Avec près de 24 kg/an/habitant, les européens sont, après les asiatiques, les champions mondiaux de la consommation de produits de la mer. L'UE dépend fortement des importations pour nourrir l'appétit de ses citoyens pour le poisson.
En 2021, elle a importé 6,2 millions de tonnes de produits de la pêche et de l'aquaculture, soit environ 60 % de la consommation totale. Bien que le marché européen des produits de la mer soit l'un des plus lucratifs au monde, les produits de la mer et de la pêche sont souvent négligés dans les politiques alimentaires et commerciales et les accords bilatéraux.
La croissance du commerce international des produits de la mer apporte des avantages à de nombreux pays en développement, mais elle présente également des risques de violations des droits humains et des droits du travail, de dommages environnementaux, d'accaparement des terres et des mers, et de corruption. Dans un monde globalisé, les entreprises multinationales - dont beaucoup ont une société mère européenne - ont acquis un pouvoir extraordinaire, en particulier dans les pays en développement, où elles ont profité d'une mauvaise gouvernance et de réglementations plus faibles. Alors que les sociétés mères sont tenues de respecter des normes élevées pour leurs activités en Europe, elles n'exercent souvent que peu ou pas de contrôle préalable sur leurs partenaires, filiales ou fournisseurs dans les pays tiers en développement.
Qu'est-ce que le devoir de vigilance ?
Le devoir de vigilance ("due diligence" en anglais) signifie que les entreprises multinationales doivent s'assurer que leurs activités ne nuisent pas aux communautés d'accueil et n'empêchent pas le développement durable des pays d'accueil. Si la présence d'entreprises multinationales a aidé les pays en développement à créer des emplois et des opportunités, ces mêmes entreprises tirent souvent indûment profit de la faiblesse des réglementations nationales en matière d'environnement ou de travail. L'accent mis sur les entreprises ne supprime pas la responsabilité des gouvernements en matière de protection des droits humains, mais reconnaît plutôt le pouvoir et la capacité de pression de ces multinationales. Les entreprises disposent parfois d'un capital supérieur au PIB des pays en développement dans lesquels elles opèrent. Il arrive souvent que les victimes d'abus perpétrés par ces entreprises se trouvent dans la quasi-impossibilité d'obtenir réparation devant les tribunaux en raison de l'absence de législation, d'une mauvaise gouvernance ou de systèmes judiciaires manifestement corrompus.
Depuis des décennies, les organisations de la société civile dénoncent les abus tout en exigeant une réglementation plus stricte pour les entreprises multinationales. La communauté internationale n'est parvenue qu'à se mettre d'accord sur des normes volontaires durables portant sur différents aspects du devoir de vigilance. La réglementation de l'Union européenne est également fragmentée. Il existe par exemple une directive sur la publication d’informations non financières, qui propose aux entreprises une approche volontaire pour publier ce qu'elles font pour protéger l'environnement, les droits du travail de leurs employés et d'autres questions liées à la responsabilité sociale. Après le scandale du Rana Plaza, le Parlement européen a appelé à une diligence raisonnable spécifique au secteur de la mode. Il existe quelques réglementations limitées qui assurent une application effective dans le cas des minerais liés aux conflits et du bois, ou une directive sur les pratiques commerciales déloyales qui ne couvre pas l'ensemble de la chaîne de valeur. En ce qui concerne la pêche, le règlement sur la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) et les normes sanitaires de l'UE obligent les entreprises à se montrer redevables sur ces points, mais ne couvrent pas les questions de durabilité environnementale et sociale.
Le Parlement européen (PE) plaide depuis longtemps en faveur d'un cadre juridique plus solide et a adopté en 2018 une résolution appelant à l'élaboration d'une telle législation. Dans sa stratégie "de la ferme à la table", la Commission européenne a suggéré l'élaboration d'une législation visant à empêcher les importations de produits associés à la déforestation et aux violations des droits humains. La Food Policy Coalition, une coalition d'organisations de la société civile qui défendent des systèmes alimentaires durables, s'en est félicitée, mais a déploré qu'aucune mesure n'ait été suggérée « pour réduire la consommation globale de ces produits, l'alimentation animale étant un cas emblématique ». Face à ces attentes, la Commission n'a pas été à la hauteur et a annoncé en novembre 2021 une politique concernant uniquement les produits liés à la déforestation. Enfin, en février 2022, elle a présenté une proposition de directive sur le devoir de vigilence sur la durabilité des entreprises ("Corporate sustainability due diligence directive”, CSDDD, en anglais), dans une position commune avec le Conseil. Le 1er juin 2023, le PE s'est mis d'accord sur une position, ce qui a permis d'entamer les négociations en trilogue. La présidence espagnole devrait s'efforcer d'obtenir un texte avant la fin de l'année.
