Certifier l’insoutenable: Le projet FIP d'amélioration de la pêche en Mauritanie

La stratégie de transformation de l'industrie des produits de la mer par le biais de partenariats volontaires et d'incitations basées sur le marché est l'approche actuellement privilégiée par de nombreuses ONG environnementales et de nombreux donateurs.

Le cas du ‘Projet d'amélioration des pêcheries’ de Mauritanie met en évidence les défauts fondamentaux de l'approche favorable aux entreprises et la nécessité urgente de résister à la normalisation de ce modèle.

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En janvier de cette année, la multinationale française Olvea Group a annoncé qu'elle avait obtenu la note ‘A’ de l'ONG Sustainable Fisheries Partnership (SFP). Cette note lui a été attribuée en raison de son travail sur un projet d'amélioration de la pêche (Fisheries Improvement Project, FIP) minotière en Mauritanie. Cette industrie transforme les petits pélagiques comme la sardinelle en farine et en huile de poisson.

Le FIP, lancé en 2017 et conçu pour la transformer en une pêcherie durable, comprend une série d’objectifs allant de l'amélioration des données scientifiques sur les espèces de petits pélagiques au renforcement du respect des lois par les navires, - une question clé étant donné les rapports d'infractions généralisées aux règles. Plus important encore, le FIP affiche l’ambition de garantir que l'industrie minotière respecte les droits humains et ne nuit pas à la sécurité alimentaire régionale. Mais la réalité du FIP est loin d’être à la hauteur de ses ambitions.

Le système de notation utilisé par SFP pour classer les FIP va de A à E. Le fait qu'Olvea ait obtenu la note A suggère que le travail du FIP en Mauritanie a été impressionnant au cours des cinq dernières années. Le FIP est également classé comme ayant atteint le ‘stade 4’. Cette catégorie est réservée aux pêcheries qui ont montré des améliorations en matière de durabilité, soit par des améliorations dans la gestion des pêcheries, soit par des améliorations mesurables des opérations de pêche. Le stade 5, qui est la dernière étape, implique des preuves concrètes d'améliorations de la durabilité de la pêche. Selon l'évaluation du SFP, le FIP est en bonne voie pour atteindre l'étape 5 d'ici 2025, si pas plus tôt.

Bien que le groupe Olvea soit considéré comme l'organisation cheffe de file du FIP en Mauritanie, ce n'est qu'une des 11 entreprises qui financent cette initiative. Les autres incluent: Royal Canin, une entreprise mondiale d'aliments pour animaux domestiques basée en France; le géant de l'agro-alimentaire Cargill qui utilise la farine de poisson pour les engrais et l'alimentation des animaux élevés de manière intensive; et Skretting, de Norvège, l'un des principaux producteurs mondiaux de farine de poisson destinée aux élevages de saumons. Il ne s'agit pas d'entreprises opérant en Mauritanie, mais d'acheteurs qui se sont engagés, dans le cadre de leur responsabilité sociale, à n'acheter que du poisson provenant de pêcheries durables.

Sont absentes des membres du FIP les usines appartenant à des sociétés chinoises, qui cependant représentent la plus grande production en volume de farine de poisson. C'est également la Chine qui semble être le plus gros acheteur de farine de poisson mauritanienne, utilisée principalement pour son industrie aquacole en plein essor, mais aussi pour l'alimentation des animaux d'élevage. Ce désaveu de la part des entreprises chinoises est gênant pour le FIP, car elles pourraient être considérées comme des resquilleurs qui profiteront de ce que feront les autres entreprises. En effet, la note du FIP s'applique à l'ensemble du secteur, et pas seulement aux entreprises membres de l'initiative.

Parmi les 11 entreprises qui financent le ‘Projet d'amélioration de la pêche’ (FIP) en Mauritanie, on trouve Royal Canin, une entreprise d'aliments pour animaux de compagnie, Cargill, un géant de l'agroalimentaire qui utilise la farine de poisson pour les engrais et l'élevage et Skretill, un producteur leader dans le monde d'aliments pour poissons destinés aux élevages de saumons. Photo : Élevage de saumons en Écosse, Canva Pro.

La raison principale pour laquelle les entreprises adhèrent à ce FIP est d'obtenir un des principaux écolabels reconnus au niveau international pour les produits provenant de Mauritanie. Cela pourrait expliquer pourquoi les entreprises chinoises ne sont pas impliquées, car il n'y a pas beaucoup de demande de produits écolabellisés en Chine. Dans un premier temps, l'accent a été mis sur l'écolabel Marin Trust, basé à Londres et spécialisé dans la certification de produits à base de farine de poisson pour l'industrie aquacole. En 2018, les membres du FIP ont donc commandé une pré-évaluation indépendante de la pêcherie mauritanienne sous le label Marin Trust. Comme l'a révélé cette évaluation, la pêcherie n'était pas prête à obtenir l'écolabel complet, mais elle était éligible pour être listée par le Marin Trust en tant que pêcherie de son programme d'amélioration.

