Occupe-toi de tes navires ! L’État du pavillon et son obligation de réguler les activités de ses navires de pêche

PAR PIETER VAN WELZEN, AVOCAT

est avocat senior chez CMS South Africa. En septembre 2024, il a soutenu à l'université de Hambourg une thèse sur la responsabilité de l'État, en vertu du droit international, sur ses activités de pêche illégales.

Temps de lecture : 20 minutes

Les États du pavillon sont tenus de contrôler les activités des navires battant leur pavillon dans les zones maritimes qui ne relèvent pas de leur juridiction, telles que dans la zone économique exclusive (ZEE) d'un autre État et en haute mer.

Les États côtiers en développement touchés par la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) dans leurs eaux font souvent valoir que les États du pavillon des navires concernés ne font pas assez d'efforts pour contrôler leurs navires afin de s'assurer que leurs activités se conforment aux réglementations de l'État côtier en matière de conservation et de gestion des ressources vivantes. Souvent, les États côtiers en développement sont également les États du pavillon de navires de pêche et, à ce titre, ont donc des obligations similaires pour s'assurer que leurs navires ne se livrent pas à des opérations de pêche INN dans la ZEE d'un autre État ou en haute mer. Cela signifie que s'ils autorisent leurs navires à pêcher dans la ZEE d'un autre État ou en haute mer, ils doivent avoir mis en place des règles qui réglementent ces activités de pêche, et être en mesure de les faire appliquer.

Cet article décrit les obligations auxquelles l’État du pavillon est soumis et le rôle que peut jouer l’Union européenne dans le soutien aux États partenaires en développement afin que ceux-ci se conforment à ces obligations, par le biais de réglementations et de mesures bien pensées de contrôle des pêcheries. De plus, en nous appuyant sur les dispositions pertinentes de la loi mauricienne de 2023 sur les pêches, nous examinerons comment les obligations internationales de l’État côtier – en tant qu’État du pavillon – peuvent se traduire dans les réglementations locales.

1. Les obligations de l’État du pavillon

L'obligation fondamentale à laquelle est soumis l'État du pavillon en ce qui concerne les activités de ses navires de pêche dans la ZEE d'un autre État ou en haute mer est que ces activités soient conformes au droit international et, plus particulièrement, à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM). Divers instruments internationaux contraignants ou non contraignants liés à la pêche donnent plus de contexte à ces obligations, tels que l'Accord de conformité de la FAO, l'Accord sur les stocks de poissons, le Plan d'action international visant à prévenir, à contrecarrer et à éliminer la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (PAI-INDNR) ainsi que l'avis consultatif du Tribunal international du droit de la mer (TIDM) de 2015 concernant la pêche INN dans les ZEE (Avis consultatif INN). Cela signifie qu'en ce qui concerne une ZEE, les navires doivent se conformer à la réglementation de l'État côtier concerné en matière de pêche, et en haute mer aux règles des organisations régionales de gestion des pêches (ORGP) dont l'État du pavillon est membre ou à d'autres obligations conventionnelles auxquelles l'État du pavillon est lié.

La pêche INN ne comprend pas seulement les activités qui enfreignent la réglementation d'un État côtier, mais aussi les situations où les activités sont autorisées par la réglementation de l'État côtier, mais enfreignent le droit international. De fait, les États côtiers doivent déterminer les captures autorisées dans leurs ZEE conformément à l'article 61 de la CNUDM avant de pouvoir donner accès au surplus de leurs ZEE aux navires d'autres États conformément à l'article 62 de la CNUDM. Il est possible que plusieurs États en développement n'aient pas déterminé le « volume admissible de captures » conformément à la CNUDM, mais autorisent néanmoins les navires étrangers à pêcher dans leurs eaux, ou permettent aux navires de pêcher au-delà du volume admissible de captures (voir pour exemple l'article d'André Standing et l'article de Jessica Tengvall). En vertu de l'article 192 de la CNUDM relatif aux obligations générales des États en matière de protection du milieu marin, on pourrait faire valoir que si l'État du pavillon sait que l'État côtier n'a pas réglementé la pêche dans sa ZEE conformément au droit international ou permet par ailleurs la surpêche, l'État du pavillon ne devrait pas autoriser ses navires à pêcher dans la ZEE de cet État côtier, même si ce dernier a donné son autorisation.

