Du 5 au 7 décembre 2023, la FAO, en collaboration avec la Global Roundtable on Marine Ingredients et le Iceland Ocean Cluster, a organisé un atelier à Accra (Ghana) sur le thème : « Optimiser la sécurité alimentaire et nutritionnelle et les avantages de la production de petites espèces pélagiques en Afrique subsaharienne ».
Cela fait suite à une étude commandée par le Comité des pêches pour l'Atlantique Centre-Est (COPACE) sur les « Impacts socioéconomiques et biologiques de l’industrie des aliments pour animaux à base de poisson en Afrique subsaharienne », et publiée en 2022. L'objectif était de mieux comprendre les défis posés par l'expansion de l'industrie de la farine et de l'huile de poisson en Afrique subsaharienne, et d'identifier, à partir d'études menées dans 9 pays, les moteurs, les résultats et les compromis possibles avec l'industrie de la farine de poisson.
Bien que cette étude ait fourni un bon aperçu initial de l'industrie de la farine et de son impact, les organisateurs de l'atelier du Ghana ont estimé que de nombreux aspects devaient encore être discutés avec un large éventail de parties prenantes et d'experts, notamment le sujet de comment accroître les avantages tirés des petits pélagiques pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle et les moyens de subsistance, tout en gérant les compromis avec la demande de l’industrie de la farine et de l’huile de poisson?
« Nourrir le poisson du riche avec le poisson du pauvre »
La CAOPA et la CAPE ont fait une présentation conjointe à l'atelier, alertant tout d'abord sur la façon dont le déclin de la sardinelle en Afrique de l'Ouest affecte les pêcheurs, les femmes transformatrices de poisson et les consommateurs. Prenant l'exemple du Sénégal, où la disponibilité en petits pélagiques par habitant est passée de 16 kg/an en 2009 (avec 217 000 tonnes de petits pélagiques mis sur le marché) à 9 kg/an en 2018 (avec 139 000 tonnes mises sur le marché), M. Dawda Saine (Gambie), Secrétaire général de la CAOPA, a souligné que « cette situation se retrouve dans plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest, notamment en Mauritanie, au Sénégal et en Gambie. Dans le même temps, nous constatons que la production de farine de poisson augmente ».
Mme Raissa Nadège Leka Madou (Côte d'Ivoire), représentant les femmes transformatrices de Côte d’Ivoire, a souligné que, comme les petits pélagiques pêchés au Sénégal et en Mauritanie sont exportés dans les pays voisins, la rareté des sardinelles dans ces pays met en péril la sécurité alimentaire de toute la région : « Pourquoi enlever la nourriture de la bouche des pauvres d'Afrique de l'Ouest pour nourrir ceux qui sont déjà rassasiés, dans les pays riches où les gens mangent du poisson élevé avec de la farine de poisson provenant d'ici ? »
M. Saine et Mme Madou ont ensuite détaillé ce que sont, du point de vue de la pêche artisanale africaine, les trois principales causes de cette crise alimentaire en gestation: le manque de gestion concertée, la prolifération d’usines de farine et d’huile de poisson et le manque d’investissements dans la filière consommation humaine. Tout d'abord, M. Saine a rappelé que « les petits pélagiques sont une ressource partagée, mais les pays concernés ne se concertent pas pour fixer des totaux admissibles de captures ou des quotas pour chaque pays ».
« Depuis 2012, la CAOPA demande à la FAO de promouvoir une gestion concertée des petits pélagiques », rappelle Gaoussou Gueye (Sénégal), président de la CAOPA : « cette inertie institutionnelle depuis plus de dix ans n'est pas acceptable ». Il a suggéré de commencer par un « petit pas concret » : d'abord, mettre en place une équipe de scientifiques mauritaniens, sénégalais et gambiens pour conseiller les gouvernements sur les mesures à prendre pour protéger les petits pélagiques, en particulier la sardinelle. Il a appelé la FAO devrait également favoriser les échanges entre la Mauritanie et le Sénégal concernant la mise en œuvre de leurs plans de gestion respectifs des sardinelles, et encourager la Gambie à faire de même : « Nous devons poursuivre nos efforts, notamment à travers le COPACE, pour assurer une gestion concertée de ces ressources de petits pélagiques ».
A l'origine du problème, souligne M. Saine, il y a également le nombre croissant d'usines, poussées par la demande de farine et d'huile de poisson en Chine, en Norvège, en Turquie (pour l'aquaculture du saumon) et France (pour les cosmétiques). Pour la pêche artisanale africaine, l'utilisation de la sardinelle pour la farine de poisson devrait être totalement interdite. Compte tenu de la difficulté de contrôle au niveau des usines, l'accès à la sardinelle devrait être exclusivement réservé aux pirogues artisanales pêchant pour la consommation humaine. « Pour nous, il est inconcevable d'éco-labelliser des farines et des huiles de poisson fabriquées à partir de sardinelles surexploitées », estime Mr Saine.
Des investissements pour la conservation et la distribution de poisson
Mme Raissa a souligné que l'exploitation des petits pélagiques pour en faire de la farine de poisson n'aide pas non plus les petits éleveurs de poissons en Afrique : « le paradoxe est que la sardinelle, au lieu de nourrir les Africains, est transformée en farine de poisson, exportée en Chine, où elle nourrit le tilapia, qui est ensuite importé dans nos pays et vendu moins cher que le tilapia d'élevage local. En Côte d'Ivoire, un kilo de tilapia d'élevage local coûte 3 000 francs CFA, tandis qu'un kilo de tilapia "made in China" ne coûte que 1 200 francs CFA. En quoi cela aide-t-il quelqu'un en Afrique ? »
Selon elle, ce qu'il faut, ce sont des investissements dans la chaîne de valeur des petits pélagiques destinés à la consommation humaine. Actuellement, les pays concernés n'autorisent que l'utilisation de poissons impropres à la consommation humaine dans les usines de fabrication de farine et d'huile de poisson. Mais le poisson frais qui n’est pas correctement traité devient vite impropre à la consommation. Les investissements dans les infrastructures de conservation et de transformation artisanale, ainsi que dans les moyens de transport des produits transformés et non transformés dans toute la région, sont insuffisants. Par conséquent, une grande partie de la sardinelle qui pourrait être consommée par la population locale si elle était correctement conservée, transformée et transportée, finit comme déchet dans les usines de farine de poisson.
En fin de compte, seuls de tels investissements permettront d’optimiser la contribution des petits pélagiques à la sécurité alimentaire de la région. À une condition : « La sardinelle doit être réservée à la pêche artisanale, pour la consommation humaine et non pour la farine de poisson », conclut M. Gaoussou Gueye.
Photo de l’entête: Les captures d’une senne de plage à Agoué, Benin, par CAPE.
Dans cet article, l'auteur analyse le rapport principal qui plaide pour une augmentation des financements en faveur de la conservation, Financing Nature, et s'appuie sur des exemples de pêche et de gouvernance des océans pour révéler les failles de ses calculs. L'auteur déplore également le fait que l'accent mis sur l'augmentation des dépenses détourne les discussions essentielles sur les causes profondes de la crise et il dénonce le rapport comme étant un outil au service du financement de la conservation, une publication performative qui présente des opportunités d'investissement privé.