2. Durabilité et concurrence plus équitable : Pourquoi le devoir de vigilance est-il nécessaire pour la pêche et l'aquaculture ?
En 2017, la commission de la pêche du Parlement européen (PECH) a voté un rapport d'initiative qui appelait à la création de « normes élevées concernant la qualité et la durabilité du produit que les consommateurs de l'UE sont légitimement en droit d'attendre » et notait que « la conformité des produits de la pêche et de l'aquaculture provenant de pays tiers avec les normes de l'UE relatives à la durabilité environnementale et sociale favoriserait la durabilité dans ces pays tiers et contribuerait à créer une concurrence plus loyale entre les produits de l'UE et les produits provenant de pays tiers ». Bien que le rapport se concentre davantage sur l'égalité des conditions de concurrence entre les produits de l'UE et les importations, il constitue un premier pas vers une demande de devoir de vigilance pour les multinationales des secteurs de la pêche et de l'aquaculture.
Ce rapport souligne que les seuls contrôles auxquels sont soumis les produits importés sont d'ordre sanitaire ou portent sur le respect des règles de pêche (règlement INN). En revanche, il n'existe aucune réglementation garantissant que les conditions de production des importations de produits de la pêche et de l'aquaculture respectent les normes européennes en matière d'environnement, de droits humains et du travail. Le rapport déclare que « les efforts déployés pour que la pêche européenne soit durable et respecte des normes élevées ne sont pas compatibles avec l'importation de produits dont la durabilité ne fait l'objet d'aucune considération ». En Afrique en particulier, il existe de nombreux cas de violations des droits humains et de dommages environnementaux causés par le secteur de la pêche de l'UE qui affectent les communautés côtières.
A) DOMMAGES ENVIRONNEMENTAUX
En octobre 2021, CAPE a tiré la sonnette d'alarme sur le fait que des navires espagnols, battant pavillon sénégalais, profitaient de l'accord de pêche entre le Liberia et le Sénégal pour pêcher des crevettes dans un « environnement fragile de coraux et d'éponges » au Liberia. La société sénégalaise SOPERKA, qui fait partie du groupe Pereira (Vigo, Espagne), avait obtenu une licence de "pêche expérimentale" pour trois chalutiers de 40 mètres, mais aucune des dispositions de la loi libérienne, telles qu'un plan de recherche, une évaluation de l'impact sur l'environnement, l'embarquement d'observateurs ou le débarquement des captures dans le pays, ne semblait être respectée. Au contraire, il s'agissait d'un moyen détourné de pêcher intensivement des espèces à forte valeur commerciale. Ces "carabineros", les plus grosses crevettes du monde, qui peuvent être vendues au détail jusqu'à 80 $/kg, étaient débarqués à Dakar (Sénégal) et exportés vers des marchés lucratifs tels que l'Espagne ou le Japon. Ce n'est pas le seul cas de navires européens qui chalutent les zones côtières, pratiquent la surpêche ou causent des dommages à des écosystèmes très sensibles.
B) DROITS humains ET DROIT À L'ALIMENTATION
Les usines de farine et d'huile de poisson se multiplient en Afrique de l'Ouest en raison d'une demande mondiale croissante. La farine de poisson est utilisée pour nourrir les porcs, les poulets, ainsi que les poissons carnivores, comme les saumons ou les crevettes d'élevage industriel, tandis que l'huile de poisson est également utilisée dans les compléments alimentaires, les produits de beauté et par l'industrie pharmaceutique. On estime que pour produire 1 kg de farine de poisson, il faut 5 kg de poisson sauvage frais. La croissance de cette industrie dans la région est un facteur clé de la surexploitation des petits pélagiques, qui constituent la base de l'alimentation dans la région, traditionnellement capturés par les pêcheurs artisans et fumés et séchés par les femmes transformatrices.
La farine et l'huile de poisson d'Afrique de l'Ouest sont importées sur le marché de l'UE. L'UE est également un marché important pour le saumon d'élevage produit dans des pays tels que la Norvège ou l'Écosse, qui utilisent également ces produits d'Afrique de l'Ouest.
