Le 9 avril 2024, la commission de la pêche du Parlement européen a mené des discussions sur les possibilités de pêche avec la Norvège, au cours desquelles un membre de la commission a interrogé la Commission européenne : « Comment faire face à une Norvège qui ne respecte rien et inonde notre marché de son saumon ? »
« Une Norvège qui ne respecte rien » fait référence au fait que, jusqu’à présent, le pays ferme les yeux sur les questions de durabilité, notamment en ce qui concerne sa production de saumon d’élevage.
Conséquences de l’élevage intensif de saumon norvégien
La majorité du saumon d’élevage norvégien est produite par de grandes entreprises. Parmi elles, Møwi représente la part de marché la plus importante et atteint 20 % de la production mondiale. Des ONG norvégiennes, mais aussi chiliennes ou écossaises (pays où ces entreprises norvégiennes opèrent) ont documenté les impacts environnementaux et sociaux désastreux de cette industrie : pollutions ; propagation de maladies aux populations de saumons sauvages ; abus à l’encontre du personnel des fermes piscicoles ; violations du bien-être animal ; saumons d’élevage qui s’échappent de leur enclos et se reproduisent avec les populations sauvages, ce qui affaiblit génétiquement les stocks sauvages et réduit leur taux de survie.
Par ailleurs, le pou du poisson, un parasite qui « mange le saumon vivant », infeste les populations de saumons d’élevage à un rythme alarmant, ce qui constitue un problème particulièrement grave. Le secteur de la pisciculture utilise diverses méthodes pour lutter contre les épidémies de poux de mer : déversement de poison dans l’océan ou dans les aliments pour animaux ; pompage des saumons dans des bateaux où ils sont baignés dans une eau à 30 degrés, ce qui entraîne souvent des taux de mortalité record.
De plus, les fermes à saumons norvégiennes privent également les populations d’Afrique de l’Ouest de nourriture : un récent rapport de l’ONG Feedback montre comment ces entreprises – Møwi, BioMar, Skretting, Cargill – utilisent de l’huile et de la farine de poisson produites en Afrique de l’Ouest à partir des stocks de petits pélagiques. Ces poissons étant essentiels au régime alimentaire des populations, cette industrie sape ainsi les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire de millions de personnes dans la région.
Mises sur la sellette par le Financial Times, qui se demandait si leur approvisionnement en huile et en farine de poisson contribuait au déclin des stocks halieutiques au large de l’Afrique de l’Ouest, ces entreprises affirment qu’il est trompeur de dire cela dans la mesure où « leurs ingrédients proviennent de l’une des deux usines reconnues comme travaillant à l’amélioration de la pêche par l’organisme de certification de l’industrie, MarinTrust. » Elles disent s’être « engagées à s’approvisionner en ingrédients durables pour l’alimentation animale ». Toutefois, si nous devions citer un élément trompeur, c’est l’utilisation de la certification MarinTrust comme preuve d’un approvisionnement durable. Comme nous l’avons démontré précédemment, il n’existe aucune preuve qu’une pêcherie, qui ferait partie d’un programme d’amélioration couvert par MarinTrust, soit durable ou qu’elle soit susceptible de le devenir.
2. D’une part, l’UE encourage l’utilisation du poisson pour la consommation humaine en Afrique de l’Ouest...
L’UE défend ardemment l’utilisation des ressources halieutiques d’Afrique de l’Ouest pour la consommation humaine, plutôt que pour leur transformation en huile et en farine de poisson. La Mauritanie est le pays d’Afrique de l’Ouest qui abrite le plus grand stock de petits pélagiques et le plus grand nombre d’usines de farine et d’huile de poisson. Lorsque le dernier Accord de Partenariat pour une Pêche Durable (APPD) avec la Mauritanie a été présenté au Parlement européen (PE), celui-ci a clairement indiqué que le pays devait être soutenu dans « sa lutte contre l’élimination progressive des impacts négatifs causés par l’industrie de la farine et de l’huile de poisson ». Le PE a également noté que l’usage du poisson pour la consommation humaine devait rester prioritaire par rapport à un usage comme matière première pour l’industrie de l’alimentation animale.
En effet, l’APPD souligne (dans l’annexe 2) que les fonds de l’appui sectoriel doivent contribuer, entre autres, à « faire progresser l’engagement de la Mauritanie en faveur de la sécurité alimentaire et nutritionnelle ». À cette fin, il convient d’appuyer le développement des « infrastructures destinées à promouvoir la consommation humaine des produits de la pêche ». En outre, le dernier protocole d’APPD UE-Mauritanie prévoit d’élaborer un plan de gestion durable des petits pélagiques qui comprend une nouvelle répartition des zones de pêche, la fermeture de plusieurs usines de fabrication de farine de poisson et des mesures de gestion visant à acheminer les petits pélagiques vers les chaînes d’approvisionnement destinées à la consommation humaine.
Pour Sid'Ahmed Abeid, président de la Fédération nationale de la pêche artisanale de Mauritanie, « la priorité est de soutenir les activités de la chaîne de valeur des petits pélagiques destinés à la consommation humaine. C’est là que réside l’avenir de la pêche artisanale. » [NDLR : Discussion informelle avec la CAPE-CFFA. Cité avec l'autorisation de l'auteur]
Grâce à sa politique de partenariats internationaux, l’UE a renforcé son engagement en faveur d’une utilisation des ressources halieutiques pour la consommation humaine, notamment par le biais de PROMOPÊCHE, un projet financé par l’UE et mis en œuvre par la coopération espagnole (AECID), la coopération allemande (GIZ) et l’Organisation internationale du travail (OIT). Depuis 2019, le projet soutient la construction d’une conserverie pédagogique afin de proposer une formation qui met l’accent sur la production de produits de poisson de qualité à destination de la consommation humaine. Cette initiative est également favorable à la création d’emplois.
