Début novembre, un rapport de recherche de la FISH Safety Foundation, intitulé Triggering Death, Quantifying the true human cost of global fishing [“Une mort certaine, Quantifier le véritable coût humain de la pêche mondiale”, ed.], a montré que chaque année, plus de 100 000 personnes impliquées dans la pêche sont tuées - un nombre considérablement plus élevé que les 24 000 décès de pêcheurs par an précédemment estimés par l'OIT.
Dans un avant-propos, Eric Holliday, PDG de la FISH Safety Foundation et co-auteur de l'étude, témoigne : « Nous avons toujours su que la pêche était l'un des métiers les plus dangereux au monde. Ce que nous n'avions pas réalisé lorsque nous avons commencé cette recherche, c'est à quel point elle est réellement dangereuse ».
De nombreux pays ne collectent pas d'informations et de données sur les accidents et les décès dans le secteur de la pêche : « en Afrique, par exemple, l'insuffisance des ressources humaines et financières pour la collecte de données a souvent donné lieu à des informations de mauvaise qualité dont l'utilisation statistique est limitée ». Le rapport a donc utilisé non seulement des informations officielles, mais aussi des articles de presse, du journalisme d'investigation, des messages sur les médias sociaux et des communications privées provenant de particuliers et d'organisations du monde entier.
Par le biais d'une série d'études de cas, le rapport examine les facteurs qui influent sur la sécurité des pêcheurs, démontrant que, bien que chaque pêcherie soit différente, « les problèmes fondamentaux rencontrés sont les mêmes ». Deux de ces études portent sur les pêcheries africaines : les pêcheurs artisans maritimes le long de la côte de l'Afrique de l’Ouest, et les pêcheurs artisans des eaux continentales africaines.
Les collisions avec des navires industriels causent la mort de pêcheurs artisanaux en Afrique de l'Ouest
Dans le cas des pêcheurs maritimes le long de la côte ouest-africaine, les auteurs citent le COMHAFAT qui, en 2018, a souligné que le taux annuel de mortalité des pêcheurs dans la région est d'environ 1 000 pour 100 000 pêcheurs (1%). La surpêche, légale ou illégale, contribue à la raréfaction du poisson dans la région, obligeant les pêcheurs artisans - la grande majorité des 3,5 millions de pêcheurs de la région - à aller plus loin et à rester plus longtemps en mer : « Ils le font dans des bateaux mal équipés pour les longs voyages, ce qui augmente les risques d'incidents liés aux bateaux. Dans le même temps, ils sont exposés à des risques de collision ou de conflit avec des flottes industrielles, à la piraterie et à des litiges frontaliers ».
Les collisions entre les pirogues artisanales et les navires industriels, généralement des chalutiers d'origine étrangère venant pêcher dans les zones côtières des pays africains, même lorsque ces zones sont légalement réservées aux pêcheurs artisans, sont particulièrement pointées du doigt. Le rapport cite l'organisation Ecotrust Canada, qui souligne que « en Afrique de l'Ouest, les collisions avec les navires industriels tuent plus de 250 pêcheurs artisans par an. Dans toute l'Afrique, le bilan peut atteindre 1000 morts par an ».
À cela s'ajoutent les effets du changement climatique, qui entraîne une augmentation des tempêtes et des cyclones, ce qui augmente les risques pour la vie des pêcheurs.
La surpêche, les conditions météorologiques imprévisibles et les attaques d'animaux sauvages entraînent la perte de vies de pêcheurs sur les lacs d'Afrique
L'étude explore également les risques pour la sécurité des pêcheurs artisans africains pêchant en eaux continentales, en s'intéressant particulièrement aux pêcheries des Grands Lacs : Victoria, Kariba, Naivasha, Albert. Le temps est devenu plus imprévisible, en raison des impacts du changement climatique, avec des tempêtes plus fréquentes et plus sévères, ce qui contribue à l'augmentation des accidents sur les lacs en Afrique. En outre, « en raison des effets combinés de l'insécurité alimentaire, de la pauvreté et de la diminution des stocks de poissons, les pêcheurs doivent souvent se rendre dans des eaux plus profondes ou pêcher par mauvais temps, ce qui augmente les risques pour leur sécurité ».
Le rapport souligne également le risque posé par la faune sauvage. À mesure que les populations humaines et les pressions sur l'environnement naturel augmentent, les attaques d'animaux sauvages sont également plus fréquentes. En Afrique, les risques les plus importants proviennent des hippopotames et des crocodiles. Par exemple, rien qu'au cours des trois premiers mois de l'année 2020, les hippopotames ont tué neuf personnes dans la région sud du lac Naivasha.
Dans l'UE, seul un tiers des navires est couvert par la législation en matière de santé et de sécurité
Si les pays africains et d'autres pays en développement sont confrontés à d'importantes difficultés pour enregistrer les accidents et les décès dans le secteur de la pêche, notamment artisanale, le problème est mondial. En effet, même dans certains pays à revenu élevé, qui disposent des meilleurs systèmes de notification, les registres ne couvrent pas toujours tous les accidents et les décès survenus dans le secteur.
