Publication de la liste de navires de pêche autorisés au Sénégal : « La lutte pour la transparence dans le secteur de la pêche ne fait que commencer »

La Confédération africaine des Organisations professionnelles de pêche artisanale (CAOPA), dont le siège est établi au Sénégal, a salué la publication par la Ministre en charge des Pêches, Dr Fatou Diouf, de la liste des bateaux autorisés à pêcher dans les eaux sous juridiction sénégalaise.

En consultant cette liste, « Sur les 132 bateaux pavillonnés au Sénégal […] une bonne moitié affiche un nom d’origine chinoise. Ajoutons à cela une série de bateaux d’origine espagnole, française, coréenne et autres », souligne CAOPA, « La question qui se pose, c’est si ces bateaux d’origine étrangère sont réellement contrôlés par des sénégalais ».

En effet, lors d’un repavillonnement vers le Sénégal, la loi exige que 51 % du capital soit local. Comme l’avait dénoncé l’association Aprapam en 2020, c’est une condition qui n’est pas toujours remplie ; certaines sociétés mixtes qui servaient d’écran à des bateaux repavillonnés avaient seulement un ou deux millions de CFA de capital social : « une société mixte avait même seulement 100.000 CFA de capital social, alors qu’elle gérait 6 chalutiers pélagiques côtiers ! Comment imaginer dans ces conditions que c’est le partenaire sénégalais, avec ses 100.000 CFA, qui détient le contrôle de la société mixte, plutôt que le propriétaire réel de ces bateaux valant plusieurs milliards de CFA ? »

CAOPA insiste sur le fait que, sous le couvert de ces sociétés mixtes, la pêche industrielle sénégalaise est aux mains d’intérêts étrangers qui, pour la grande majorité, ne respectent pas les réglementations : « Ainsi, la législation sénégalaise oblige tout bateau industriel sénégalais à embarquer un observateur à bord. Dans la plupart des cas, cette obligation est ignorée ».

Les dommages ne sont pas seulement dans les eaux sénégalaises : « Certains de ces chalutiers n’hésitent pas également à se cacher derrière le pavillon sénégalais pour profiter des accords de pêche négociés par le Sénégal avec des pays de la région, et bénéficier ainsi des ressources de pêche de la Guinée Bissau ou du Libéria, souvent en ne respectant pas non plus la législation en vigueur dans ces pays, au risque d’entacher les relations entre le Sénégal et les pays de la région », continue CAOPA.

La solution : transparence sur les bénéficiaires effectifs et participation des hommes et des femmes de la pêche artisanale à la gestion

CAOPA identifie « ceux qui tirent les ficelles des sociétés mixtes sous lesquelles opèrent ces bateaux d’origine étrangères sénégalisés » : ce sont les bénéficiaires effectifs, « des entreprises ou citoyens chinois, russes, européens, établis dans un pays étranger ». L’organisation rappelle qu’en 2022, lors de la Conférence des Ministres des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, « un engagement a été pris par tous les pays présents, dont le Sénégal ». Cet engagement enjoint aux États de « prendre des mesures, en tant qu’État du pavillon ou État côtier, pour actualiser et mettre en œuvre la législation nationale afin d’exiger la déclaration des bénéficiaires effectifs ultimes des navires de pêche et des sociétés lors de l’attribution du pavillon ou de l’autorisation de pêcher, et la tenue d’un registre des propriétaires réels des navires de pêche au niveau national ».

En outre, la CAOPA demande que l’audit de la flotte sénégalaise, « promis depuis vingt ans », soit mené, et les résultats publiés.

L’organisation encourage la nouvelle administration sénégalaise à « faire toute la lumière sur les sociétés mixtes et assurer qu’elles opèrent de façon légale, transparente, qu’elles contribuent à l’économie du pays, et ne portent pas préjudice à la pêche artisanale du Sénégal et des autres pays de la région dans lesquels ces bateaux opèrent ». Uneadhésion effective à l’initiative pour la transparence dans la pêche FiTI , ainsi qu’un renforcement des attributions de la commission d’attribution des licences de pêche (CALP) sont également prônés par la CAOPA comme moyens de rendre la gestion de la pêche sénégalaise transparente et participative : « Nous demandons, au-delà de la nécessaire transparence, que la commission d’attribution des licences ne soit plus seulement consultative, mais ait le pouvoir de décider de qui, ou pas, est autorisé à pêcher ‘l’or bleu’ du Sénégal ».

Photo de l’entête: Débarquement du poisson à Kafountine, en Casamance (Sénégal), par Agence Mediaprod pour CAPE.