À la fin des années 1980, lorsque les pays ont commencé à revendiquer la souveraineté de leurs zones économiques exclusives, on s'attendait à ce que les États côtiers et les petits États insulaires d’Afrique s’enrichissent considérablement grâce aux flottes de pêche étrangères présentes dans leurs eaux.
Un moyen de mise en œuvre aurait été soit que ces pays exigent des navires de pêche qu’ils débarquent et transforment les captures sur leur territoire, soit de demander aux navires de payer généreusement pour l'accès à leurs eaux. Pour bon nombre de ces pays, ce scénario optimiste reste pourtant hors de portée. Non seulement la pêche industrielle étrangère a gravement décimé les populations de poissons et a souvent eu un impact négatif sur la pêche artisanale locale, mais les redevances dont s’acquittent les navires afin d’obtenir une licence de pêche sont considérées comme minimes. De nombreux accords de pêche conclus avec des pays africains n'ont guère de sens sur le plan économique. Comme nous le verrons, certains États d’Afrique dépensent davantage pour gérer les sociétés de pêche étrangères qu'ils ne perçoivent de revenus.
La résolution de ce problème a donné lieu à un certain nombre de propositions de politiques, qui partent souvent du même principe, à savoir que les pays africains devraient faire payer davantage pour l'accès à la pêche. Les personnes à l’origine de ces types de propositions se réfèrent souvent à l'expérience réussie des États insulaires du Pacifique. En travaillant collectivement, les Parties à l'accord de Nauru ont lancé, il y a plus de dix ans, un système de contingentement des jours de pêche (VDS) complexe qui a permis de multiplier par plus de cinq les revenus de la pêche au thon. Il n'est pas aisé de comprendre les raisons exactes de ce succès. Toutefois, cela semble s'expliquer en partie par la capacité des États insulaires du Pacifique à négocier collectivement les droits d’accès, plutôt que de laisser des États puissants et des multinationales les contraindre isolément. On comprend mieux pourquoi les États africains se voient recommander d’emprunter un chemin similaire. Plus récemment, dans un article cosigné par un économiste de la Banque mondiale, les auteurs conseillaient aux États africains de former un gigantesque cartel du poisson. D’après leurs calculs, cela conduirait probablement à une augmentation de 23 % des paiements de droits d'accès.
L'idée que l’ensemble des États côtiers et des petits États insulaires d'Afrique puissent s'unir et former un cartel de pêche responsable à beau paraître séduisante, les économistes de la Banque mondiale ne prendraient-ils pas leurs désirs pour la réalité lorsqu’ils font des prévisions aussi optimistes ? Les États africains ont déjà tenté d'élaborer des approches régionales de la gestion des droits d'accès, mais jusqu'à présent, ces tentatives restent vaines. Un point faible de la proposition d’un cartel du poisson est une compréhension limitée des problèmes que rencontrent les pays africains en ce qui concerne la gestion et l’élaboration des droits d’accès à la pêche. Si le paiement de droits d’accès n’a pas produit de résultats satisfaisants ce n’est pas seulement à cause de l’agenda de maximisation des profits des sociétés de pêche étrangères et de leurs gouvernements, mais aussi à cause de la manière d’élaborer les droits d'accès et de l'utilisation des recettes qui en résultent.
La refonte des droits d'accès est un choix politique qui doit faire l'objet d'un débat public. Un point de départ essentiel serait de se demander si le secteur de la pêche industrielle doit bénéficier d'un accès, en particulier lorsque cela menace la pêche artisanale. De nombreuses raisons vont dans le sens d’un accès préférentiel ou exclusif de la pêche artisanale à certaines parties de l’océan. Néanmoins, dans les cas où la pêche industrielle reçoit une autorisation de pêcher, il faudrait se pencher sur plusieurs aspects relatifs à la conception des droits d’accès. Il s'agit notamment de prendre plus au sérieux la question du « recouvrement des coûts », ainsi que les avantages potentiels de démettre les autorités de gestion des pêches de la responsabilité de gérer les droits d'accès. Il semble important de faire le point sur ces questions avant d'envisager l'idée d'un cartel du poisson.
1. Comprendre comment sont élaborés les droits d'accès
Si l'on considère les expériences mondiales, les paiements exigés par les gouvernements pour le droit de pêcher ne sont pas toujours faciles à comprendre. Pourquoi ces redevances existent-elles et comment évaluent-on leur montant ? Afin de faciliter la compréhension de cet exposé, nous pouvons considérer cinq éléments qui influencent l’élaboration des droits d’accès.
A) LE CONCEPT DE « DIVIDENDE PUBLIC »
Les droits d’accès sont une forme de « rente » payée aux propriétaires des ressources. Dans la plupart des pays, le propriétaire n’est autre que l’État, bien qu’il peut aussi s’agir d’une autorité monarchique ou tribale. En général, l’État propriétaire, qui est au service de sa population, gère les ressources halieutiques comme un bien public et non privé, faisant de la rente issue des ressources un dividende public. Ce concept est important dans la mesure où il avance l’idée que tous les citoyens détiennent les ressources publiques et ont donc le droit de tirer un bénéfice de leur exploitation. Pourtant, de nombreux pays, dont les États-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Chine, ne prélèvent pas ces rentes de ressources auprès de leurs pêcheries. Seuls quelques pays du Nord ont introduit des taxes destinées à créer un excédent que les gouvernements peuvent dépenser. Il s'agit de l'Islande, du Groenland et des îles Féroé.
