Les parties prenantes de l'UE demandent une concurrence équitable entre les produits de la mer de l'UE et ceux des pays tiers

Le 25 mai, le Conseil consultatif de la pêche lointaine (LDAC) a adopté à l'unanimité un avis à la Commission européenne demandant des “conditions de concurrence équitables pour les produits de la pêche de l'UE et des pays tiers”. L'objectif de ce document est de "mettre en évidence les domaines et les facteurs affectant le ‘level playing field’ [des conditions de concurrence équitables ou égalité de traitement, ndlt] pour les opérations de pêche dans les eaux extérieures de l'UE, en se référant à la mise en œuvre des objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies et des principales politiques de l'UE.

Cet organe consultatif composé de parties prenantes de la chaîne de valeur de la pêche longue distance de l'UE et d'ONG, insiste sur le fait qu'un ‘terrain de jeu inégal’ les affecte négativement car leur compétitivité est “minée par des acteurs qui ne sont pas soumis à des normes environnementales, sociales ou de travail strictes ou qui ne partagent pas ces normes”.

« Le ‘level playing field’ est un concept décrivant la situation dans laquelle chacun des participants à une activité spécifique a les mêmes chances de réussir. Dans le monde du commerce international, le level playing field est basé sur le concept d’équité, dans le sens où les acteurs économiques doivent opérer sous les mêmes règles...” »
— Traduction libre de MARINNLEG (2020), Level Playing Field y la Pesca. Condiciones principales y recomendaciones. Vigo, 2020, pp. 3-4

Cet avis est une contribution à la révision en cours de la Politique Commune de la Pêche (PCP) et, à cet égard, il identifie plusieurs domaines à améliorer dans la dimension externe de la PCP, notamment en ce qui concerne la mise en œuvre des instruments internationaux relatifs à la gouvernance des pêches, au commerce et aux aspects sociaux, y compris les droits du travail.

1. ACCORDS DE PARTENARIAT POUR UNE PÊCHE DURABLE

Le LDAC considère que les accords de partenariat pour une pêche durable (APPD) constituent jusqu'à présent le meilleur outil pour garantir une pêche durable par l'UE dans les eaux des pays tiers.

Néanmoins, l'avis identifie trois domaines à améliorer :

  1. Une meilleure mise en œuvre de la clause de non-discrimination, qui vise à garantir l'égalité des conditions d'accès (comme les zones de pêche) entre les flottes de l'UE et les autres flottes étrangères pêchant dans les eaux des partenaires de l'APPD;

  2. Une systématisation et une meilleure mise en œuvre de la clause de transparence, qui prévoit la publication d'informations relatives à d'autres accords de pêche privés et publics avec des pays tiers, afin de pouvoir évaluer le niveau d'exploitation des stocks dans les eaux du pays côtier ; et

  3. une meilleure cohérence des politiques de développement entre toutes les politiques communautaires pertinentes, telles que la politique de la pêche, les accords commerciaux de l'UE et les politiques de développement et de coopération.


2. LE RÈGLEMENT SUR LA GESTION DURABLE DES FLOTTES DE PÊCHE EXTÉRIEURES (SMEFF)

Étant donné que tous les navires n'opèrent pas sous les auspices d'un APPD, le règlement 2017/2403 a été adopté pour garantir un suivi efficace de tous les navires de l'UE qui opèrent en dehors des eaux de l'UE, quel que soit le cadre dans lequel ils opèrent. Le règlement SMEFF contribue à établir un level playing field entre les flottes des États membres, car il exige que tous les navires de l'UE qui pêchent fournissent des informations précises et complètes concernant la durabilité et la légalité de leurs opérations avant que leur État membre ne leur délivre une autorisation de pêcher dans les eaux de pays tiers (art. 17) [voir note 1 tout en bas]. Le SMEFF exige également que la Commission tienne une base de données partiellement publique avec toutes les autorisations (art. 39).

