Gaoussou Gueye, président de l’Association pour la promotion et la responsabilisation de la pêche maritime (APRAPAM), souligne les sujets essentiels qui manquent à l’ordre du jour pour le Conseil présidentiel consacré à la pêche fin mai
Au Sénégal, un Conseil présidentiel devrait, fin de ce mois, être consacré au secteur de la pêche. Cette nouvelle a été annoncée lors du Conseil des Ministres du 31 mars dernier par le président Macky Sall. Dans son intervention, le Président de la République indique notamment « l’urgence de consolider le programme de dotation des pêcheurs en gilets de sauvetage subventionnés, d’accélérer le renouvellement du parc de pirogues motorisés (subvention des moteurs hors-bord) avec l’extension de l’acquisition des embarcations en fibres de verre, et de vulgariser le programme de géolocalisation des pirogues ». Il a également invité le Ministre des Pêches et de l’Economie maritime « à poursuivre le développement intensif du sous-secteur de l’aquaculture, un des moteurs de croissance retenu dans la mise en œuvre du PSE [Plan Sénégal Emergent, ndlr] ».
Les acteurs du secteur de la pêche artisanale, s’ils saluent l’initiative présidentielle, soulignent néanmoins que certains sujets essentiels manquent à l’ordre du jour proposé. Ainsi, pour l’Association pour la Promotion et la Responsabilisation des Acteurs de la Pêche Artisanale Maritime, APRAPAM, « l’état d’exploitation de la ressource et la transparence dans la gestion du secteur sont des questions à mettre au centre du prochain conseil présidentiel sur la pêche ».
Gaoussou Gueye, président de APRAPAM, insiste : « on nous parle de subventions de moteurs hors-bord, de pirogues en fibre de verre… Mais pendant ce temps-là, nos pêcheurs sont obligés de partir vers d’autres pays de la région à la recherche de poisson car nos eaux se vident. Même si on nous donnait des pirogues en or, si le poisson n’est pas là, on ne pêchera pas plus ».
Faire de la sécurité en mer une priorité, comme le propose le président, est un signal positif important pour Gaoussou Gueye, surtout que le Sénégal a ratifié la Convention 188 de l’OIT sur le travail dans la pêche, entrée en vigueur au Sénégal le 21 septembre 2019. Cependant, ce qui a été évoqué lors du Conseil des Ministres lui semble insuffisant : « Nous avons 22.000 pirogues au Sénégal, et les autorités proposent de fournir au secteur 20.000 gilets de sauvetage. Comment vont-ils être distribués ? Un gilet de sauvetage par pirogue, alors que certaines pirogues embarquent jusqu’à 30, parfois 40 personnes à bord ? », se demande-t-il, tout en soulignant que d’autres acteurs de la filière en ont aussi besoin pour assurer leur sécurité, comme les femmes qui collectent les coquillages dans des régions côtières comme Joal Fadiouth.
Sociétés nationales à capital étranger : plus de transparence est nécessaire
La transparence est également un sujet essentiel qui devrait être au menu du Conseil présidentiel sur la Pêche de fin mai. Gaoussou Gueye rappelle que le Président Macky Sall s’était engagé, en février 2016, à ce que le Sénégal rejoigne l’initiative pour la transparence dans la pêche (FiTI). APRAPAM avait saisi la balle au bond, et dès mai 2016, avait proposé une feuille de route pour instaurer la transparence dans la pêche au Sénégal, demandant notamment que soient rendus publics les textes de tous les accords de pêche, la liste des licences de pêche au Sénégal, l’audit complet du pavillon sénégalais, ou encore les agréments des usines de transformation, notamment celles qui produisent de la farine de poisson. APRAPAM insistait aussi sur la nécessité de mettre en place un système de collecte de données fiables concernant les captures, les emplois, etc. comme base d’une gestion durable des pêcheries.
« Aujourd’hui, cinq ans après cet engagement du Sénégal à rejoindre la FiTI, rien n’a avancé. L’opacité qui entoure la délivrance des licences ou la constitution de sociétés sénégalaises à capitaux étrangers reste totale », martèle Gaoussou Gueye. « Ce que nous vivons au Sénégal avec ces sociétés, ça se passe dans toute l’Afrique, à Madagascar, en Côte d’Ivoire, au Ghana ou encore en Mauritanie. Avec mes collègues de la CAOPA [Confédération africaine d’organisations professionnelles de la pêche artisanale, ndlr], nous avons réalisé plusieurs actions de sensibilisation sur la question ».
