Alors que les négociations entre l’UE et Madagascar continuent pour un nouveau protocole d’APPD thonier, - le dernier ayant expiré le 31 Décembre 2018, le gouvernement malgache a signé deux protocoles qui permettent l’accès aux eaux malgache à une trentaine de navires appartenant à des investisseurs chinois.
Les deux protocoles d’accord de pêche ont été signés fin 2019 entre le Ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche de Madagascar (MAEPM) et la société de droit malgache Côte d’Or, dont les dix actionnaires sont chinois. Le premier de ces protocoles permet à 12 bateaux de pêche polyvalents (chalutiers/senneurs/fileyeurs) de pêcher des espèces pélagiques, démersales, des céphalopodes et des crustacés, dont la crevette, “l’or rose” de Madagascar, dans toutes les zones de pêche, tant sur la Côte Est que sur la Côte ouest. Ces bateaux auront accès en pratique à toutes les ressources qui se trouvent dans les eaux malgaches. Un deuxième protocole signé par le Ministère avec la même société, prévoit le déploiement de 16 autres bateaux qui pêcheront poissons démersaux, pélagiques et crustacés au moyen de filets, casiers et palangres.
Présence chinoise dans les eaux malgaches
Ces protocoles d’accords, gardés secrets jusqu’à présent par le MAEPM, ne font que confirmer l’emprise grandissante de flottes d’origine asiatique sur les ressources halieutiques de Madagascar, et les inquiétudes que cela génère chez les petits pêcheurs malgaches depuis plusieurs années.
En 2017, l’arrivée de six chalutiers chinois de la compagnie RUISHUN, sous couvert de la société mixte locale Maprosud, avait créé l’émoi chez les petits pêcheurs du Sud-Ouest de Madagascar. Après avoir pêché illégalement en zone côtière, ces bateaux RUISHUN prirent le large pour demander, début 2020, une autorisation de pêche dans les eaux du Sénégal en compagnie d’une cinquantaine d’autres bateaux, en grande majorité d’origine chinoise. Une large mobilisation locale a découragé, jusqu’à présent, les autorités sénégalaises de leur octroyer les autorisations demandées.
En 2018, un accord d’investissement entre Madagascar et une société chinoise, signé dans des conditions opaques, prévoyait lui le déploiement de 330 navires dans les pêcheries côtières de Madagascar!
Deux ans plus tard, avec l’avènement d’un nouveau gouvernement à Madagascar, ce projet semble être tombé à l’eau.
Un modus operandi qui se répète en Afrique
Le modus operandi pour l’accueil de ces bateaux d’origine chinoise semble toujours le même, à Madagascar, au Sénégal ou dans d’autres pays africains. Les gouvernements permettent à ces bateaux d’accéder à leur ZEE alors qu’ils n’ont pas d’autorisation de pêche, légalisent dans un deuxième temps la situation via la constitution d’une société mixte bidon, qui supervise le passage des bateaux chinois sous pavillon national, puis vient l’émission des licences de pêche. Si on prend par exemple la société malgache Côte d’Or, qui déploie à travers ces deux protocoles une trentaine de bateaux dans les eaux malgaches, les investisseurs chinois n’ont rassemblé ensemble que le modique capital de 20 millions d’ariary (4300 euros), lui donnant toutes les caractéristiques d’une société de façade.
Une autre particularité de ces deux protocoles est qu’ils ne font l’objet d’aucune contrepartie pour l’Etat, contrairement aux protocoles officiels, et n’incluent que des redevances annuelles dérisoires. En contrepartie, ces bateaux auront accès à des pêcheries multiples, y compris des pêcheries pour lesquelles des redevances élevées sont normalement payées, comme la crevette ou la langouste. Avec leurs licences “multi-espèces”, ces bateaux seront également exonérés de la réglementation et de la gestion sectorielle existant pour les espèces de haute valeur commerciale comme la crevette. Ces protocoles représentent donc un manque à gagner important pour le gouvernement malgache.
Mais le plus grand péril, c’est que cette politique active d’accueil de bateaux d’origine chinoise hypothèque l’avenir des communautés côtières malgaches dépendant de la pêche: l’aggravation de la surexploitation des ressources malgaches, la destruction de l’environnement marin côtier, la baisse du rendement de la pêche, la diminution de la taille des captures, mettent ainsi en péril les communautés de petite pêche côtière.
On estime à environ 100 000 le nombre de personnes pratiquant la petite pêche dans le pays et la plupart des ressources qu’ils ciblent, également ciblés par des chalutiers semi-industriels et industriels étrangers, sont en état de surexploitation.
Notre récent état des lieux soulignait les énormes besoins de la petite pêche traditionnelle malgache, et insistait sur la nécessité d’améliorer la gestion des ressources comme condition sine qua non à la survie de ces communautés, essentielles contributrices à la sécurité alimentaire du pays.
L’attitude laxiste des autorités malgaches, invitant des sociétés mixtes de façade, à travers des protocoles de pêche opaque, à pêcher encore plus les ressources halieutiques surexploitées est d’autant plus étonnante que le pays a mis à l’étude un nouveau plan directeur de la pêche et de l’aquaculture et un plan de lutte contre la pêche illégale visant à promouvoir une exploitation et une valorisation durable des ressources pour la période 2019-2023. Un élément important de ce plan est la transparence dans la gestion des pêcheries : transparence en matière d’allocation de licences et d’accords de pêche notamment.
Il est temps pour les autorités malgaches, de ‘faire ce qu’on dit’, et de ‘dire ce qu’on fait’.
Photo de l’entête: Port d’Hankifi, Madagascar par Sandy Manoa - @th3sand7/Unsplash
Pour que l’accord contribue efficacement aux Objectifs de Développement Durable, il est essentiel que les prochaines négociations, avant la treizième conférence ministérielle, se focalisent la principale menace à la pêche artisanale en Afrique : la surpêche et la surcapacité, surtout par le biais des navires d’origine étrangère.