieuses ressources halieutiques du pays, le faisant au-delà des niveaux durables. Ainsi, [les autorités] cherchent à créer des mécanismes qui inverseraient cette tendance et favoriseraient la reconstitution des stocks de poisson en développant un système de gestion durable des pêches basé sur la recherche halieutique, l'administration des pêches et un système d'inspection ».
À Sao Tomé-et-Príncipe, la pêche est exclusivement artisanale et se concentre principalement sur les petits pélagiques. Dans le cadre de sa participation à la FiTI, le pays prévoit également d'impliquer les parties prenantes tout au long de la chaîne de valeur afin de rester cohérent avec les objectifs de la FiTI.
5. Quel devrait être le champ d’action de l’APPD UE-Sao Tomé-et-Príncipe ?
L'accord de partenariat de pêche entre l'UE et São Tomé-et-Príncipe fait partie du réseau d'accords disséminés le long de la côte de l'Afrique de l'Ouest et fournit un cadre juridique permettant aux navires de l'UE d'accéder aux espèces de thon présentes dans les eaux territoriales santoméennes. L’APPD actuel expirera en décembre 2024 après 5 ans de mise en application. Le protocole actuel prévoyait un accès à la pêche au thon et espèces apparentées pour 28 senneurs à senne coulissante (16 espagnols et 12 français) et 6 palangriers de surface (5 espagnols et 1 portugais) avec un tonnage de référence de 8 000 tonnes par an.
En ce qui concerne la zone de pêche, le protocole stipule que les navires de l'UE « opérant dans le cadre du présent protocole peuvent exercer leurs activités dans la zone économique exclusive (ZEE) de Sao Tomé-et-Principe, à l’exclusion des zones réservées à la pêche artisanale et semi-industrielle ». La question se pose de savoir si la stratégie décennale du développement de la pêche artisanale au large suffira à protéger les activités de la pêche artisanale dans la zone réservée de 12 milles nautiques. En tout état de cause, si cette zone réservée venait à s’étendre à la suite du développement de la pêche artisanale au large, cela devrait être dûment reflétée dans tous les accords conclus avec les flottes industrielles d'origine étrangère, y compris dans le cadre du protocole de l’APPD avec l’UE.
L'accès des navires de l'UE doit tenir compte du fait que la stratégie décennale de développement de la pêche artisanale au large suppose un accès accru à des espèces telles que la bonite à ventre rayé, un espèce également ciblée par les navires de l'UE. La priorité devrait être de garantir que les besoins d'accès de la future flotte artisanale locale de pêche au large soient satisfaits, en promouvant une gestion durable de ces espèces et un système d'allocation qui donne la priorité aux pêcheurs artisans locaux. Conformément à la clause de non-discrimination, ces restrictions sur la pêche industrielle devraient s'appliquer à tous les navires d'origine étrangère.
En termes de transparence, Sao Tomé-et-Principe a d'importants défis à relever afin de rendre publiques des informations actuellement non publiées (comme les accords de partenariat de pêche), et de combler les lacunes en matière d'information sur la pêche artisanale ou les propriétaires bénéficiaires. Le fait que São Tomé-et-Príncipe soit désormais un pays candidat à la FiTI est l'occasion de renforcer les exigences en matière de transparence dans le cadre de tout futur protocole d'APPD, à l'instar de ce qui a été fait dans le cadre de l'APPD UE-Mauritanie.
Le protocole actuel définit une contribution annuelle de l'UE de 840 000 €, dont 400 000 € représentent les droits d'accès aux eaux de santoméennes, les 440 000 € restants étant consacrés à la gestion durable des ressources et au développement de la pêche locale, notamment en améliorant le suivi et le contrôle des activités de pêche, la recherche halieutique et la qualité des produits de la pêche, en soutenant la pêche et l'aquaculture artisanale, et en renforçant la coopération internationale. Dans son avis sur le dernier protocole, le Parlement européen a insisté sur le besoin d'accorder « une attention particulière à la pêche artisanale locale ». À la lumière du futur développement du secteur de la pêche artisanale en eaux profondes, ce besoin reste inchangé et devrait être envisagé en synergie avec les activités du projet FISH4ACP. En particulier, un soutien approprié sera nécessaire pour garantir que l'augmentation future des captures de poissons tels que le listao – qui a une valeur économique et nutritionnelle importante mais qui est facilement endommagé et pourri en raison de sa teneur en huile –, puisse être transformé de manière adéquate pour maintenir sa valeur.
Par exemple, le soutien sectoriel de l’APPD pourrait aider à développer, en collaboration avec le secteur artisanal local, un système approprié de surveillance de la flotte artisanale nationale. Ceci est particulièrement important car les flottes artisanales iront plus loin en mer, et le suivi fournirait des informations de localisation vitales pour améliorer la sécurité en mer. La zone d'exclusion côtière de Sao Tomé-et-Príncipe a une superficie de 160 000 km², soit 160 fois la masse continentale de l'archipel. Cela montre le défi auquel le pays est confronté pour assurer un contrôle adéquat des activités de pêche des navires opérant dans sa zone d'exclusion côtière. Il est essentiel d'utiliser le soutien sectoriel de l’APPD pour garantir la présence d'observateurs à bord des navires étrangers, ainsi que de soutenir le développement du centre de contrôle des pêches (équipement, formation), en particulier pour garantir le traitement des informations VMS et ERS/journal de bord électronique. Les inspections dans les ports de débarquement (Abidjan, Dakar) par les inspecteurs de Sao Tomé sont également essentielles pour améliorer le contrôle et la surveillance des pêches et devraient être soutenues.
Le renouvellement de l'APPD UE-Sao Tomé-et-Principe offre l'occasion d'améliorer la transparence et la durabilité des opérations des navires de l'UE et des navires étrangers non communautaires dans les eaux santoméennes, et de soutenir le développement d'une pêche artisanale durable.
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L'auteure formule 4 recommandations qui vise à rendre la dimension extérieure de la PCP plus efficace : (1) l'UE devrait passer d'accords d'accès à des accords de gouvernance des pêches, (2) tout en continuant à soutenir la participation éclairée des parties prenantes dans les pays tiers ; (3) elle devrait veiller à ce que tous les navires d'origine européenne, y compris ceux qui se repavillonnent, respectent les normes de durabilité ; et (4) elle devrait s'engager activement au niveau international à promouvoir des accords d'accès transparents, équitables et durables applicables à toutes les flottes d'origine étrangère qui pêchent dans les pays en développement.