Dans cet article, l'auteure examine les défis et les opportunités auxquels est confronté le secteur de la pêche artisanale du Liberia. Bien que vitale pour la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance, la pêche artisanale est minée par la concurrence des flottes industrielles étrangères, la diminution des ressources halieutiques et des mesures de gestion qui handicapent son développement durable. Des initiatives régionales et des projets financés par l'UE visent à résoudre ces problèmes en promouvant une gouvernance durable de la pêche, en protégeant les zones de pêche artisanale et en impliquant les communautés de pêche artisanale dans la prise de décision. Toutefois, des problèmes structurels, notamment le nom respect de la zone d'exclusion côtière (ZEC), continuent de menacer le potentiel du secteur.
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En septembre 2024, la directrice générale de l’Autorité nationale des pêches et de l’aquaculture du Liberia (NaFAA), Emma Glassco, a souligné que « la pêche artisanale constituait la pierre angulaire de la sécurité alimentaire, de la nutrition et de la création de revenus pour de nombreuses familles rurales… Elle a été sous-appréciée, sous-documentée et insuffisamment soutenue, cela doit changer ».
Au Liberia, le secteur de la pêche artisanale a le potentiel de fournir des moyens de subsistance durables et d’assurer la nutrition et la sécurité alimentaire. Ainsi, afin de protéger les ressources et les écosystèmes d’une pêche destructrice non durable, d’améliorer et de protéger l’accès des communautés de pêche artisanales aux ressources halieutiques, et d’améliorer leurs conditions de travail et de vie, le pays devra faire face à des défis de taille.
1. Liberia : les eaux les plus poissonneuses d’Afrique, la consommation de poisson la plus faible
Le Liberia possède d’abondantes ressources naturelles, dont certaines des zones de pêche les plus riches du monde le long de ses 579 km de côtes. Et pourtant, la consommation de poisson y est l’une des plus faibles d’Afrique de l’Ouest, se situant entre 5 et 10 kg par habitant et par an, alors que dans les pays voisins – Sierra Leone, Côte d’Ivoire, Ghana et Gambie – la consommation annuelle par habitant est supérieure à 20 kilos.
Le secteur de la pêche industrielle ne contribue en rien à la sécurité alimentaire. Le manque d’infrastructures portuaires capables d’accueillir des navires industriels signifie que ces derniers ne débarquent pas leurs captures – thon, crevettes, etc. – au Liberia, mais plutôt en Côte d’Ivoire ou au Sénégal, d’où ces produits de valeur seront acheminés vers les marchés d’exportation lucratifs d’Europe ou d’Asie.
Ce sont les 33 000 pêcheurs artisans, les transformatrices et négociants en poisson qui fournissent chaque année, en moyenne, 18 000 tonnes de poisson pour le marché local, apportant ainsi une contribution essentielle à la nutrition et à la sécurité alimentaire. Le poisson représente environ 15 % de l’apport en protéines animales des Libériens et constitue la deuxième denrée alimentaire la plus achetée. Mais cela ne suffit pas à répondre aux besoins de la population, et le pays est un importateur net de poisson : entre 2014 et 2020, le Liberia a importé environ 33 000 tonnes de poisson par an.
2. Flottes industrielles d’origine étrangère : faibles retombées pour le Liberia et dommages considérables à la pêche artisanale
L’un des premiers défis à relever concerne les navires industriels d’origine étrangère qui pêchent dans les eaux libériennes et concurrencent directement les pirogues artisanales. Jusqu’en 2020, les thoniers originaires de l’UE qui pêchaient dans le cadre de l’APPD UE-Liberia constituaient la plus grande flotte d’origine étrangère pêchant dans les eaux libériennes. L’APPD n’a pas été renouvelé en raison d’un carton jaune adressé au Liberia pour son manque de collaboration dans la lutte contre la pêche illégale, non-déclarée et non-règlementée (INN). Mais, les communautés de pêche artisanale du Liberia sont davantage préoccupées par la flotte de chalutiers dont la grande majorité bat pavillon chinois. Ces navires ciblent des espèces démersales et pélagiques et opèrent dans la zone côtière où les pêcheurs artisans pêchent aussi.