A)  AUTHORISATION

Un navire de pêche souhaitant pêcher dans des zones maritimes qui ne sont pas soumises à la juridiction de l'État de son pavillon doit obtenir une autorisation dudit État pour mener de telles opérations (voir pour exemple §44 et §45 du PAI-INDNR et l’article 4 du règlement relatif à la gestion durable des flottes de pêche externes (SMEFF)). La demande d'autorisation doit être suffisamment détaillée et comporter des informations telles que le lieu, la période, les espèces, la quantité proposée, les engins de pêche et d'autres renseignements similaires (voir §46 de le paragraphe 46 du PAI-INDNR et l’article 5 du règlement SMEFF). L'autorisation doit être soumise à certaines conditions, telles que le respect des limites fixées dans la demande, l'utilisation de systèmes de surveillance des navires ainsi que des exigences administratives et de déclaration (voir pour exemple §47 du PAI-INDNR et l’article 7(3) du règlement SMEFF). Elle doit également exiger le respect de la réglementation applicable en matière de pêche dans les zones où les opérations de pêche ont lieu (voir pour exemple l’article 18.1 de l’Accord des Nations unies sur les stocks de poissons et §123 de la demande d’avis consultatif soumise par la CSRP).

Lorsque le consentement d'un État côtier ou d'une ORGP est requis pour pêcher dans la zone concernée, ce consentement doit être obtenu avant que les autorités de l'État du pavillon n'accordent l'autorisation (voir pour exemple les article 10(d), 17(1)(e) et 20(c) et (d) du règlement SMEFF et §44 du PAI-INDNR). Toutefois, comme indiqué plus haut, lorsqu'une réglementation d'un État côtier en matière de conservation et de gestion des ressources biologiques n'est pas conforme au droit international, l’État du pavillon peut toujours être tenu de refuser son autorisation même si l'État côtier a donné son consentement.

B) DESTINATAIRES

Les réglementations en matière de pêche doivent être suffisamment claires pour que l'on comprenne à qui elles s'adressent. Bien que les réglementations concernent les activités d'un navire, celui-ci ne mène pas lui-même ces activités. Afin de garantir une application rigoureuse de la règlementation, il convient de déterminer clairement quelle·s personne·s peut ou peuvent être tenue·s responsable·s (directement ou indirectement, par exemple sur la base de la responsabilité du fait d'autrui) du respect de ces règles. Cela signifie qu'il peut être nécessaire de définir plus précisément certains termes, tels que « propriétaire » et « opérateur », afin d'identifier les catégories de personnes concernées. Cela signifie souvent que les termes couvrent plus de personnes que le texte littéral ne le suggère.

L'expérience et les informations dont dispose la société civile peuvent soutenir les efforts des États et des organisations internationales pour lutter contre la pêche INN et faire pression sur les gouvernements afin qu'ils respectent leurs obligations en vertu du droit international. Photo : NOAA.

Examinons désormais la loi mauricienne de 2023 sur les pêches. À l'article 2, celle-ci définit le terme « opérateur » comme toute personne qui est en charge, responsable des opérations, dirige ou contrôle le navire, ce qui inclut le propriétaire, l'agent, l'affréteur, le capitaine et le bénéficiaire de l'avantage économique ou financier des opérations du navire. Le terme « propriétaire » désigne les personnes qui possèdent le navire, y compris son propriétaire bénéficiaire, un affréteur et la personne qui contrôle la destination, la fonction ou l'exploitation du navire en vertu d'un contrat de gestion ou d'un autre accord similaire. Les termes « propriétaire » et « opérateur » se chevauchent donc dans une certaine mesure.