Bien que le FIP poursuive ses efforts pour obtenir le label Marin Trust, ses membres ont également identifié l'obtention du label Marine Stewardship Council (MSC) comme une autre option. Ils ont donc payé pour une pré-évaluation MSC en 2021. Celle-ci a également mis en évidence le fait que beaucoup reste à faire avant que les entreprises aient une chance d'obtenir le label MSC complet. Mais la note A obtenue, et le fait d'avoir atteint l'étape 4 suggèrent qu'elles sont désormais sur la bonne voie.

Le rôle du SFP va au-delà du FIP

L'ONG américaine SFP est la force motrice du FIP en Mauritanie. Elle a encouragé les entreprises à s'engager et à financer le FIP, et elle leur fournit une assistance technique permanente. Elle décerne également les scores annuels du FIP et décide si le FIP a rempli les critères de l'étape 4 ou 5. En fait, c'est le SFP qui a, au départ, conçu les normes internationales pour classer les FIP.

Le partenariat du SFP avec les entreprises de produits de la mer en Mauritanie ne se limite pas au FIP. Il existe deux autres initiatives importantes sur lesquelles le SFP travaille pour aider ces entreprises à améliorer leur durabilité et à communiquer publiquement sur ce point.

L'une d'entre elles a consisté à créer une ‘Table ronde Mondiale sur les Ingrédients Marins’ (Global Roundtable on Marine Ingredients), à laquelle participent les entreprises qui financent le FIP en Mauritanie. Lancée en 2021, cette table ronde dispose de son propre secrétariat, cogéré par le SFP et la Marine Ingredients Organisation, anciennement dénommée International Fishmeal and Fishoil Organisation (IFFO). Les tables rondes sont de plus en plus utilisées par les ONG américaines pour organiser des partenariats avec les entreprises. Le SFP en organise plusieurs, dont une table ronde sur l'élevage de crevettes en Asie. Grâce à ces tables rondes, le SFP a noué des partenariats avec certains des plus grands producteurs et acheteurs de produits de la mer au monde, dont McDonald's, Walmart, Nestlé, Tesco, Disney et Pescanova.

La table ronde sur les ingrédients marins vise à coordonner les efforts pour augmenter la production de farine et d'huile de poisson provenant de pêcheries durables, c'est-à-dire disposant d'un écolabel. Son ambition est de travailler sur les pêcheries minotières dans le monde entier, mais sur son site web, le seul projet actif concerne l'Afrique de l'Ouest. La table ronde est présidée par Arni Mathiesen, ancien Directeur adjoint et Responsable pour les pêches et l'aquaculture de la FAO.

La deuxième initiative découle de l'initiative Target 75, qui vise à ce que 75 % des produits de la mer commercialisés dans le monde soient classés comme durables ou « en bonne voie ». Elle a été lancée en 2017 par la SFP et est désormais soutenue par plusieurs autres ONG américaines et compagnies d'éco-labels. En 2019, en reconnaissance de leur travail en Mauritanie, le SFP a fait du groupe Olvea l'un de ses ‘champions T7’. Parmi les autres champions T75 sélectionnés par le SFP figurent la société française ‘Fish is Life’, qui vend du saumon et du thon de qualité sushi en Europe ; ‘Union Martin’, une société espagnole basée aux îles Canaries qui possède 7 chalutiers industriels opérant en Afrique de l'Ouest et PanaPesca, un fournisseur multinational italien de produits de la mer, qui vend des produits tels que des crevettes congelées emballées et du poulpe emballé sous vide.

L'ONG Sustainable Fisheries Partnership a établi, avec l'organisation International Marine Ingredients, une table ronde mondiale sur les ingrédients marins. Sa première priorité est d'examiner comment améliorer la durabilité sociale et environnementale de la production de farine de poisson en Afrique de l'Ouest. Cependant, les représentants des communautés de pêcheurs sont absents de cette table ronde. Photo : Kafountine (Sénégal) par Mediaprod.

L'un des principaux résultats de cette initiative T75 est un classement mondial montrant les progrès réalisés par rapport à son objectif. Les résultats de ce classement sont importants pour le travail de lobbying des entreprises et des associations industrielles, car ils servent de vérification indépendante concernant l'amélioration de leurs opérations. Actuellement, le classement indique que 41% des pêcheries sont durables ou en voie d'amélioration, il ne reste donc plus que 34% à améliorer. Le SFP fournit des rapports pour des secteurs spécifiques de la pêche, et celui sur la farine et l'huile de poisson montre que, parmi les pêcheries examinées, seules 21 % ne sont plus durables. La note ‘A’ de la Mauritanie a contribué à faire remonter le classement, car désormais toutes les farines et huiles de poisson produites dans ce pays sont classées comme étant en amélioration. Cette pêcherie n'est plus comptabilisée dans la catégorie non durable.