Une question essentielle est de savoir pourquoi certains gouvernements décident de ne pas chercher à obtenir une rente de ressource alors que d'autres le font. Il semblerait y avoir deux explications possibles, lesquelles peuvent coexister :
Premièrement, les gouvernements pourraient croire que les sociétés de pêche ne sont pas suffisamment rentables pour payer cette rente. Et bien que le prélèvement de cette taxe soit souhaitable, on considère que c’est impossible à cause des marges bénéficiaires trop faibles de l’industrie halieutique.
Deuxièmement, les gouvernements semblent pouvoir se passer de cette rente car l’industrie de la pêche bénéficierait déjà largement à la société, notamment en créant de nombreux emplois et en nourrissant les populations de poisson. L’industrie de la pêche n’aurait donc pas à contribuer au dividende public puisqu’elle approvisionne déjà les populations en ressources halieutiques.
Si ces deux raisons peuvent expliquer pourquoi les gouvernements ne cherchent pas à obtenir de rente de ressource, il s'ensuit que la pression en faveur de l'introduction d'une telle taxe augmente lorsque les sociétés de pêche accroissent leur rentabilité ou lorsque les bénéfices de l'industrie de la pêche ne sont pas largement partagés dans la société. L'analyse historique de l'augmentation des droits d'accès dans les pêcheries islandaises suggère que cette logique s'est produite dans ce pays. Toutefois, il existe encore de nombreux pays, comme le Royaume-Uni, où l'industrie de la pêche se voit « offrir » un accès libre aux pêcheries lorsque les conditions semblent réunies pour leur accorder ce privilège. Cela suggère que les gouvernements ne prêtent pas attention aux évolutions du secteur de la pêche de leur pays ou que d'autres forces sont en jeu, telles que le lobbying de l'industrie ou les conflits d'intérêts. Le fait de ne pas exiger de telles redevances est d’ailleurs considéré par certains comme une subvention indirecte.
La position des gouvernements vis-à-vis des rentes de ressource issues de la pêche n’est pas le même dans les petits États insulaires ou les États en développement que dans les autres pays industrialisés. Et bien que de nombreux États ne prélèvent pas de rentes de ressources auprès des communautés côtières de pêche artisanale (pour les raisons citées ci-dessus), nous devrions nous attendre à ce que les gouvernements le fassent auprès des sociétés de pêche industrielle. Toutefois, le montant des rentes de ressource à prélever par les gouvernements varient considérablement. Il y a certainement de nombreuses explications à cela, toutefois l’évaluation des montants peut notamment dépendre du degré d’intégration des sociétés de pêche dans l’économie locale ainsi que des autres avantages économiques qu’elles peuvent fournir, tels que l'emploi ou l'approvisionnement en poisson pour la transformation locale. Lorsque le degré d'intégration et la valeur ajoutée sont élevés, l'intérêt politique d'une rente de ressource devient moindre. Ainsi, une rente de ressource a un intérêt particulier dans les pays où des sociétés de pêche qui battent pavillon étranger naviguent dans les eaux territoriales et ne débarquent pas leurs captures dans les ports locaux, comme c’est le cas dans certains pays côtiers africains ou certains petits États insulaires.
B) ÉVALUER LE MONTANT DES DROITS D’ACCÈS
Lorsque les gouvernements reconnaissent une nécessité de générer un dividende public, comment en font-ils l’estimation ? Une fois encore, la réponse n’est pas simple. On pourrait penser que, dans les pays en développement, les gouvernements ambitionnent de tirer un maximum de profits des sociétés de pêche. Cependant, la décision du montant à prélever découle souvent d’un compromis qui se base sur un partage équitable des bénéfices. En général, le prix des accords d’accès est fixé à la suite de négociations entre les gouvernements et l’industrie de la pêche. Les droits d’accès sont souvent déterminés par une formule qui tient compte de la valeur du poisson ou des bénéfices des sociétés de pêche. Il n’y a toutefois pas de consensus sur ce que devrait être une formule qui tienne compte d’un partage équitable des bénéfices. En 2019, la Commission des pêches du Sud-Ouest de l’océan Indien a publié des directives sur les termes et conditions minimales relatifs à l’accès pour les pêcheries étrangères qui prévoyaient que les États africains reçoivent au moins 12 % de la valeur marchande moyenne des poissons pêchés.
Lorsque les États côtiers doivent fixer un taux de partage des bénéfices, un des problèmes réside dans le fait qu’ils n'ont qu'une idée limitée des bénéfices réalisés par le secteur de la pêche et qu'ils ne disposent pas toujours d'informations fiables sur la valeur du poisson présent dans leurs eaux. Les États rencontrent également des difficultés à compiler des informations précises sur la quantité des captures réalisées par le secteur de la pêche. Le prélèvement d’un droit d’accès à la pêche qui se baserait sur la quantité de captures risquerait d’encourager les pratiques malhonnêtes ou nécessiterait des dépenses conséquentes dans des moyens de surveillance. Afin de contourner ces problèmes, certaines autorités de pêche – et de nombreuses en Afrique – imposent des droits d’accès fixes qui dépendent des caractéristiques du navire et ne varient pas selon la quantité de poisson pêché. Les accords de pêche de l’UE appliquent cette méthode : les pays partenaires reçoivent un paiement initial de la part de l’UE qui se base sur les captures escomptées par le passé, également connu sous l’expression « tonnage de référence ». Si un navire pêche au-delà de la quantité initiale, un paiement supplémentaire sera réalisé. L’avantage de cette approche pour les États côtiers réside dans le fait que si les navires de l’UE ne pêchent pas le tonnage de référence, ces premiers perçoivent des recettes pour de la pêche qui n’a pas eu lieu.
