Au Sénégal, des mesures concrètes pour améliorer les conditions de travail dans la pêche artisanale

Le secteur local se réjouit de quelques initiatives innovantes et de la ratification de la C188 de l’OIT mais continue de demander le renforcement des conditions de travail dans toute la filière, notamment celles des femmes qui ne sont pas couvertes par la convention

Le Sénégal est un des six pays africains à avoir ratifié la convention 188 de l’OIT sur les conditions de travail dans le secteur de la pêche. Par rapport aux autres instruments de l’OIT portant sur la pêche, c’est la première fois qu’une convention englobe la pêche artisanale continentale et maritime. Le Sénégal a également adopté en février dernier un plan d’action pour la mise en œuvre des Directives de la FAO pour une pêche artisanale durable.

Pour les acteurs du secteur, c’est le moment de proposer des mesures concrètes pour améliorer les conditions de travail des hommes et des femmes de la filière pêche artisanale, que ce soit à bord des pirogues, lors du débarquement ou lors des opérations de transformation et commercialisation.

Une balise VMS aux usages multiples

La balise est conçue pour résister aux conditions marines difficiles et trasmet la géolocalisation précise de l’embarcation toutes les dix minutes. Photo: Agiltech.

La balise est conçue pour résister aux conditions marines difficiles et trasmet la géolocalisation précise de l’embarcation toutes les dix minutes. Photo: Agiltech.

Une initiative innovante qui est tout particulièrement appréciée des pêcheurs, c’est une balise VMS (“Système surveillance de navires”, acronyme en anglais), testée sur le terrain depuis plus de deux ans. Cette balise est dédiée à la localisation et à la collecte de données. Conçue pour résister aux conditions marines difficiles, elle fournit des données de géolocalisation précises, en temps réel (les positions sont transmises toutes les dix minutes). L’engin a une autonomie qui permet de continuer à localiser la pirogue durant trente jours, ce qui permettrait de porter secours pendant tout ce temps à une pirogue perdue en mer ou qui doit faire face à une avarie. Utilisant une série d’icônes, pour permettre l’utilisation par des membres d’équipage peu alphabétisés, elle contient une fonction d’assistance en cas de panne de moteur ou de manque de carburant, par exemple, et permet aussi de signaler des activités de pêche INN en mer.

La balise fonctionne avec des icônes pour permettre à tous les membres de l’équipage, même non alphabétisés, de l’utiliser facilement. Photo: Agiltech.

La balise fonctionne avec des icônes pour permettre à tous les membres de l’équipage, même non alphabétisés, de l’utiliser facilement. Photo: Agiltech.

L’appareil, qui coûte dans les environs de 600 euros (400 000 FCFA), peut être connectée avec une plaque d’identification fixée sur l’embarcation. Couplée avec la mise en place d’un système d’enregistrement des équipages, il serait possible de savoir où se trouve chaque pêcheur artisan à n’importe quel moment de la sortie de pêche, et s’il rencontre des difficultés. Par ailleurs, l’engin a des applications complémentaires comme collecter des données de captures, et d’offrir aux pêcheurs une fonction de messagerie en temps réel via le réseau de communication par satellite. Pour les pêcheurs, cet outil est un bond de géant pour la sécurité en mer.

Dans le cadre de l’accord de partenariat de pêche entre l’UE et le Sénégal, il faut souligner que les fonds de l’appui sectoriel, destinées au développement durable du secteur local, ont été utilisés pour acheter une centaine de ces balises. Une autre quarantaine de balises ont été financées par un autre projet.

La formation des capitaines de pirogues : un aspect essentiel de la sécurité en mer

Pour la Confédération Africaine des Organisations Professionnelles de Pêche Artisanale (CAOPA), qui a son siège au Sénégal, les engagements du pays pour améliorer les conditions de vie et de travail dans la pêche artisanale sont une occasion de pouvoir développer et tester un module de formation et un manuel pour les capitaines de pirogue. Dans cette activité qui reste familiale, les capitaines de pirogues n’ont souvent pas la formation suffisante, que ce soit en matière de navigation, de gestion de l’équipage, ou de premiers secours à bord.

Le développement de cette formation s’inscrira dans les efforts de la mise en œuvre de la Convention 188, et abordera des éléments prévus par la Convention comme : élaboration de la liste d’équipage, conditions de recrutement, de logement à bord, conditions sanitaires à bord, fourniture d’alimentation et d’eau potable à bord, formation pour donner les premiers soins à bord, prévention des accidents du travail, des maladies professionnelles et des risques liés au travail à bord, etc.

Ce module de formation, une fois finalisé, sera mis en ligne à disposition pour que d’autres organisations professionnelles puissent en avoir l’utilité.

Au-delà de la pirogue, l’amélioration des conditions de travail dans toute la filière

Mais la Convention 188 de l’OIT ne couvre pas les activités de la filière pêche à terre, notamment les activités des femmes du secteur dans la transformation et la commercialisation. Aujourd’hui, dans la plupart des pays africains, les conditions de travail de ces femmes ne sont pas décentes : les transformatrices travaillent toute la journée dans la fumée, parfois au milieu des immondices, sans accès aux sanitaires, à l’eau potable ou à l’électricité. Souvent, leurs enfants en bas âge les accompagnent et vivent dans ces mêmes conditions inhumaines.

Les femmes transformatrices fument le poisson dans des conditions inhumaines: dans la fumée, sans accès aux sanitaires, à l’eau potable ou l’électricité. Photo: Mamadou Aliou Diallo/REJOPRA

Les femmes transformatrices fument le poisson dans des conditions inhumaines: dans la fumée, sans accès aux sanitaires, à l’eau potable ou l’électricité. Photo: Mamadou Aliou Diallo/REJOPRA

Ces préoccupations ont été prises en compte par les Directives sur la pêche artisanale de la FAO, qui reconnaissent que les activités après capture ainsi que d'autres activités de la chaîne de valeur sont des éléments essentiels d'une pêche artisanale durable. Les Directives demandent notamment aux Etats de « faire le nécessaire, pour que, progressivement, les membres des communautés d’artisans pêcheurs aient accès à des conditions abordables à des services publics essentiels : services d’assainissement sûrs et hygiéniques, eau potable pour des usages personnels et domestiques, sources d’énergie, etc. ». Sous l’impulsion de la FAO, plusieurs pays ont également testé des méthodes plus saines de transformation du poisson, comme le four FTT, qui épargne la santé des femmes et leur fournit un produit de meilleure qualité.

Alors que le Sénégal s’apprête à concrétiser son plan d’action pour la mise en œuvre de ces Directives, il est à espérer que la question des conditions de travail des femmes sera également mise à l’ordre du jour.

 


Note:
Six pays africains ont ratifié la Convention 188 de l’OIT sur le travail dans la pêche: le Maroc (2013) l’Afrique du Sud (2013), le Congo (2014), l’Angola (2016), la Namibie (2018), le Sénégal (2018). Pour le Sénégal, l’entrée en vigueur de la Convention a débuté le 21 septembre 2019.

Photo entête: Mamadou Aliou Diallo/REJOPRA