Le Comité des pêches de la FAO (COFI), qui se réunit généralement tous les deux ans, a toujours un ordre du jour chargé. Les membres rencontrent donc parfois des difficultés à avoir des échanges approfondis sur une série de questions liées à la gestion des pêches. En 2022, le COFI a décidé de créer un nouveau sous-comité sur la gestion des pêches.
Cette proposition a été soutenue par la Confédération africaine des organisations professionnelles de la pêche artisanale (CAOPA), qui a attiré l'attention des membres de la FAO sur la nécessité pour ce sous-comité de ne pas faire l’impasse sur les discussions autour de la mise en œuvre des Directives sur la pêche artisanale. La CAOPA a également insisté sur le fait qu'il était essentiel de permettre aux organisations de pêche artisanale de participer activement aux discussions.
La première session du sous-comité s'est tenue en ligne entre les 15 et 18 janvier. Parmi les participants, on dénombrait 95 membres du COFI et une cinquantaine d'observateurs issus d'organisations intergouvernementales et non gouvernementales.
Prise en compte de la pêche artisanale dans la gestion : approche basée sur les droits humains uniquement
Le premier point à l'ordre du jour concernait les « pratiques actuelles en matière de gestion des pêches, plus particulièrement dans le domaine de la pêche artisanale ». Plusieurs organisations de pêche artisanale et ONG de soutien ont fait une déclaration commune en insistant sur le fait que la prise en compte de la pêche artisanale dans la gestion des pêches ne peut se faire qu'à travers une approche basée sur les droits humains qui donne la priorité à des « programmes de gestion transparents, collaboratifs, sensibles aux considérations de genre, tout en garantissant le respect des droits fonciers et des droits d'accès des communautés de pêche artisanale ». Dans la droite ligne de l’Appel à l'action de la pêche artisanale, les signataires de la déclaration commune ont demandé un accès exclusif des pêcheurs artisans aux zones côtières, qu'elles soient fermées à la pêche industrielle et à d'autres activités destructrices et polluantes, et qu'elles soient entièrement cogérées.
Les signataires ont également rappelé « la nécessité d'élargir les pratiques actuelles de gestion de la pêche pour y inclure des objectifs écologiques, sociaux, économiques, nutritionnels et de genre. Une première étape pour y parvenir consistera à collecter des données ventilées par sexe pour, d'une part, mettre en évidence les contributions de la pêche artisanale à la sécurité alimentaire, aux moyens de subsistance et à la conservation. » Ils ont également soutenu sans réserve la proposition de la FAO d'élaborer une feuille de route visant à garantir que 100 % des pêcheries marines et continentales fassent l'objet d'une gestion efficace : « Dans cette optique, nous demandons que les systèmes d'allocation d'accès aux ressources donnent la priorité à ceux qui pêchent de la manière la plus durable d'un point de vue environnemental et social et qui contribuent le plus à la sécurité alimentaire, en privilégiant le poisson destiné à la consommation humaine plutôt qu'à la chaîne de valeur de transformation des produits de la pêche (la farine et l'huile de poisson par exemple). »
Ces préoccupations ont trouvé un écho parmi les nombreux membres de la FAO, qui ont appelé l’organisation à faire l’inventaire des processus et des institutions de gestion participative, en accordant une attention particulière à la question du genre, afin de mieux impliquer les communautés de pêche artisanale. La délégation de l'Union européenne (UE) a insisté sur la vulnérabilité de la pêche artisanale face à d'autres concurrents et a encouragé les approches participatives : « les communautés de la pêche artisanale devraient participer à toutes les décisions qui affectent leur vie, y compris au sein de ce sous-comité ». Le représentant du Sénégal a parlé du défi posé par les usines de farine de poisson, qui utilisaient autrefois des déchets de poisson et utilisent désormais du poisson frais : « nous nous interrogeons sur la pertinence de maintenir ces usines ouvertes, car elles mettent en péril la sécurité alimentaire ».