À la différence d’une formule de partage équitable des bénéfices nous trouvons les enchères, où les droits d’accès ne sont pas négociés mais attribués au meilleur enchérisseur. L’attribution de droits d’accès par un système d’enchère se fait notamment au Chili, en Estonie et en Russie. La Namibie est le premier pays d’Afrique à faire l’expérience de cette méthode (le cas de ce pays est développé plus loin dans l’article). L’atout pour les États côtiers, c’est qu’ils ont davantage de visibilité sur la rentabilité des sociétés de pêche. Fondamentalement, la valeur des droits d’accès est révélée grâce à la mise en concurrence.
C) RECOUVREMENT DES COÛTS
Certains pays élaborent les redevances d’accès dans le but de générer un revenu qui couvre les coûts liés au développement et à la gestion des pêches, ce qui inclut des coûts tels que la recherche scientifique, les dépenses en suivi, contrôle et surveillance (SCS) des navires de pêche ou les dépenses de fonctionnement de l’administration des autorités de pêche. On parle alors de « redevances de recouvrement des coûts ».
Le recouvrement des coûts s’impose dans la mesure où le secteur de la pêche est un secteur dont la gestion génère beaucoup de dépenses, mais lorsque celui-ci est sous-financé cela peut directement impacter la qualité la gestion.
L’OCDE supervise les dépenses en gestion des pêches. Ses données montrent d’importantes variations de ces dépenses d’une année sur l’autre, néanmoins, un État membre de l’OCDE consacre en moyenne entre 8,5 % et 11 % de la valeur de sa production halieutique (valeur au premier point de vente) à la gestion des pêches. Ces chiffres masquent malgré tout des différences considérables entre les pays. D’après l’OCDE, en 2021, la Suède enregistrait le niveau le plus élevé de dépenses liées à la gestion des pêches en y consacrant 62,5 % de la valeur de ses pêcheries. En Norvège, les dépenses en gestion de pêches équivalaient à 5,6 % de la valeur de la production halieutique. En 2021, le Royaume-Uni dépensait seulement 2,2 % : un des taux les plus bas d’Europe. L’OCDE recueille aussi des données pour les pays non membres. En 2021, par exemple, le Chili dépensait 0,7 % de la valeur de sa production halieutique en gestion des pêches. Les données de l’OCDE tendent généralement à montrer que les économies émergentes ou en développement allouent à la gestion des pêches un budget bien moindre que les pays industrialisés.
Certains gouvernements ont donc recours à ces redevances de recouvrement des coûts pour amener le secteur à contribuer aux coûts de gestion et le justifient en arguant que les dépenses publiques consacrées à la gestion de la pêche contribuent à la rentabilité du secteur. Par exemple, les États-Unis appliquent ces redevances de recouvrement des coûts aux navires individuels de certaines pêcheries commerciales, en s’appuyant sur une estimation des coûts et de la rentabilité. Toutefois, la réglementation fédérale assure aux navires de pêche de ne pas payer plus de 3 % de la valeur de leurs captures en recouvrement des coûts. Dans certains programmes de partage des captures états-uniens, les autorités de gestion des pêches conservent une proportion des quotas de pêche afin de pouvoir les revendre pour financer des travaux de recherche. La Chine utilise un système semblable. Le pays ne prélève aucun droit d’accès auprès de ces sociétés de pêche. À la place, les gouvernements de province imposent une taxe sur « les ressources halieutiques et le développement des pêcheries » que la législation nationale limite à 5 % de valeur des captures.
D) LES DROITS D’ACCÈS : UN OUTIL POUR LE DÉVELOPPEMENT
Bien que l’élaboration des droits d’accès ait pour but de générer un dividende public et de couvrir partiellement le coût de la gestion des pêches, une partie de ces droits se compose de frais variables qui visent à favoriser certaines pratiques sociales et économiques du secteur de la pêche. L’estimation de ces frais variables se fait de différentes manières :
Les taxes peuvent être utilisées pour encourager le secteur halieutique à apporter une valeur ajoutée à l’économie. Ainsi, les sociétés de pêche bénéficient de droits d’accès réduits lorsqu’elles débarquent les captures dans les ports locaux pour afin qu’elles soient transformées localement, par opposition aux sociétés qui débarquent leurs captures dans un pays différent de celui où elles ont pêché. De plus, les droits d’accès peuvent baisser pour les sociétés qui réalisent une intégration verticale dans l’industrie locale de la pêche, comme celles qui investissent dans des usines de transformation du poisson.
Les droits d’accès peuvent promouvoir des politiques nationales de sécurité alimentaire. Ces droits peuvent baisser pour les sociétés qui fournissent du poisson pour la consommation humaine plutôt que pour la production de farine de poisson à destination du secteur aquicole. C’est un aspect important à prendre en considération eu égard à la concurrence croissante entre la pêche pour la fabrication de farines et la demande nationale en poisson qui assure la sécurité alimentaire locale.
Les droits d’accès peuvent être utilisés pour encourager les sociétés étrangères à s’intégrer dans les économies locales. De fait, les droits d’accès peuvent être diminués pour les sociétés de pêche locale contrairement aux sociétés étrangères, ou bien peuvent être différenciées dans le cas de sociétés mixtes dont une partie des actionnaires est ressortissante du pays. Les gouvernements peuvent baisser ou renoncer à appliquer des droits d’accès pour les sociétés qui s’engagent à réaliser des investissements sociaux ou en faveur du développement.
En théorie, les droits d’accès pourraient favoriser des effets bénéfiques sur l’environnement ou compenser les externalités négatives. Une augmentation des droits serait à envisager pour les navires qui utilisent des techniques de pêche polluantes ou qui ont un quelconque impact négatif sur l’environnement (et une baisse pour ceux qui démontrent une utilisation de techniques de pêche à faible impact sur l’environnement). Il est difficile de trouver des exemples dans le secteur de la pêche, bien qu’en Islande, les navires de pêche paient une taxe carbone. Au Mozambique, des discussions sont allées dans le sens d’une augmentation des droits d’accès pour les pêcheries nocives pour l’environnement, même si aucune mise en œuvre législative n’a eu lieu jusqu’ici.