Trop beau pour être vrai

Les informations provenant du SFP et de ses partenaires de l'industrie des produits de la mer suggèrent que les choses s'améliorent pour la pêche minotière en Mauritanie. Il est clair que le SFP reconnaît que la pêche qui fournit la farine et l'huile de poisson en Mauritanie n'est pas parfaite, mais avec leur aide, les entreprises de produits de la mer font de gros efforts pour transformer le secteur afin qu'il soit environnementalement durable et socialement responsable. La situation en Mauritanie valide apparemment la stratégie de transformation de l'industrie des produits de la mer par le biais de partenariats volontaires et d'incitations basées sur le marché, désormais l'approche privilégiée par de nombreuses ONG environnementales et de nombreux donateurs.

Cependant, un examen plus approfondi révèle qu'aucune de ces affirmations positives sur la durabilité n'est vraie. De nombreuses preuves montrent que cette industrie est un désastre social et écologique. Les entreprises qui financent le FIP utilisent la farine et l'huile de poisson comme intrants pour d'autres industries, comme l'agriculture et l'aquaculture intensives, qui sont elles-mêmes nuisibles sur le plan environnemental et social. En fait, parmi les entreprises qui parrainent le FIP en Mauritanie et qui siègent à la table ronde, plusieurs sont coupables d'un catalogue de crimes environnementaux et de violations des droits de l'homme, Cargill étant probablement la pire de toutes. Rien dans cette industrie ne semble indiquer qu'elle est positive pour l'environnement.

Le cas du FIP sur la pêche minotière en Mauritanie met en évidence les défauts fondamentaux de l'approche bienveillante envers les entreprises du secteur adoptée par le SFP, et la nécessité urgente de résister à la normalisation de ce modèle.

  1. En bref : Les problèmes de l'industrie de la pêche minotière

Au cours de la dernière décennie, les investissements dans l'industrie de la pêche minotière ont connu un essor considérable en Afrique de l'Ouest, sans planification et sans transparence. Ces investissements n'ont pas fait l'objet de vastes consultations ni d'évaluations crédibles de leur impact environnemental et social. Les données officielles sur le secteur indiquent que les volumes totaux de farine et d'huile de poisson produits en Afrique de l'Ouest sont passés de 13 000 tonnes en 2010 à près de 200 000 tonnes l'année dernière. La quasi-totalité de cette production est vendue à des acheteurs en Asie, en Europe et en Amérique du Nord.

Bien qu'elle se développe dans plusieurs pays, dont la Gambie et le Sénégal, la Mauritanie est devenue le plus grand centre de production de farine et d’huile de poisson de la région. Encouragées par des subventions sous forme d'obligations fiscales réduites, des entreprises chinoises, européennes, turques et ouest-africaines ont fortement investi dans des usines. On comptait 13 de ces usines en 2014. En 2018, ce nombre est passé à 25, et 19 autres ont été construites et attendent de commencer à fonctionner. Les organisations de pêche artisanale ont fait valoir que produire de la farine et de l'huile de poisson uniquement à partir de déchets de poisson serait acceptable, mais cela permettrait tout au plus de garder une ou deux usines en fonctionnement, comme c'était le cas avant 2010.

À l'origine, les usines de farine de poisson en Mauritanie étaient approvisionnées par des pêcheurs artisans du Sénégal, principalement de la région de Saint Louis, avec des pirogues affrétées par des usines de farine de poisson ou des intermédiaires. Mais à mesure que l'industrie s'est développée, une nouvelle flotte d'environ 70 senneurs appartenant à des Turcs, ainsi que d'autres navires provenant de Chine, les ont remplacés. Ils sont les fournisseurs privilégiés des usines car ils débarquent de grands volumes et peuvent livrer en vrac. Ces senneurs sont autorisés à pêcher dans la zone côtière de la Mauritanie, ce qui a été interdit à la flotte de super chalutiers étrangers qui ne peuvent pêcher que plus loin en mer.

Au fil des ans, le gouvernement mauritanien a essayé diverses stratégies pour réduire la quantité de poisson qui finit dans les usines, notamment en restreignant les zones de pêche des senneurs turcs, en augmentant les taxes à l'exportation pour la farine et l'huile de poisson et en fixant un plafond de production pour chaque usine. La dernière mesure en date consiste à doter les senneurs de compartiments d'eau de mer réfrigérée (RSW) à bord afin qu'ils puissent conserver le poisson pour la consommation humaine. Mais ces politiques sont difficiles à imposer car les usines ont besoin de gros volumes de poisson pour rester rentables. Il n'est donc pas surprenant que les règles relatives à la pêche et à l'approvisionnement en poisson des usines soient régulièrement ignorées.

