Après une réunion de haut niveau en Décembre 2020, les négociations ont été relancées entre l’UE et Madagascar pour le renouvellement de l’Accord de Partenariat pour une Pêche Durable (APPD), un accord thonier dont le dernier protocole est arrivé à expiration le 31 décembre 2018.
Du côté des autorités malgaches, la priorité de ces négociations demeure de tirer de meilleurs bénéfices économiques des ressources thonières présentes dans les eaux de la Grande Ile une partie de l’année. Dans une entrevue, fin Mai, le Ministre en charge de la Pêche à Madagascar cite le chiffre de 40 millions d’euros espérés sur la durée du futur protocole, contre un peu plus de 6 millions d’euros pour le protocole 2015-2018. Il faut rappeler à cet égard que les pays de la Commission des Pêches du Sud-Ouest de l’Océan Indien (SWIOFC/CPSOOI) ont adopté en 2019, des Directives concernant les conditions minimales d’accès aux pêcheries étrangères. Ces Directives insistent sur la nécessité d’une exploitation rationnelle et responsable des ressources halieutiques, mais aussi sur l’importance d’uniformiser et d’harmoniser les compensations financières pour l’accès aux ressources thonières dans leurs eaux, « avec un minimum de douze pour cent (12 %) au moins de la valeur marchande moyenne courante des ressources en thonidés et assimilés ».
Des questions soulevées par les parties prenantes européennes lors des discussions sur ces directives restent d’actualité, notamment, comment seront calculés ces 12%, qui pourraient l’être par rapport à la valeur de l’ensemble des ressources thonières dans les ZEE des États participants ou bien par rapport à la valeur des captures spécifiques effectuées par les navires autorisés. Étant donné que les valeurs marchandes du thon et des espèces apparentées sont variables, il est important aussi de savoir comment les État côtiers pourront calculer ce que représentent 12% de la valeur marchande moyenne des ressources alors qu’ils fixeront à l’avance le prix des licences… Finalement, il faudrait savoir si ces paiements incluront les rétributions effectuées par le navire pour les coûts de gestion.
Néanmoins, quelle que soit la base de calcul qui sera retenue, il est légitime de la part des autorités malgaches de souhaiter une compensation financière équitable, qui prenne en compte des facteurs tels que les coûts de gestion, la valeur du poisson, les coûts d'exploitation et les charges liées au Monitoring, Contrôle et Surveillance.
Une utilisation efficace et transparente de l’appui sectoriel, clé pour les communautés de pêche
La société civile africaine et européenne, ainsi que les organisations de pêche artisanale africaine, quant à elles, demandent avec insistance de mettre au cœur de partenariats comme l’APPD UE-Madagascar la transparence, la lutte contre la pêche INN, la sécurité alimentaire des populations locales, et la promotion d’une pêche à petite échelle durable.
Dans le cadre du dernier protocole d’APPD UE Madagascar, un montant spécifique de 700 000 EUR par an était destiné à l'appui de la politique sectorielle de la pêche de Madagascar, notamment « en matière de soutien à la pêche artisanale et traditionnelle, de suivi, de contrôle et de surveillance des activités de pêche et plus particulièrement de lutte contre la pêche illégale, non déclarée et non règlementée (INN), de renforcement des capacités de la recherche halieutique malgache ou des capacités de gestion de l'accès et de l'usage des écosystèmes marins et des ressources halieutiques ».Cet engagement a été salué par la société civile et les communautés de pêcheurs malgaches.
Cependant, aujourd’hui, c’est la déception. Il n’y a pas de retombées visibles de cet appui sectoriel pour les petits pêcheurs, et aucune information n’a été rendue publique sur la façon dont ces fonds ont été utilisés. Un petit pêcheur malgache exprime sa frustration : « qu'en est-il de l’appui sectoriel, notamment la part qui devait être allouée la pêche artisanale et traditionnelle ? Rien de concret n’a été fait à ma connaissance. Nous voulons juste travailler, avec un minimum d’appui qui nous assure des conditions de vie et de travail décentes, ce qui n'est pas le cas malgré plusieurs années de partenariat avec l'UE. Actuellement, notre Ministère est en train de négocier ce nouveau partenariat avec l'UE, et, de ce que je sais, aucune consultation des acteurs réels concernés n’a été faite, en particulier la communauté des pêcheurs ».
Mais, au-delà du manque de transparence et de consultation des acteurs concernés sur l’utilisation de l’appui sectoriel de l’accord de pêche, le manque de retombées locales pour les communautés de pêcheurs reflète surtout les difficultés de mise en œuvre de la politique sectorielle de Madagascar, que ce soit pour protéger les activités de la pêche artisanale et traditionnelle ou dans la lutte contre la pêche INN.