E) UTILISATION DES FONDS PUBLICS
Un dernier point à aborder concernant l’élaboration des droits d’accès est de savoir comment les gouvernements dépensent cet argent. Dans de nombreux États, cette étape reste floue à cause du manque de transparence des autorités. Néanmoins, les gouvernements adoptent différentes approches lorsqu’il est question de dépenser les recettes générer par les paiements des droits d’accès :
Tous les droits d’accès sont payés au budget de l’État et employés dans les dépenses nationales.
Les droits d’accès sont payés directement à l’autorité nationale de gestion des pêches, telle que le Ministère de la pêche, qui les utilisent pour ses dépenses de fonctionnement. Cet argent est comptabilisé en tant que ressource extrabudgétaire. Cela s’applique typiquement aux redevances de recouvrement des coûts mais aussi à l’argent perçu en tant que droits d’accès.
Une partie ou l’intégralité des recettes est déposée dans un fonds affecté à une utilisation précise, tel un « fonds de développement des pêcheries » par exemple. Ces fonds possèdent leurs organes de régulation et de gestion et restreignent les dépenses à la conservation marine ou la conservation des pêcheries.
Une partie ou l’intégralité des recettes peut être distribuée à des bénéficiaires spécifiques, tels que les collectivités territoriales des zones côtières. Citons l’exemple d’une loi nicaraguayenne de 2004 relative à la pêche et l’agriculture, où les communautés, le gouvernement local, le gouvernement régional et le Trésor national recevaient chacun 25 % des recettes générées par les droits d’accès.
Il convient de ne pas ignorer qu'en matière de gestion des recettes issues des ressources naturelles, d'autres secteurs ont reçu plus d'attention, ce qui a donné lieu à des politiques plus élaborées. Par exemple, les recettes issues du gaz et des hydrocarbures sont déposées dans des Fonds d’investissement souverains (FIS) avant d’être investis dans les dépenses de l’État. Dans certains cas, des organes indépendants s’occupent de la gestion de ces FIS afin d’empêcher toute interférence politique. En Afrique, de nombreux pays utilisent des mécanismes complexes de partage des bénéfices, où un pourcentage des bénéfices réalisés par les sociétés minières est affecté à des dépenses en développement dans les régions minières, comme au Ghana et au Sénégal.
2. La gestion des droits d’accès dans la pratique
A) LE CAS DU GHANA
Au Ghana, la pêche industrielle se compose de deux sous-secteurs principaux : la pêche thonière (qui comprend les navires à senne coulissante, les palangriers et les canneurs) et le chalutage de fond ciblant diverses espèces démersales et pélagiques. Ensuite, ces deux secteurs exportent presque l’intégralité de leurs captures vers l’Europe et l’Asie. Les marchés locaux se fournissent auprès du secteur de la pêche artisanale ou par le biais des importations.
En 2002, une nouvelle loi a créé une commission des pêches (CP), un organe semi-autonome responsable de la gestion des pêches, de la recherche et de la mise en œuvre de la loi. La loi a également créé un Fonds de développement des pêcheries qui finance le travail de la CP grâce aux recettes issues des droits d’accès à la pêche ou des sanctions financières infligées à des sociétés de pêche. La CP reçoit également des fonds supplémentaires de la part du gouvernement et de financeurs étrangers. Néanmoins, son existence suscite la controverse dans la mesure où elle existe aux côtés du Ministère du développement de la pêche et de l’aquaculture (MoFAD) et que les rôles et responsabilités de chaque entité demeurent mal définis, ce qui est à l’origine de lenteurs bureaucratiques et d’une mauvaise gestion des ressources financières.
Tous les ans, les navires de pêche renouvèlent nécessairement leur licence de pêche. C’est le poids du navire qui détermine le prix de la licence. Un décret ministériel fixe le montant de ces licences, montant qui n’a pas encore été communiqué publiquement. Toutefois, en 2011, la Banque mondiale a indiqué dans un rapport que le prix de la licence de pêche pour tous les navires industriels atteignait 35 USD par tonnage de jauge brut (TJB). Ce montant figure parmi les plus bas d’Afrique de l’Ouest aux côtés de la Guinée Conakry et de la Guinée Bissau qui prélèvent respectivement 315 USD et 307 USD. Une étude publiée en 2013 analyse l’économie de la pêche au thon au Ghana et souligne une absurdité : les sociétés de pêche dépensaient davantage en frais de déplacements internationaux pour leur personnel qu’en licence de pêche au thon au Ghana.
Bien qu'aucun document officiel n'explique pourquoi le MoFAD du Ghana a décidé d'imposer des droits d’accès aussi bas, il est probable que cela vienne d’une législation qui encourage la propriété des entreprises de pêche par des ressortissants ghanéens. Les pêcheries au thon qui souhaitent bénéficier de droits d’accès réduits doivent être détenues à au moins 50 % par des citoyens ghanéens, un taux qui atteint les 100 % dans le secteur du chalutage. Les droits d’accès restent donc peu élevés, ceci afin de profiter aux sociétés de pêche nationales.
