En 2012, les Directives volontaires pour une Gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts ont été finalisées, après un processus de consultation très intense auquel ont participé des centaines d'organisations de la société civile. Deux ans plus tard, elles ont été rejointes par les Directives volontaires visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale, également le fruit d'une énorme collaboration. De nombreuses organisations, y compris celles qui œuvrent à la promotion des droits et des moyens de subsistance de la pêche artisanale, considèrent ces lignes directrices comme une politique essentielle pour assurer la sécurité alimentaire et réduire la pauvreté, tout en protégeant des millions de personnes contre l'industrialisation, la privatisation et la concentration économique dans les systèmes de production alimentaire.

Simultanément, le concept d'‘économie bleue/croissance bleue’ a été développé au départ par le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE). Il s'agissait d'une tentative de rendre le concept d'économie verte plus pertinent pour les habitats et les industries côtières et marines. En apparence, la croissance bleue semble compatible avec les lignes directrices ; elles ont en commun de tenter de conserver les populations de poissons, de lutter contre la crise climatique et la pollution, et de contribuer à la réduction de la pauvreté. Pourtant, les contradictions entre la croissance bleue et les aspirations et principes des lignes directrices sont de plus en plus évidentes.

Voici six sujets de préoccupation qui, lorsqu'ils sont combinés, montrent à quel point le concept de croissance bleue est probablement incompatible avec les lignes directrices.

 
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1. LA Position marginale de la pêche

A l'origine, la pêche artisanale était considérée comme stratégique en raison de son importance pour la sécurité alimentaire et comme source de revenus, ainsi que comme secteur émettant relativement peu de carbone. Mais au fur et à mesure qu’elle a suscité l'intérêt de la communauté internationale, la pêche artisanale est devenue moins prioritaire. L'accent est désormais mis sur les opportunités d’affaires qui procurent des gains économiques potentiels à court terme. Il est devenu plus difficile d’expliquer l’utilité du concept de croissance bleue pour la pêche artisanale. Ainsi, de nombreuses conférences de haut niveau sur la croissance bleue n'ont pas impliqué des représentants d'organisations de la pêche artisanale.

 
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2. La présentation trompeuse de la valeur dans l’économie bleue

Les Directives mettent en évidence les dangers pour la pêche artisanale et la sécurité alimentaire lorsque les politiques publiques sont axées sur la croissance économique. Les défenseurs de la croissance bleue pourtant font la promotion d’estimations très douteuses de la valeur du capital naturel bleu, ce qui suggère que l’économie océanique a un potentiel énorme en termes de croissance continue et d’investissements du secteur privé. La croissance bleue est donc devenue un obstacle à la reconnaissance de la valeur unique de la pêche artisanale et de la richesse des biens communs, tout en stimulant un récit imprudent d’écosystèmes côtiers et marins largement inexploités.

 
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3. La croissance bleue a mis de côté la perspective des droits de l’homme

Les réformes de gouvernance visant à stimuler la croissance bleue reposent sur la nécessité d'attirer les investisseurs privés. Le message primordial des “partenariats” avec les sociétés multinationales est au cœur des actions de la plupart des grandes organisations. Cela a été appelé “blue washing” (“blanchiment du bleu”) ; terme qui émane de la décision de l’ONU d’autoriser les entreprises impliquées dans le Pacte mondial à utiliser son logo bleu. Cependant, de nombreux pays qui adoptent la croissance bleue ne disposent pas du dispositif institutionnel requis pour éviter les menaces les plus évidentes qu’elle fait peser sur les personnes vulnérables et marginalisées.

 
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4. La promotion d’industries qui concurrencent la pêche artisanale

La croissance bleue est présentée comme un scénario gagnant-gagnant-gagnant ; elle serait bénéfique pour l'environnement, pour les plus démunis et pour les investisseurs. Cela masque la concurrence inévitable pour les ressources et les droits fonciers entre les entreprises des secteurs océanique et côtier. Plusieurs pays en développement utilisent le concept pour justifier des investissements dans des entreprises qui auront un impact néfaste sur la pêche côtière. Cela comprend le pétrole et le gaz, l’exploitation minière, le tourisme et l’aquaculture. La pêche artisanale a du mal à résister à ces évolutions en raison de son faible pouvoir de négociation, de la corruption entre les États et les entreprises et de l'absence d'évaluations indépendantes des impacts sociaux et environnementaux.

 
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5. La croissance bleue est une réponse ratée à la crise climatique

Les défenseurs estiment qu'un des aspects les plus importants de la croissance bleue consiste à « dissocier » la croissance économique de l'épuisement des ressources et des émissions de gaz à effet de serre. Lorsqu’on considère les industries les plus polluantes de l'océan, notamment les industries pétrolière et gazière, le transport maritime et le tourisme, rien ne prouve qu’il soit possible de poursuivre la croissance dans ces secteurs tout en réduisant considérablement leur contribution à la crise climatique et à la perte de biodiversité. La croissance bleue permet d’accepter le statut quo et élimine l'urgence des réformes.

 
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6. LA promesse d’une “croissance inclusive”

Les défenseurs de la croissance bleue estiment qu’elle est conçue pour assurer un « développement inclusif ». Cependant, il y a un manque de réflexion critique au sujet de ce que cela signifie et comment cela pourrait être réalisé. La plupart des études sur la croissance inclusive reconnaissent qu’il ne s’agit pas de voies fiables pour améliorer la vie de beaucoup de pauvres ou de ceux qui dépendent de l’agriculture et de la pêche artisanale de subsistance. La croissance bleue est axée sur des projets à forte intensité de capital, qui offrent des avantages limités à la plupart des communautés côtières des pays en développement. Les organisations qui promeuvent cette financiarisation du développement côtier et marin se sont généralement investies en tant que courtiers et fournisseurs de services. Ceci élève leur influence dans les processus nationaux de prise de décisions, mais peut aller contre les intérêts de la pêche artisanale.

 

Note: Cette fiche d'information est basée sur un long rapport écrit par André Standing que CAPE a publié fin 2019.