Fin juin, Olvea, l'entreprise française incriminée dans notre article OLVEA importe de l'huile de poisson d'Afrique de l'Ouest : « Greenwashing » en action, transparence au point mort, a répondu (voir capture d’écran ci-bas) publiquement à nos critiques. Il s'agit d'une initiative bienvenue, car l'entreprise est connue pour ne pas répondre aux questions des médias.
La discussion sur le rôle d'Olvea dans l'exploitation des petits pélagiques d'Afrique de l'Ouest pour la production d'huile de poisson intervient alors que les Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales sur la conduite responsable des entreprises ont été récemment mis à jour et renforcés, afin de garantir une conduite responsable des entreprises en ce qui concerne leur impact dans des domaines tels que le changement climatique, la biodiversité et le devoir de diligence dans la chaîne d'approvisionnement. Au vu de ses résultats dans la chaîne de valeur de l'huile de poisson en Mauritanie, Olvea passerait-elle le test ?
Malgré les efforts récents, les sardinelles d'Afrique de l'Ouest sont toujours surexploitées
Dans ses commentaires, Olvea souligne d'abord que « de nombreuses sources d'information citées s'appuient sur des données datant de 2017, ne reconnaissant pas les progrès réalisés par l'industrie au cours des dernières années, tels que les changements réglementaires et les efforts collectifs des parties prenantes locales ». Cela semble suggérer que les efforts de l'industrie ont quelque peu conduit à une récupération des ressources de petits pélagiques d'Afrique de l'Ouest utilisées pour la réduction en farine et en huile de poisson.
Nous reconnaissons les progrès réalisés - par le gouvernement mauritanien plutôt que par l'industrie de la farine et de l'huile de poisson -, en particulier l'adoption par la Mauritanie, en 2022, du plan d’aménagemenet pour les petits pélagiques. Il s'agissait d'une étape nécessaire, soutenue par l'UE dans le protocole de l'Accord de Partenariat pour une Pêche Durable (APPD) UE-Mauritanie de 2021.
Au cours des deux dernières années, les autorités mauritaniennes ont également adopté des mesures spécifiques pour répondre à la nécessité de réduire la production de farine et d'huile de poisson, par le biais de règles visant à accroître la traçabilité et la certification des produits, et à améliorer la collecte de données. En outre, un objectif ambitieux pour la consommation humaine de produits de la pêche a été fixé dans la stratégie nationale.
Cependant, les ressources de petits pélagiques, les sardinelles en particulier, n'ont pas encore montré de signe de récupération. En 2022, les scientifiques ont confirmé l'état de surexploitation des sardinelles rondes et plates, du chinchard de l'Atlantique et du bonga, tous des petits pélagiques que l’on trouve dans la production de farine et d'huile de poisson en Mauritanie. Les scientifiques appellent en outre à l'interdiction totale de l'utilisation des sardinelles pour la fabrication de farine et d'huile de poisson.
Commentant la mise en œuvre du plan de gestion des petits pélagiques de Mauritanie, le Conseil consultatif de la pêche lointaine de l'UE, composé de représentants de la chaîne de valeur de la pêche de l'UE et d'organisations de la société civile, a insisté sur le fait que « la transformation de vastes quantités, largement inconnues, de petits pélagiques en farine et en huile de poisson reste une préoccupation importante ». Le manque de données sur les captures utilisées pour la fabrication de farine et d'huile de poisson reste un obstacle à la gestion durable de la pêche.
Contrairement à ce qu'Olvea semble insinuer, CAPE maintient que l'industrie de la farine et de l'huile de poisson en Mauritanie contribue à l'épuisement des stocks de petits pélagiques, ce qui a un impact négatif sur la sécurité alimentaire des populations d'Afrique de l'Ouest. Des preuves scientifiques de ce phénomène ont été produites pendant des années, et aucun rapport crédible ne suggère que la situation est maintenant résolue.
FIP... ou fiction ? vœu pieux ou réalité ?
Dans son plaidoyer, Olvea souligne qu'elle est activement engagée dans la mise en œuvre et la promotion de pratiques durables sur l'ensemble de leur chaîne de valeur, conformément aux normes internationales. En particulier, l'entreprise suggère que le travail qu'elle a initié en 2017 dans le cadre du "Fisheries Improvement Project" (FIP) sur les petits pélagiques en Mauritanie soutient le développement de meilleures pratiques environnementales et sociales: « OLVEA Fish Oils a obtenu les certifications MSC, MarinTrust Chain of Custody et Friend of the Sea ».
