L'UE doit reconnaître le caractère non durable de l'aquaculture intensive

Cet article a été initialement publié sur EUobserver. Nous l’avons reproduit et traduit en français avec leur accord.

La Hongrie préside le Conseil de l'Union européenne du 1er juillet au 31 décembre 2024. Le pays a annoncé dans son programme qu'il accorderait une attention particulière au développement d'une « aquaculture durable et compétitive », soulignant que « c'est le secteur de production de protéines animales dont l'empreinte environnementale est la plus faible. »

Au-delà d'une empreinte carbone prétendument faible, l'aquaculture est également présentée comme une solution face au déclin des captures de poissons sauvages. Cependant, le terme « aquaculture » recouvre différents modèles de production, dont certains sont plus respectueux de l'environnement, comme la culture de moules, de palourdes et d'huîtres lorsqu'elles sont pratiquées à une échelle appropriée, tandis que d'autres modèles ont des conséquences néfastes considérables.

De nombreux consommateurs européens désireux de consommer du poisson durable pensent que le saumon, la truite et le bar d'élevage sont des choix durables. Or, l'élevage intensif de poissons carnivores n'est durable ni sur le plan social ni sur le plan environnemental.

Les impacts environnementaux de ce modèle de production industrielle comprennent une augmentation de la prolifération d'algues nuisibles, un impact négatif sur les prairies marines en raison de l'accumulation de matières organiques autour des fermes, la mort massive de poissons, l'utilisation de substances nocives telles que le formaldéhyde, une substance classée cancérogène, ou les antibiotiques, et la pollution de l'eau, créant des zones mortes au fond de la mer sous les fermes. De plus, les poissons d'élevage carnivores tels que le saumon et le bar ont besoin, pour leur alimentation, de grandes quantités de farine et d'huile de poisson issues de poissons sauvages.

En Europe, l'aquaculture industrielle de poissons carnivores en mer porte atteinte à l'environnement et supplante des activités traditionnelles telles que la pêche artisanale côtière.

Sur l'île de Poros, en Grèce, par exemple, il est prévu de multiplier par 28 la surface consacrée à l'élevage de poissons carnivores en enclos ouvert. Pourtant, des vidéos sous-marines montrent que l'écosystème marin à proximité des petits élevages actuels est complètement mort à cause des déchets et de la pollution des fermes, et les pêcheurs  locaux attestent d'une baisse de poissons sauvages depuis l'arrivée des fermes piscicoles.

« Plus d’un demi-million de tonnes de poissons pélagiques qui pourraient nourrir plus de 33 millions de personnes dans la région sont extraites et transformées en farine et en huile de poisson.” »
— Michael Fakhri, Rapporteur spécial des Nations unies sur le droits à l'alimentation

Au-delà de l'Europe, la production de farine et d'huile de poisson nécessaires à l'alimentation des poissons d'élevage carnivores entraîne l'épuisement des stocks de poissons sauvages. C'est le cas en Afrique de l'Ouest, où la surpêche de petits pélagiques tels que les sardines et les maquereaux pour les fermes piscicoles industrielles d'Europe compromet la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance des pêcheurs artisans et des femmes transformatrices de poisson. On enlève donc le poisson aux populations des pays à faible revenu pour nourrir les poissons d'élevage qui seront consommés dans les pays riches.

Début 2024, le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l'alimentation l'a averti dans son rapport au Conseil des droits de l'homme : « De nombreux poissons d’élevage appartiennent à des espèces carnivores qui ont besoin de produits alimentaires provenant des stocks halieutiques sauvages, ce qui exerce une pression supplémentaire sur ces stocks et perturbe les écosystèmes.

En outre, les entreprises mondiales d’alimentation animale aggravent l’insécurité alimentaire dans certaines communautés. Par exemple, plus d’un demi-million de tonnes de poissons pélagiques qui pourraient nourrir plus de 33 millions de personnes dans la région sont extraites de l’océan le long de la côte de l’Afrique de l’Ouest et transformées en farine et en huile de poisson principalement destinées à l’alimentation des poissons d’élevage et du bétail, surtout en Asie et en Europe.

Actuellement, la stratégie de l'UE pour l'aquaculture ne répond pas aux défis sociaux et environnementaux posés par ce secteur et ne définit pas clairement ce qu'est une aquaculture « durable ». Dans un rapport spécial sur l'aquaculture, la Cour des comptes européenne (CCE) a constaté que l'Union européenne a injecté des fonds dans le développement de l'aquaculture sans vraiment prouver que cela a contribué à la « durabilité environnementale et sociale ou à la compétitivité du secteur ». Le rapport de la CCE souligne en outre qu'« il n'existe actuellement aucun indicateur permettant de contrôler la viabilité environnementale de l'aquaculture européenne ».

Dans le cadre de l'agenda pour l'agriculture et la pêche, la Hongrie a réaffirmé son souhait de soutenir les agriculteurs et les pisciculteurs par le biais d'un « système alimentaire européen favorable aux producteurs ». La présidence hongroise a également souligné qu'il était préférable de soutenir les pêcheurs à faible impact en tant que producteurs d'aliments primaires.

Sous la présidence hongroise, l'UE devrait cesser de soutenir l'aquaculture industrielle d'espèces carnivores et promouvoir à la place des options d'aquaculture à petite échelle plus durables qui peuvent coexister plutôt que de nuire à la pêche artisanale en Europe et au-delà. Si l'Europe veut être un modèle de gouvernance durable des océans, elle doit placer la pêche et l'aquaculture artisanales et à faible impact au cœur de sa politique alimentaire.

 

Photo bannière de Bob Brewer