La pêche artisanale sénégalaise dénonce l’octroi de nouvelles licences de pêche

Le 9 Août 2023, le Conseil interprofessionnel de la Pêche artisanale au Sénégal (CONIPAS) a exprimé son désaccord par rapport à l’octroi de toute nouvelle licence de pêche industrielle par les autorités sénégalaises, qui serait donnée en contradiction avec l’avis de la Commission Consultative d'Attribution des Licences de Pêche (CCALP).

Cette commission, dont fait partie le CONIPAS, s’est réunie le 19 Juillet 2023 pour examiner onze demandes de licences, dont 10 nouvelles demandes et 1 demande de changement de catégorie. Ces dix nouvelles demandes, qui ciblaient particulièrement les petits pélagiques, - Yaboye (Sardinelle), Diaye (Chinchard), Cobo (Ethmalose)-, ont reçu un avis défavorable de la commission, y compris du CONIPAS et du Centre de Recherches Océanographies de Dakar Thiaroye (CRODT), s'appuyant sur la dernière évaluation scientifique des ressources halieutiques du Sénégal montrant que les stocks des poissons ciblés sont surexploités.

Face à ces préoccupations, le ministre annonça dans la foulée avoir pris la décision de ne pas attribuer de nouvelles licences aux bateaux de pêche industrielle. Les professionnels et la société civile, comme Greenpeace, ont salué cette « décision courageuse ».

Seulement voilà, depuis lors, des copies de licences attribuées à des chalutiers d’origine chinoise, - tels que le LU QING YUAN YU 050 (DAK1373) et GUOJIN 901 (DAK 1371)-, signées par le Ministre en date du … 18 juillet 2023, soit un jour avant la réunion de la Commission d’attribution des licences, circulent sur les réseaux sociaux. Pour le CONIPAS, c’est l’incompréhension : l’organisation souligne n’avoir participé à aucune réunion de la CCALP où des demandes de nouvelles licences de pêche ont reçu un avis favorable. Le CONIPAS « condamne toute délivrance de nouvelles licences de pêche dans un contexte de rareté du poisson qui pousse un grand nombre de pêcheurs et de jeunes sénégalais à emprunter la mer pour se rendre en Europe en quête de lendemains meilleurs ».

Le ministre de la pêche aurait signé deux licences à des navires d’origine chinoise un jour avant la réunion du Comité Consultatif d’Attribution des Licences de Pêche (CCALP).

Que ces licences aient bel et bien été délivrées ou pas, ce qui est ici en cause, une fois de plus, c’est le manque de transparence dans la procédure d’octroi des licences de pêche industrielle au Sénégal. Cette situation est dénoncée par les acteurs de la pêche artisanale et la société civile sénégalaise qui les appuie depuis de nombreuses années. Ainsi, en 2020, une mobilisation générale avait eu lieu alors que les autorités s’apprêtaient à délivrer 54 licences de pêche industrielle, - pêche aux petits pélagiques, pêche au merlu surtout-, dont 52 licences à des bateaux d’origine chinoise, et deux licences à des senneurs turcs.

Face à ces revendications, les autorités se sont efforcées d’apaiser les inquiétudes citoyennes pour la préservation des ressources en annonçant régulièrement des engagements pour plus de transparence. En 2016, le gouvernement du Sénégal s'est engagé publiquement à mettre en œuvre l’initiative de transparence dans la pêche – FiTI (Fisheries Transparency Initiative). En Août 2022, un projet de trois ans et de 1,2 millions de dollars, financé par Ocean 5 et mis en œuvre par des ONG européennes (EJF et Trygg Mat Tracking), était lancé pour « promouvoir la transparence dans le secteur des pêches sénégalaises, notamment à travers la publication des listes de bateaux sous licence ». Il faut espérer que cette initiative aura des résultats plus probants.

Ceci se passe alors que les négociations pour le renouvellement du protocole d’accord de pêche entre le Sénégal et l’Union européenne vont reprendre dans un avenir assez proche, étant donné que l’actuel protocole se terminera le 17 Novembre 2024. L’étude récente sur les accords de pêche publiée par la Commission européenne pour informer son approche future, met l’accent sur l’importance de la clause de transparence dans les accords de pêche. Cette clause de transparence « est essentielle pour garantir la fourniture d'informations pertinentes pour étayer l'analyse scientifique, en particulier celles qui sont nécessaires pour évaluer le surplus ». L’étude note que, aujourd’hui, il y a une clause de transparence dans la plupart des accords de pêche entre l’UE et des pays africains : « L'APPD conclu avec le Sénégal est la seule exception, sans clause de transparence explicite dans l'APPD ou dans les protocoles d'application ».

Le combat pour la transparence dans la pêche sénégalaise reste entier. Pour l’Association pour la Promotion et la Responsabilisation des Acteurs de la Pêche Artisanale Maritime (APRAPAM), engagée dans ce combat depuis sa création, « il est crucial de connaître quelles espèces sont pêchées, où et pour combien de temps afin de mieux gérer les ressources halieutiques. Les gouvernants sont donc appelés à rendre disponible et accessible au public une information complète et à jour pour une gestion rationnelle des ressources marines ».

Mais la transparence n’est pas une fin en soi, elle doit permettre une meilleure implication des professionnels dans la gestion de la pêche, à fortiori étant donné l’engagement du Sénégal en faveur de la cogestion [ed. voir article 6 du Code de la Pêche]. APRAPAM demande donc que, au-delà de la nécessaire transparence, la commission d’attribution des licences ne soit plus seulement consultative, mais ait le pouvoir de décider de qui, ou pas, est autorisé à pêcher ‘l’or bleu’ du Sénégal.

Photo de l’entête: Le site de débarquement de pêche artisanale à Kafountine, en Casamance (Sénégal), par Agence MEDIAPROD.