C)  SANCTIONS ET MISE EN ŒUVRE

Dans sa réglementation en matière de pêche, l'État du pavillon doit prévoir des sanctions en cas de non-respect des règles et conditions d'autorisation, y compris l'obligation que les activités de pêche soient menées conformément à la réglementation d'un État côtier, d'une ORGP ou d'autres obligations juridiques internationales auxquelles l'État du pavillon est soumis. Ces sanctions devraient être suffisamment sévères pour prévenir et décourager efficacement la non-conformité et priver les contrevenants des avantages découlant de cette non-conformité (voir pour exemple l’article 19(2) de l’Accord des Nations unies sur les stocks de poissons et §138 de la demande d’avis consultatif soumise par la CSRP). L’État du pavillon devrait également être en mesure d'appliquer efficacement ces sanctions.

L'État du pavillon peut rencontrer divers problèmes lorsqu'il tente d'appliquer des sanctions. Par exemple, si les destinataires de ses réglementations, tels que l'exploitant, le propriétaire ou le capitaine du navire, ne sont pas basés dans l'État du pavillon, ce dernier peut avoir besoin de la coopération des États où se trouvent ces personnes pour appliquer ces sanctions, car en vertu du droit international, il ne peut le faire sans le consentement de l'État où les sanctions doivent être appliquées.

À moins que l'État du pavillon ait conclu avec l'État côtier des accords prévoyant un tel concours ou l'obligeant à coopérer avec lui dans l'application des sanctions, il n'est pas certain que l'État côtier consente à de telles mesures d'exécution. L'État du pavillon peut donc avoir besoin d'inclure des conditions qui lui permettent d'appliquer ses sanctions sans l'intervention d'autres États, par exemple en exigeant une garantie bancaire ou une autre forme de sûreté qui couvrirait les amendes et autres sanctions pécuniaires qu'il peut imposer en cas de violation de ses règlements de pêche.

Si l'État du pavillon a mis en place une réglementation qui reflète ses obligations juridiques internationales, cela facilite la coopération d'autres États qui ont engagé des poursuites judiciaires contre des personnes impliquées dans la pêche INN. Afin de faciliter la coopération, il pourrait être exigé que l'activité pour laquelle les personnes sont poursuivies à l'étranger constitue également une infraction dans l'État où la coopération est demandée. Par exemple, si les activités d'un navire enfreignent la réglementation d'un État côtier, mais que la réglementation de l'État du pavillon n’oblige pas le navire à se conformer à la réglementation de l’État côtier, l'État du pavillon peut se retrouver dans l’incapacité d'aider l'État côtier à agir contre les contrevenants, par exemple en échangeant des informations, en saisissant des biens ou en procédant à une extradition.

Les organisations non gouvernementales, les organisations de pêche artisanale et la société civile en général peuvent jouer un rôle important dans l'application des réglementations en matière de pêche, par exemple en soutenant les autorités par des activités de surveillance des navires et en les informant d'éventuelles infractions. L'expérience et les informations dont dispose la société civile peuvent soutenir les efforts des États et des organisations internationales pour lutter contre la pêche INN et faire pression sur les gouvernements afin qu'ils respectent leurs obligations en vertu du droit international.

2. Coopération régionale : harmonisation de la réglementation

Les États, notamment dans le cas de ZEE contiguës, devraient opter pour une harmonisation régionale des réglementations en matière de pêche, en tenant également compte de l'impact que la pêche INN dans une ZEE aura sur les ZEE des États voisins. Des réglementations harmonisées faciliteraient la coopération en matière d'application. Les initiatives régionales d'harmonisation ainsi que la coopération régionale en matière de surveillance et de contrôle du respect des réglementations de pêche devraient donc figurer en bonne place à l'ordre du jour. Dans ce contexte, il est encourageant que la Cédéao propose un plan d'action régional contre la pêche INN en Afrique de l'Ouest.

