A deux semaines du sommet qui va réunir les dirigeants de l'Union européenne et de l'Union africaine à Bruxelles, les 17 et 18 février 2022, l’équipe qui a pris les rênes de AFRIFISH, - la plateforme continentale qui rassemble les acteurs non étatiques de la pêche africaine -, compte bien se faire entendre.
Gaoussou Gueye (coordinateur - Sénégal), Patricia Maisha (vice-coordinatrice - RDC) et Okeloh W’Namadoa (secrétaire général - Kenya), partagent leurs expériences, leurs priorités pour 2022, - Année internationale de la Pêche et de l’Aquaculture artisanales-, et leurs messages aux décideurs.
« La volonté des acteurs de la pêche africaine de dialoguer avec les décideurs remonte loin », explique Okeloh W’Namadoa, le secrétaire général d’AFRIFISH, «mais la première fois que nous avons pu le faire, c’est lors de la première Conférence des Ministres africains de la Pêche et de l'Aquaculture (CAMFA) en 2010. Dès ce moment, nous avons compris que nous devions parler d'une seule voix, nous unir, plutôt que de mener des actions de plaidoyer de manière fragmentée ».
Gaoussou Gueye s’en souvient également : «Rendez-vous compte: des communautés de pêche africaine et des représentants de la société civile de dix-sept pays africains étaient réunis à Banjul pour cela. Nous avons discuté pendant deux jours. C’était une première pour l’Afrique ! Nous avons constaté que nos problèmes étaient semblables et nous avons voulu proposer des pistes de solution à nos décideurs. Je me souviens avoir lu en plénière, devant les Ministres rassemblés, notre déclaration de la société civile sur les moyens de subsistance durables dans la pêche en Afrique. On y insistait déjà sur la nécessité que les parties prenantes soient impliquées dans les décisions qui affectent les communautés de pêche ».
Le développement de la pêche artisanale durable est aujourd’hui partie intégrante de la stratégie et du cadre politique de réforme de la pêche et de l'aquaculture en Afrique de l'Union africaine, adoptés en 2014. La pêche artisanale y est présentée comme essentielle dans la lutte contre la pauvreté et pour la contribution à la sécurité alimentaire et la nutrition du continent, sans parler des nombreux emplois créés dans la filière. L’Union africaine y prône également une « participation structurée des utilisateurs des ressources et des acteurs non étatiques dans la formulation de politiques et la gestion des ressources ».
Okeloh W’Namadoa, précise que c’est le Bureau interafricain des ressources animales de l'UA (AU-IBAR) et l'Agence de développement de l'UA (ADUA-NEPAD) qui ont soutenu financièrement la création de cinq plateformes rassemblant, au niveau des régions africaines, les acteurs non étatiques de la pêche. Est venue ensuite la volonté de rassembler ces plateformes régionales au niveau d’une plateforme panafricaine. « Voilà comment AFRIFISH est née. Tant les initiatives régionales que continentale ont été rendue possible grâce aux projets FISH GOV I et II, financés par l’UE », poursuit-il.
Les femmes, les oubliées de la pêche artisanale africaine
Dans sa stratégie de réforme, l’UA reconnait le rôle crucial des femmes dans la pêche artisanale en Afrique, dans la transformation, le commerce mais aussi la récolte du poisson. Patricia Maisha, qui soutient le travail des femmes de la pêche artisanale en République Démocratique du Congo, confirme : « les femmes, elles représentent une grande partie de la filière pêche artisanale en Afrique. Mais, malgré cela, les avancées concrètes pour leur faciliter la vie manquent encore ». Elle prend l’exemple de son pays où « les femmes de la pêche artisanale, que ce soit la pêche continentale, le fleuve, les lacs, ou la pêche maritime, sont les grandes oubliées. Elles travaillent dans des conditions très difficiles, dans la fumée toute la journée. Elles achètent bien cher le bois de chauffage, qui en plus, contribue à la déforestation. Elles doivent craindre la violence, le harcèlement sexuel quand elles veulent acheter du poisson. Pour faire face à tout ça, elles reçoivent peu de soutien des autorités ».
Et puis, comme presque partout en Afrique, il y a la rareté du poisson : «il y a beaucoup de raisons à ça : la surpêche, la pêche de poissons immatures, la sédimentation des cours d’eau qui menace les zones de frayères ». Un espoir pour améliorer l’approvisionnement des femmes transformatrices en matière première, c’est la pisciculture artisanale. Pour Madame Maisha, « les deux se complètent ; pour essayer de pallier le manque de poisson de cueillette, nous faisons de l'aquaculture à petite échelle, de tilapia, de poisson chat. Avec mon organisation, nous formons des pisciculteurs sur l’aménagement des étangs, la sélection des alevins, la fabrication des aliments. Pour l’aliment, on utilise un peu de poudre de poisson, mais c’est surtout des végétaux ».
Pour la vice-coordinatrice d’AFRIFISH, dans le cadre de partenariat entre l’UE et l’UA, les chantiers sont énormes pour améliorer le quotidien des femmes du secteur : « il faut améliorer les services, comme le nettoyage des sites de transformation, et les infrastructures utilisées par les femmes, leur procurer des fours modernes pour le séchage et le fumage, mettre en place la chaîne du froid pour celles qui veulent conserver le produit frais. Il y a aussi le transport frigorifique, les problèmes d’emballages à régler pour mieux conserver le poisson qui est exporté. Il y a trop de poisson perdu ».