Cependant, comme le souligne le LDAC, la mise en œuvre est encore déficiente, et appelle la Commission à être plus proactive en prenant des mesures contre "les États membres qui ne fournissent pas les informations en temps voulu et de manière précise" et à fournir une base de données publique “user-friendly” [facile à utiliser, ndlt] "sans autre retard injustifié."

A. AUTRES NATIONS de pêche lointaine ET SOCIETÉS NATIONALES À CAPITAUX ÉTRANGERS

L'avis exprime des préoccupations concernant les autres flottes de pêche lointaine non européennes, qui ne sont pas soumises aux mêmes normes de durabilité et de transparence : l'UE devrait "intensifier son engagement avec les autres grandes nations de pêche lointaine en vue d'atteindre des normes équivalentes" et encourager les pays côtiers à renforcer leurs exigences en matière de durabilité et de transparence et à publier les accords d'accès et la liste des navires autorisés à pêcher dans leurs eaux, dans l'esprit de la clause de non-discrimination.

Depuis dix ans, les organisations africaines de pêche artisanale demandent à leurs gouvernements plus de transparence sur les sociétés nationales de pêche à capitaux étrangers.

La LDAC demande également à l'UE de commencer un dialogue avec les pays africains afin d'élaborer un cadre juridique garantissant que ces sociétés nationales à capitaux étrangers "opèrent de manière transparente, ne concurrencent pas la pêche artisanale et contribuent aux objectifs de développement du pays". Cela fait écho aux demandes des organisations professionnelles de la pêche locales et régionales africaines, qui soulignent depuis dix ans les impacts de ces sociétés de pêche à capitaux étrangers sur les communautés côtières, et demandent la création d'un cadre transparent et durable pour leurs activités.

B. LES BÉNÉFICIAIRES EFFECTIFS ULTIMES DE L'UE

L'avis dénonce également le cas des sociétés nationales de façade dont les bénéficiaires effectifs ultimes sont des ressortissants européens, opérant dans les eaux de pays ayant reçu un carton jaune de l'UE. Ces navires profitent de la faiblesse des cadres juridiques pour mener souvent des activités non durables, voire illégales.

CAPE a récemment critiqué le cas du Cameroun, un pays avec un carton jaune, qui a récemment repavillonné plus d'une douzaine de navires de l'ex-URSS qui sont la propriété ou gérés par des sociétés basées dans des États membres de l'UE : Belgique, Malte, Lettonie et Chypre. Plusieurs de ces navires ont un passé de pêche illégale en Afrique de l'Ouest. Lors d'une récente conférence sur la dimension extérieure de la PCP, Beatrice Gorez, coordinatrice de CAPE, a demandé que la Commission "ne soit pas forte avec les faibles (en donnant un carton jaune INN aux pays les moins développés comme la Sierra Leone, le Liberia, le Cameroun) et faible avec les forts (en laissant les bénéficiaires effectifs de l'UE profiter d'activités illégales)".

Dans ce contexte, l'avis recommande à l'UE de "faciliter l'accès du public aux informations sur les bénéficiaires effectifs (limitées au nom, au pays de résidence et à la nationalité des bénéficiaires effectifs, ainsi qu'à la nature et à l'étendue des intérêts bénéficiaires détenus) lorsqu'il existe un intérêt public supérieur à la divulgation de ces informations en cas d'implication avérée dans des opérations de pêche INN, de corruption ou de blanchiment d'argent”.

3. COMMERCE

A. LE SYSTEME DE PREFERENCES GENERALISEES

Le SPG contribue à la promotion du développement durable, mais le LDAC insiste sur le fait qu'il devrait également se traduire par des conditions de concurrence équitables à l'extérieur, en garantissant que les produits de la mer importés respectent "les mêmes normes que les produits de la pêche de l'UE." Comme le soulignent les parties prenantes de l'UE, certains de ces pays n'ont pas ratifié bon nombre des conventions et accords internationaux relatifs à la pêche INN ou aux normes de travail à bord des navires, par exemple. La Commission devrait inclure une liste de neuf instruments juridiques internationaux pertinents [voir note 2 tout en bas pour les détails] que les pays bénéficiaires du SPG+ devraient être tenus de ratifier et de mettre effectivement en œuvre.