Étant donné que les réglementations ainsi que les mesures prises peuvent avoir un impact sur les moyens de subsistance des communautés de pêche locales, les autorités devraient veiller à ce que les réglementations tiennent comptent des points de vue et des intérêts de ces communautés et que, si certaines des mesures affectent leurs activités de pêche, des dispositions sont à prévoir pour atténuer les conséquences négatives de ces mesures. Par exemple, alors que les pays développés peuvent subventionner les communautés de pêche affectées par les périodes de repos biologique, les pays en développement n'en ont souvent pas les moyens. En outre, ces périodes de repos peuvent également réduire les ressources alimentaires disponibles pour les communautés locales.

Malgré des traditions juridiques qui peuvent varier d'un État à l'autre, cette situation ne devrait pas constituer un obstacle à l'harmonisation, compte tenu des objectifs et des similitudes techniques des réglementations de pêche, des normes et directives applicables, telles que le PAI-INDNR, et des obligations juridiques internationales auxquelles les États sont soumis. Les États du pavillon et les États côtiers pourraient donc élaborer des règles harmonisées concernant, par exemple, les exigences en matière d'autorisation, les normes techniques relatives au navire et à son équipement, les activités et techniques de pêche autorisées, les rapports à fournir et les conditions d'accès aux eaux d'un État côtier.

Si l'harmonisation des règles entre pays voisins peut être bénéfique dans la lutte contre la pêche INN, il est important que les mesures soient décidées en consultation avec les communautés de pêche locales, car certaines mesures pourraient affecter l'accès aux ressources et les moyens de subsistance de ces communautés. Photo : Une manifestation contre la réduction de la zone d'exclusion côtière réservée à la pêche artisanale, en 2017.

Les États africains ont déjà développé diverses initiatives régionales concernant les conditions d'accès. Voir par exemple la Convention sur les conditions minimales d'accès adoptée par les États membres de la Commission sous-régionale des pêches en Afrique de l'Ouest (CSRP) et les Directives relatives aux conditions minimales d'accès des navires de pêche étrangers de la Commission des pêches du sud-ouest de l'océan Indien (SWIOFC)[16]. L'un des problèmes rencontrés dans le cadre des diverses initiatives régionales est le manque de suivi. Souvent, les initiatives, une fois adoptées, semblent difficiles à mettre en œuvre, notamment en raison du manque de ressources financières ou humaines, ou parce que les États concernés ont des priorités différentes. Il est donc essentiel de se pencher sur la question de savoir comment et dans quels délais les États devraient adopter les mesures convenues et de veiller à ce que les initiatives prévoient des mécanismes et ressources appropriés pour tenir responsables les États qui ne respectent pas leurs obligations.

Les organisations et initiatives régionales peuvent également jouer un rôle important dans l'application des obligations internationales auxquelles sont soumis les États de la région. Si un État autorise la pêche INN dans sa ZEE, cela risque d'avoir un impact sur les ressources marines la ZEE des États voisins. Les intérêts d'un État côtier seront également affectés si des navires battant le pavillon de l'État voisin se livrent à la pêche INN dans la ZEE de cet État côtier. Il serait donc logique que les organisations régionales mettent en place des dispositifs leur permettant d'agir contre les États membres qui ne respectent pas leurs obligations internationales à cet égard.

3. Le rôle de l’UE dans le cadre des APPD

Dans le cadre des accords de partenariat dans le domaine de la pêche durable (APPD) que l'Union européenne (UE) a conclus avec une série de pays côtiers en développement, l'UE encourage la création de sociétés mixtes de pêche entre des entreprises européennes et locales (voir pour exemple l’article 12.1 du protocole de l’APPD UE-Guinée-Bissau). L'UE devrait notamment évaluer si la réglementation de pêche de l'État partenaire respecte les obligations internationales de l'État du pavillon en matière de pêche, que ce soit dans la ZEE d'un autre État ou en haute mer, et si elle est non seulement conforme aux normes en vigueur, mais aussi suffisamment bien appliquée. Si l'État partenaire ne peut pas s'y conformer, le repavillonnement des navires de l'UE vers ces États risquerait d'encourager la pêche INN.

