En septembre 2022, parallèlement à l'Assemblée générale de l'ONU, la FAO a lancé un rapport évaluant les progrès réalisés sur les indicateurs des Objectifs de développement durable (ODD) liés à l'alimentation et à l'agriculture.
Si le document « dresse généralement un tableau sombre » en ce qui concerne le niveau de réalisation des ODD, il suggère que l'objectif visant à garantir l'accès des petits pêcheurs aux ressources et aux marchés marins (ODD 14b) a été atteinte au cours des deux dernières années. Cette affirmation est très peu vraisamblable.
Lorsque des hommes et des femmes de la pêche artisanale de 5 continents se sont réunis à Lisbonne pour la Conférence des Nations Unies sur les océans en juin 2022, ils ont demandé aux gouvernements d'agir afin de réaliser des progrès concrets pour tenir les promesses de l'ODD 14b : les pêcheurs artisans estiment que ni l'accès aux ressources marines, ni l'accès aux marchés ne leur sont actuellement garantis. Ils ont réitéré cet appel pressant à réaliser l'ODD 14b et à "poursuivre le dialogue sur la mise en œuvre" des Directives pour une pêche artisanale durable (DVPAD), lors du comité des pêches de la FAO (COFI 35), en septembre 2022.
Progrès sur le papier, faibles retombées
Pourtant, selon la FAO, c'est dans la poche : l'indicateur 14.b.1., évaluant le « degré d'application d'un cadre juridique/réglementaire/politique/institutionnel qui reconnaît et protège les droits d'accès à la pêche artisanale », est déjà atteint. Cependant, un examen plus approfondi révèle qu'il n'existe pas de données pour la plupart des petites îles et des pays en développement (PEID), en particulier les pays africains, où il y a une grande proportion de travailleurs de la pêche artisanale. Cependant, bien qu'il reconnaisse ces lacunes et le fait que, dans l'ensemble, « la communication des données a diminué », le rapport accorde sans vergogne une note globale de 5 sur 5 à cet indicateur, soulignant un « degré élevé d'adoption » des cadres réglementaires.
Il y a deux problèmes ici : premièrement, l'évaluation souffre d'importantes lacunes dans les données, et ne couvre pas certains pays et régions où les pêcheurs artisanaux sont nombreux. Deuxièmement, l'adoption d'une réglementation sur le papier ne signifie pas qu'elle est appliquée concrètement. Nous pouvons certainement nous réjouir de l'adoption de cadres réglementaires qui protègent les droits d'accès des pêcheurs artisans, mais cela ne suffit pas pour dire que l'ODD14b a été atteint.
Prenons quelques exemples pour montrer que "l'adoption sur le papier" ne se traduit pas par une amélioration dans les faits. Selon le rapport, l'Union européenne a atteint l'objectif consistant à garantir des droits d'accès à la pêche artisanale. C'est peut-être vrai, dans une certaine mesure, sur le papier. En effet, la politique commune de la pêche (PCP) de l'UE stipule, dans son article 17, que « les États membres utilisent des critères transparents et objectifs » lors de l'attribution des possibilités de pêche, « y compris ceux de nature environnementale, sociale et économique ». Ces critères pourraient en théorie garantir aux petits pêcheurs un accès aux ressources marines.
Cependant, un rapport récent du Parlement européen montre que ce n'est pas le cas : « il n'existe aucun rapport de la Commission ni aucun cas enregistré d'États membres modifiant leurs méthodes d'attribution depuis l'entrée en vigueur de la PCP réformée et de l'article 17 » (c'était en 2013), de plus, « plusieurs États membres ne rendent pas publics les critères qu'ils appliquent lors de la répartition des possibilités de pêche » et « rappelle qu'une méthode d'attribution objective implique la description claire et sans ambiguïté de critères d'attribution bien définis ».