L'industrie n'est donc pas durable en raison de sa structure de base et de sa surcapacité, ce qui signifie que sans une réduction radicale du nombre d'usines, les réglementations sur les intrants et la production sont vouées à l'échec. Malheureusement, c'est une industrie difficile à réglementer en Afrique de l'Ouest. Cela est dû en partie au fait qu'elle est politiquement puissante ; non seulement elle fournit des revenus aux gouvernements, mais elle fait l'objet d'allégations persistantes selon lesquelles des politiciens ont des investissements directs dans certaines usines.

Pour toutes ces raisons, le secteur a fait l'objet de protestations et de critiques considérables de la part des autres acteurs de la pêche, des scientifiques, de la société civile et des organisations environnementales locales, régionales et internationales. Il a également fait l'objet d'une évaluation négative de la part de la FAO. Ces critiques croissantes ne sont pas seulement dues au fait que le secteur contribue directement au déclin des ressources halieutiques au niveau régional, mais aussi au fait qu'il représente une concurrence directe pour les pêcheries artisanales et l'approvisionnement en poissons pour la consommation humaine en Afrique de l'Ouest. Il s'agit d'une question cruciale compte tenu de l'aggravation de l'insécurité alimentaire dans la région et de la diminution de la disponibilité du poisson dans le régime alimentaire des populations. Il est éthiquement inacceptable que le poisson soit utilisé pour produire de l'huile et de la farine de poisson, alors qu'il pourrait servir à nourrir la population.

L'industrie de la farine et de l’huile de poisson prétend qu'elle n’utilise que ce qui est impropre à la consommation, mais cela s'est avéré faux à maintes reprises. L'industrie tente également de détourner les critiques en affirmant qu'elle stimule la croissance économique et ajoute de la valeur par l'emploi. Mais les recherches de la FAO confirment que les bénéfices nets de l'industrie sont négatifs. L'industrie fournit un nombre limité d'emplois de qualité, dont la plupart sont occupés par des employés étrangers, tandis qu'elle compromet directement les emplois et les moyens de subsistance de milliers de personnes, notamment les femmes qui travaillent dans la transformation et la vente du poisson destiné à la consommation humaine. L'industrie de la pêche minotière est donc non seulement une menace pour les écosystèmes marins, mais elle met également en péril l'économie locale et la sécurité alimentaire.

Bien que l'industrie minotière prétende qu'elle n'utilise que du poisson impropre à la consommation humaine, les acteurs locaux de la pêche se sont plaints à maintes reprises que c'était faux. En outre, elle porte directement atteinte aux moyens de subsistance des pêcheurs et des femmes transformatrices de poisson, ainsi qu'à la sécurité alimentaire de la région de l'Afrique de l'Ouest. Photo : Mediaprod.

Pour ne rien arranger, les usines de farine et d’huile de poisson sont à l'origine d'une pollution locale de l'air et de l'eau, et l'ensemble du processus de capture, de traitement et d'exportation de la farine et de la farine de poisson génère des niveaux élevés d'émissions de gaz à effet de serre.

C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre le partenariat du SFP avec les entreprises au cœur de cette industrie problématique. S'agit-il vraiment d'une industrie qui peut s'améliorer d'elle-même ?

2. Comprendre l'industrie des FIP

Les ONG américaines ont eu l'idée des FIP pour aider les entreprises de pêche et de produits de la mer à prendre des mesures en vue d'obtenir des écolabels, principalement le Marine Stewardship Council, mais aussi d'autres labels tels que le label Marin Trust pour les farines et huiles de poisson. Il existe aujourd'hui environ 200 FIP, et tout indique qu'ils vont continuer à se développer. Ces ONG ont également créé une initiative similaire, les projets d'amélioration de l'aquaculture.

Tous les FIP ne sont pas explicitement mis en place pour obtenir un écolabel. Certaines pêcheries qui entrent dans un FIP étaient si mal gérées que viser un écolabel aurait été une perte de temps. Les pêcheries qui peuvent déclarer cette intention d’obtenir un écolabel sont maintenant appelés ‘FIP complets’, et celles qui ne le peuvent pas sont appelés ‘FIP de base’. Le FIP mauritanien est un FIP complet, ce qui suggère qu'il n'est pas trop loin de l'étape de l'obtention d'un écolabel.

Ces partenariats entre les ONG, le secteur privé et le gouvernement commencent par une évaluation de pourquoi le secteur ne parvient pas à obtenir l'écolabel et de ce qu'il faut faire pour y remédier. Les améliorations sont couvertes par un plan de travail, avec des résultats attendus chaque année.