Outre la perte d'emplois et de moyens de subsistance et la pollution des usines, la réorientation du poisson frais de la consommation humaine vers l'alimentation animale menace la sécurité alimentaire de la région et constitue donc une violation du droit à l'alimentation des populations d'Afrique de l'Ouest.
C) DROITS DU TRAVAIL
Ces dernières années, l'on a publié des témoignages révoltants d'abus de travail, voire d'esclavage, dans le secteur de la pêche, principalement à l'encontre de pêcheurs migrants travaillant à bord de navires asiatiques dans le monde entier. Ces pêcheurs sont soumis à des « violations extrêmes des droits de l'homme, y compris des pratiques illégales qui menacent leur intégrité physique, leur sécurité et parfois leur vie, le travail forcé et la traite des êtres humains ». En Asie du Sud-Est, des rapports font état d'enlèvements, les victimes étant séquestrées à bord de navires de pêche pendant des années.
En Afrique, outre les violations du droit du travail à bord des navires, il existe également des cas d'abus physiques à l'encontre de pêcheurs artisans qui protestent contre les incursions de navires industriels dans la zone réservée à la pêche artisanale locale.
Ces bateaux de pêche battent le pavillon de pays qui approvisionnent le marché européen des produits de la mer. Les pays d'Asie du Sud-Est et la Chine sont réputés pour leur « attitude laxiste à l'égard du respect des normes environnementales et sociales dans la production et la transformation du poisson ». Alors que l'industrie européenne de l'importation et de la transformation, et en fin de compte les consommateurs européens, bénéficient d'un accès aux produits de la mer à des prix plus bas, cela soulève des questions au-delà du devoir de vigilance concernant l'inégalité des conditions de concurrence avec les produits pêchés par les navires européens, qui sont soumis à des normes de durabilité élevées en vertu de la législation de l'Union européenne.
3. Un écolabel n'est pas la preuve qu'une vigilance raisonnable a été exercée
Au cours des dernières décennies, le public s'est intéressé de plus en plus à ce que font les entreprises en matière de durabilité environnementale. Du monde de la mode à l'industrie automobile, il est question de réduire l'empreinte carbone, d'utiliser des produits biologiques ou des plastiques recyclés. Cependant, la tentation est grande pour les entreprises d'écoblanchir (le "greenwashing") leur production au moyen de certifications parfois douteuses, voire d'autocertifications. Les consommateurs sont confrontés à une grande variété de labels apposés sur les emballages qu'ils ne comprennent pas ou qui ne couvrent que quelques critères, qu'ils soient environnementaux ou sociaux.
L'exemple le plus courant est celui du saumon d'élevage, qui est souvent présenté comme "durable", mais dont la certification ne couvre pas l'ensemble de la chaîne de valeur : elle peut porter sur la durabilité de la production dans des pays comme l'Écosse ou la Norvège, mais pas sur la question de savoir si les aliments pour poissons utilisés pour nourrir le saumon proviennent d'une source durable. En outre, lorsque le saumon est présenté comme "biologique", une proportion encore plus importante de farine de poisson a été utilisée, très souvent en provenance de pays en développement, notamment d'Afrique de l'Ouest. L'élevage de poissons carnivores dépendant de la farine et de l'huile de poisson n'est pas durable et ne pourra jamais l'être.
Les organismes d'écocertification ne peuvent prétendre à l'indépendance : ils sont payés par les entreprises de produits de la mer qu'ils évaluent. Il existe des cas flagrants de conflits d'intérêts lorsque des dirigeants d'entreprises siègent au conseil d'administration des organismes d'évaluation. Un récent audit externe du label Marine Steward Council, qui certifie 20 % des captures mondiales, a révélé que « des pêcheries dont l'impact n'est pas durable sont toujours en mesure d'obtenir la certification ».
Au-delà des labels, des partenariats public-privé sont mis en place avec le soutien de quelques grandes ONG environnementales pour aider les entreprises de pêche et de produits de la mer à obtenir des écolabels, comme les "projets d'amélioration des poissons" ("Fisheries Improvement Projects", FIP, en anglais). Le plus souvent, ces FIP sont utilisés dans les cas où l'obtention d'un label ne serait pas possible immédiatement en raison du caractère non durable de l'approvisionnement. De cette manière, les entreprises peuvent se prévaloir d'un label vert en promettant simplement de rendre leur production plus durable un de ces jours. CAPE a largement dévoilé le cas de l'industrie minotière en Mauritanie, où le plan de travail du FIP est une liste de cases à cocher, sans données de référence pour mesurer les progrès et fixant des objectifs que le gouvernement et les entreprises seraient de toute façon censés mettre en œuvre.
