La Commission européenne a lancé une consultation publique pour revoir sa politique de promotion des produits alimentaires - y compris les produits de la mer - à l'intérieur et à l'extérieur de l'UE, en vue de « renforcer sa contribution à la promotion d’une production et d’une consommation […] conformément aux stratégies de la Commission européenne ‘De la ferme à la table’ et ‘Biodiversité’ ».
Le consommateur européen moyen s'intéresse de plus en plus à la durabilité des aliments qu'il achète. D'autre part, il reste l'un des plus grands consommateurs de produits de la mer au monde, la consommation mondiale de poissons et d'autres produits de la mer ayant plus que doublé au cours des 50 dernières années. Dans un contexte de surexploitation de nombreuses ressources halieutiques, la promotion de la consommation de produits de la mer, qu'ils soient issus de l'aquaculture ou de la pêche, risque d'imposer à la chaîne d'approvisionnement des demandes impossibles à satisfaire si l'on veut acheminer au consommateur des quantités croissantes de produits de la mer de sources durables.
Nous estimons que, pour rester cohérente avec l'ensemble de ses stratégies et politiques, l'UE ne devrait pas promouvoir une consommation accrue de produits de la mer, car cela conduirait à des niveaux de consommation qui impliquent une production non durable de produits de la mer.
1. Le consommateur européen et la durabilité des aliments
La consultation publique, lancée depuis fin mars, indique ouvertement que l'UE vise à réduire la consommation de viande rouge et transformée et à passer à un régime alimentaire plus végétal. En septembre 2020, la Food Policy Coalition a souligné que la stratégie ‘De la ferme à la table’ de l'UE ignorait largement la production de produits de la mer et a rappelé que la pêche et l'aquaculture sont des facteurs clés de la perte de biodiversité mondiale, mais qu'elles ne peuvent être négligées car elles sont aussi des éléments importants pour un système alimentaire durable.
Les produits de la mer étant peu mentionnés dans cette consultation publique, il est à craindre que la Commission omette une fois de plus de prendre en compte les questions de durabilité liées à la consommation de poisson et de produits de la mer. En effet, avec une consommation estimée à 24,35 kg/an/par habitant, les Européens sont les deuxièmes consommateurs de produits de la mer au monde après les Asiatiques. La Commission a l'obligation de soutenir une consommation responsable, et devrait donc se concentrer sur la fourniture d'informations complètes et précises au consommateur sur les produits de la mer vendus sur les marchés de l'UE, plutôt que de promouvoir la consommation de produits de la mer. Ceci conformément à l'objectif stipulé pour l'organisation commune des marchés des produits de la pêche et de l'aquaculture, qui « devrait permettre aux consommateurs de faire des choix mieux informés et soutenir une consommation responsable » (voir §57 du préambule du règlement 1380/2013).
2. Pêche mondiale : une augmentation des stocks surexploités
Dans son dernier rapport sur la situation mondiale des pêches et de l'aquaculture (2020), la FAO a classé 34,2 % des stocks mondiaux de poissons comme étant surexploités, un pourcentage qui ne cesse d'augmenter chaque année. L'Union européenne et ses États membres ont déployé des efforts louables pour la reconstitution de certains stocks dans les eaux communautaires, mais l'état de certains stocks de la Méditerranée et de la mer Noire reste très préoccupant.
Compte tenu des quantités actuelles de poisson consommées en Europe, l'UE est contrainte d'importer de grandes quantités de poisson en provenance de pays tiers, y compris des poissons de pisciculture nourris avec des farines et des huiles de poisson transformées à partir de poissons sauvages.
En tant qu'importateur net, l'UE doit s'interroger sur la durabilité des pratiques de ses partenaires commerciaux en matière de produits de la mer et, parallèlement, sur la durabilité de la consommation européenne de ces produits. Dans son document, la Food Policy Coalition affirme que la stratégie ‘De la ferme à la table’ de l'UE devrait aller plus loin que la réglementation des importations de produits de la mer, et que « des mesures sont nécessaires pour réduire la consommation globale de ces produits ».
3. Les produits d'aquaculture et le mythe de la durabilité
Les problèmes de durabilité de la production mondiale de poissons sauvages ont été soulevés à plusieurs reprises par des ONG, des scientifiques, des décideurs, des journalistes, et certains ont présenté l'aquaculture comme une alternative. Le récit est qu'avec une population mondiale croissante, les pêcheries ne pourront pas répondre à la demande et que le poisson d'élevage apportera la solution. En 2014, pour la première fois dans l'histoire, les humains ont consommé plus de poisson de pisciculture que de poisson sauvage. Selon l'EUMOFA, même si la consommation apparente de fruits de mer par habitant en Europe est restée plus ou moins stable, la consommation de saumon, dont 99 % est issu de l'aquaculture, est passée de 1,7 kg/habitant à 2,25 au cours des dix dernières années.