Les chalutiers SOKONE and KANBAL III, qui appartiennent tous deux et à la compagnie sénégalaise Soperka et à la compagnie espagnole Grupo Pereira, ont reçu une autorisation temporaire pour une pêche expérimentale de crevettes d’eau profonde dans les eaux libériennes. Le SOKONE n’a transmis aucune donnée de captures aux autorités libériennes. Photo de Vladimir Knyaz.
Un récent rapport de recherche de l’ONG Conservation International et de l’Université du Liberia, intitulé "Addressing harm in distant-water fishing in Liberia" (« Lutte contre les méfaits de la pêche lointaine au Liberia »), examine l’impact direct et indirect des navires industriels sur les pêcheries locales et les communautés côtières.
Le rapport souligne que les chalutiers chinois et les pêcheurs artisans sont en concurrence pour les mêmes groupes d’espèces et que « les captures (par navire) débarquées par les pêcheurs artisans ont considérablement diminué au cours de la dernière décennie, alors que les captures (par navire) des chalutiers d’origine lointaine ont augmenté au cours de la même période ». Les pêcheurs locaux se sont en outre plaints de la destruction de leurs engins de pêche et de la perturbation de l’environnement dans les zones de pêche en raison de cette concurrence.
L’étude souligne également que les opérations des chalutiers battant pavillon chinois ne semblent pas rentables : « on peut se demander pourquoi les chalutiers continuent d’opérer dans la zone économique exclusive du Liberia, compte tenu de leurs résultats économiques médiocres. Parmi les explications possibles, on peut citer le fait que la flotte reçoit des subventions gouvernementales, qu’elle sous-déclare ses captures ou qu’elle est présente pour des raisons géopolitiques plutôt qu’économiques ». Le fait que les navires industriels ne débarquent pas au Liberia complique également le contrôle des opérations des navires et crée un cadre qui favorise la sous-déclaration les captures. Nous avons affirmé que c’était le cas avec des chalutiers d’origine espagnole, battant pavillon sénégalais – certains experts affirment qu’entre 85 % et 91 % des captures industrielles au Liberia ne sont jamais déclarées aux autorités libériennes.
L’étude conclut que « malgré la mise en œuvre réussie de la zod’exclusion côtière (ZEC) du Liberia qui protège les 6 premiers milles nautiques pour les pêcheurs artisans, la flotte de chalutiers d’origine lointaine continuent d’avoir un impact négatif sur les communautés de pêche côtières ». Cependant, il est important de noter que la ZEC ne protège que partiellement les activités des pêcheurs artisans, car, depuis 2019, certains chalutiers sont autorisés à opérer dans la ZEC, jusqu’à 4 milles nautiques.
Enfin, l’étude souligne que la NaFAA, en tant qu’organisme de réglementation autonome, est responsable de son propre budget, financé par les revenus du secteur. La NaFAA doit non seulement financer ses frais de fonctionnement, mais elle est également tenue de verser 40 % de ses recettes au Trésor public. Une part importante de ces fonds provient de l’octroi de licences à des navires industriels. En 2020, ces droits atteindront 3 millions USD : « La NaFAA est donc désavantagée en ce qui concerne son pouvoir de négociation avec les flottes de pêche lointaine, car elle dépend fortement de ces revenus provenant des licences et des droits d’accès. » La dépendance de l’administration en charge de la gestion des pêches vis-à-vis des redevances d’accès aux navires industriels soulève également des questions quant à son indépendance vis-à-vis des puissants opérateurs de pêche industrielle d’origine lointaine ainsi que sa capacité à protéger efficacement les intérêts des communautés de pêche artisanale face aux chalutiers d’origine étrangère qui souhaitent accéder à la ZEC.