Pour lutter contre la pêche INN, les communautés de pêche africaines demandent à la FAO de soutenir une surveillance participative efficace
La lutte contre la pêche INN est une question récurrente à l'ordre du jour du COFI et la discussion au sein du Sous-Comité de la gestion des pêches a permis d'explorer certains aspects spécifiques de cette question, y compris son importance pour la pêche à artisanale. Dans son document préparatoire, la FAO a souligné que la lutte contre la pêche INN dans tous les types de pêche, y compris la pêche artisanale, est cruciale pour une gestion efficace des pêches. La CAOPA, avec le soutien de AWFISHNET (réseau africain des femmes transformatrices et commerçantes de poisson) et d'AFRIFISH Net (la plateforme africaine des acteurs non étatiques de la pêche), s'en sont félicitées dans une déclaration commune : « Pour la pêche artisanale africaine, la pêche INN, en particulier les incursions de navires utilisant des engins destructeurs dans les zones côtières, comme les chalutiers côtiers, reste un fléau à combattre car elle est directement liée à la surpêche et présente donc un risque pour la sécurité alimentaire. »
La CAOPA a également insisté sur la nécessité de mieux soutenir les initiatives de surveillance participative qui, à l'heure actuelle, manquent de soutien administratif, logistique et financier : actuellement, « les pêcheurs artisans qui tentent de défendre leurs pêcheries locales le font à leurs propres frais et en prenant des risques considérables, souvent sans garantie que les autorités vont effectivement arrêter les contrevenants. » Ils ont demandé à la FAO « d'organiser une discussion, entre ses membres, les pêcheurs artisans et la société civile, sur comment mettre en place une surveillance participative efficace. »
Les signataires ont également mis en garde contre la criminalisation excessive des pratiques traditionnelles des communautés de pêche artisanale, au cas où de nouvelles réglementations seraient introduites sans consultation suffisante. Pour lutter contre la pêche INN dans le secteur de la pêche artisanale, « il faut concevoir et mettre en œuvre des solutions adaptées aux contextes socio-économiques et culturels dans lesquels opèrent les pêcheurs artisans. [...] La solution réside dans leur participation à la gestion, y compris pour la mise en place de mécanismes de lutte contre la pêche INN. [...] Les pêcheurs peuvent eux-mêmes contribuer à cette lutte, notamment en utilisant des technologies numériques peu coûteuses sur les navires et les sites de débarquement, pour, par exemple, l’enregistrement de leurs captures et ainsi éviter que leur pêche soit considérée comme non documentée. »
Plusieurs membres ont indiqué qu'ils accordaient une attention particulière à la pêche artisanale dans leurs stratégies de lutte contre la pêche INN, et la FAO a été encouragée à aider les membres à concevoir et à mettre en œuvre des stratégies de suivi, de contrôle et de surveillance, en accordant une attention particulière aux approches participatives, notamment pour la pêche artisanale. L'UE a annoncé qu'elle renforcerait son soutien à la FAO « pour aider à renforcer les capacités des pays en matière de suivi, de contrôle et de surveillance des activités de pêche et de lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée. »
La Biodiversité
La réunion du Sous-Comité a également donné lieu à une discussion sur la manière d'intégrer la conservation de la biodiversité dans la gestion des pêches afin d'atteindre les objectifs fixés par le nouveau cadre mondial pour la biodiversité (CMB), et sur le soutien dont les communautés de pêche auraient besoin de la part de la FAO pour y parvenir.
Une déclaration commune de 15 organisations (communautés de pêche artisanale et ONG) souligne que les communautés de pêche ont, pendant des centaines d'années, gouverné, conservé et géré de manière durable les habitats, les stocks de poissons et les autres ressources naturelles dont elles dépendent : « Leur contribution à un environnement aquatique sain est au cœur de leur culture, leurs connaissances et leurs pratiques. » Les signataires ont salué l'engagement pris par la FAO d'accroître son soutien aux acteurs de la pêche artisanale dans leur rôle de gestionnaires des ressources : « nous sommes fermement convaincus que la FAO peut jouer un rôle clé en soutenant la mise en œuvre d'une conservation et d'une gestion des pêches fondées sur les droits humains. » La FAO devrait soutenir ses membres dans l’identification et la reconnaissance des initiatives de conservation communautaires existantes et nouvelles ; l’amélioration des mécanismes de suivi, d'évaluation et de rapport ; et la mobilisation de ressources nécessaires à la poursuite de ces efforts. Ils ont toutefois souligné que les initiatives de conservation, telles que les aires marines protégées (AMP), ne devraient pas être prises isolément, mais considérées comme faisant partie de processus de gestion transparents et participatifs plus larges : « Pour nous, ces éléments essentiels permettront d’atteindre les objectifs du CMD tout en respectant et en garantissant les droits des communautés de pêche artisanale, ceux des Peuples Autochtones, et l'avenir de moyens de subsistance liés à la pêche. »
Les membres de la FAO ont soutenu la nécessité de canaliser les perspectives des acteurs de la pêche dans la mise en œuvre du CMB, en soulignant le rôle des Peuples Autochtones et des communautés locales dans l'intégration de la biodiversité dans la pêche et l'aquaculture.
Prochaines étapes
Alors que la 36e session du COFI est prévue pour juillet 2024, et qu'elle sera précédée par le deuxième Sommet de la pêche artisanale, cette première réunion du Sous-Comité de gestion des pêches de la FAO a été l'occasion pour les membres de la FAO, les organisations de pêche artisanale et les ONG de soutien d'exprimer une série de préoccupations et de propositions sur des sujets clés. Lors de cette première réunion, la FAO a reçu de ses membres une feuille de route pour les travaux plus techniques que le Sous-Comité de la gestion des pêches devra réaliser dans les années à venir. Il semble que la majorité des membres sont conscients et réaffirment l'importance de la pêche artisanale. Reste à voir comment cela se passera dans la pratique.
Affaire à suivre.
Photo de la bannière : un menuisier sculptant une pirogue sur la plage de Grand Popo, à l'ouest du Bénin, par Joëlle Philippe.
Photo de l’encadré : une femme transformatrice à Kafountine, au Sénégal, par l'Agence Mediaprod.
Dans cet article, l'auteur analyse le rapport principal qui plaide pour une augmentation des financements en faveur de la conservation, Financing Nature, et s'appuie sur des exemples de pêche et de gouvernance des océans pour révéler les failles de ses calculs. L'auteur déplore également le fait que l'accent mis sur l'augmentation des dépenses détourne les discussions essentielles sur les causes profondes de la crise et il dénonce le rapport comme étant un outil au service du financement de la conservation, une publication performative qui présente des opportunités d'investissement privé.