Comme l'a déjà fait valoir CAPE, le projet d'amélioration de la pêche en Mauritanie offre aux entreprises une image publique positive mais non méritée, et l'affirmation d'Olvea en est l'illustration. Un FIP est simplement un processus conçu pour aider les entreprises à obtenir un écolabel. Il est donc révélateur d'une pêcherie qui ne répond même pas aux exigences minimales des écolabels volontaires, y compris ceux fournis par Marin Trust, MSC et Friends of the Sea.
Des déclarations sur le site web d'Olvea, soulignant leur engagement à soutenir le développement de meilleures pratiques environnementales et sociales, donnent faussement l'impression que l'huile de poisson qu'ils se procurent en Mauritanie répond déjà aux exigences de plusieurs écolabels, alors qu'en fait, il n'y a qu'un processus en cours pour aider Olvea à obtenir, peut-être, de tels écolabels à l'avenir.
Comme le souligne l'OCDE, un simple engagement de la part de l'entreprise à traiter les impacts environnementaux, tels que la perte de biodiversité et la dégradation des écosystèmes marins, n'est pas suffisant pour considérer que la question environnementale est traitée de manière adéquate.
Les initiatives multipartites, un moyen de diluer les responsabilités des entreprises ?
Les entreprises impliquées dans le FIP en Mauritanie, comme Olvea, sont conscientes des impacts sociaux et environnementaux négatifs de leurs opérations de production de farine et d'huile de poisson. Lorsque CAPE a fait part de ses inquiétudes concernant le FIP, nous avons appris qu'un groupe d'entreprises, dont Olvea, avait formé une table ronde mondiale sur les ingrédients à base de poisson d’origine marine [NdlR. voir la discussion dans les commentaires tout en bas de la page] en collaboration avec l'ONG Sustainable Fisheries Partnership (SFP), basée à Londres, et IFFO. Une des premières activités de cette table ronde a été une étude sur les impacts sociaux de l'industrie de la réduction du poisson en Mauritanie. CAPE a été contactée en 2021 par les consultants qui préparaient cette étude. A notre connaissance, les résultats de cette étude n'ont pas encore été rendus publics.
Il convient de noter que la version révisée des Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales pour une conduite responsable des affaires discute la question de ces initiatives multipartites (MSI). Elle précise que même si les entreprises peuvent collaborer au niveau multipartite, « elles restent individuellement responsables de la mise en œuvre effective de leur devoir de diligence » (voir page 17, commentaire 12).
L'argument de la « pente glissante »
En guise de commentaire final, Olvea se demande si les défis environnementaux et sociaux existants « disparaîtront si nous nous désengageons de la Mauritanie ? Certainement pas, il n'est pas certain que d'autres acteurs étrangers soient aussi concernés que nous par la durabilité ». Il s'agit là d'un argument fallacieux, souvent utilisé par les industries destructrices et polluantes basées en Europe lorsqu'elles parlent de leurs activités dans les pays en développement : si nous ne sommes pas là, les choses seront pires.
Ce sophisme a été si largement utilisé qu'il porte même un nom : « l'argument de la pente glissante », qui consiste à rejeter une ligne de conduite - Olvea cessant d'importer de l'huile de poisson provenant de petits pélagiques surexploités d'Afrique de l'Ouest – sous le prétexte, peu ou pas étayé par des preuves, que cela entraînera une situation pire. Eh bien, en Mauritanie, les choses vont mal précisément parce que des entreprises comme Olvea alimentent la surexploitation des petits pélagiques, destinée à nourrir l'appétit d’Européens bien nourris pour des produits tels que le saumon d'élevage, les compléments alimentaires et les produits de beauté, au détriment de la sécurité alimentaire des populations d'Afrique de l'Ouest.
Un tel argument suggère également que la situation de la pêche dépend de la bonne volonté d'acteurs privés tels qu'Olvea, plutôt que des autorités nationales mauritaniennes. C’est là faire preuve d'une arrogance déplacée, car au cours de la dernière décennie, ce sont les autorités mauritaniennes qui ont mis en place des mesures et des politiques visant à limiter l'utilisation des petits pélagiques dans la farine de poisson.
Donc, pour répondre à la question d'Olvea, oui, les industries européennes comme la leur devraient se désengager des industries mauritaniennes de farine et d'huile de poisson.
C'était notre message il y a cinq ans.
C’est notre message aujourd'hui.
Photo de l’entête : L'entrée du port de Fécamp, en Normandie, par Benoît Deschasaux.
Le dernier compte rendu de la réunion du dernier Comité Scientifique Conjoint (CSC) de l’accord de partenariat pour une pêche durable entre l’Union européenne et la Mauritanie révèle qu'il reste un long chemin à parcourir pour garantir que toutes les flottes de l'UE actives en Mauritanie pêchent de manière durable, notamment en ce qui concerne le contrôle et la limitation des prises accessoires et des rejets.