APPD UE-Mauritanie – Commission mixte en vue : les petits pélagiques sous le feu des projecteurs

La Commission mixte de l’APPD Mauritanie-UE se tiendra à Nouakchott du 4 au 6 décembre 2024. Dans cet article, l’auteure émet plusieurs recommandations à la lumière des conclusions du Comité des pêches pour l’Atlantique centre-est.

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La Commission mixte de l’accord de partenariat de pêche durable (APPD) Mauritanie-UE se tiendra à Nouakchott du 4 au 6 décembre 2024. Les deux parties y discuteront notamment les résultats du comité scientifique conjoint (CSC), une éventuelle révision des mesures techniques, et l’utilisation de l’appui sectoriel.

Lors d’une rencontre d’information avec les parties prenantes européennes, les représentants de la Commission européenne ont indiqué qu’ils prendraient également en compte le rapport du dernier groupe de travail du COPACE, tenu en juillet 2024, concernant l’état des ressources des petits pélagiques au large de l’Afrique du Nord-Ouest. Ce rapport, auquel ont contribué les scientifiques de l’Institut Mauritanien de Recherche Océanographique et des Pêches (IMROP), montre que la situation des petits pélagiques dans la région est alarmante : cinq stocks de petits pélagiques sur neuf – sardine (dans la Zone C), sardinelle ronde, sardinelle plate, chinchard de l’Atlantique et ethmalose (bonga) –  sont surexploités.

Le rapport du COPACE souligne en particulier la situation alarmante des deux stocks de sardinelle ronde et plate, et préconise une réduction substantielle et immédiate de l’effort de pêche de 60 %. Le Groupe de travail recommande aussi de maintenir l’interdiction de l’utilisation des sardinelles pour la production de farine de poisson en Mauritanie et de l’élargir dans toute la sous-région. Enfin, le rapport souligne l’urgence de mener des actions, telles que le repos biologique, le zonage, la fixation des tailles minimales et la gestion de la capacité, pour améliorer la résilience de ces ressources dans un contexte de changement climatique.

Une première question est de savoir comment cette diminution nécessaire de l’effort de pêche de 60 % sur la sardinelle dans toute la région va se traduire au niveau de la Mauritanie, en particulier dans le plan de gestion de la sardinelle mis en place dans le cadre du nouveau protocole de pêche avec l’UE, dont la mise en œuvre tarde. Comme le rappelait le CSC en 2023 : « Sans une gestion régionale et un accord sur la répartition du total admissible des captures (TAC) entre les pays côtiers, il est impossible d’établir un reliquat pour chaque État côtier séparément » – difficile également pour l’UE de promouvoir des mesures de restrictions au niveau mauritanien sans poursuivre la même approche avec les autres pays partenaires dans la sous-région concernés par ces pêcheries.

« Le groupe de travail de la FAO sur l’évaluation des petits pélagiques au large de l’Afrique du nord-ouest préconise une réduction immédiate de l’effort de pêche de 60 % pour la sardinelle ronde et plate ; le maintien de l’interdiction de l’utilisation de la sardinelle pour la production d’huile et de farine de poisson ; la mise en œuvre du repos biologique, du zonage, de la fixation des tailles minimales et de la gestion des capacités.” »
— Rapport du COPACE

Des questions importantes devront être soulevées lors de la Commission mixte : quelles restrictions pourront être concrètement être appliquées à toutes les flottes pêchant les sardinelles en Mauritanie, et qu’est-ce que cela signifie pour la mise en œuvre du plan d’aménagement sardinelle ? Comment soutenir la Mauritanie pour continuer à diminuer la transformation des petits pélagiques en huile et farine ? Comment promouvoir des mesures similaires au niveau des autres pays concernés afin que les efforts soient efficaces ?

Avec ses partenaires de la CAOPA, CAPE plaide pour une diminution drastique de l’effort de pêche et pour promouvoir, au niveau des pays de la sous-région, une révision des critères d’allocation de l’accès : l’accès aux ressources de petits pélagiques, à la sardinelle en particulier, doit être réservé à ceux qui pêchent pour la consommation humaine.

1. Un accord « surdimensionné » : une révision de la compensation financière en vue ?

La Commission a informé que le taux d’utilisation des possibilités de pêche était généralement très bas, en moyenne, au cours du protocole, de seulement 30 % des possibilités de pêche négociées. Par exemple, la flotte européenne pélagique est aujourd’hui responsable de moins de 10 % des captures de petits pélagiques dans le pays.

Cela pose la question de savoir s’il faut revoir les possibilités de pêche dans un éventuel prochain protocole pour les faire « coller davantage à la réalité », ce qui, dans la configuration actuelle des APPD, entraînerait une diminution de la compensation financière.

Or, les coûts de la gestion et de l'exploitation durables des pêcheries mauritaniennes sous accord, notamment pour la mise en œuvre du plan de gestion sardinelle, resteront élevés pour la Mauritanie. En outre, pour maximiser les avantages pour le pays et les populations locales, des investissements restent nécessaires. Sur ce point, la Commission européenne a par exemple informé les parties prenantes qu’un protocole est en cours de finalisation pour une dérogation à l’obligation de débarquements locaux pour les plus grands bateaux, étant donné le manque actuel d’infrastructures adéquates. La Commission a assuré que cette mesure n’affectera pas les débarquements des 2 % des captures de petits pélagiques destinées aux marchés locaux. Cela témoigne la nécessité de soutenir des investissements pour les infrastructures de débarquement, afin que la Mauritanie puisse tirer de meilleurs bénéfices de l’accord.