Dans l'UE, les données sur les décès de l'Agence européenne pour la sécurité maritime (AESM) indiquent qu'il y a en moyenne 27 décès par an sur les navires de pêche de l'UE de plus de 15m. Cependant, le nombre total de pêcheurs sur des navires plus petits, qui représentent environ la moitié de la main-d'œuvre dans les pêcheries de l'UE, et le nombre de décès sur ces navires ne sont pas publiés. Les auteurs soulignent que « seul un tiers des navires de l'UE est couvert par une législation relative à la santé, à la sécurité et au temps de travail des pêcheurs. Les conditions de travail extrêmes et le manque de sommeil contribuent aux erreurs et aux comportements de prise de risque inutile ».
« Nous avons besoin de plus de données ! »
Le rapport donne un bon aperçu des facteurs de mortalité dans le secteur mondial de la pêche : la surpêche, - légale et illégale -, le changement climatique étant des facteurs déterminants. Mais les principaux résultats de l'étude sont ailleurs. Comme le soulignent les auteurs : « Après 18 mois de recherches approfondies, nous sommes arrivés à deux conclusions cruciales : premièrement, le nombre de décès annuels dans le secteur mondial de la pêche est beaucoup plus élevé qu'on ne le pensait et, deuxièmement, nous ne savons toujours pas combien de vies sont perdues chaque année ! Nous avons besoin de plus de données ».
Dans la plupart des pays, il n'existe actuellement aucune obligation réglementaire de signaler les accidents et les décès. Dans le secteur de la pêche, les rapports, les enregistrements, les enquêtes officielles et les analyses des accidents et des décès sont rares, voire inexistants. Une partie particulièrement oubliée du secteur est le secteur artisanal, où les vies perdues ne laissent pratiquement aucune trace.
L'étude souligne qu'il est urgent de remédier à ces lacunes, et notamment de mettre en place un système cohérent de collecte et d'archivage des données sur les accidents et la mortalité des pêcheurs. Elle insiste également sur le fait qu'il ne faut pas pointer du doigt les pays qui signalent un nombre élevé d'accidents et de décès dans leur secteur de la pêche. Au moins, ils fournissent des données et ne devraient pas être pénalisés pour cela, car cela indique une volonté d'examiner directement ces problèmes et de faire partie de la solution. Comme l'a souligné Madagascar lors de la 35e session du Comité des pêches de la FAO, en septembre 2022 : « L'amélioration de la sécurité est essentielle. Nous perdons trop de pêcheurs à cause d'accidents et de mauvais traitements, c'est inacceptable et nous devons surveiller cela et trouver des solutions pour changer ».
Afin d'encourager la communication de ces données, il pourrait être utile d'examiner si les initiatives de transparence existantes, telles que l'Initiative pour la Transparence dans l'Industrie de la Pêche (FiTI), pourraient envisager d'inclure la communication des accidents et de la mortalité des pêcheurs dans leurs normes.
Les pêcheurs artisans locaux font partie de la solution pour améliorer la sécurité en mer
Les auteurs soulignent que l'élaboration d'une législation locale et nationale appropriée pour enregistrer et collecter des données, et pour développer des politiques et des mesures visant à éviter les pertes de vies humaines chez les pêcheurs « devrait bénéficier d'une contribution claire de la part des pêcheurs et des communautés locales afin de répondre aux besoins spécifiques de ces sous-secteurs ». Ils demandent que l'accent soit mis sur ceux qui sont en contact avec les pêcheurs, et donc les mieux placés pour améliorer les normes de sécurité dans le secteur de la pêche, "comme les régulateurs de l'État du port, les départements maritimes / de la pêche, et les responsables de la conformité et de l'application ».
Il est important de souligner que les pêcheurs eux-mêmes devraient être impliqués dans ce processus, en particulier dans des pays comme le Sénégal, l'un des 6 pays africains qui ont ratifié la Convention 188 de l'OIT sur le travail dans le secteur de la pêche, une convention qui couvre également la pêche artisanale. Au Sénégal, les organisations de pêcheurs artisans font des efforts pour améliorer la sécurité des pêcheurs, comme la promotion de l'utilisation d'outils de géolocalisation, ou la formation des capitaines de pirogues pour une meilleure sécurité à bord, dans le cadre de la mise en œuvre de la Convention 188 de l'OIT.
Les femmes, qui sont les mères et les épouses des pêcheurs, ont également un rôle à jouer. « Lorsque le gouvernement dit aux pêcheurs de porter un gilet de sauvetage, le pêcheur l'ignore souvent, mais lorsque c'est sa mère ou sa femme, inquiète, qui le lui dit, alors il le fait », souligne Gaoussou Gueye, président de la Confédération africaine des organisations de pêche artisanale (CAOPA).
Toutes les parties prenantes du secteur de la pêche ont un rôle à jouer pour rendre les océans du monde plus sûrs pour les pêcheurs.
Photo de l'entête : La pêche à Ilondé, en Guinée Bissau, par Carmen Abd Ali.
La commission mixte de l’APPD Mauritanie-UE se tiendra du 4 au 6 décembre à Nouakchott. L’auteure de cet article émet des recommandations à la lumière des conclusions du Comité des pêche pour l’Atlantique centre-est (COPACE). Dans son dernier rapport, le COPACE faisait état de la situation catastrophique des stocks partagés de petits pélagiques et préconise une réduction substantielle et immédiate de l’effort de pêche de 60 % pour la sardinelle plate et ronde.