Pourtant, dans les faits, des compagnies étrangères possèdent et contrôlent l’ensemble des sociétés de pêche du Ghana. Les sociétés chinoises dominent presque intégralement le secteur du chalutage, tandis qu’on note une présence considérable de compagnies sud-coréennes dans le secteur de la pêche au thon. Ces sociétés existent sous la forme de sociétés mixtes codétenues par des ressortissants ghanéens. Bien qu’aucune information n’ait fuité quant à l’identité de ces personnes, certains rapports semblent indiquer qu’il s’agit de responsables politique ghanéens ou de personnes qui entretiennent des liens étroits avec le gouvernement. Des enquêtes menées au niveau local ont révélé que les sociétés de pêches chinoises pouvaient acquérir le statut de société mixte « en payant à un ressortissant ghanéen un coût initial situé entre 1500 € et 2000 € auxquels s’ajoutent environ 5 % des revenus générés annuellement par le navire. » Pour pratiquer des activités de pêche, les sociétés de pêche payent donc davantage les agents locaux que le gouvernement.
En conséquence, la gestion de la pêche au Ghana est extrêmement sous-financée, phénomène aggravé par des responsabilités doublons au sein de la CP et du MoFAD. En 2018, la CP du Ghana a annoncé des recettes qui s’élevaient à 474.438,00 USD en droits d’accès pour 82 navires du secteur du chalutage. La Banque mondiale a estimé qu’en 2011 le Ghana avait alloué à la gestion des pêches seulement 0,2 % de la valeur des captures commerciales. L’étude de 2013 sur le secteur de la pêche thonière indique qu’à cause du manque de financements, la CP n’a pas eu les moyens de conserver un système de surveillance des navires. De plus, un rapport d'activité annuel publié par le MoFAD en 2020 indique que les revenus du gouvernement générés par la pêche sont inférieurs à ses coûts de gestion. Ainsi, environ 20 % du budget du MoFAD et de la CP proviennent de transferts du gouvernement central.
En raison du sous-financement chronique, la gestion de la pêche au Ghana est devenue très dépendante des financements étrangers, notamment d’ambitieux programmes de développement des pêches financés par l'USAID, la Norvège, le Royaume-Uni, l'UE, la Chine et la Banque mondiale. En 2012, le Ghana a lancé son programme le plus ambitieux en matière de gestion des pêches. Le projet a reçu 53,5 millions USD de financements et a été développé sur sept ans. Son objectif premier consistait à accroître la contribution des pêcheries à la croissance économique du pays afin d'augmenter les bénéfices annuels de l'industrie de 50 millions USD. Il visait également à réformer le paiement des droits d'accès à la pêche et à réduire le nombre de licences délivrées par les autorités. Cependant, le projet s'est avéré un échec coûteux et la Banque mondiale n’a pas réalisé le dernier paiement. La rentabilité de la pêche n'a pas augmenté et, en 2019, le nombre de licences délivrées avait augmenté et non diminué. Il n'y a pas eu non plus de réforme des droits d’accès. Il semblerait que la Banque mondiale avait sous-estimé la difficulté de réformer le secteur de la pêche lorsque les sociétés de pêche sont codétenues par de puissants acteurs nationaux.
Depuis lors, la pêche commerciale n’a fait qu’accroître les répercussions financières négatives au Ghana. Non seulement le gouvernement central continue de subventionner la pêche commerciale en dépensant davantage pour sa gestion qu'il ne perçoit de revenus, mais il finance les réformes de la gestion des pêches par des millions de dollars, provenant des recettes publiques issues de secteurs autres que la pêche. Au Ghana, la pêche industrielle ne génère pas de dividende public. C'est même le contraire qui se produit : le secteur de la pêche reçoit de l’argent public.
Peu après la pandémie du COVID, dans un contexte d'escalade de la crise de la dette au Ghana, toutes les agences gouvernementales ont reçu l'ordre de réduire les coûts et d'augmenter les recettes. En conséquence, le MoFAD a publié un décret ministériel stipulant que le coût des licences de pêche passerait de 35 USD/TJB à 200 USD/TJB. Toutefois, les sociétés de pêche se plaignant de cette augmentation, le prix a diminué pour atteindre les 135 USD/TJB. À l’heure actuelle, il n'existe aucune information publique sur l'ampleur des coupes budgétaires réalisées par la CP ou le MoFAD, de sorte qu'il est impossible de savoir si l'augmentation des recettes issues de la pêche produit aujourd'hui un dividende public. Malheureusement, si le secteur de la pêche contribue positivement au budget de l’État, cela s’explique probablement par une nouvelle baisse des dépenses du gouvernement en matière de gestion des pêches.
B) LE CAS DE LA NAMIBIE
Grâce au soutien d'experts de la pêche islandais et néo-zélandais, la Namibie a élaboré, après son indépendance en 1991, une politique nationale parfois qualifiée de « Namibinisation ». Au cœur de cette politique se trouve un système de quotas individuels, qui fournit aux entreprises des allocations à long terme (entre 5 et 15 ans) basées sur des critères sociaux et économiques. La conception d’un tel système ambitionnait de promouvoir la propriété namibienne des droits de pêche et d’accroître la transformation du poisson au niveau national.
En Namibie, les droits d'accès se divisent en plusieurs types de paiements. Les droits de licence annuels font office de simples coûts administratifs et sont standardisés pour tous les types de navires de pêche. La taxe la plus élevée concerne la valeur du quota délivré à chaque détenteur de droits. À l'origine, ces taxes étaient calculées sur un pourcentage de la valeur de chaque espèce de poisson au premier point de vente. Toutefois, les détenteurs de droits se sont vu appliquer des taux variables. Les sociétés de pêche étrangères paient des taxes plus élevées que les entreprises locales. Elles sont également plus élevées pour le poisson qui n'est pas transformé en Namibie, comme le merlu qui est congelé à bord des navires puis directement exporté vers l'Europe. Dans de nombreuses pêcheries, la redevance sur les contingents pour les navires nationaux se situe entre 3 et 5 % de la valeur des captures à leur débarquement. En revanche, pour les navires battant pavillon étranger, il a été fixé entre 10 et 15 % en fonction de la pêcherie.