3. L’approche régionale : un atout pour les communautés de pêche
Mi-décembre 2024, le Comité des Pêches du Centre-Ouest du Golfe de Guinée (CPCO), qui regroupe le Liberia, la Guinée, le Ghana, le Nigeria, le Bénin et le Togo, s’est réuni à Monrovia pour sa 15e Conférence ministérielle. Sous la nouvelle présidence du Liberia, la Conférence des ministres a accueilli, pour la première fois, la participation des représentants des communautés de pêche artisanale, où la CAOPA et son membre local, LAFA, ont eu l’occasion de contribuer aux échanges formels.
La zone d'exclusion côtière réservée aux pêcheurs artisans doit être clairement délimitée et protégée par des moyens appropriés afin d'empêcher toute incursion de navires de pêche industrielle. Photo de Aristotlè Guweh Jr.
Dans son intervention, Gaoussou Gueye, président de la CAOPA, a souligné que la contribution de la pêche artisanale à la sécurité alimentaire et à la résilience des écosystèmes suppose en premier lieu que les pays membres mettent en place et assurent la protection de zones réservées à la pêche artisanale : « Il faut clairement délimiter ces zones et les protéger par des moyens appropriés. Les autorités doivent établir des cadres juridiques pour empêcher l’incursion de navires de pêche industrielle, tels que les chalutiers, dans la zone."
Pour la CAOPA, il est important de promouvoir la cogestion de ces zones de manière transparente, en incluant tous les acteurs de la pêche artisanale, y compris les femmes actives dans le secteur. « L’objectif de cette cogestion doit être non seulement de garantir la pérennité des ressources et d’encourager leur utilisation durable au profit des populations locales, mais aussi de protéger les écosystèmes marins et côtiers, fragilisés par la surpêche, les méthodes de pêche destructrices et les conséquences du changement climatique », a expliqué M. Gueye.
Au Liberia tout comme dans d’autres pays, bien que l’UE encourage la cogestion dans le secteur de la pêche, la participation informée des hommes et des femmes de la pêche artisanale au processus décisionnel reste un défi. C’est encore plus vrai lorsqu’il s’agit d’établir des mesures restrictives telles qu’une période de fermeture de la pêche.
« L’initiative du CPCO de mettre en œuvre une saison de fermeture de la pêche doit être discuté en collaboration avec les communautés de pêche artisanale, notamment au niveau de l’aide que les États membres pourraient leur apporter pendant cette période ». »
Le CPCO a lancé une initiative pour, à long terme, l’adoption d’une période de fermeture de pêche par ses États membres harmonisée au niveau régional. Sous l’impulsion du CPCO, le Liberia a proposé l’année dernière d’introduire une saison de fermeture de la pêche. Les représentants des communautés de pêche artisanale libériennes ont déclaré que ce plan pourrait être une solution face aux captures en déclin, mais ils ont ajouté qu’un soutien pour assurer leur subsistance devrait être envisagé pendant cette saison de fermeture. En outre, ils considèrent que la saison de fermeture doit s’appliquer en premier lieu aux navires industriels qui récoltent une grande partie du poisson du pays, y compris dans les eaux littorales qui sont censées être le domaine exclusif des pêcheurs artisans.
Ce sentiment est partagé par les pêcheurs d’autres pays de la région, comme au Ghana. En 2019, le Ghana a été le premier État membre du CPCO à mettre en œuvre une période de fermeture annuelle afin de favoriser la reconstitution des stocks halieutiques surexploités. Étant donné que 81 % des pêcheurs artisans du Ghana vivent uniquement de la pêche et n’ont pas d’activité alternative pendant la période de fermeture de la pêche, cette mesure a des conséquences désastreuses pour ces 3 millions de pêcheurs. Les mesures prises par le gouvernement, notamment la distribution de sacs de riz et d’huile de cuisine, sont jugées insuffisantes par les communautés de pêche artisanale. Pendant ce temps, d’autres menaces pèsent sur les ressources halieutiques – les pratiques de chalutage illégales ou l’exploitation minière illégale – sans pour autant faire l’objet de mesures suffisamment énergiques de la part des autorités.