Ces coûts importants et une éventuelle contribution financière revue à la baisse pour l’APPD illustrent la demande de CAPE de dissocier la compensation financière des APPD du niveau des possibilités de pêche. Cette dissociation permettrait à l'UE de mieux s'engager en faveur de la gestion durable, en utilisant, à terme, l’entièreté de la contribution financière de l’APPD pour soutenir les efforts de la Mauritanie d’établir un cadre de bonne gouvernance et de pêche durable.

La pêche artisanale de la région plaide pour que l’accès aux ressources de petits pélagiques leur soit réservé. En effet, ces ressources devraient être priorisées pour la consommation humaine. Photo : Michał Huniewicz.

Ces derniers temps, des rencontres de coordination ont été organisées entre bailleurs et nous nous en félicitons. Il est important d’aller plus loin et de mettre en place un mécanisme interne formel, au niveau de l'UE, pour la coordination et l'alignement entre l’APPD et les initiatives de coopération au développement européennes, comme Promopêche en Mauritanie, ou encore les actions menées par les Etats membres européens, comme l’Allemagne ou l’Espagne, en faveur de la pêche durable en Mauritanie.

2. Embarquement d’observateurs et prises accessoires

Le CSC souligne que, de façon générale, en Mauritanie « le corps d’observateurs est vieillissant et démotivé. Les conditions à bord sont difficiles et la rémunération peu attractive ». Cela a pour conséquence que, « ces dernières années la couverture d’observateurs en mer a été faible ». Le Comité insiste sur l’urgence que « la profession et les scientifiques de l’UE travaillent conjointement à la résolution de cette situation afin d’assurer une couverture d’échantillonnage adéquate des chalutiers UE, conformément à la réglementation européenne ».

CAPE soutient la demande des scientifiques que le programme d’observation puisse proposer « de meilleures conditions de rémunération et de formation pour encourager et motiver les jeunes à accepter d’embarquer sur les bateaux de pêche ». Cela pourrait faire l’objet d’une attention accrue au niveau de l’appui sectoriel.

Pour ce qui concerne l’embarquement d’observateurs, la Commission européenne a répété le fait que tous les armateurs ne respectent pas l’obligation d’embarquer des observateurs à bord. Nous dénonçons cette situation depuis 2020, notamment à bord des chalutiers pélagiques lettons et lituaniens. Cette situation n’a pas pu être réglée malgré les mesures prévues dans le dernier protocole de ne pas permettre aux bateaux qui n’embarquent pas d’observateurs de sortir du port. Ainsi que le rappelle le CSC, il est nécessaire d’embarquer des observateurs dans toutes les flottes. Dans la mesure où des observateurs sont disponibles, le non embarquement d’observateur comme prévu au protocole devrait être sanctionné par un retrait de l’autorisation de pêche accordée par l’UE.

3. Prises accessoires, vraiment ?

De manière générale, le CSC recommande à la Commission mixte de prêter attention au « dépassement récurrent et important de la proportion autorisée des captures accessoires, toutes espèces confondues, dans les débarquements de la flotte européenne. » Il remarque que certaines de ces espèces de captures accessoires sont par ailleurs des espèces cibles d’autres catégories incluses dans le protocole, comme le merlu, et sont en état de surexploitation.

Allant à l’encontre de cette recommandation, lors de l’échange avec la Commission européenne, les représentants des crevettiers européens ont demandé des changements dans les mesures techniques leur permettant de pêcher un plus grand pourcentage de prises accessoires, en particulier de poulpe, une espèce de haute valeur commerciale ciblée par la pêche artisanale mauritanienne. Au cours des 3 dernières années (2021 à 2023), les prises accessoires débarquées par cette flottille espagnole sont restées dans les limites autorisées par l’accord, incluant 8 % de céphalopodes, principalement composés de poulpe.

Pour CAPE comme pour ses partenaires de la pêche artisanale mauritanienne, l’accès au poulpe, toujours surexploité, doit être réservé à la pêche nationale, en particulier artisanale. La règle est simple : les bateaux européens ne doivent pas avoir accès au poulpe, que ce soit comme capture cible ou comme capture accessoire.

Concernant les captures accessoires, un autre problème récurrent a été posé : celui des prises accessoires de merlu par les chalutiers pélagiques hauturiers. Entre 2008 et 2023, ces captures accessoires ont littéralement explosé, en passant d’une centaine de tonnes en 2008, à plusieurs milliers de tonnes, avec un pic à 5175 tonnes en 2021. A partir de 2022, ces captures diminuent, mais restent au-dessus de 1000 tonnes en 2023. Le CSC souligne que « la pêche hauturière pélagique est responsable de 89 % en moyenne de prises accessoires [de merlu] entre 2019 et 2023 ».

Le CSC recommande d’assurer la ventilation par espèces des captures, cibles et accessoires, pour toutes les flottes, et de prendre des mesures pour réduire les captures de merlu par d'autres flottes, en particulier pélagiques.

De manière générale, il est essentiel que les prises accessoires soient limitées le plus possibles dans les pêcheries couvertes par l’accord, y compris par des mesures de zonage, et par des mesures menant à une plus grande sélectivité des captures : « mieux vaut trier sur le fond que sur le pont ».


Photo de la bannière : Port de pêche artisanale de Nouakchott. Des pêcheurs amarrent temporairement une pirogue artisanale le temps de débarquer le poisson. Photo de Michał Huniewicz.