Petits pêcheurs et ONG malgaches plaident pour une zone réservée exclusivement à la petite pêche
Il y a quelque 100 000 petits pêcheurs à Madagascar, faisant vivre plus de 400 000 personnes, et leur contribution à la sécurité alimentaire est essentielle. Mais leurs activités sont entravées par les chalutiers industriels crevettiers, qui pêchent très près des côtes, affectant négativement les éco-systèmes côtiers et détruisant les filets utilisés par la petite pêche.
En principe, la pêche industrielle à la crevette est interdite à moins de deux milles des côtes, mais, d’après la FAO, « les textes qui fondent le principe de cette interdiction sont obscurs et peuvent prêter à diverses interprétations ». Considérant qu’il n’existe donc pas de loi apportant une réelle protection aux zones de pêche des communautés de petits pêcheurs, le réseau malgache Mihari, qui rassemble plus de deux cents associations de petits pêcheurs et une vingtaine d’ONG partenaires, a recommandé, dans une motion de 2017, « d’accorder, par la loi, aux communautés côtières du pays un droit de pêche exclusif sur une bande littorale à définir selon les régions […] et de renforcer le contrôle des activités des bateaux de pêche nationaux et étrangers opérant dans les eaux territoriales de Madagascar, en veillant au respect des zones de pêche communautaires et des normes sur les engins et les techniques de pêche ».
La nouvelle politique d’accès à la crevette protègera-elle mieux les petits pêcheurs ?
En avril 2021, le Ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche (MAEP) a lancé un appel à proposition pour octroyer 50 droits d’exploitation de pêche crevettière à des sociétés malgaches. Les zones de pêche ont également été redessinées (voir la carte plus bas). Ce redécoupage a abouti à cinq zones de pêche : quatre sur la côte ouest et une seule sur la côte est, moins riche en ressources. L’objectif de cette réforme est « d’améliorer la valorisation de l’exploitation des ressources crevettières, tout en garantissant la gestion durable de la pêcherie ».
Mais est-ce que ce sera vraiment le cas?
En 2020, 43 chalutiers crevettiers, la plupart de compagnies membres du GAPCM avaient reçu des licences. Pour la campagne 2021, avec la politique d’accès réformée, c’est un plus grand nombre de licences, - finalement 47 licences plutôt que 50, donc cinq de plus que l’année antérieure-, qui ont été attribuées. Les bateaux de pêche sont autorisés par zone. Par exemple dans la région de Mahajunga, une quinzaine de chalutiers, qui étaient déjà actifs les années précédentes, et appartiennent à des compagnies dont les propriétaires sont français, japonais ou chinois, ont été autorisés à pêcher cette année dans les zones B et C.
Il n’y a pas d’information publique sur qui sont les bateaux qui demandent de nouvelles licences, mais cette situation inquiète le réseau MIHARI : « Nous craignons un empiétement de ces grandes sociétés dans nos zones de pêche d’autant plus qu’aucune délimitation n’a été effectuée jusqu’à présent pour les trois catégories de pêcheurs, à savoir, les pêcheurs industriels, les pêcheurs artisanaux et les pêcheurs traditionnels. La destruction des zones sensibles, surtout l’habitat de nombreuses espèces marines, n’est pas en reste. Ce n’est pas tout ! Les chalutiers pourraient capturer plus de produits de pêche que ce qui leur est autorisé », a expliqué le président national du réseau.
Les autorités malgaches semblent bien conscientes du problème. Ainsi, dans un récent communiqué de presse, le MAEP souligne que « la délimitation des zones de pêche exclusive pour la petite pêche et la pêche industrielle fait aussi partie de cette réforme », confirmant également que des stratégies ont été envisagées pour éviter les conflits entre les petits pêcheurs et les pêcheurs industriels ou artisans. En effet, le décret sur la gestion de la pêche à la crevette indique (art 15) que les chalutiers crevettiers peuvent opérer au-delà de la zone des 2 miles.
Mais dans les faits, ces bonnes intentions pour protéger les petits pêcheurs risquent d’être balayées par la réalité de la pêche crevettière industrielle, avec une plus grande pression de pêche, - 47 chalutiers au lieu de 43. Par ailleurs, vu que, selon la FAO, plus de la moitié des prises annuelles de crevettes sont effectuées à l'intérieur de la zone des deux milles, la pression par les chalutiers sur la bande côtière où pêchent les petits pêcheurs risque bien de se faire encore plus forte. Il est dès lors fort peu probable que la nouvelle politique protège mieux les éco-systèmes marins côtiers et les communautés de pêche qui en dépendent.
Des chalutiers impliqués dans des activités illicites en Afrique de l’Ouest vont-ils bénéficier de licences pour pêcher la crevette ?