Le fait que le CPCO joue un rôle déterminant au niveau de l’harmonisation des mesures pour une saison fermeture de la pêche est une opportunité pour discuter, en collaboration avec les communautés de pêche artisanale, du soutien que les Etats membres devraient leur apporter pendant cette période particulière.
Une autre mesure en faveur de la pêche artisanale, qui gagnerait à être discutée au niveau du CPCO, est la fixation des coûts d’accès aux ressources pour les pêcheurs artisans. Cette mesure devrait être prise en tenant compte de leur contribution essentielle à la sécurité alimentaire et à la création d’emplois.
« La NaFAA prend en charge ses propres frais de fonctionnement, mais elle est également tenue de verser 40 % de ses recettes au Trésor public. Comme une part importante de ces fonds provient de l’octroi de licences pour les navires industriels (3 millions USD en 2020), l’agence est désavantagée en ce qui concerne son pouvoir de négociation avec les flottes d’origine lointaine, car son budget dépend fortement de ces licences ». »
Au Liberia, le niveau des droits de licence demandés aux pêcheurs artisans soulève de nombreuses inquiétudes : les pirogues d’une puissance inférieure ou égale à 15 CV doivent s’acquitter de la somme de 250 USD, tandis que les pirogues d’une puissance inférieure ou égale à 40 CV, doivent payer 475 USD.
Dans son rapport sur l’analyse de la pauvreté au Liberia de 2024, l’Agence suédoise de coopération internationale pour le développement (Sida) souligne que « la pauvreté est très répandue au Liberia, avec environ 30 % de la population vivant en dessous du taux d’extrême pauvreté internationale de 2,15 USD par personne et par jour. Si l’on se réfère au taux de pauvreté moyenne de 3,65 USD, la proportion de la population vivant en dessous de ce seuil atteint près de 70 %. »
La grande majorité des travailleurs et travailleuses de la pêche artisanale entrent dans ces catégories, ce qui signifie que les frais de licence pour les pirogues représentent l’équivalent de plusieurs mois du revenu d’un pêcheur moyen. Ce niveau de frais de licence pour la pêche artisanale est inédit dans la région. À titre de comparaison, les frais de licence pour les petites pirogues au Sénégal s’élèvent à 15 000 CFA (23 USD), soit 12 fois moins qu’au Liberia.
Cette situation fait peser une charge disproportionnée sur les épaules des pêcheurs, mettant en péril leur avenir et le rôle qu’ils peuvent jouer dans la sécurité alimentaire. L’imposition de ces droits a récemment entraîné la confiscation par les autorités de moteurs appartenant à des pêcheurs artisans qui ne pouvaient pas payer ce montant exorbitant, les privant ainsi de leurs moyens de subsistance et mettant en péril la contribution du secteur à la sécurité alimentaire du pays.
Communauté de pêche artisanale de King Gray dans le quartier de Paynesfield à Monrovia, Liberia. La NaFAA a confisqué les moteurs de certains pêcheurs qui n'avaient pas payé les 250 dollars de frais de licence de pêche, une somme équivalente à plusieurs mois de salaire. Photo by George Harris.
Enfin, un engagement régional des États membres du CPCO en faveur de la protection des zones de pêche artisanale, d’une cogestion efficace et d’une participation éclairée des communautés de pêche – comme le demande la CAOPA – pourrait contribuer à relever les défis communs en matière de gestion des pêches. Bien mis en œuvre, ces éléments pourraient également harmoniser les mesures de gestion et garantir le respect des droits des communautés de pêche locales et la prise en compte de leurs besoins.