Mahfoud Taleb Ould Sidi, directeur de l’Institut supérieur des sciences de la mer (ISSM), explique que, sur la base des 400 000 tonnes de petits pélagiques transformés en farine et en huile de poisson en 2019, moins d’un millier d’emplois permanents ont été créés. Avec un ratio de 22 tonnes de poisson frais pour générer un emploi permanent dans la mise en conserve des petits pélagiques, il y aurait plus de 20 fois le nombre d’emplois générés par les usines de farine et d’huile de poisson.
3. D’autre part, l’UE ouvre son marché au saumon d’élevage norvégien, nourri avec du poisson sauvage d’Afrique de l’Ouest
En revanche, lorsqu’il s’agit du saumon d’élevage norvégien, nourri à l’huile et à la farine de poisson provenant d’Afrique de l’Ouest, l’UE ouvre grand les portes de son marché. Le saumon est l’espèce de poisson d’élevage la plus consommée dans l’Union européenne. La Norvège, premier producteur mondial de saumon d’élevage, est son principal fournisseur. Ces dernières années, le marché européen a absorbé environ 70 % (en volume) du saumon d’élevage norvégien. La Pologne et la France, principaux marchés pour le saumon transformé, en sont les plus grands pays importateurs.
La Norvège n’est pas membre de l’UE, mais elle est étroitement liée à celle-ci par son adhésion à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), qui réunit les 27 États membres de l’UE et trois pays de l’Association européenne de libre-échange (AELE) – l’Islande, la Norvège et le Liechtenstein – au sein d’un marché unique. Comme tous les membres du marché unique, la Norvège contribue financièrement à la cohésion sociale et économique en Europe. La Commission européenne et les États de l’EEE-AELE ont récemment conclu un accord sur le mécanisme financier de l’EEE 2021-2028.
L’accord EEE-AELE et d’autres accords bilatéraux prévoient la suppression des droits de douane sur la plupart des produits à base de poisson blanc. Le saumon d’élevage n’entre pas dans le champ d’application de l’accord. Cependant, dans ce qui est décrit comme un « coup de pouce pour le développement du commerce du saumon », la presse[4] a annoncé que la Norvège et l’UE avaient récemment signé un accord sur les produits de la mer qui comprend de nouveaux quotas en franchise de droits pour le saumon transformé et le saumon fumé.
Conclusion : le secteur de la pêche de l’UE et les ONG disent stop
Le vent serait-il néanmoins en train de tourner ? La DG MARE a répondu à une lettre d’ONG préoccupées par les importations de saumon nourri de farine et d’huile de poisson issues d’Afrique de l’Ouest, où elle indique qu’elle « mène actuellement une réflexion interne sur un éventuel programme de durabilité spécifique à la pêche qui s’appliquerait aux produits importés dans l’UE ». De plus, la DG MARE dit garder à l’esprit que toute mesure, visant à ce que les produits importés sur le marché de l’UE ne contribuent pas à l’insécurité alimentaire ou aux problèmes environnementaux dans les pays tiers, doit « être très bien calibrée pour rester dans les limites des engagements de l’UE dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce. »
Dans ce même contexte, le 10 avril, le Conseil consultatif de pêche lointaine de l’UE (LDAC) a publié un avis sur « la nécessité d’aborder les questions de durabilité de la pêche et de la production aquacole dans les relations commerciales entre l’UE et la Norvège. » Depuis le Brexit, la Norvège s’est octroyée unilatéralement des quotas excessifs pour des espèces comme le maquereau, ce qui inquiète le secteur de la pêche de l’UE. L’avis souligne que le comportement de la Norvège suscite également de sérieuses inquiétudes quant à la durabilité des conditions de production de l’aquaculture norvégienne : « C’est particulièrement vrai pour la production non durable de saumon d’élevage. »
Le LDAC demande à l’UE de promouvoir, dans ses relations avec la Norvège, la durabilité sociale et environnementale dans la production de produits de la pêche et de l’aquaculture, comme elle le fait avec ses autres partenaires commerciaux. Il va plus loin et demande à l’UE « de cesser de maintenir les dérogations fiscales accordées aux produits de la pêche norvégienne entrant sur le marché de l’UE », comme le saumon. À plus long terme, le LDAC insiste sur le fait que « les négociations futures avec la Norvège doivent se fonder sur une politique qui tienne compte de la nécessité pour les produits de la pêche et de l’aquaculture norvégiens de respecter les résolutions internationales des ORGP, ainsi que les règles et normes de durabilité de la FAO en matière d’aquaculture et de bien-être des poissons. »
En résumé, l’UE devrait cesser l’importation de saumons d’élevage norvégien produits de manière non durable, car cela va à l’encontre de la durabilité prônée par l’UE. Dans l’attente de la mise en œuvre d’une telle politique, les consommateurs européens désireux de soutenir les communautés de pêche artisanale en Afrique de l’Ouest n’ont qu’un seul choix : cesser de manger du saumon d’élevage intensif !
Photo bannière: Élevage de saumons à Karlsoy, Norvège, de Ludovic Charlet.
Le commissaire chypriote désigné a répondu aux questions de la commission de la pêche du Parlement européen (PECH) concernant le cadre stratégique qui devrait assurer la cohérence des politiques liées aux océans, y compris la politique commune de la pêche. La commission PECH lui a apporté son soutien pour son futur mandat.