Toutefois, se tourner vers les produits de la mer issus de l'élevage ne permettra pas de répondre aux préoccupations en matière de durabilité. Comme nous l'avons indiqué dans un document de position sur l'aquaculture industrielle en novembre dernier, un mythe très répandu est que l'aquaculture peut contribuer à mettre fin à la surpêche et à remplacer la pêche comme chaîne d'approvisionnement en produits de la mer. Cette croyance s'est ainsi installée dans l'esprit du citoyen européen moyen. Pourtant, ce que cette hypothèse omet, c'est que le poisson d'élevage doit être nourri, et généralement par du poisson sauvage transformé en farine de poisson.
Plusieurs rapports d'ONG ont montré comment les chaînes d'approvisionnement mondiales en aquaculture entraînent la destruction des stocks de poissons sauvages, mettant souvent en péril la sécurité alimentaire des pays en développement. Selon la fondation Changing Markets, qui mène une campagne de sensibilisation depuis quelques années, au moins un cinquième des poissons sauvages capturés est utilisé pour produire de la farine et de l'huile de poisson, que ce soit pour le bétail ou pour la pisciculture.
Le saumon et les crevettes figurent parmi les cinq premières espèces consommées par les Européens, dont 99 % et 49 % respectivement proviennent de l'aquaculture. Le saumon produit en Norvège et en Écosse et nourri avec de la farine et de l'huile de poisson provenant du Pérou et de la Mauritanie est ensuite vendu dans les supermarchés de toute l'Europe. Ces deux pays sont aussi les principaux fournisseurs « de farine et d’huile de poisson avec lesquels sont fabriqués les aliments aquacoles consommés par le secteur aquacole français », dénonce Changing Markets dans son rapport le plus récent. Dans ces conditions, il est contre-productif de promouvoir la consommation de poisson dans l'UE sans tenir compte des impacts de l'aquaculture et de la pêche dans les pays tiers.
3.1. LE PROBLÈME DE LA PRODUCTION DE FARINE DE POISSON EN AFRIQUE DE L'OUEST
Au cours de la dernière décennie, l'expansion déraisonnable des usines de farine de poisson, souvent installées par des sociétés étrangères, notamment chinoises, a décimé les stocks de petits pélagiques en Afrique de l'Ouest. Cette expansion a d'abord commencé en Mauritanie, puis s'est étendue au Sénégal et à la Gambie, et gagne maintenant des pays comme la Sierra Leone. « Les pêcheurs artisanaux sont poussés à approvisionner ces usines, ce qui fait perdre leur emploi à de nombreuses femmes transformatrices », a récemment dénoncé Gaoussou Gueye, président de l'Association sénégalaise pour la promotion et l'autonomisation des acteurs de la pêche maritime artisanale (APRAPAM), dans une récente interview.
Les petits pélagiques constituent la base de l'alimentation des communautés côtières d'Afrique de l'Ouest et la concurrence avec les usines de farine de poisson pour accéder à cette ressource entraîne une crise de la sécurité alimentaire dans la région, tandis que les pêcheurs et les femmes transformatrices de poisson perdent leurs emplois et leurs moyens de subsistance.
Le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l'alimentation a souligné que la dépendance à l'égard des poissons sauvages pour l'alimentation des poissons était l'un des principaux problèmes de l'aquaculture industrielle, en particulier des espèces carnivores. « Au cours de la dernière décennie, la farine de poisson est passée d'une utilisation dans l'élevage à une utilisation dans l'aquaculture. [...] Des rapports récents mettent en évidence une surpêche importante et des impacts négatifs sur les écosystèmes causés par l'industrie de la réduction ». Il a également averti que « l'utilisation de l'industrie pour produire du poisson d'élevage pour les consommateurs aisés peut se faire au détriment des populations plus pauvres qui pourraient bénéficier d'une meilleure disponibilité et accessibilité au poisson sauvage ».