En outre, si un pays bénéficiaire viole les droits fondamentaux de l'homme ou du travail ou d'autres principes des conventions internationales relatives à la protection de l'environnement, la Commission devrait "s'engager immédiatement avec le pays pour remédier rapidement à la situation".

B. garantir DEs NORMES SOCIALES ET ENVIRONNEMENTALES POUR LES IMPORTATIONS

Le LDAC rappelle que la stratégie ‘de la ferme à la table’ (F2F) "ignore presque totalement la production de produits de la mer". Or, plusieurs engagements de la stratégie seraient "inestimables pour promouvoir une pêche durable par le biais du commerce". Pour cela, elle appelle à accorder plus d'attention aux chaînes de valeur de la pêche dans les pays tiers, en garantissant des normes sociales et environnementales durables.

En raison de la demande accrue de petits pélagiques pour les usines de farine de poisson en Afrique de l'Ouest, les femmes transformatrices de poisson ont du mal à accéder aux matières premières pour transformer le poisson afin de nourrir les popula…

En raison de la demande accrue de petits pélagiques pour les usines de farine de poisson en Afrique de l'Ouest, les femmes transformatrices de poisson ont du mal à accéder aux matières premières pour transformer le poisson afin de nourrir les populations. Photo: Mamadou Aliou Diallo.

L'UE a récemment annoncé son intention de rédiger une législation visant à empêcher les importations associées à des violations des droits de l'homme. L'avis met en évidence deux cas de violations liées aux importations de produits de la mer : la production de farine et d'huile de poisson en provenance d'Afrique de l'Ouest, qui menace le droit à l'alimentation des populations ; et les "violations des droits du travail par certaines flottes de pêche, usines de production aquacole et usines de transformation de pays tiers qui fournissent des produits de la mer au marché de l'UE". Le LDAC demande que la nouvelle législation tienne pleinement compte des violations des droits de l'homme liées aux importations de produits de la mer de l'UE.

Cet avis est une étape bienvenue car il reflète non seulement les intérêts communs des différentes parties prenantes de LDAC, y compris le secteur de la flotte de pêche lointaine de l'UE, les syndicats de travailleurs et les ONG de l'environnement et du développement, mais aussi les opinions des communautés de pêche artisanale africaines, car il cherche à promouvoir des conditions sociales et environnementales durables dans les pays tiers.

NOTES

[1] Lorsqu'il n'y a pas d'Accord de Partenariat pour une Pêche Durable (APPD) signé avec le pays, l'article 17.1.c. du règlement SMEFF stipule que l'opérateur doit fournir (1) une copie ou une référence exacte à la législation applicable en matière de pêche telle que fournie à l'opérateur par le pays tiers ayant la souveraineté ou la juridiction sur les eaux où les activités ont lieu, (2) une évaluation scientifique démontrant la durabilité des opérations de pêche prévues, y compris la cohérence avec les dispositions de l'article 62 de la CNUDM, le cas échéant, et (3) un numéro de compte public officiel désigné pour le paiement de tous les frais.

[2] Les neuf instruments juridiques à inclure dans la liste pour les pays SPG+ : Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS) ; Accord des Nations Unies sur les stocks de poissons (UNFSA) ; Accord de conformité de la FAO (CA) ; Accord de la FAO sur les mesures du ressort de l'État du port (PSMA) ; Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et ses protocoles (UNTOC) ; Convention de l'OIT sur le travail dans la pêche n° 188 (C188 de l'OIT) ; Convention internationale sur les normes de formation du personnel des navires de pêche, de délivrance des brevets et de veille, 1995 (STCW-F 1995) ; Accord du Cap sur l'application des dispositions du protocole de 1993 relatif à la Convention internationale de Torremolinos sur la sécurité des navires de pêche ; et Accord de Paris.

[3] Photo de l’entête : le port du Guilvinec en Bretagne, France, par Thomas Millot.