Les FIP sont apparus vers 2006, et après quelques années, des ONG américaines, dont Fish Choice, le WWF et le SFP, ont décidé que les FIP devaient être formalisés. En 2008, elles ont créé une nouvelle initiative d'ONG appelée Conservation Alliance for Seafood Solutions. Celle-ci a publié une Vision commune pour des produits de la mer durables, avec six étapes que les entreprises du secteur doivent suivre pour devenir durables. Ces six étapes vont toutes dans le sens d'un FIP et de l’obtention d’un écolabel, même si, de manière controversée, elles n'incluent pas un principe fondamental de la pêche responsable : l'approche de précaution. Elles ne préconisent pas non plus de donner la priorité aux pêcheries à petite échelle à faible impact, ou aux pêcheries à faible émission de carbone. Leur vision n'est donc pas particulièrement visionnaire.

Pour aider à mettre en œuvre cette vision, Conservation Alliance a produit en 2012 des directives pour le soutien des FIP. Celles-ci ont été mises à jour plusieurs fois, et récemment elles ont été renforcées par l'ajout de critères sociaux. Ces directives recommandent aux parties prenantes des FIP de solliciter la contribution d'organisations travaillant sur les droits humains pour réaliser cette partie de leur évaluation. En 2019, les directives ont été renforcées par l'ajout d'un outil d'évaluation de la responsabilité sociale, développé par un autre groupe d'ONG américaines, dirigé par Conservation International. Cet outil de responsabilité sociale est complet, couvrant de nombreuses questions telles que les droits du travail, l'accès aux services sociaux pour les travailleurs du secteur de la pêche, mais aussi la nécessité pour la pêche de promouvoir la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance des communautés. Il inclut également la nécessité pour les entreprises de produits de la mer de disposer de mécanismes de recours en cas de griefs et de respecter les normes de transparence les plus élevées.

Les FIP visent à transformer les pêcheries afin qu'elles puissent obtenir un écolabel. Cependant, plutôt que d'améliorer les pêcheries existantes, il est urgent de promouvoir les pêcheries à petite échelle et à faible impact. Les FIP n'ont pas cette vision plus large de la pêche durable et n'offrent donc que peu d'espoir quant aux changements radicaux dont le secteur a besoin. Photo : Un pêcheur à la senne de plage à Ilonde, en Guinée Bissau, par Carmen Abd Ali.

Les principales compagnies d'écolabellisation ont activement recommandé les FIP, en leur apportant un soutien technique et financier. Le Marine Stewardship Council a créé un programme appelé ‘In-Transition to MSC’, qui permet aux pêcheries de s'inscrire et de demander une aide financière qui proviennent de fonds publics et de dons philanthropiques. Le Marin Trust a fait quelque chose de similaire avec son programme ‘Improver’. L'avantage de faire un FIP est donc en partie de renforcer la réputation en obtenant un ecolabel, mais cela peut aussi avoir des avantages financiers.

C'est ainsi que toute une industrie s'est développée pour tenter de réglementer et de mesurer les progrès des FIP. Fish Choice a fourni une plateforme mondiale pour ce faire en créant une nouvelle ONG appelée ‘Fishery Progress’. Celle-ci fournit une base de données centrale contenant des informations sur tous les FIP actifs dans le monde. Mais elle ne se contente pas de les décrire, elle les note également. Ce système de notation est développé et mis en œuvre par SFP, qui siège également au conseil d'administration de Fishery Progress. C'est ainsi que les FIP, comme celui de la Mauritanie, sont notés de A à E. Cette note est attribuée à tous les FIP sur une base annuelle en fonction de la manière dont ils ont réalisé leurs plans de travail annuels.

Un indicateur de durabilité défectueux

La notation des FIP est l'une des façons dont le FIP est problématique. Plutôt que d'être un simple moyen d'obtenir un écolabel, le simple fait de s’engager dans un FIP est devenu en soi une récompense formalisée et légitime, que les entreprises de produits de la mer peuvent exploiter à des fins de marketing. Les ONG attribuent des notes positives en matière de durabilité aux entreprises sur la simple promesse qu’elles seront durables à l'avenir. Qu'elles soient durables ou non n'a aucune importance ; tout ce qui compte, c'est qu'elles aient adhéré à un FIP.