Ces écolabels et initiatives multipartites visent à écoblanchir les produits de la mer destinés aux consommateurs européens : ils ne sont pas la preuve d'une réelle vigilance de la part de l'entreprise. Les Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales sur la conduite responsable des entreprises précisent que « les pratiques d'autorégulation et les initiatives multipartites devraient être crédibles et transparentes ». Dans le chapitre sur les intérêts des consommateurs, le commentaire précise : « Les allégations environnementales ou sociales des entreprises devraient être fondées sur des preuves adéquates et, le cas échéant, sur des tests et des vérifications appropriés ».
4. Législation existante
Il existe très peu de législation contraignante et beaucoup de programmes volontaires et de principes directeurs liés au devoir de vigilance.
Nous avons sélectionné ceux qui nous semblent les plus pertinents pour les produits de la mer et/ou pour le contexte et les tendances actuels.
A) AU NIVEAU INTERNATIONAL - les principes directeurs de l’OCDE et des Nations unies
Les Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales sur la conduite responsable des entreprises sont généralement considérés comme les plus complets, bien qu'ils ne soient pas contraignants. Ils fournissent des orientations sur les droits humains et du travail, l'environnement et la corruption, et prévoient un "mécanisme de mise en œuvre" pour la réception des griefs en cas de non-respect des principes directeurs. Il existe 51 points de contact nationaux (PCN) dans les pays qui adhèrent aux principes directeurs. Ils traitent les cas de manière "non judiciaire", souvent par le biais d'une médiation entre le plaignant et l'entreprise. L'issue des cas ("instances spécifiques") dépend fortement de l'engagement de chaque PCN.
Ces lignes directrices ont par exemple été utilisées récemment par un groupe de 1000 femmes sénégalaises transformatrices de poisson qui ont déposé une plainte contre une entreprise turque. Cette entreprise prévoyait de construire une usine métallurgique sur un terrain utilisé par ces femmes depuis des décennies et n'a pas réalisé les études d'impact requises, n'a pas soumis de plan de réinstallation et n'a pas consulté les communautés concernées. Bien que la plainte n'ait pas eu un grand impact sur les actions de la société turque, la mobilisation des transformatrices de poisson a poussé le gouvernement sénégalais à leur proposer un site alternatif.
Les principes directeurs de l'OCDE ont été récemment mis à jour (juin 2023) pour traiter plusieurs questions, notamment des recommandations élargies sur la corruption, le changement climatique, l'engagement significatif des parties prenantes, des orientations renforcées sur le devoir de vigilance à l'égard de l'ensemble de la chaîne de valeur, et des recommandations actualisées sur la divulgation d'informations relatives à la conduite responsable des entreprises. Ces dernières sont les bienvenues, surtout si l'on considère les préoccupations croissantes des entreprises en matière d'écoblanchiment (greenwashing) : « Les entreprises doivent préparer et divulguer les informations conformément aux normes comptables et de divulgation internationalement reconnues, et s'abstenir de publier des informations insuffisantes ou imprécises ».
En 2011, un autre ensemble de principes a été approuvé à l'unanimité par le Conseil des droits de l'homme des Nations unies : les Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme (UNGP, dans son acronyme en anglais). Il s'agit des premières normes mondiales visant à prévenir et à traiter le risque d'impact négatif des entreprises sur les humains. Contrairement aux lignes directrices de l'OCDE, qui sont principalement liées au profit (une durabilité rentable pour les entreprises et le marché), ces principes sont entièrement fondés sur les droits humains et fournissent des orientations avec des responsabilités distinctes pour les États et les entreprises. Elles s'articulent autour de trois piliers : le devoir de protection de l'État, la responsabilité de protection des entreprises et l'accès à des voies de recours. Toutefois, comme le souligne la Coalition européenne pour la justice dans l'entreprise, « la nature non contraignante du cadre explique ses piètres résultats en termes de mise en œuvre », notamment en ce qui concerne ce qu'elle appelle le "dernier kilomètre négligé", l'accès aux voies de recours : « Après dix ans d'approbation et d'engagements publics, la réalité est que les victimes n'ont toujours pas accès à la justice ». Des négociations sont en cours en vue d'un traité contraignant.