Les revendications de la CAOPA sont claires : « Nous voulons toute la transparence sur la façon dont ces sociétés de pêche nationales à capitaux étrangers sont constituées, et la façon dont elles opèrent ; nous voulons qu’elles n’entrent pas en compétition avec la pêche artisanale locale, et qu’elles contribuent réellement à l’économie des pays ». Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Il y a des sociétés qui, avec un capital social de 100.000 francs CFA sont soi-disant propriétaire d’un ou plusieurs bateaux de pêche qui valent chacun au moins trois milliards de francs CFA. « Quel contrôle effectif aura cet ‘homme de paille’, et quel contrôle aura l’état du pavillon, sur les agissements de la société dont quasi tous les capitaux sont étrangers? », se demande la CAOPA.
Un développement de l’aquaculture durable qui ne dépende pas de la farine de poisson
Un autre aspect qui fait réagir Gaoussou Gueye, c’est l’insistance du Président de la République de poursuivre le développement intensif de l’aquaculture comme moteur de croissance du Plan Senegal Emergent. « Ce que nous voyons de l’aquaculture aujourd’hui, c’est surtout la prolifération des usines de farine de poisson. Cette farine est exportée pour notamment nourrir des animaux d’élevages industriels, y compris les poissons. S’il y a un développement de l’aquaculture en Afrique, ça ne peut pas être une aquaculture qui dépend de la farine de poisson. »
L’installation d’usines de production de farine de poisson, souvent par des compagnies étrangères, en particulier chinoises, se répand en Afrique de l’Ouest. Débutée il y a une dizaine d’années dans des pays comme la Mauritanie, cette expansion a ensuite touché le Sénégal, la Gambie, et atteint aujourd’hui des pays comme le Sierra Léone : « Ces usines déciment les ressources de petits pélagiques, qui sont notre ‘filet de sécurité alimentaire ». Gueye explique que des pêcheurs artisans sont même poussés à approvisionner ces usines, ce qui fait perdre des emplois à beaucoup de femmes transformatrices. « Ces usines polluent notre air et notre environnement marin côtier, ce qui crée des problèmes de santé publique. Nous devons la fermeture de ces usines, pour la protection de nos communautés et des ressources de pêche ».
Pour Gaoussou Gueye, pour mettre en œuvre le PSE, c’est sur la pêche artisanale qu’il faut miser : « Comme l’indique le PSE, la pêche a un effet d’entrainement sur les autres secteurs de la filière (comme la transformation des produits de la mer) et favorise un fort taux d’emploi des femmes. Et aujourd’hui, le Sénégal est un des dix pays au monde qui appuient la mise en œuvre des Directives de la FAO pour une pêche artisanale durable, à travers l’élaboration et la mise en œuvre participatives d’un plan d’action national ». Pour lui, il s’agit d’une opportunité en or pour relancer le secteur de la pêche artisanale, qui a besoin d’appuis bien ciblés pour retrouver la santé après la gestion de la pandémie Covid qui a gravement mis à mal les activités du secteur.
Gaoussou Guèye accueille donc favorablement la demande du Président Macky Sall au Ministre des Pêches et de l’Economie maritime, faite lors du Conseil des Ministres de Mars 2021, « d’engager des concertations avec toutes les parties prenantes, afin de mettre en œuvre, à partir de juin 2021, une stratégie nationale inclusive de relance durable de la pêche artisanale ». Pour le président d’APRAPAM, « il faut faire de ce conseil présidentiel une rencontre inclusive, avec la consultation de tous les acteurs de la filière, allant des charpentiers aux pêcheurs, des porteurs aux femmes transformatrices, aux mareyeurs, sans oublier les chercheurs, les OP, etc. ». Cette concertation, qui devrait contribuer au Conseil présidentiel de fin mai sur la pêche, est attendue avec impatience.
Photo entête: Mamadou Aliou Diallo/Avec la permission de la CAOPA.
Dans cet article, l’auteure souligne les impacts écologiques et sociaux de l’élevage intensif de saumon norvégien, notamment son impact sur la sécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest. L’auteure remarque que si, d’une part, l’Union européenne promeut le poisson destiné à la consommation humaine en Afrique, d’autre part, l’UE ouvre également grand les portes de son marché au saumon d’élevage norvégien, nourri avec du poisson d’Afrique de l’Ouest.