L'UE réglemente les activités de pêche des navires battant pavillon des États membres de l'UE dans les eaux des États tiers et en haute mer conformément au règlement SMEFF. Étant donné que les règles énoncées dans le règlement SMEFF reflètent les principes qui découlent des instruments internationaux relatifs à la pêche mentionnés précédemment, l'UE devrait veiller à ce que les États partenaires appliquent des règles similaires, également au regard de l'article 31(1) du règlement de l'UE sur la pêche INN qui permet à la Commission européenne de prendre des mesures contre les États qu'elle considère comme des États tiers non coopérants dans la lutte contre la pêche INN. Il serait donc cohérent que l'UE exige de ses États partenaires qu'ils disposent de règles – et de moyens pour les faire appliquer –, qui régissent les activités des navires battant le pavillon de l'État partenaire dans les eaux d'un État tiers ou en haute mer, et d'interdire leur participation à la pêche INN.

Lors de la négociation d'un APPD, l'UE doit s'assurer que l'État partenaire a la capacité de respecter ses obligations internationales en tant qu'État du pavillon et État côtier. Dans le cas contraire, en encourageant la création de sociétés mixtes (qui implique le plus souvent le repavillonnement des navires de l'UE vers l'État partenaire) l'UE risque de créer un cadre favorable à la pêche INN. Photo : Un navire d'origine espagnole repavillonné au Sénégal. Cliquez ici pour plus d'informations.

Par le biais des APPD, l'UE peut jouer un rôle actif en aidant les États à respecter leurs obligations internationales en tant qu'État du pavillon et État côtier. Étant donné que le règlement de l'UE sur la pêche INN subordonne l'importation de poisson dans l'UE au respect par l'État exportateur de ses obligations juridiques internationales en matière de pêche INN, il serait incohérent que l'UE encourage le changement de pavillon par le biais de ses APPD à des États qui ne peuvent pas respecter leurs obligations internationales en tant qu'États du pavillon.

Lorsque les navires de pêche battant pavillon de ces États partenaires opèrent au niveau régional, comme en Afrique de l'Ouest, une approche régionale visant à renforcer la réglementation des pêches des États côtiers et son application peut être appropriée pour accroître son efficacité. Les initiatives régionales sont susceptibles d'avoir plus d'impact que celles qui se concentrent uniquement sur des États particuliers. Dans ces cas, l'UE devrait également encourager la mise en œuvre effective par les États des initiatives régionales existantes – telles que les conditions d'accès susmentionnées, par exemple – et soutenir les initiatives développées par la société civile, en particulier les organisations de pêche artisanale, pour promouvoir le respect des obligations juridiques internationales de leurs États respectifs.

Il faut également souligner qu’il est parfois ambigu pour les États partenaires de savoir si les accords d'accès conclus avec l'UE sont distincts du soutien que l'UE et ses États membres apportent dans d'autres domaines. Parfois, l'accès est considéré comme une contrepartie à d'autres formes de coopération dont bénéficie l'État partenaire, par exemple sous la forme d'un soutien financier à des projets d'infrastructure. Compte tenu des obligations que le droit international impose aux États côtiers en matière de conservation et de gestion des ressources biologiques, ainsi que de la nécessité de protéger leur propre sécurité alimentaire, il conviendrait de préciser dans tous les accords d'accès qu'il n'existe pas d'interdépendance (perçue) de ce type.

4. Application : le cas de la loi mauricienne sur la pêche

Afin d'illustrer les réglementations qu'un État du pavillon en développement pourrait mettre en œuvre pour soutenir la lutte contre la pêche INN, nous allons examiner par la suite certaines des dispositions de la loi mauricienne sur la pêche de 2023 (« la Loi », ci-après). Elles peuvent être considérées comme étant « à la pointe » et comprennent diverses règles qui s'opposent à la pêche INN par des navires battant pavillon mauricien dans des zones situées au-delà de la juridiction de Maurice.

