La production de farine et d'huile de poisson en Afrique de l'Ouest détruit les ressources de la région au profit de pays étrangers

La FAO a récemment publié un rapport sur les impacts socio-économiques et biologiques de l'industrie de l'alimentation à base de poisson en Afrique subsaharienne.

Le rapport analyse la production d'aliments à base de poisson dans neuf pays, dont la Mauritanie, le Sénégal et la Gambie, et formule des recommandations générales appelant à une meilleure gouvernance et à une prise de décision fondée sur des données probantes, notamment en limitant la production « en fonction de l'état des stocks de poissons et des besoins en poissons pour la consommation humaine ».

Le rapport explique que la demande mondiale de farine et d'huile de poisson a augmenté en raison de la croissance du secteur de l'aquaculture et de l'élevage. Cependant, la majeure partie de la production nationale de pays comme le Congo, la Mauritanie, le Sénégal ou la Gambie est exportée principalement vers la Chine et la Turquie. Comme ils n'ont pas les moyens d'acheter les aliments manufacturés coûteux, les pisciculteurs et les éleveurs locaux ont recours à des alternatives locales peu performantes.

Les promoteurs de l'industrie de l’alimentation à base de poisson (FBF dans son acronyme anglais) mettent en avant ses avantages socio-économiques comme la création d'emplois directs et les revenus générés par les taxes et les licences, mais la plupart du temps, ils emploient des « travailleurs locaux de rang inférieur » et « les employés qualifiés [...] sont généralement des étrangers ». En outre, la croissance d'une telle industrie pourrait entraîner la perte des moyens de subsistance des communautés dépendant de la pêche artisanale : « Les avantages sociaux de l'industrie restent limités » à « quelques entités, et s'accompagnent de menaces pour les moyens de subsistance, l'emploi, la sécurité alimentaire et la nutrition, ainsi que la santé et le bien-être des communautés locales ».

Les pêcheurs artisanaux vendent le poisson à des usines de farine de poisson plutôt qu'à des femmes transformatrices de poisson qui le rendent disponible pour la consommation humaine, car ils peuvent en tirer un meilleur prix. Photo : Pêcheurs à Sangyang, en Gambie, par Mediaprod.

Le rapport s'interroge sur le fait que la plupart des poissons utilisés sont « impropres à la consommation humaine » et se demande s'ils sont volontairement détournés d’une consommation humaine potentielle. Ils recommandent une meilleure gouvernance et « des pratiques efficaces de capture et de post-capture du poisson pour réduire les prises accessoires et les pertes », ce qui « peut nécessiter un système de contrôle et de surveillance efficace pour garantir le respect des réglementations locales, nationales et régionales en matière de pêche ».

En Afrique de l'Ouest, les stocks de petits pélagiques, dont la sardinelle surexploitée, subissent une pression accrue en raison de l'expansion de l'industrie de la farine et de l'huile de poisson dans la région. Pour obtenir un kilo de farine de poisson, il faut plus de 5 kg de petits pélagiques. Le rapport de la FAO explique que les captures destinées à la consommation humaine ont récemment diminué de façon spectaculaire, « l'industrie est en concurrence avec les femmes transformatrices » pour l'accès au poisson et « le poisson est devenu extrêmement rare et cher sur les marchés locaux ».

Certains pêcheurs artisanaux vendent leurs prises aux usines car ils peuvent en obtenir un meilleur prix. Dans la ville de pêche sénégalaise de Kayar, une enquête de l'ONG Natural Justice a montré qu'une usine de farine de poisson achète le panier de poisson à 5000 FCFA, multipliant par cinq le prix que les femmes transformatrices de poisson payaient auparavant. Selon les habitants, l'installation des usines de farine de poisson à Kayar a conduit plusieurs centaines de femmes transformatrices à perdre leur emploi. La sécurité alimentaire est également affectée : comme le souligne le rapport de la FAO, en 2020 au Sénégal, le déficit de la demande en poisson était estimé à environ 150 000 tonnes.

Cette industrie met en outre en danger les populations locales, car les rejets d'eaux usées et de fumée provoquent des problèmes respiratoires et des maladies de la peau.




Photo de l’entête: Femmes transformatrices de poisson à Kafountine, en Casamance (Sénégal), par Mediaprod pour CAPE.