L'absurdité de cette situation est évidente dans l'utilisation des scores des FIP pour le classement mondial de durabilité de l'industrie des produits de la mer, dérivé de la campagne mondiale Target75. Le SFP mesure le pourcentage des industries des produits de la mer qui sont durables ou non, simplement en comptant le volume de poisson qui a un écolabel ou qui provient d'une pêcherie qui fait partie d'un FIP. Tout ce qui n'entre pas dans ces catégories est classé comme non durable, ce qui peut inclure les pêcheries artisanales qui n'ont pas les moyens de payer cette procédure. Mais aucune preuve n'est fournie qu'une pêcherie faisant partie d'un FIP est durable ou qu'elle est susceptible de le devenir à l'avenir. Il existe bien entendu de nombreuses preuves que le MSC et le Marin Trust certifient régulièrement des pêcheries non durables, comme démontré dans de nombreux articles évalués par des pairs. Le classement qui en résulte concernant la durabilité des produits de la mer dans le monde est une mascarade. Il s'agit en fait d'un plaidoyer des ONG en faveur d’entreprises de produits de la mer, qui se fait passer pour une science rigoureuse.

Le danger c’est que certaines organisations pourraient prendre cela comme quelque chose de crédible. Les gouvernements pourraient utiliser ces récompenses de durabilité bidon pour accorder aux entreprises récompensées un accès préférentiel aux ressources halieutiques, ce qui réduirait l’accès pour des pêcheries plus durables, notamment les pêcheries artisanales. La notation attribuée sans fondement est également utilisée par les entreprises de produits de la mer pour justifier leurs comportements et détourner les critiques. Cela a été mis en évidence lors de la publication de l'étude mondiale documentant les différents problèmes de l'industrie de la farine de poisson, produite par l'ONG Changing Markets Foundation. IFFO, agissant en tant que protecteur de l'industrie, a réfuté les conclusions du rapport en utilisant les résultats du classement de la SFP, affirmant que la majeure partie de l'industrie de la farine de poisson était durable ou en bonne voie.

L'objectif du classement est d'encourager les entreprises à obtenir de meilleurs résultats. Pourtant, il semble faire l'inverse : il rend les entreprises imperméables aux critiques constructives qui pourraient conduire à des réformes nécessaires dans le secteur.

Que faut-il faire pour avoir un A ?

Les lignes directrices pour la notation des FIP, y compris les récents ajouts des critères sociaux, suggèrent que la notation des FIP est rigoureuse. Ce n'est pas le cas. Les plans de travail élaborés pour les FIP ne sont souvent que des cases à cocher pour des choses que les gouvernements et les entreprises devraient faire de toute façon. Chaque plan de travail comporte de multiples indicateurs, tous traités sur un pied d'égalité dans le système de notation élaboré par le SFP. De nombreux indicateurs ne sont que des activités bureaucratiques, et leur relation avec la durabilité est très ténue. Et pour ce qui est de la non-réalisation des éléments du plan de travail, il est toujours facile pour les membres du FIP de réécrire les plans de travail pour modifier les objectifs.

Dans le cas de la Mauritanie, cette approche peu convaincante est évidente. Le plan de travail élaboré pour la pêche des petits pélagiques côtiers comportait à l'origine 8 objectifs. Il s'agissait notamment d'améliorer les données sur les captures, d'aider le gouvernement à reformuler les plans de gestion et de soutenir les efforts du gouvernement pour mieux faire respecter les lois relatives aux navires de pêche. La note A a été attribuée parce que les membres du FIP ont pu mettre en évidence des activités qui ont soutenu ces objectifs, comme des réunions entre les entreprises et les scientifiques du gouvernement. Ces activités sont peut-être nécessaires pour aider à résoudre des problèmes de gestion, mais elles ne constituent pas des indicateurs suffisants pour démontrer une amélioration réelle de la durabilité des pêcheries.

L'une des activités du FIP porte sur l'amélioration de la surveillance des navires et des activités des usines, compte tenu de rapports faisant état de niveaux élevés d'illégalités. Les informations fournies dans la dernière évaluation annuelle suggèrent qu'il ne s'est pas passé grand-chose sur ce front et que la situation est restée largement la même au cours des cinq dernières années. Mais, inexplicablement, l'évaluation donne une note positive à cette activité, qui est « en bonne voie ». Il est bien sûr extrêmement difficile pour les parties prenantes du secteur privé de faire en sorte que le gouvernement surveille et contrôle plus efficacement leur industrie, même s'il y a un réel intérêt à le faire. Mais une évaluation crédible en Mauritanie est que, pour l'instant, cette activité ne fonctionne pas.

L'un des objectifs du FIP est de recentrer cette pêcherie sur la consommation humaine. Or, cet objectif a échoué. L'année dernière, la production de farine et d'huile de poisson a consommé 600 000 tonnes de poissons sauvages, soit le chiffre le plus élevé jamais enregistré. Pourtant, le FIP ait reçu la note A. Photo : Une femme fumant du poisson à Cacheu, en Guinée Bissau, par Carmen Abd Ali.