B) AU NIVEAU NATIONAL - LA LOI FRANÇAISE SUR LE DEVOIR DE VIGILANCE
Entre-temps, au moins 25 pays dans le monde ont adopté des plans d'action nationaux liés aux principes des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme ; dans l'UE, seule la moitié des États membres l'ont fait. Certains États membres de l'UE, comme la France et l'Allemagne, ont même adopté des lois concernant le devoir de vigilance et les chaînes d'approvisionnement. Il y a un an, l’ECCJ a analysé les lois sur le devoir de vigilance et les propositions législatives de six États européens, ainsi que les propositions de la Commission européenne et du Parlement européen. La plupart d'entre elles ne visent que les très grandes entreprises de l'UE, bien que dans la proposition de la Commission, le champ d'application s'élargisse pour les "secteurs à haut risque", tels que la mode, les minéraux et l'agriculture, ce qui, techniquement, supposerait que les produits de la mer soient inclus dans le secteur de l'agriculture.
La loi française est entrée en vigueur en 2017, ce qui signifie qu'il y a eu suffisamment de temps pour une évaluation préliminaire de sa mise en œuvre. La loi impose aux entreprises françaises qui ont employé, au cours des deux dernières années, plus de cinq mille personnes dans le monde (dans leur siège social et dans leurs filiales) d'élaborer et de mettre en œuvre un plan de vigilance ("due diligence"). Cette obligation s'étend aux entreprises non françaises opérant en France qui emploient plus de 10 000 personnes dans le monde. Avec un champ d'application aussi restreint, il est très peu probable que les entreprises des secteurs de la pêche et des produits de la mer soient couvertes. Au-delà du champ d'application, la loi ne prévoit pas de véritable mécanisme de réparation, avec l'absence de présomption de responsabilité et le renversement de la charge de la preuve pour les victimes.
En 2020, une évaluation constate que « la première difficulté pratique est de dresser la liste des entreprises concernées », qu'ils estiment entre 200 et 250, car « aucune administration ne dispose actuellement de toutes les informations nécessaires pour déterminer si la loi s'applique à une entreprise donnée ». L'évaluation se poursuit par une analyse des particularités de la loi et se termine par une réflexion essentielle sur la le devoir de vigilance : « Trop d’entreprises comprennent encore la vigilance comme un outil de protection de leur intérêt et de leur réputation. Leurs démarches sont donc tournées vers elles-mêmes et non pas vers l’extérieur », et en même temps, elles formulent un « discours répétitif sur la charge réglementaire excessive et inapplicable incombant aux entreprises ».
Cependant, ils mettent également en garde contre la discussion difficile, « souvent houleuse », avec les ONG et identifient le dialogue avec les parties prenantes comme la pierre d'achoppement. Ils concluent : « Si le dialogue avec les ONG, à l’origine même de la Loi, ne s’améliore pas, le Devoir de vigilance pourrait devenir une obligation de papier, une conformité de type “tick the box”, et non pas une véritable politique de réduction des risques au quotidien ».
5. Conclusion et recommandations pour une approche spécifique à la pêche
Les États membres de l'UE sont réticents à donner une définition claire de la “chaîne d'activités” et il est peu probable qu'ils soutiennent une législation qui s'applique à la partie en aval de la chaîne de valeur.
Pourtant, les acteurs de la pêche de l'UE s'accordent à dire que l'UE ne peut pas continuer à importer des produits de la mer qui vont à l'encontre des principes de durabilité qu'elle défend. Dans un avis d'initiative sur les systèmes alimentaires, le Comité économique et social européen, une entité qui représente la société civile organisée en Europe, « souligne les limites d'une approche volontaire » et « appelle à l'adoption d'une réglementation et d'une législation pour assurer une transition rapide vers la durabilité ».
D'autre part, si l'on considère le champ d'application des récentes propositions législatives de l'UE, une politique de devoir de vigilance "unique" ne suffirait probablement pas à relever les défis auxquels sont confrontées les communautés côtières dans les pays tiers où opèrent les entreprises européennes des chaînes de valeur de la pêche et de l'aquaculture. Une approche spécifique à la pêche et à l'aquaculture devrait être développée, qui devrait inclure ces secteurs comme "à haut risque", et devrait prendre en compte les éléments suivants :
Photo de l’entête: Photo d’illustration par Elle Hughes.
Le commissaire chypriote désigné a répondu aux questions de la commission de la pêche du Parlement européen (PECH) concernant le cadre stratégique qui devrait assurer la cohérence des politiques liées aux océans, y compris la politique commune de la pêche. La commission PECH lui a apporté son soutien pour son futur mandat.