Outre la redevance sur les contingents, les entreprises de pêche doivent s'acquitter de trois autres taxes.
Une taxe sur les prises accessoires facturée aux sociétés de pêche pour chaque tonne de prises accessoires qu'elles conservent. Cette taxe est plus élevée que celles des poissons soumis à quota et a donc été utilisée pour décourager les prises accessoires.
Une contribution aux frais de gestion fixée à 2 % de la valeur du poisson au premier point de vente s'applique à tous les détenteurs de quotas, quelle que soit leur nationalité. Cet argent est versé à un fonds pour les ressources marines.
Une taxe pour les observateurs, fixée à 0,9 % de la valeur des captures débarquées et versée directement à l'Agence d'observation des pêches (FOA), un service gouvernemental indépendant du ministère de la pêche et des ressources marines.
Bien que l'approche de la Namibie ait été largement saluée, le pays a dû faire face à de nombreux problèmes au cours des deux dernières décennies. Nous pouvons citer le problème des entreprises étrangères qui manipulent les règles pour obtenir des quotas à des taux inférieurs, normalement réservés aux entreprises nationales. Pour ce faire, des entreprises namibiennes ont été utilisées comme sociétés écrans. Par exemple, en 2014, on estime que Novanam (une filiale de la société espagnole Pescanova) a obtenu des quotas de pêche pour le merlu au taux réduit applicable aux entreprises namibiennes par l'intermédiaire d'une société écran appartenant à un ressortissant namibien. Sur une période de 14 ans, on estime que Novanam aurait dû payer 114 millions d'USD de plus en redevances sur les contingents si les taux applicables à une entreprise étrangère lui avaient été appliqués.
En outre, les propriétaires de quotas namibiens sont connus pour louer des quotas à des entreprises de pêche étrangères à des conditions très avantageuses. En Namibie, le manque de transparence sur les détenteurs de quotas et les nombreuses allégations relatives à une distribution inéquitable des quotas – les principaux bénéficiaires étant proches de l'élite dirigeante – ont sapé la gouvernance des pêches. Néanmoins, l'un des résultats de ce système de location est que certaines entreprises étrangères paient davantage pour les quotas de pêche qu'on ne le pense généralement.
Un autre problème a été l'incapacité des autorités namibiennes à mettre à jour leurs informations sur la valeur marchande du poisson.
Enfin, bien que la Namibie soit l'un des rares pays africains à disposer d'une redevance explicite de recouvrement des coûts, celle-ci ne couvre pas les coûts de gestion des pêches. Le manque de transparence dans la gestion des recettes signifie que les informations mises à jour font défaut. Jusqu'en 2012, le gouvernement a publié des rapports détaillés sur ses recettes et ses dépenses. Cette année-là, les dépenses totales du ministère de la pêche et des ressources marines s'élevaient à 235 millions de dollars namibiens, alors que les recettes du gouvernement n'atteignaient que 132,5 millions de dollars namibiens.
Révision des droits d'accès
Les attitudes à l'égard des droits d'accès à la pêche en Namibie ont changé à partir de 2015, lorsque le ministre de la pêche a insisté sur le fait que les droits étaient peu élevés. En 2016, la situation s'est aggravée lorsque le dollar namibien a subi une nette dépréciation par rapport à l'euro et que le pays est entré dans une période de récession économique et d'augmentation de la dette. À partir de ce moment, la rhétorique gouvernementale a mis l'accent sur la nécessité de maximiser les recettes de l'État.
La réponse du ministère de la pêche et des ressources marines a été double. Tout d'abord, une réévaluation de la valeur marchande du poisson a entraîné une augmentation des redevances sur les contingents. En 2017, les recettes s’élevaient à 145 millions de dollars namibiens, puis ont grimpé à 267 millions de dollars namibiens en 2018. Ensuite, le budget du ministère a été réduit de près de moitié entre 2017 et 2018. Il en résulte que les recettes publiques provenant du secteur de la pêche ont commencé à dépasser les dépenses consacrées à la gestion des pêches, ce qui signifie qu'un dividende public issu des recettes de la pêche a commencé à se matérialiser. Toutefois, la production d'un dividende public dépendait en grande partie de larges coupes dans le budget consacré à la gestion des pêches.
L'expérience des enchères et d'un fonds souverain
Pendant la pandémie de COVID, le gouvernement namibien a introduit une nouvelle stratégie pour augmenter les recettes issues de la pêche : une partie des quotas habituellement attribués aux entreprises dans le cadre de l'ancien système allait être vendue aux enchères au plus offrant. La vente aux enchères – et les recettes qui en découlent – ont été gérées par le ministère des finances, et non par le ministère de la pêche et des ressources marines. Certains estiment que cela s’explique en partie par le rejaillissement de plusieurs scandales de corruption impliquant le ministère de la pêche, notamment le « scandale Fishrot ».
Bien que le ministère des finances ait présenté la vente aux enchères de quotas comme un événement ponctuel destiné à permettre au pays de bénéficier d'une manne financière exceptionnelle provenant de la pêche, plusieurs autres enchères ont eu lieu. Malgré un résultat mitigé, l'expérience de ces ventes aux enchères semble avoir réussi à augmenter de manière substantielle les recettes publiques. En 2021, le gouvernement a déclaré que les enchères de quotas de pêche avaient généré des recettes totales de 408 millions de dollars namibiens.
