Dans la lignée des dix recommandations faites par un collectif d’ONG et d’associations de pêcheurs artisans, CAPE saisit l’opportunité de l’évaluation globale des APPD qui va être menée par la Commission européenne en 2021, pour approfondir sa réflexion sur la mise en œuvre de mesures des APPD ayant des répercussions sur les communautés côtières africaines, et faire une série de propositions afin qu’ils puissent mieux répondre aux besoins de ces communautés à long terme.
Le règlement de base de la Politique commune de la pêche (PCP) de 2013 avait apporté des avancées importantes au cadre légal des APPD en prenant notamment en considération les besoins des communautés locales (art. 31.2, 1380/2013). En pratique, il y a eu des améliorations dans la gestion des APPD, particulièrement en matière de transparence des activités relatives aux flottes de l’Union européenne (publication des évaluations, listes des bateaux autorisés à pêcher sous accords), de contributions aux secteurs des pêches des pays partenaires, notamment pour le secteur artisanal. L’Union européenne (UE) a notamment fait des avancées sur la publication des listes des autorisations de pêche pour les navires de sa flotte externe et nous l’encourageons à continuer à suivre ces navires en toute transparence.
Cependant, un changement de paradigme doit s’opérer afin que le contribuable européen soit assuré que l’UE œuvre, de manière cohérente à travers ses différentes politiques, pour une pêche responsable en dehors de ses eaux.
Nous pensons que pour que ces APPD soient réellement durables et équitables des ajustements sont incontournables, en particulier en termes de promotion de la gestion durable de la pêche, et du développement durable du secteur local, notamment le secteur artisanal, comme cela est prévu par le règlement.
Dans l’évaluation qui va être faite des APPD, nous souhaitons que l’accent soit mis sur des aspects fondamentaux de leur mise en œuvre, qui demandent à être revus afin d’en assurer la durabilité. Dans ce document, nous identifions une série de ces aspects, relatifs au développement durable du secteur local, notamment le secteur artisanal, et faisons par la suite des propositions pour les ajustements à faire.
1. Une clarification des objectifs de gouvernance des APPD en lien avec les nouveaux engagements de l’Union européenne
D’une manière générale, évaluer l’impact des APPD sur la gestion durable de la pêche et le développement de la pêche artisanale dans les pays partenaires, nécessite que les objectifs généraux, voire spécifiques, des APPD soient explicités.
2. Une meilleure définition des différents stocks et leurs modes de répartition
Le règlement de base actuel ne donne pas une explication assez claire des stocks de poissons faisant l’objet d’une définition d’accès sur la base d’un surplus qui doit être définit par l’Etat côtier et ceux dont les quotas sont définis par les ORGP (art. 31.1,4, 1380/2013).
La gestion de ces stocks est totalement différente et a des implications distinctes dans les pays partenaires. L’accès au surplus pour la pêche artisanale est d’une importance cruciale pour les flottes dans les eaux sous juridiction nationale, tandis que la notion de surplus n’a aucun sens pour les pêcheries thonières en ZEE.
3. Une meilleure implication des parties, surtout de la société civile
Bien que le règlement 1380/2013 préconise que les APPD « […], soient dans l'intérêt mutuel de l’Union et des pays tiers concernés, y compris de leurs populations locales et de leur industrie de la pêche […] » (art. 31.2, 1380/2013), et qu’ils permettent « d’établir le cadre de gouvernance, incluant […] de promouvoir les processus de consultation des groupes d'intérêt » (art. 32. 1.b., 1380/2013), les APPD sont encore négociés sans que toutes les parties prenantes, notamment dans les pays partenaires, soient consultées de manière adéquates, et sans que les besoins des communautés les plus impactées soient toujours bien pris en considération.
4. Une évaluation la mise en œuvre de la clause de transparence
La transparence est clé dans la gouvernance des pêches. La publication des informations liées aux APPD est importante pour les acteurs locaux.
Nous recommandons un effort accru en ce domaine sur les points suivants :
1.publication des données relatives à l’accès et à l’effort de pêche dans les eaux des pays partenaires (UE et non-UE)
Il est fondamental de connaître l’effort de pêche global dans les eaux des pays partenaires. Les APPD ont intégré progressivement des clauses encourageant, voire obligeant, les États côtiers partenaires à être transparents sur les accords qu’ils ont avec d’autres pays que l’UE (comme c’est le cas de nombreuses ORGP).
2. Transparence sur l’utilisation de l’argent public : publication des réalisations de l’appui sectoriel
L’appui sectoriel est financé par l’argent public du citoyen européen. Les Commissions mixtes et le suivi qui est fait par les agents de la DG MARE permettent d’assurer le suivi de la mise en œuvre. Cependant, la publication sur les réalisations effectuées avec les fonds de l’appui sectoriel est encore trop lacunaire. Cela est nécessaire pour des questions de transparence et d’appropriation des résultats par les communautés concernées, et qu’elles puissent se manifester notamment lorsque leurs autorités ne le font pas.
5. Une analyse approfondie de l’efficience budgétaire des APPD et de leur viabilité économique
Les budgets alloués aux APPD doivent être consacrés au développement d’un cadre pour une pêche durable dans les pays partenaires, en concertation avec toutes les autres actions de l’UE affectant la pêche dans le pays partenaire, alliant rigueur budgétaire et renforcement des capacités, pour une utilisation efficiente des financements, et un partenariat fructueux. Notre objectif est d’encourager l’UE à mener un réel renforcement des politiques publiques de gestion des pêches dans le cadre de son partenariat avec les pays tiers en développement.