4. Intervention de l’UE: la politique de la carotte et du bâton
En 2017, le Liberia a reçu un avertissement de l’UE pour son incapacité à lutter efficacement contre la pêche illégale. Le Liberia possède le deuxième plus grand registre de navires au monde, avec plus de 100 navires de pêche sous pavillon libérien. Or, selon l’UE, les autorités libériennes ne disposaient pas des informations ou des moyens nécessaires pour surveiller et contrôler la flotte battant son pavillon. À l’époque, l’UE s’était également inquiétée des propositions du Liberia visant à réduire la zone d’exclusion côtière (ZEC), une mesure qui « compromet la conservation et la gestion durable des stocks de poissons. »
Huit années se sont écoulées et malgré de nombreuses initiatives et projets visant à aider le Liberia à lutter contre la pêche INN, la situation ne s’améliore pas. En juillet 2024, il a été rapporté que, lors d’une réunion en marge du Comité des pêches de la FAO, l’UE avait averti le pays de l’imminence d’un carton rouge, « compte tenu des preuves croissantes de mauvaise gestion et de violations au sein du secteur de la pêche du Liberia, impliquant en particulier l’Autorité nationale des pêches et de l’aquaculture (NaFAA). » La Commission européenne a également souligné un manque de transparence et un non-respect des procédures pour sanctionner les navires battant pavillon libérien surpris en train de pêcher illégalement.
Un « carton rouge » pour la pêche INN entraînerait diverses sanctions, notamment l’interdiction pour les produits de la mer libériens d’entrer sur le marché de l’UE. Toutefois, les importations de poisson libérien sur le marché de l’UE sont quasiment inexistantes, ce qui rend cette conséquence particulière sans effet... Mais d’autres impacts seraient plus fortement ressentis : la réputation du Liberia en tant qu’État du pavillon serait entachée au niveau international, et un carton rouge signifierait que le renouvellement du protocole de l’accord de partenariat pour une pêche durable (APPD) entre le Liberia et l’UE, actuellement en sommeil, serait encore plus improbable. En effet, lorsqu’un pays partenaire de l’APPD reçoit un avertissement pour manque de coopération dans la lutte contrea pêche INN, cela stoppe toute négociation pour le renouvellement d’un protocole d’APPD.
« Le fait que les navires industriels ne débarquent pas au Liberia complique le suivi de leurs opérations et encourage la sous-déclaration des captures. Les experts estiment qu’entre 85 % et 91 % des captures industrielles ne sont pas déclarées aux autorités libériennes ». »
Entre 2015 et 2020, le protocole de l’APPD UE-Liberia a offert des possibilités de pêche à 34 thoniers. Le revenu annuel du Liberia provenant de l’APPD s’élevait à environ 1 million d’euros, qui se composent de l’appui sectoriel et des droits de licences des opérateurs. Ce montant représentait 32 % des recettes brutes totales de la NaFAA, et 21 % des recettes nettes totales de la NaFAA après le paiement de la part gouvernementale des recettes d’accès (l’appui sectoriel n’est pas partagé avec le gouvernement).
Au moment de l’évaluation de l’APPD, les ONG et les syndicats européens se sont plaints que « l’appui sectoriel de l’UE ait été utilisé exclusivement pour soutenir le fonctionnement de la NaFAA, sans aucune mesure d’aide sectorielle bénéficiant directement aux communautés de pêche artisanale ou visant à la formation des pêcheurs ».
Quoi qu’il en soit, l’absence d’un protocole d’APPD thonier a fait disparaître une importante source de revenus pour la NaFAA, et l’agence cherche à maximiser la part de ses revenus provenant des navires non européens, tels que les chalutiers d’origine étrangère. Il sera probablement difficile de trouver un équilibre entre ces besoins de financement et les questions de durabilité soulevées par l’octroi de licences aux chalutiers d’origine étrangère.
À l’avenir, la renégociation éventuelle d’un APPD pourrait toutefois contenir des clauses préoccupantes pour les communautés de pêche artisanale, en particulier si l’APPD est étendu à d’autres espèces que le thon. Par exemple, la crevette d’eau profonde a déjà été pratiquement anéantie par les chalutiers sénégalais d’origine espagnole. Si un nouveau protocole d’APPD autorisait l’arrivée de chalutiers originaire de l’UE, cela ne ferait qu’aggraver les dégâts dans une zone côtière libérienne déjà malmenée.