Le plan quinquennal phare du gouvernement, le Harambee Prosperity Plan, publié à la fin de l'année 2021, prévoit que le gouvernement s'oriente vers un système de vente aux enchères compétitif et ouvert afin de vendre tous les droits sur les ressources naturelles, y compris le poisson. Le gouvernement prévoit également de créer un fonds souverain, où sera déposé une partie des revenus de la vente des droits. Ce fonds a été lancé en 2022, sous le nom de « Welwitschia Fund ». Le gouvernement a déclaré que 10 % des recettes issues de la vente des quotas de pêche seront déposés dans le fonds, ainsi que 15 % des revenus provenant des redevances minières. Bien que certains détails du Fonds Welwitschia n'aient pas encore été finalisés, les rapports les plus récents du gouvernement indiquent que l'argent déposé dans le fonds sera investi sur les marchés de capitaux étrangers. Lorsque le fonds aura atteint une taille suffisante, les intérêts perçus pourront être dépensés dans le pays. En théorie, cela signifie que le fonds existera à perpétuité.
La proposition de transférer entièrement l'attribution des droits de pêche à un système de vente aux enchères et de gérer ces revenus dans un fonds souverain est soutenue par des think tanks indépendants en Namibie. Parmi les arguments en faveur de cette solution citons notamment l'augmentation des recettes publiques, la lutte contre la corruption dans le processus d'allocation et la suppression de la nécessité de suivre la valeur marchande du poisson pour obtenir une redevance sur les contingents appropriée. Toutefois, le secteur de la pêche ne s’est guère montré enthousiaste. Leurs réserves ne portent pas seulement sur l'augmentation des coûts des quotas de pêche, mais aussi sur le fait que les ventes aux enchères retirent l'accès préférentiel pour les entreprises qui font preuve de responsabilité sociale. De plus, il ne semble pas y avoir de règles qui limitent la concentration des quotas pour le moment.
3. Repenser l’élaboration des droits d'accès
La Namibie et le Ghana sont peut-être deux exemples extrêmes. Le cas de ces deux pays illustre cependant la raison pour laquelle la gestion des revenus constitue une dimension importante de la gestion des pêches et comment les choses peuvent mal tourner. Leur cas montre également que la conception des droits d'accès couvre plusieurs objectifs politiques. Si nous revenons à l'idée d'un « cartel du poisson » nous pouvons comprendre en quoi l’idée parait attrayante. Elle offre aux pays africains la possibilité d'augmenter les dividendes publics du secteur de la pêche. Cependant, la proposition suppose que les États africains ont pour seul objectif de maximiser les rentes des ressources halieutiques, ce qui n'est pas toujours le cas. Les droits d'accès peuvent également servir à développer le secteur de la pêche. En outre, si l'augmentation des recettes publiques peut être justifiée, il est toutefois préférable de rendre compte de l’utilisation de l’argent.
La discussion sur la conception des droits d'accès met en évidence quatre considérations politiques :
A) LE BESOIN DE TRANSPARENCE
Le public doit pouvoir accéder facilement aux informations sur les recettes et les dépenses du secteur de la pêche. Mais au-delà de la transparence des recettes, les gouvernements doivent assurer la transparence dans la prise de décision et l'élaboration des politiques. Quels sont les objectifs ? Quelles informations permettront de vérifier dans quelle mesure ces objectifs ont été atteints ?
B) LA SÉPARATION ENTRE LA REDEVANCE DE RECOUVREMENT DES COÛTS ET LE DIVIDENDE PUBLIC
Au Ghana et en Namibie, les recettes issues de la pêche sont inférieures aux dépenses consacrées à la gestion des pêches. Les coûts de gestion de la pêche sont donc couverts par le paiement des licences de pêche, des fonds supplémentaires provenant du Trésor national et des prêts de financeurs étrangers. Dans certains pays, on peut considérer cette situation comme raisonnable : l'État dépense de l'argent pour soutenir une industrie nationale qui fournit des biens publics. Pourtant, la situation est particulière dans de nombreux pays africains où la pêche industrielle est dominée par des entreprises étrangères engagées dans l'exportation. Pourquoi les fonds publics devraient-ils financer la gestion de cette industrie ?
La conception des droits d'accès doit établir une distinction claire entre les redevances de recouvrement des coûts et le dividende public. Ce faisant, c’est aux gouvernements de déterminer à quoi correspondent les coûts de la gestion des pêches. La moyenne des pays de l'OCDE pourrait constituer un point de départ, soit environ 8 % de la valeur du poisson pêché. Pour certaines pêcheries dans les pays développées, le travail des organisations régionales de gestion des pêches couvre parfois partiellement les coûts de gestion, ce qui pourrait baisser ceux des États côtiers.
Toutefois, il incombe aux gouvernements de faire preuve de transparence quant à leurs responsabilités en matière de gestion des pêches, d’y allouer un budget, et de préciser le montant consacré à des responsabilités spécifiques, telles que la recherche, le contrôle et la surveillance ou d'autres fonctions administratives. Il convient de clarifier la part des coûts de gestion qui incombe à l'industrie et celle qui est couverte par les fonds publics. Il est inacceptable que dans de nombreux pays d’Afrique les financeurs étrangers couvrent les coûts de la gestion de la pêche industrielle, ce qui revient essentiellement à accorder une subvention à l'industrie de la pêche.
Lorsque les redevances de recouvrement des coûts ont été clairement établies, les budgets consacrés à la gestion des pêches subissent moins d’aléas. Au Ghana et en Namibie, les budgets ont déjà subi des réductions soudaines en période de crise économique nationale. La garantie de paiement d’une redevance de recouvrement des coûts de la pêche diminuerait la probabilité que surviennent ces baisses capricieuses. Une critique possible de cette approche pourrait porter sur le fait que si l'industrie paie pour les coûts de gestion des pêches, alors la première peut finir par exercer une forme d’emprise sur la seconde. Pourtant, la gestion de la pêche est tout aussi vulnérable, si ce n'est plus, lorsque les autorités nationales chargées de la gestion des pêches souffrent d'un sous-financement chronique.