À cet égard, il est essentiel que l'UE ne promeuve pas les produits issus de l'aquaculture, notamment les espèces carnivores qui doivent être nourries à partir de poissons sauvages. À la suite de la consultation de l'automne 2020, la Commission vient de publier de nouvelles lignes directrices sur l'aquaculture, qui invitent les États membres à revoir leurs plans nationaux pour garantir « des systèmes d'alimentation durables [...] utilisant des ingrédients d'aliments pour animaux dont l'origine est la plus respectueuse des écosystèmes et de la biodiversité ». C'est une mesure bienvenue, mais il reste à voir si et comment ces lignes directrices non contraignantes sont mises en œuvre au niveau national.
L'UE peut également utiliser son influence pour améliorer la gestion durable de ces stocks en Afrique de l'Ouest. Dans une récente déclaration du Conseil consultatif de pêche lointaine (LDAC), les parties prenantes de la chaîne de valeur de la pêche lointaine de l'UE et les ONG ont unanimement appelé la Commission à passer intensifier son action pour soutenir des mesures concrètes qui conduiraient à la formation d'une organisation régionale de gestion des pêches (ORGP) pour les espèces non-thonières en Afrique de l'Ouest.
3.2. LE PROBLÈME DES ÉCOLABELS
Au-delà de la promotion des produits de la mer, en tenant compte des questions de durabilité, la Commission doit également se pencher sérieusement sur les systèmes de certification. En effet, ces écolabels ne couvrent pas les questions sociales et environnementales aux niveaux inférieurs de la chaîne d'approvisionnement, notamment dans les pays en développement. Par exemple, ces certifications sont aveugles aux conditions de travail précaires des ouvriers et à la pollution subie par les communautés qui vivent à proximité des usines de farine de poisson.
Par exemple, la société française Olvea et plusieurs autres sociétés européennes impliquées dans l'approvisionnement en farine de poisson des élevages de saumon européens ont financé un ‘Projet d'amélioration des pêches’ (PIP) dans le but d'écolabelliser les produits à base de farine et d'huile de poisson d'Afrique de l'Ouest, fabriqués à partir de stocks de petits pélagiques surexploités. Comme l'affirme Andre Standing, conseiller de CAPE, l'éco-étiquetage « ignore le point fondamental selon lequel les droits des pêcheurs artisanaux locaux, des transformateurs et des commerçants de produits alimentaires, ainsi que le droit à l'alimentation des populations de la région, doivent primer sur les profits des entreprises des pays développés ».
L'UE devrait plutôt veiller à ce que les normes de durabilité environnementale et sociale les plus strictes s'appliquent à tous les produits issus de l'exploitation des océans. Dans ce processus, l'UE devrait bien sûr aider les pays en développement à s'engager et à réaliser les changements nécessaires pour respecter ces normes, par le biais de partenariats internationaux, de la coopération et des politiques commerciales.
Conclusion
Le marché de l'UE est le marché le plus important et le plus lucratif au monde pour les produits de la mer. Compte tenu des enjeux liés à la durabilité de la pêche sauvage et de l'aquaculture industrielle, et de l'obligation de l'UE de soutenir une consommation responsable, il est clair que l'UE ne doit pas promouvoir la consommation de produits de la mer, mais plutôt se concentrer sur la communication d'informations précises et complètes aux consommateurs.
En outre, l'UE doit se pencher sérieusement sur les questions environnementales et sociales plus larges tout au long des chaînes de valeur de la pêche, y compris pour les importations, afin de garantir que tous les produits de la mer issus de l'exploitation des océans sont durables. À cet égard, l'UE devrait décourager la consommation de produits issus de l'aquaculture intensive qui dépendent de la farine de poisson et également mettre un terme aux importations de produits de la mer qui ont été produits en violant les droits des travailleurs, soit en exigeant la privatisation de vastes zones côtières, en déplaçant des communautés ou en détruisant des écosystèmes vitaux, tels que les mangroves.
Il est impossible pour les citoyens européens de continuer à consommer les mêmes quantités de produits de la mer tout en s'assurant qu'ils sont produits dans des conditions durables. L'UE devrait promouvoir une diminution générale de la consommation de poisson, en privilégiant la qualité à la quantité, en consommant du poisson sauvage issu d'une pêche durable sur le plan environnemental et social, à faible impact et de préférence locale, tout en encourageant également une aquaculture à faible impact ou réparatrice, comme celle des moules, des huîtres ou des algues.
Photo de l’entête: Étalage de poisson sur un marché en Grèce, par Marko Markovic.
En septembre 2024, les Ministres en charge de la Pêche de l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OEACP) se sont rencontrés à Dar es Salaam (Tanzanie) pour échanger sur le thème « Accélérer les actions pour les océans, une pêche et une aquaculture durables et résilients dans les pays et régions membres de l’OEACP ».