A) CHAMP D’APPLICATION

La Loi s'applique à tous les navires de pêche mauriciens et à toutes les personnes à bord de ces navires ou qui traitent ou ont un rapport pertinent avec ces navires ou les personnes à bord, dans et en relation avec toutes les zones situées à l'intérieur ou au-delà de la juridiction nationale de Maurice. Elle s'applique également à toutes les personnes, y compris les non citoyens, et à tous les navires de pêche, y compris les navires de pêche étrangers et les navires de pêche sans nationalité, et en ce qui concerne la haute mer ou la ZEE d'autres États (définis comme des « zones situées au-delà de la juridiction nationale ») comme cela peut être requis en vertu de mesures internationales de conservation et de gestion ou d'accords internationaux, ou comme cela est autorisé par le droit international. Plus généralement, la loi interdit la possession, le commerce et l'exportation de poissons et de produits de la pêche capturés ou obtenus en violation de la loi ou des mesures internationales de conservation et de gestion ou capturés ou obtenus en violation des lois pertinentes d'un autre État.

B) AUTORISATION ET CONFORMITÉ

Un navire de pêche battant pavillon mauricien doit obtenir l'autorisation des autorités pour pêcher ou exercer des activités liées à la pêche dans des zones situées au-delà de la juridiction nationale ou dans une zone sous la compétence d'une ORGP. Un navire de pêche mauricien ne peut mener des opérations dans des zones relevant de la juridiction nationale d'un autre État que s'il se conforme aux lois de cet État. En haute mer ou dans des zones relevant de la juridiction nationale d'un autre État, il ne peut pas non plus se livrer à des opérations qui ne soient pas conforme à un accord d'accès applicable. Un navire mauricien ne doit pas non plus se livrer à des activités qui compromettent l'efficacité des mesures internationales de conservation et de gestion. De même, les ressortissants mauriciens se trouvant dans des zones situées au-delà de la juridiction nationale doivent se conformer aux mesures internationales de conservation et de gestion applicables, ainsi qu'aux lois pertinentes d'un autre État lorsqu'ils se trouvent dans des zones relevant de la juridiction de cet État. Compte tenu de l'implication croissante des organisations criminelles dans la pêche illégale, la loi stipule qu'aucun membre d'un groupe criminel transnational ou associé à un tel groupe n'est autorisé à se livrer à une activité liée à la pêche.

C) RESTRICTIONS SUR LES ACTIVITÉS

La Loi contient un certain nombre d'obligations plus spécifiques auxquelles un navire de pêche mauricien doit se conformer. Par exemple, l'exploitant d'un navire de pêche mauricien qui mène des opérations dans des zones situées au-delà de la juridiction nationale doit se conformer aux interdictions d'enlever les ailerons de requin et de les vendre illégalement comme prescrit ou exigé par les mesures de conservation et de gestion applicables. L'exploitant est également tenu de coopérer à l'arraisonnement et à l'inspection dans les zones situées au-delà de la juridiction nationale lorsque ceux-ci sont effectués en vertu des règles d'un accord international ou conformément aux lois pertinentes de l'État côtier ou de l'État du port. En outre, l'exploitant d'un navire de pêche, d'un cargo ou de tout autre navire ne peut fournir d'assistance, participer à des opérations de transformation du poisson, ni participer à des opérations de transbordement ou de pêche conjointe en relation avec un navire figurant sur la liste INN, sauf pour porter assistance à ce navire ou à toute personne à bord de celui-ci en cas de danger ou de détresse.

La loi prévoit une liste de circonstances dans lesquelles un navire de pêche est considéré comme ayant pratiqué la pêche INN et des activités connexes. Il s'agit notamment de la participation à des activités de pêche ou à des activités connexes dans des zones relevant de la juridiction de tout autre État côtier en violation des lois de ce dernier ou de toute mesure internationale de conservation et de gestion applicable.