Des droits de pêche exclusifs pour la pêche artisanale
Selon Patricia Maisha, un autre fléau qui accable les pêcheurs congolais opérant sur la côte atlantique du pays, c’est la compétition avec les flottes étrangères : « Notre littoral maritime n’est pas grand, mais il est envahi aujourd’hui par des firmes chinoises qui viennent vider nos océans, et cela aussi au-delà de nos frontières, comme en Angola ou au Congo Brazza ».
La compétition avec les flottes industrielles d’origine étrangère, Gaoussou Gueye connait bien : « la priorité pour les pêcheurs artisans africains, cela doit être, en ligne avec l’Objectif de développement durable (ODD) 14b, de sécuriser l’accès aux ressources qu’ils exploitent et aux zones où ils pêchent. Nous souhaitons que les États accordent des droits de pêche exclusifs aux pêcheurs artisans dans ces zones. Elles doivent être cogérées par l'État et les communautés de pêcheurs artisans, afin de garantir une gestion durable, et inclure des outils de conservation appropriés, tels que des aires marines protégées conçues et gérées avec les communautés dépendantes de la pêche ».
Mais sécuriser l’accès aux ressources, « cela signifie également être en sécurité en mer. Les pays africains devraient signer et appliquer la convention 188 de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur le travail dans le secteur de la pêche. La formation à la sécurité des capitaines et des équipages de pirogues, l’utilisation des nouvelles technologies, la sensibilisation des pêcheurs aux questions de sécurité sont autant d’éléments essentiels qui pourraient être améliorés avec la mise en œuvre de cette convention. Aujourd’hui, il n’y a que 6 états africains qui ont signé cette convention ».
Résister aux sirènes de l’économie bleue
Selon Okeloh W’Namadoa, les dangers qui guettent la pêche africaine viennent parfois de l’extérieur de la pêche, des autres secteurs de «l’économie bleue»: « La pêche et l’aquaculture est le plus grand des secteurs de l’économie bleue africaine, et le poisson est la seule ressource de l’économie bleue qui soit renouvelable. Mais l’agenda de nos pays dans ce domaine, qui, malheureusement, n’est pas toujours clair pour tout le monde, risque de mettre les communautés de pêche africaines dans une situation précaire, où elles seront marginalisées face aux autres composantes de l’économie bleue ».
Gaoussou Gueye est du même avis, et pour lui, l’approche de précaution doit guider le développement de l’économie bleue en Afrique : « Avant de donner le feu vert à toute nouvelle activité d’exploitation de nos océans, nos lacs et nos fleuves, des études d’impact social et environnemental indépendantes doivent être réalisées dans la plus grande transparence et avec la participation des communautés côtières concernées. Aucune nouvelle activité d’exploitation ne devrait être autorisée par les États, ni soutenue par les donateurs, si elle a un impact négatif sur les écosystèmes et les activités des communautés qui en dépendent pour leur subsistance ».
Bien que la portée de l'économie bleue puisse différer dans chaque pays africain, la plupart conviennent que la conservation et l'utilisation durable des ressources marines, aquatiques intérieures et côtières contribuent à la sécurité alimentaire, à la création d'emplois, à une croissance économique inclusive et durable, ainsi qu'à l'atténuation du changement climatique et à l'adaptation à celui-ci. D'où la nécessité de protéger et de défendre religieusement les communautés dépendantes de la pêche et de l'aquaculture dans l'économie bleue africaine.
Des investissements en Afrique qui correspondent aux besoins
A entendre les préoccupations des uns et des autres, pour Okeloh W’Namadoa, « il est clair que, dans les cinq plateformes régionales d’acteurs non étatiques, ce sont les mêmes questions qui se posent : reconnaissance de l’importance de la pêche artisanale, de la nécessité de la soutenir ; bonne gouvernance, conservation des ressources et des écosystèmes… Ça a du sens de se rassembler dans un réseau continental, qui s’appuiera sur des réseaux d’acteurs non étatiques régionaux et nationaux forts et représentatifs, qui vont lui donner sa légitimité. La plateforme continentale fournira un espace d’interaction et de plaidoyer, elle contribuera à créer de nouveaux liens entre les acteurs non étatiques de la pêche en Afrique et stimulera leur coordination, renforçant leur capacité à promouvoir les intérêts et les droits des communautés de pêche artisanale africaines ».
Dans l’optique des relations de partenariat entre l’Afrique et l’UE, il voit également un intérêt à créer un dialogue avec la société civile européenne sur ces enjeux de conservation et de bonne gouvernance, mais aussi sur d’autres questions comme celle des investissements : « Ceux qui viennent investir en Afrique dans la pêche, est-ce que ça correspond aux besoins ? Est-ce que ça répond à nos problèmes ? »
Et il conclut : « en fin de compte, acteurs et décideurs africains, nous voulons tous la même chose : voir changer les choses pour améliorer la vie de nos communautés de pêche ».
Photo de l’entête: Le site de débarquement et plage de Kafountine, en Casamance (Sénégal), par Agence Mediaprod pour CAPE.
L'évaluation des APPD par la Commission conclut qu'ils sont « à la hauteur de la situation » et identifie des domaines à améliorer dans la mise en œuvre du cadre de gouvernance. La plupart de ces domaines relèvent de la responsabilité du pays partenaire, ce qui suggère un manque d'engagement de la part de certains pays partenaires pour faire de ces accords de pêche une réussite.