Dans la pratique, les critères d'attribution de l'accès sont encore principalement basés sur les droits historiques, souligne le rapport du PE. Ils permettent « un certain niveau de stabilité économique », mais « contribuent à renforcer des tendances telles que la concentration économique », et ne « fournissent pas d'incitations suffisantes aux pêcheurs qui mettent en œuvre des pratiques de pêche ayant un impact environnemental réduit et n'offrent pas des opportunités équitables à tous les pêcheurs, y compris les pêcheurs artisans ». Une solution plus équitable, affirme la plateforme Low Impact Fishers of Europe (LIFE), « serait que la PCP adopte une approche différenciée pour les pêches à petite et à grande échelle ».
Dans certains pays africains, même dans les cas où des mesures sont prises pour donner la priorité, par le biais du zonage par exemple, à l'accès aux ressources côtières pour les pêcheurs artisanaux, dans la pratique, cela peut avoir pour résultat de bénéficier aux intérêts de la pêche industrielle, souvent d'origine étrangère. En Guinée, la pêche communément appelée "artisanale avancée", qui relève légalement de la catégorie de la "pêche semi-industrielle", s'est vu accorder l'accès à des zones proches de la côte, normalement réservées par la loi aux petits navires et aux nationaux. Même si cette catégorie est réservée aux nationaux, des navires d'origine asiatique y ont eu accès et ciblent des espèces qui sont également pêchées par les pêcheurs locaux.
Plus généralement, en Afrique, même lorsque la loi réserve les eaux côtières aux pêcheurs artisans, l'incursion de chalutiers industriels dans ces zones de pêche artisanale est courante. La situation est aggravée par le manque de capacités en matière de SCS et par le fait que les autorités ferment les yeux sur les incursions illégales des chalutiers. Les répercussions sur les communautés de pêche artisanale vont au-delà de la concurrence pour les ressources, car les chalutiers détruisent les engins de pêche des pêcheurs artisans et il existe des risques de collision.
La Confédération africaine des organisations professionnelles de pêche artisanale (CAOPA) a documenté les problèmes rencontrés par les pêcheurs artisans dans les zones de pêche artisanale établies dans les eaux de sept pays africains. Un problème commun à tous ces pays est le manque d'intérêt des autorités pour assurer une mise en œuvre adéquate de la réglementation - les autorités ne fournissent pas d'informations aux pêcheurs sur les règles régissant les zones de pêche artisanale, les communautés de pêche ne sont pas impliquées dans la prise de décision concernant l'établissement et la gestion des zones de pêche artisanale. Dans ce cas également, l'adoption d'un règlement établissant une zone de pêche artisanale, et donc sécurisant l'accès des pêcheurs artisanaux aux ressources marines, n'a pas conduit au résultat escompté.
Cogestion, cogestion, cogestion
Comme le souligne à juste titre le rapport, la pêche artisanale a besoin de "cadres favorables" pour pouvoir développer durablement ses activités. Pour cela, il est prérequis que les pêcheries soient gérées durablement. En Mauritanie, au Sénégal et en Gambie, par exemple, l'absence de gestion concertée pour les stocks de petits pélagiques et le manque de mesures efficaces ou de volonté politique pour réduire la production de farine de poisson ont un impact sur les moyens de subsistance des pêcheurs artisans et des femmes transformatrices de poisson, ainsi que sur la sécurité alimentaire des populations de la région.
Une façon de promouvoir la participation des communautés de pêche, en matière de gestion des pêches, est de s'assurer que les zones de pêche côtières sont entièrement gérées conjointement. La cogestion nécessite « la mise en place de cadres juridiques spécifiques qui définissent clairement les rôles et les responsabilités des autorités et des pêcheurs », ont déclaré des hommes et des femmes de la pêche artisanale des cinq continents dans leur appel à l'action. Le rapport de la FAO reconnaît l'importance de ces systèmes de cogestion car ils sont « mondialement reconnus comme nécessaires à une gouvernance inclusive ». Ces "cadres habilitants" doivent être financés de manière appropriée et mis en œuvre efficacement, ce qui n'est pas souvent le cas.