En ce qui concerne les initiatives prises pour le développement du secteur de la pêche, la Banque mondiale est le principal partenaire du Liberia. Actuellement, le projet de la Banque mondiale sur la gestion durable des pêches (2021-2026), auquel l’UE contribue, prévoit le développement d’infrastructures portuaires pour la pêche industrielle et artisanale. Celles-ci comprendraient des installations à terre pour la vente à la criée, un quai de débarquement, un marché aux poissons, une zone de transformation et des équipements collectifs nécessaire à la production de glace et à l’entreposage frigorifique solaire.
L’UE, elle-même, finance plusieurs projets qui, en partie du moins, visent à bénéficier aux communautés locales de pêche artisanale. Par exemple, l’assistance technique « Food Systems Governance » Fisheries Project (2024-2026) vise à renforcer la NaFAA et à améliorer la gestion du secteur de la pêche au Liberia. Les domaines d’intervention comprennent l’amélioration de la chaîne de valeur de la pêche, la lutte contre la pêche INN et la promotion de la transparence. Le projet vise également à aider le Liberia à lever le « carton jaune » de l’UE, ce qui est crucial pour accéder aux marchés de l’UE et attirer les investissements étrangers.
Le nouveau projet de gouvernance des pêches au Liberia financé par l’UE (2024-2027), vise à « améliorer la gouvernance, la démocratie et la responsabilité dans le paysage côtier ». Les objectifs comprennent la promotion de l’approche de l’association de cogestion, le renforcement de la participation des femmes, des jeunes et des personnes marginalisées dans l’économie côtière, et le plaidoyer en faveur de la gouvernance durable et des droits des pêcheurs. Ce projet fait suite au projet Communautés pour la pêche (2023) mis en œuvre par la Environmental Justice Foundation en collaboration avec la NaFAA, qui a mené à la création d’associations de cogestion dans quatre des neuf comtés côtiers du Liberia : Grand Kru, Grand Bassa, Margibi et Grand Cape Mount.
Ces projets montrent qu’au fil des ans, l’UE s’est davantage concentrée sur le soutien à la pêche artisanale. Mais cela a-t-il vraiment changé la donne pour les communautés de pêche locales ?
Conclusion
Que ce soit à travers le dialogue sur la pêche INN ou les projets de développement des pêches soutenus, l’UE montre son engagement à soutenir la pêche durable au Liberia, y compris pour le secteur artisanal, afin qu’il puisse fournir des moyens de subsistance décents aux communautés côtières et mieux contribuer à la sécurité alimentaire. Toutefois, le succès de ces diverses initiatives visant à établir un cadre pour la pêche artisanale durable dépend invariablement de la protection et de l’amélioration de l’accès des pêcheurs artisans à des ressources halieutiques côtières saines, conformément aux engagements internationaux tels que l’ODD 14b ou les Directives volontaires de la FAO visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l’éradication de la pauvreté.
Lors de la réunion ministérielle du CPCO, la CAOPA a insisté sur la nécessité d’assurer la protection totale de la zone d’exclusion côtière et veiller à ce qu’elle soit gérée en collaboration avec les communautés côtières, et dans leur intérêt. Une zone d’exclusion de 6 milles où certains chalutiers sont autorisés à venir n’est pas une zone d’exclusion. Enfin, si les communautés de pêche artisanale se voient imposer sans consultation préalable des saisons de fermeture ou le paiement de licences de pêche, cela va à l’encontre d’une mise en œuvre appropriée de la cogestion de la pêche que l’UE soutiendrait.
Si l’UE veut que ses initiatives en faveur du secteur artisanal libérien portent leurs fruits, ces questions difficiles et litigieuses doivent être abordées dans le cadre du dialogue qu’elle entretient avec le Liberia.
Photo de l’entête : Monrovia, Liberia, de CanvaPro.
La pêche artisanale est menacée par la concurrence des flottes industrielles étrangères, le déclin des ressources halieutiques et les mesures de gestion qui nuisent à leur développement durable. Alors que les projets financés par l'UE visent à résoudre ces problèmes en promouvant une gouvernance durable de la pêche, des défis structurels, notamment l'application inadéquate de la Zone d'exclusion côtière (ZEC), subsistent.