Plus de 2000 pêcheurs sénégalais et ivoiriens travaillant à bord de 60 navires de pêche lointaine de l'UE ont fait une grève de quatre jours au début du mois de juin pour protester contre la faiblesse de leurs salaires et de leurs conditions de travail.
Dans le cadre d'une action coordonnée sans précédent, soutenue par la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF), ces équipages ont réclamé de meilleurs salaires, car, selon la presse, certains d'entre eux sont payés « à peine 219 dollars par mois », ce qui est bien inférieur au salaire minimum des marins (658 dollars) fixé par l'Organisation internationale du travail (OIT).
Les thoniers sur lesquels ils travaillent opèrent dans le cadre d'accords de partenariat pour une pêche durable (APPD), qui obligent les flottes de l'UE à garantir la durabilité environnementale et sociale de leurs opérations. Dans le cadre de ces accords, les opérateurs ont l'obligation d'embarquer un certain nombre de pêcheurs des pays ACP, la priorité étant donnée aux marins locaux.
En 2014, les partenaires sociaux européens - armateurs et syndicats - réunis au sein du Comité de dialogue social sectoriel sur la pêche maritime ("SSDC-F") ont convenu d'une clause sociale à insérer dans les APPD afin de garantir des conditions décentes aux pêcheurs non européens. Cette clause stipule que la déclaration de l'Organisation internationale du travail (OIT) de 1998 relative aux principes et droits fondamentaux au travail et les huit conventions fondamentales de l'OIT s'appliquent aux pêcheurs à bord des navires de l'UE. Elle couvre également les niveaux de rémunération, les procédures de négociation, les fiches de paie et les conditions d'emploi des pêcheurs.
Une clause sociale complète - mais pas entièrement mise en œuvre
L'adoption de la clause sociale est une évolution positive, mais certains éléments clés manquent dans les textes des APPD approuvés après 2014 (voir le tableau ci-dessous), tandis que d'autres sont inclus dans les textes, mais ne sont pas mis en œuvre.
Afin d'améliorer les conditions de travail des pêcheurs des pays tiers embarqués sur des navires de l'UE pêchant dans le cadre d'accords de partenariat dans le domaine de la pêche durable, le Conseil consultatif de l'UE sur la pêche à longue distance (LDAC, acronyme en anglais), un organe consultatif de la Commission regroupant des armateurs, des syndicats et des organisations de la société civile, dont CAPE est membre, a publié l'année dernière un avis sur la dimension sociale des accords de partenariat dans le domaine de la pêche durable (APPD) conclus entre l'Union européenne et les pays tiers.
L'avis appelle à une « pleine mise en œuvre de la clause sociale » et à des normes minimales pour le travail dans le secteur de la pêche dans le cadre des APPD. Il émet des recommandations à la fois à la Commission et aux armateurs. Par exemple, il rappelle aux propriétaires de navires de pêche les lignes directrices pour les armateurs sur le recrutement décent des pêcheurs migrants et recommande l'utilisation de contrats types pour « réduire la vulnérabilité de l'équipage et contribuer à prévenir des situations telles que des conditions précaires ou des abus en matière de travail ».
L'un des principaux problèmes liés à l'embarquement de pêcheurs extracommunautaires est que les armateurs de l'UE les recrutent par l'intermédiaire d'agents de pêche. Ces acteurs facilitent les opérations de pêche industrielle en Afrique et, dans la plupart des pays, les services d'un agent local sont obligatoires en vertu de la loi. Toutefois, le recours à ces agents de pêche (consignataires) peut être une source de corruption et de pratiques commerciales peu éthiques. Plusieurs représentants des pêcheurs ont souligné des irrégularités dans les contrats signés entre le pêcheur et l'agent, ainsi que l'opacité dans la fixation et le paiement des salaires. Souvent, ils ne reçoivent pas de copie du contrat avant l'embarquement et il existe de nombreux cas d'absence d'enregistrement ou d'enregistrement fictif auprès des caisses de sécurité sociale. Les armateurs ont tendance à blâmer l'agent de pêche pour le non-respect de leurs obligations. Pourtant, le LDAC remarque qu'il est clairement de la responsabilité de l'armateur de « s'assurer que les accords de travail des pêcheurs sont respectés ».
L'avis demande également à la Commission européenne d'améliorer les réglementations « sur le rôle et la responsabilité des agents d'équipage ». Dans sa réponse au LDAC, la Commission reste silencieuse sur cette recommandation. Elle se contente d'affirmer que, bien qu'elle « encourage les armateurs et les agents maritimes » à être transparents et responsables, notamment en ce qui concerne le droit des pêcheurs à recevoir une fiche de paie détaillée et à signer un reçu pour le salaire, elle « ne peut interférer dans une relation juridique privée, qui se déploie par définition en dehors de sa juridiction ». Cette réponse n'est pas satisfaisante à notre avis, dans la mesure où la Commission européenne a la responsabilité de s'assurer que les APPD, y compris leurs aspects sociaux, sont bien mis en œuvre.