Enfin, la gestion des recettes devrait être attribuée à d’autres autorités gouvernementales. Lorsque le budget des autorités de gestion des pêches dépend des droits d’accès, elles ont tendance à accorder des licences à un trop grand nombre de navires de pêche. En retirant aux autorités de gestion des pêches la responsabilité d'augmenter la rente des ressources, elles pourraient davantage se positionner au sein du gouvernement en faveur d'une gestion durable de la pêche.
C) L'UTILISATION DES FONDS SOUVERAINS
Si une distinction entre rente de ressources et redevances de recouvrement des coûts s’avère nécessaire, l’existence d’un fonds de dividende public pour la pêche serait bénéfique. L'expérience de la Namibie en la matière est positive, même si l'on peut émettre des réserves sur le bien-fondé de ses ventes aux enchères. Il existe une littérature abondante sur la conception des fonds souverains, qui tend à s'accorder sur la nécessité de les protéger des intérêts à court terme des responsables politiques. La façon d’utiliser ces fonds fait l'objet d'un débat public. Par exemple, faut-il prioritairement affecter les recettes publiques issues de la pêche industrielle aux investissements dans la pêche artisanale côtière ou les consacrer à d'autres priorités nationales, telles que l'éducation ou la santé ?
D) LES ENCHÈRES POUR LA PÊCHE INDUSTRIELLE : UNE VOIE À SUIVRE ?
Enfin, l'expérience de la Namibie en matière d'enchères mérite un examen plus approfondi. Dans de nombreux États côtiers africains, on ne sait pas vraiment pourquoi tel montant particulier est fixé pour les droits d’accès plutôt qu’un autre. Les gouvernements rencontrent de grandes difficultés à connaître la rentabilité des entreprises de pêche, ce qui les rend vulnérables aux arguments selon lesquels l'industrie n'aurait pas les moyens de payer davantage.
Les ventes aux enchères pour la pêche industrielle en Afrique constituent un moyen intéressant de sortir de ce dilemme, car elles révèlent la valeur marchande qu’accorde les entreprises au poisson. Cependant, ces enchères peuvent avoir des conséquences négatives. Certes, le gouvernement peut simplement vendre le poisson au plus offrant, mais il ne s’agira pas nécessairement de l'entreprise de pêche la plus responsable. Afin de résoudre ce problème, les modalités des ventes aux enchères pourraient être fixées selon le principe d'un appel d'offres concurrentiel pour les services de pêche, où les décisions se font sur la base d’une évaluation des entreprises en fonction de plusieurs variables, le montant qu'elles paient n'étant que l'une d'entre elles. D'autres considérations peuvent porter sur les mesures visant à minimiser les externalités environnementales, sur l'engagement à débarquer localement les captures ou à embaucher des ressortissants nationaux dans les équipages et, plus généralement, sur les politiques en matière de normes de travail. Ce type d'appel d'offres, qui intègre des considérations sociales et environnementales, semble plus avantageux que la simple vente de licences de pêche à un tarif fixe ouvert à toutes les entreprises qui souhaitent en acheter une.
Conclusion
Ces quatre propositions de réforme de la politique des droits d'accès à la pêche sont pertinentes pour la conception de futurs accords d'accès entre les pays africains et les flottes d'origine étrangère, qu'elles accèdent aux eaux des pays africains dans le cadre d'accords d'accès bilatéraux de gouvernement à gouvernement, d'accords privés ou de sociétés mixtes.
À l'heure actuelle, les paiements que réclament les pays côtiers africains aux flottes hauturières, y compris à l'UE, ne font pas la distinction entre un dividende public et une redevance de recouvrement des coûts. Dans le cas des accords de pêche bilatéraux entre l'UE et les pays africains, l'UE fait toutefois la distinction entre les paiements qui vont au Trésor public et ceux qui vont à l’appui sectoriel et comprennent certains postes de dépenses qui pourraient être considérés comme des redevances de recouvrement des coûts, tels que le SCS ou la recherche.
Les États africains devraient d'abord déterminer, de manière transparente et participative, ce que coûte une bonne gestion des pêcheries, puis veiller à ce que les droits d’accès couvrent ce coût, tout en indiquant clairement les frais nécessaires au recouvrement des coûts de gestion de flottes industrielles et ce qu’il reste en tant que dividende public. Cela permettrait aux États côtiers de clarifier la valeur de la présence de flottes industrielles d'origine étrangère en provenance d'Europe ou d'Asie et pourrait révéler qu'elles paient trop peu.
La proposition d'améliorer la conception des droits d'accès ne doit pas non plus ignorer les arguments qui soutiennent que, dans certains cas, la pêche industrielle ne devrait tout simplement pas avoir le droit d’opérer, et ce, quel que soit le montant qu'elle rapporte, car elle peut causer des dommages considérables aux écosystèmes et concurrencer la pêche artisanale locale. La pêche artisanale devrait être une priorité en raison du rôle clé qu'elle joue dans la société africaine, en termes d'emplois, de sécurité alimentaire et de culture.
Toutefois, s'il est convenu que les navires de pêche industrielle étrangers devraient avoir accès aux eaux des pays africains, il est impératif de consacrer des fonds suffisants à leur gestion, que le secteur industriel paie pour cela et que les citoyens reçoivent des dividendes publics. Sinon, à quoi bon ?
Photo bannière : photo d’illustration de Canva Pro
Le commissaire chypriote désigné a répondu aux questions de la commission de la pêche du Parlement européen (PECH) concernant le cadre stratégique qui devrait assurer la cohérence des politiques liées aux océans, y compris la politique commune de la pêche. La commission PECH lui a apporté son soutien pour son futur mandat.