Les gouvernements doivent également protéger les pêcheries artisanales des industries concurrentes de l'économie bleue, notamment les flottes de pêche industrielle, l'exploitation pétrolière et gazière, le tourisme de masse côtier, pour n'en citer que quelques-unes. Les communautés de pêche artisanale à travers le monde dépendent d'un environnement océanique et côtier sain, et aucune nouvelle activité ne doit être entreprise qui puisse nuire à cet environnement et avoir un effet dévastateur sur elles.
Par conséquent, il est impossible d'évaluer correctement les progrès de l'ODD 14b sans tenir compte de l'environnement dans lequel évolue la pêche artisanale. Les gouvernements doivent aborder des questions telles que la participation des communautés de pêche à la gestion des pêcheries et les menaces posées « par la pollution, la concurrence pour l'espace et les ressources par d'autres industries de l'économie bleue ». À cet égard, le rapport indique à juste titre que les directives pour une pêche artisanale durable constituent un point de départ pour l'élaboration par les gouvernements de plans d'action nationaux en faveur de la pêche artisanale.
Les femmes, une main-d'œuvre invisible
En Afrique, les femmes qui travaillent dans le secteur de la pêche artisanale constituent un maillon essentiel de l'approvisionnement en poisson des populations, puisqu'elles le transforment et le commercialisent. Elles maximisent la contribution de la pêche à la sécurité alimentaire. Selon les pays, elles représentent parfois jusqu'à 60% de la main d'œuvre dans la chaîne de valeur de la pêche artisanale. Les organisations de la pêche artisanale soulignent que le travail et les contributions des femmes ne sont pas reconnus, et appellent les gouvernements à donner aux femmes les moyens de participer activement et d'améliorer leurs conditions de travail.
Ainsi, permettre aux femmes travaillant dans la pêche artisanale d'accéder aux marchés - dans le but d'atteindre l'ODD14b - contribuerait également à la réalisation d'autres ODD, notamment l'ODD2 sur la "faim zéro". Pour cela, il est essentiel de s'attaquer aux difficultés rencontrées par les femmes travaillant dans le secteur, dont l'une est leur manque de représentation et de participation aux processus décisionnels.
Le rapport de la FAO insiste à juste titre sur l'importance des femmes dans la pêche, tout en soulignant qu'elles sont sous-représentées dans les instances de gouvernance. Il est donc difficile de comprendre comment la FAO peut arriver à la conclusion que l'objectif est déjà atteint (l'un des trois indicateurs étant la participation), alors que les femmes, - près de la moitié des personnes concernées-, « font face à des obstacles importants à une participation significative ».
Conclusion : Les discours ne sont pas synonymes d'action
La FAO note fièrement dans son rapport que « l'Année internationale de la pêche artisanale et de l'aquaculture 2022 a catalysé les efforts visant à permettre à la pêche artisanale d'accéder aux ressources marines et aux marchés ». Cette affirmation passe sous silence le fait que, pour les millions de pêcheurs et de femmes transformatrices, peu de choses ont changé. Leur accès aux ressources marines et aux marchés, - SDG 14b-, n'est pas garanti. L'Année internationale a joué un rôle essentiel pour mettre en lumière les défis auxquels la pêche artisanale est confrontées au quotidien et a également permis une reconnaissance mondiale du rôle qu'ils jouent pour la sécurité alimentaire, le bien-être des communautés côtières, l'éradication de la pauvreté, les moyens de subsistance et la culture. Certaines mesures ont été prises pour reconnaître, principalement sur le papier, certains des droits de la pêche artisanale. Cependant, il reste encore un très long chemin à parcourir pour que l'ODD 14b devienne une réalité.
Les décideurs aiment faire des déclarations et prendre des engagements, et cette année en a vu beaucoup en faveur de la pêche artisanale. Il faut maintenant passer à l'action.
Photo de l’entête: Femme transformatrice de poisson de Guinée Bissau séchant du poisson au soleil, à Cacheu, par Carmen Abd Ali.
En septembre 2024, les Ministres en charge de la Pêche de l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OEACP) se sont rencontrés à Dar es Salaam (Tanzanie) pour échanger sur le thème « Accélérer les actions pour les océans, une pêche et une aquaculture durables et résilients dans les pays et régions membres de l’OEACP ».