D) RESPONSABILITÉ EN CAS DE VIOLATION

En ce qui concerne les destinataires des dispositions de la Loi, celle-ci contient diverses dispositions qui étendent la responsabilité des infractions commises en vertu de la loi aux personnes considérées comme responsables des actes de l'infraction. Par exemple, elle prévoit que lorsqu'une infraction est commise par un employé, un dirigeant ou un agent d'une association, ou par une association, toute personne qui était concernée par la gestion de l'association ou qui prétendait agir en cette qualité commet également l'infraction en question, à moins qu'elle ne prouve que l'infraction ait été commise à son insu ou sans son consentement et qu'elle a pris toutes les mesures raisonnables pour empêcher la commission de l'infraction. En outre, l'acte ou l'omission d'un membre d'équipage d'un navire de pêche ou d'une personne travaillant en association avec un navire de pêche est réputé être celui ou celle de l'exploitant du navire. En ce qui concerne la compétence en matière d'application de la loi, la Loi stipule que lorsqu'une infraction est commise dans des zones situées au-delà de la juridiction nationale ou dans la zone de compétence d'une organisation de gestion des pêches compétente, cette infraction est réputée, aux fins de la compétence, avoir été commise à Maurice. Cela signifie que les tribunaux mauriciens sont compétents pour traiter les infractions et imposer des sanctions.

E) SANCTIONS

Les violations de la Loi sont passibles de sanctions administratives ou pénales. Les règles en matière de preuve facilitent l'imposition de sanctions administratives et comprennent des dispositions prévoyant un renversement de la charge de la preuve. La Loi définit également les principes à appliquer pour déterminer le montant d'une sanction administrative et mentionne spécifiquement qu'elle doit inclure le montant nécessaire pour priver la personne des avantages financiers acquis ou économisés à la suite de la commission de l'infraction. Les sanctions pénales comprennent des amendes et des peines d'emprisonnement ainsi que des mesures accessoires, telles que l'indemnisation des pertes et dommages réels, les dommages et intérêts punitifs, la saisie des bénéfices et des équipements, l'interdiction d'accès aux eaux mauriciennes et la révocation des autorisations. Il existe également des dispositions relatives au partage des amendes infligées aux contrevenants avec les autres États concernés.

Conclusion

La réglementation mauricienne en matière de pêche est un exemple utile pour les États du pavillon qui ont besoin ou souhaitent mettre à jour leur réglementation dans ce domaine. Si un État dispose d'une réglementation bien rédigée en matière de lutte contre la pêche INN pratiquée par les navires battant son pavillon, cela ne signifie pas que ces activités disparaîtront. Toutefois, une réglementation incluant les dispositions décrites plus haut permettra de lutter plus facilement, en coopération ou non avec d'autres États, contre les pratiques de pêche INN, tant pour l'État du pavillon concerné que pour les autres États affectés par ces activités.

Comme indiqué ci-dessus, l'UE a un rôle important à jouer en soutenant ses États partenaires à respecter leurs obligations en tant qu'État du pavillon : dans le cadre des APPD, par exemple, l'UE devrait veiller à ce que ses États partenaires disposent de règles régissant les activités des navires au-delà de la juridiction nationale du pays tiers. Elle devrait le faire pour s'assurer que le repavillonnement de ses navires vers ces États partenaires ne facilite pas la pêche INN des navires concernés, et également pour s'assurer que l'État partenaire ne soit pas considéré comme « non coopérant » au sens du règlement sur la pêche INN de l'UE.

Enfin, pour lutter efficacement contre la pêche INN, la coopération régionale est cruciale, non seulement pour soutenir les mesures prises par les États contre celle-ci, mais aussi pour garantir qu'ils respectent - en tant qu'État côtier et État du pavillon – leurs obligations de réglementer la pêche dans leur ZEE, tant pour les opérations menées par les navires battant leur pavillon que par celles menées par leurs ressortissants. Ils doivent bien sûr également veiller à ce que ces réglementations soient correctement appliquées. Comme mentionné précédemment, une telle coopération régionale ne devrait pas impliquer uniquement les États, mais également la société civile.


Photo de l’entête : un navire d’origine Chinoise amarré au port de Bissau. Photo d’une source locale.