En outre, l’argent public du contribuable européen ne doit plus servir à soutenir des flottes mais à soutenir la gouvernance des pêches et le développement de politiques halieutiques solides dans les pays partenaires, en ligne avec les objectifs de la dimension externe de la PCP (notamment dans la lutte contre la pêche INN).
6. Une révision de la base des calculs de la compensation financière
Les montants de la compensation financière sont actuellement calculés de manière distincte pour les différentes pêcheries. Pour les thoniers, le montant est calculé par rapport à un tonnage de captures de référence. Pour les autres flottes, il est calculé en fonction des possibilités de pêche offertes pour un certain nombre de navires (chalutiers petits pélagiques), ou une certaine capacité (pour les chalutiers côtiers).
Lorsque le montant dépend des quantités capturées, le danger est la sous déclaration des captures afin de payer moins. Bien que les APPD comprennent des mesures strictes de déclaration des captures, les débarquements ne se font que rarement dans les ports des pays partenaires, rendant le contrôle des captures complexe, d’autant plus du fait des défaillances des dispositifs de suivi, contrôle et surveillance (SCS) des États partenaires. Les États du pavillon ne sont pas non plus toujours très actifs dans le suivi et partage des données de captures.
7. Une évaluation des méthodes de contrôle des opérations de pêche et de leurs défaillances
Nous avons pu constater que malgré les efforts de la Commission, des défaillances subsistent dans le contrôle des flottes européennes hors des eaux de l’UE, alors que les États membres ont l’obligation d’assurer le contrôle des activités de leurs navires de pêche à l’intérieur et à l’extérieur des eaux de l’UE (Préambule §17, règlement contrôle - 1224/2009).
Le contrôle dans les eaux sous sa juridiction revient à l’Etat côtier. Néanmoins, les capacités des Etats partenaires de l’UE en termes de SCS sont souvent limitées. Bien que les APPD encouragent notamment via l’appui sectoriel le renforcement des capacités SCS, cela ne peut se faire concrètement qu’avec un renforcement des capacités en plus des allocations de fonds.
Le règlement de base prévoit en ce sens « d'établir le cadre de gouvernance, incluant la mise en place et le maintien des instituts scientifiques et de recherche nécessaires, de promouvoir les processus de consultation des groupes d'intérêt et de prévoir les capacités de suivi, de contrôle et de surveillance, ainsi que les autres éléments relatifs au renforcement des capacités d'élaboration d'une politique de pêche durable par le pays tiers » (art. 32.1.b., 1380/2013).
8. Une évaluation des chaines de valeur
Peu de captures européennes entrent dans l’industrie des pays tiers car les ressources pêchées par les navires européens pour le marché UE ne sont pas majoritairement débarquées, ni transformées dans les pays partenaires. Les entrées possibles pour évaluer les chaines de valeur reposent sur les captures débarquées dans les pays tiers et sur les dispositifs que l’appui sectoriel met en place pour soutenir les processus de transformation et commercialisation dans les pays partenaires.
Les femmes étant particulièrement impliquées dans les processus de transformation et de commercialisation, il conviendrait d’étudier également les impacts des APPD sur les femmes dans la pêche dans le pays tiers, à terre (commerce et transformation) ou en mer, ainsi que leurs besoins. Cela aiderait à identifier, notamment au moyen d'entretiens avec des groupes de femmes locaux, les besoins qui devraient être dûment pris en compte dans l'appui sectoriel, lorsqu'une partie de l'appui sectoriel est affectée au développement des pêches locales.
9. Une évaluation de la mise en œuvre de la clause sociale
Les APPD prévoient en annexe les conditions d’embarquement des marins de pays partenaires, comme marins de pays ACP. Il existe depuis 2015 une clause sociale agréée par les partenaires sociaux européens (armateurs Europêche, et syndicat, ETF), qu’ils ont souhaité de voir insérée dans les APPD, relative au travail et aux standards de protection sociale. Cette clause vise à garantir des conditions décentes de travail pour les pêcheurs non européens travaillant à bord des bateaux opérant dans le cadre de APPD. Notons également la Directive 2017/159 ILO C188 qui s’applique depuis 2019.
10. Une évaluation de l’obligation de cohérence des politiques de développement
Nous souhaitons rappeler les engagements de la Commission européenne pour la Cohérence des politiques de développement et l’importance que cette cohérence soit assurée au niveau de la mise en œuvre des partenariats de pêche avec les pays partenaires. Le règlement 1380/2013 rappelle à plusieurs reprises la nécessité de cohésion entre les différents politiques externes de l’UE et notamment « avec les objectifs généraux de la politique de développement de l'Union » (préambule § 52, article 28.2.b).
Note: Cet article est une version raccourcie du document de position complet qui inclut aussi des suggestions pour aller plus loin dans l’amélioration des Accords de partenariat dans le domaine de la pêche durable.
Alors que l’accord de pêche est en renégociation, le Sénégal entame un dialogue formel avec l’UE sur la lutte contre la pêche INN. Dans le cadre de ce dialogue, l’Union européenne a une responsabilité : celle de mieux contrôler les bateaux d’origine européenne, et celle de les sanctionner lourdement quand ils ne respectent pas les règles.