Un autre aspect qui entre en jeu est le manque de formation des pêcheurs. En Côte d'Ivoire, par exemple, selon des sources locales, aucun marin qualifié n'a embarqué sur les thoniers de l'UE depuis 2007. Cette situation a également un impact sur les salaires, car les salaires des simples marins sont moins élevés. Il arrive également que, même si certains marins-pêcheurs sont qualifiés, ils ne sont pas nécessairement embarqués. Les agents de pêche recrutent souvent l'équipage, ce qui pose des « problèmes de pots-de-vin ou de faveurs accordées à des personnes ». Certains pêcheurs indiquent qu'ils doivent débourser jusqu'à 1 000 euros pour avoir la garantie d'un emploi sur un navire de l'UE.
En ce qui concerne la formation, le LDAC note les difficultés rencontrées par les flottes de l'UE pour embarquer des pêcheurs adéquatement formés et déclare que « puisque l'Union négocie [...] les APPD [...], il est de la responsabilité de l'Union de s'assurer que les pêcheurs locaux [...] se conforment aux exigences de formation et de certification des États du pavillon ». L'avis suggère également que les fonds de l'appui sectoriel soient utilisés pour former et requalifier les pêcheurs. Comme cela a été fait dans d'autres APPD, tels que celui de la Mauritanie, l'UE devrait s'assurer que l'embarquement d'un marin est lié à une formation.
Une convention de l'OIT utile - mais de nombreuses parties ne l'ont pas ratifiée
Dans sa réponse à l'avis du LDAC, la Commission reconnaît que « les procédures d'exécution sont cruciales pour garantir une mise en œuvre correcte » de la clause sociale, et qu'en l'absence d'une directive spécifique, les procédures d'exécution sont régies par les conventions de l'OIT, mais qu'elles « restent sous la responsabilité des États membres ».
En ce qui concerne la sécurité sociale, par exemple, le LDAC dénonce le fait que « les APPD actuels n'apportent pas cette clarté et semblent placer la responsabilité de la protection de la sécurité sociale sur le propriétaire du navire de pêche » et demande que cette responsabilité soit clarifiée. Sur ce point, la Commission a répondu que « chaque État membre est libre de déterminer les détails de son propre système de sécurité sociale ».
Toutes ces questions sont abordées dans la convention 188 de l'OIT sur le travail dans la pêche, qui vise à garantir des conditions de travail décentes à bord des navires de pêche et aborde plusieurs aspects qui étaient absents des instruments précédents, tels que le rapatriement ou les soins médicaux. Ce document a été adopté en 2007, mais son taux de ratification reste très faible, même parmi les États membres de l'UE. À ce jour, seulement 7 pays, le Danemark, l'Estonie, la France, la Lituanie, les Pays-Bas, la Pologne et le Portugal l'ont ratifié, tandis qu'en Espagne, il entrera en vigueur en février 2024. En outre, très peu de pays africains ayant signé un APPD avec l'UE ont ratifié la Convention, seulement le Maroc et le Sénégal, et de nombreux pays n'ont toujours pas de décret d'application.
La C188 couvre également la pêche artisanale, ce qui signifie que les pays qui la ratifient doivent élaborer une législation visant à promouvoir des conditions de travail sûres et décentes dans la pêche artisanale, malgré la nature relativement informelle du secteur. L'instrument reconnaît les lacunes et le manque d'infrastructures pour la pêche artisanale et prévoit une mise en œuvre progressive. La Confédération africaine des organisations professionnelles de pêche artisanale (CAOPA) a appelé davantage d'États africains à ratifier la convention et à élaborer la législation nécessaire pour la mettre pleinement en œuvre.
L'UE doit montrer l'exemple, y compris en matière de conditions de travail
Le public est au courant des conditions abominables des pêcheurs africains travaillant à bord de navires d'origine asiatique, rapportées par plusieurs ONG et médias au cours des dernières années. Pourtant, si l'UE veut se poser en championne de la gouvernance des océans et faire de ses accords de pêche de véritables partenariats fondés sur la durabilité sociale et environnementale, cela doit se refléter dans la manière dont les navires de l'UE emploient et traitent les pêcheurs africains.
L'UE doit être irréprochable. Même si de nombreux progrès ont été réalisés, l'amélioration de la mise en œuvre des aspects sociaux des accords de partenariat dans le domaine de la pêche est une occasion pour l'UE de montrer la voie et, à terme, d'amener d'autres flottes d'origine étrangère pêchant en Afrique et dans d'autres pays en développement à offrir des conditions décentes aux personnes qui travaillent à bord de leurs navires.
Photo de l'entête : Un travailleur à bord d'un chalutier, par Selene Magnolia/We Animals Media.
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