Le 20 Mai 2021, le gouvernement des Seychelles annonçait que huit chalutiers chinois ont été immobilisés à Port Victoria : Le LU QING XIN YUANG YU 005, le LU QING XIN YUANG 006, le LU QING XIN YUANG 007, le LU QING XIN YUANG 008, le GORDE 105, le GORDE 106, le GORDE 107, le GORDE 108. Les capitaines de ces chalutiers ont déclaré qu'ils étaient partis du Sénégal le 6 avril 2021 et qu'ils se dirigeaient vers la ZEE de Madagascar.
Les enregistrements et la certification des navires présentaient de nombreuses irrégularités, notamment pour les quatre bateaux GORDE qui ont utilisé des numéros d'identification MMSI qui appartiennent à une autre flotte chinoise pêchant actuellement au large de la côte ouest de l'Amérique latine.
Le 25 mai, les 8 bateaux ont été autorisés à quitter le port de Victoria par les autorités seychelloises, à la demande des autorités malgaches qui ont confirmé que les bateaux avaient l'autorisation de venir dans la ZEE de Madagascar.
Ces huit bateaux sont ainsi arrivés à Toamasina, sur la côte Est de Madagascar, le 11 Juin. Ils pêcheront dans la zone au sud de Mahajunga pour la société MADAFISHERY. Cette compagnie, enregistrée à Antsiranana, s'est vu attribuer douze licences d’exploitation de la crevette dans le cadre de la politique réformée, alors que cette société ne possédait aucun bateau, ce qui fait soupçonner à certains qu’il y ait eu corruption dans le système d’attribution des droits d’exploitation. Douze licences de pêche, c’est trois fois plus que le nombre de licences reçues par chacune des autres flottes malgaches, qui ont reçu seulement quatre licences par flotte ! Selon des sources locales, MADAFISHERY aurait l’intention d’installer ses opérations à Antsiranana (ex-Diego Suarez), le port de pêche thonier du pays. Beaucoup se demandent ce que pourraient bien aller faire des chalutiers crevettiers à Antsiranana, qui n'est pas un port traditionnel pour les chalutiers, vu qu’il est éloigné des zones de pêche à la crevette. Il n’existe pas non plus d'usine sur place qui puisse traiter les crevettes. Les craintes sont que MADAFISHERY soit à Antsiranana pour cacher ses activités aux yeux des autres opérateurs de la filière crevette.
Cette situation est d’autant plus inquiétante que parmi ces chalutiers chinois, certains ont été arrêtés en Gambie en Novembre 2020 : le GORDE 105, GORDE 106 et GORDE 107 chalutaient dans la zone réservée à la pêche artisanale gambienne. D’après Sea Sheperd, deux des chalutiers, le GORDE 105 et le GORDE 107, étaient également en train d'ensacher doublement leurs filets, c'est-à-dire de pêcher avec un filet à l'intérieur d'un autre, afin de contourner les exigences de maillage, ce qui est une autre infraction à la réglementation gambienne en matière de pêche. Trois jours plus tard, le navire de pêche Xing Xi Wang 1, travaillant alors sous pavillon gambien, a lui été arrêté pour avoir pêché avec un maillage illégal.
Le fait que ces « bateaux délinquants » se retrouvent aujourd’hui dans les eaux malgaches est une menace sur la pêche durable, et sur les activités des petits pêcheurs.
La transparence dans les pêches malgaches, plus que jamais socle essentiel d’un APPD
A l’heure où un nouveau protocole de l’Accord de partenariat pour une pêche durable est en négociation entre l’Union européenne et Madagascar, et même si l’accès discuté dans l’accord est limité aux ressources thonières, il est impératif que les partenaires abordent les enjeux de la nécessaire protection des activités de la petite pêche malgache, qui est essentielle tant pour la sécurité alimentaire de la population que pour la résilience des communautés côtières.
Au vu des derniers développements dans la pêche industrielle, que ce soit dans la pêche crevettière, dans la pêche au crabe de mangrove, ou encore dans le cadre des accords passés avec des compagnies comme Côte d’Or, la transparence dans la gestion des pêcheries maritimes et dans l’utilisation des fonds de l’appui sectoriel est un aspect essentiel dans la quête d’une pêche durable.
La prise en compte des besoins de la petite pêche dans le cadre de l’appui sectoriel de l’éventuel futur accord peut être améliorée en s’inspirant des actions proposées dans le plan d'action national inclusif et participatif pour la pêche artisanale à Madagascar qui est en processus d’élaboration.
Photo de l’entête: Par jordieasy/Getty Images via Canva Pro.
SWIOTUNA et la FPAOI ont organisé un événement parallèle à la 27ème session de la CTOI qui s'est tenue à l'île Maurice début mai. Elles ont fait le point sur les défis auxquels sont confrontés les pêcheurs de thon artisanaux dans la région et ont publié une déclaration commune.