L'objectif le plus attrayant du FIP en Mauritanie est de « recentrer la pêche sur la consommation humaine ». C'est une inclusion surprenante, mais bienvenue, dans le FIP, étant donné que le FIP est dirigé par des entreprises qui veulent de la farine et de l'huile de poisson. Il semble peu probable qu'elles fassent pression pour obtenir des réformes de gestion qui nuisent à leurs intérêts commerciaux. Il n'est donc pas surprenant qu'il n'y ait aucune tentative de mesurer les progrès réalisés par rapport à cet objectif. C'est également le seul objectif qui ne soit pas assorti d'un calendrier. Le FIP ne fournit pas de données de référence, ni de statistiques annuelles montrant quelle proportion de poissons va aux usines de farine et d’huile de poisson et quelle proportion va à la consommation humaine. Si l'on mesurait les progrès réalisés par rapport à cet objectif, le FIP devrait avoir un mauvais score.

D'autres rapports ont confirmé que depuis la mise en place du FIP, la production de farine et d'huile de poisson a en fait augmenté, tandis que la quantité de poisson vendue pour la consommation humaine a diminué. L'année dernière, la production a considérablement augmenté, atteignant 60 000 tonnes de farine de poisson et 10 000 tonnes d'huile de poisson pour le premier semestre de 2021. Cela signifie que si la tendance se poursuit, à la fin de l'année, plus de 600 000 tonnes de poisson frais auront été transformées en farine et huile de poisson.

Donc, en résumé, sur les cinq années de fonctionnement du FIP, la production de farine et d'huile de poisson a augmenté et rien ne prouve que le respect des règles par les navires de pêche se soit amélioré. Les évaluations scientifiques des stocks de la pêcherie sont faibles, mais les meilleures informations disponibles continuent de montrer que les petits pélagiques utilisés dans l'industrie de la farine sont fortement surpêchés. Des analyses scientifiques indépendantes soulignent continuellement que la surcapacité de cette industrie est une cause majeure de préoccupation. Il est remarquable que, malgré tout cela, le FIP ait réussi à obtenir la note A pour ses progrès.

Cette ‘note A’ est l'antithèse de l'approche de précaution. Elle donne le feu vert à une industrie où les preuves disponibles démontrent que la pêche dont elle dépend n'est pas durable. Il est difficile de concevoir pourquoi SFP a décidé de faire du groupe Olvea le champion de la durabilité en 2019.

Éviter de prendre une responsabilité sociale

En ce qui concerne les critères sociaux du FIP, y compris l'impact de l'industrie sur la sécurité alimentaire et le développement économique, ainsi que sa transparence et ses mécanismes de recours, ils n'ont pas encore été évalués en Mauritanie. Les espaces correspondants sont donc laissés en blanc dans les informations publiées sur Fishery Progress. Ces aspects ne sont donc pas inclus dans le système de notation. Ceci est inadmissible dans la mesure où ces questions sont à la base d'une bonne partie des critiques de l'industrie de la farine et de l’huile de poisson.

La Table ronde mondiale mise en place par SFP et IFFO affirme « faire des recherches sur cette question ». Mais en a-t-elle besoin ? Il existe maintenant de nombreux rapports indépendants qui documentent la gamme des impacts sociaux et économiques négatifs de la pêche minotière, y compris du Département Pêche et Aquaculture de la FAO, que le président de la Table ronde mondiale dirigeait auparavant. Une fois de plus, l'approche de précaution est écartée, l'industrie de la farine et les ONG qui la soutiennent préférant poursuivre leurs activités comme si de rien n'était.

Cette table ronde est avant tout un forum de lobbying industriel dirigé par IFFO, qui a l'habitude de protéger ses entreprises membres. Et malgré sa prétention à prendre la responsabilité sociale au sérieux, la table ronde ne semble pas être ouverte à d'autres organisations, telles que celles représentant les droits de la pêche artisanale en Afrique de l'Ouest ou celles défendant les droits humains et la sécurité alimentaire.

Conflits d'intérêts

La crédibilité et la fiabilité de l'industrie des écolabels sont minées par des conflits d'intérêts généralisés. Dans l'ensemble du secteur des écolabels, les revendications d'indépendance n’ont pas de sens car ces organismes de certification sont employés par les entreprises de produits de la mer qu'ils prétendent évaluer. Ces organismes de certification disposent d'une grande marge de manœuvre, et il est donc compréhensible qu'ils attribuent souvent des notes positives à des entreprises qui ne les méritent pas. Il serait contre-productif que les organismes de certification acquièrent la réputation d'être durs envers les entreprises, car ce sont les entreprises qui choisissent qui effectue leur évaluation.

Les problèmes du processus de certification sont bien documentés pour le MSC. Cependant, les choses sont peut-être encore pires pour l'écolabel Marin Trust. Ce dernier est censé être un organisme indépendant qui évalue la durabilité des pêcheries produisant des farines et des huiles de poisson. Cependant, il a été créé par IFFO et le directeur de l'IFFO fait partie de son conseil d'administration. Kevin Fitzsimmons, professeur à l'université de l'Arizona, a qualifié cet organisme de « quasi-organisme de certification interne [...] ce qui revient à confier la garde du poulailler au renard ».

Le renard qui surveille le poulailler ? La crédibilité des systèmes d'écolabel est minée par le fait que les évaluations sont payées par les entreprises de produits de la mer. Photo : TJ Holowaychuk.

Le rôle de la SFP dans tout cela est peut-être l'aspect le plus inquiétant. Elle se présente comme une ONG environnementale indépendante œuvrant pour la promotion de la pêche durable. Elle est détentrice de l'information sur la durabilité des entreprises. Pourtant, son rapport annuel sur les progrès réalisés dans ce secteur pour la campagne T75 est sponsorisé par Cargill et Skretting, les mêmes entreprises qui sont membres du FIP en Mauritanie. Pire encore, elle s'est maintenant associée à IFFO et à des entreprises telles que Cargill et Skretting pour créer et gérer la Table ronde mondiale.

Le SFP, comme beaucoup d'autres ONG environnementales, défend ces partenariats d'entreprises en arguant que la meilleure façon de les réformer est de travailler avec l'industrie par le biais d'engagements volontaires et d'incitations commerciales. Ces partenariats sont allés trop loin et sont désormais trop fortement investis dans le succès commercial des entreprises de produits de la mer. C'est une mauvaise gouvernance pour une ONG qui défend des entreprises et collabore avec elles, d'agir ensuite en tant qu'évaluateur indépendant de leur durabilité et de leurs progrès en matière de FIP. Comment pourrait-elle dire quoi que ce soit de négatif sur ses entreprises partenaires ?

Conclusion

Il existe des arguments valables pour que les entreprises de produits de la mer soient incluses dans les approches participatives visant à améliorer les aspects environnementaux et sociaux de la pêche. Cependant, cela doit être fait avec le plus grand soin pour éviter de perpétuer les déséquilibres de pouvoir et le risque flagrant d'éco-blanchiment. Le FIP en Mauritanie présente quelques bonnes intentions, notamment dans ses objectifs déclarés d'améliorer la gestion des pêches et de soutenir l'augmentation du poisson destiné à la consommation humaine directe. Mais il est impossible de prendre au sérieux ses affirmations selon lesquelles d'excellents progrès sont réalisés.

Les différents scores positifs attribués aux entreprises qui investissent dans l'industrie de la farine et de l'huile de poisson en Afrique de l'Ouest montrent à quel point le monde de l'étiquetage des produits de la mer est devenu vulnérable à l'emprise de ces entreprises. Les implications sont inquiétantes. Il s'agit d'un processus qui légitime le secteur de la pêche minotière et lui confère une influence politique supplémentaire injustifiée.

La pêche des petits pélagiques en Afrique de l'Ouest continue de nécessiter des améliorations substantielles dans sa gouvernance, en particulier au niveau régional. Les priorités doivent se concentrer sur le rétablissement des ressources halieutiques et la sauvegarde de la sécurité alimentaire et des moyens de subsistance. Cependant, la tendance actuelle indique une domination croissante des méthodes de pêche industrielle pour alimenter les usines polluantes produisant de la farine et de l'huile de poisson pour l'exportation.

Le défaut ultime du FIP et du travail du SFP est leur incapacité à voir la situation dans son ensemble. Tout au plus s'efforcent-ils d'améliorer cette industrie extractive industrialisée, qui existe pour fournir des intrants à des industries nuisibles comme l'aquaculture commerciale et l'élevage intensif d'animaux en Asie, en Europe et en Amérique du Nord. Il ne s'agit pas d'une vision crédible d'un système de production alimentaire et de pêche durable. L'objectif devrait plutôt être de promouvoir une pêche artisanale à faible impact pour la consommation humaine directe en Afrique de l'Ouest. 

Les ONG environnementales qui souhaitent améliorer la gouvernance des pêches marines dans cette région devraient rester concentrées sur cette vision, plutôt que de brouiller les pistes en décernant des prix de durabilité bidon à des entreprises qui ne les méritent manifestement pas. Il est inconcevable de justifier ces récompenses par l'idée qu’elles incitent les entreprises à améliorer leur comportement au fil du temps. Quel est l'intérêt d'essayer de certifier l’insoutenable?

Photo de l’entête: Une usine de farine de poisson au Sénégal, par Francisco Mari/Pain pour le monde.