Alors qu'une commission mixte UE-Maurice sur l’Accord de partenariat pour une pêche durable (APPD) est prévue ce printemps, et que le protocole expire en décembre 2021, CAPE met en lumière les questions relatives aux négociations du renouvellement de l'accord.
Depuis plusieurs années, les autorités mauriciennes ont clairement indiqué qu'elles souhaitaient maximiser les avantages économiques de la pêche en développant la capacité de pêche nationale. Mi-2020, le ministre mauricien en charge de la pêche a souligné que "le secteur de la pêche devra assumer de nouveaux rôles et responsabilités au vu des défis à venir. La Mauritius Investment Corporation (MIC) établira les bases d'une industrie de la pêche à grande échelle à Maurice. La MIC investira massivement dans l'industrie de la pêche, plus particulièrement dans la pêche industrielle pélagique et démersale. Par conséquent, l'île Maurice prévoit de réduire le nombre de navires de pêche étrangers dans sa ZEE, en les remplaçant par des navires battant pavillon mauricien avec le soutien de la MIC et des investisseurs locaux". De nombreux navires de pêche étrangers présents dans la ZEE de Maurice ont les yeux rivés sur le thon, très prisé. Compte tenu de l'état des ressources en thon dans la région de l'océan Indien, l'annonce par l'île Maurice qu'elle ne contribuera pas à accroître la pression sur ces stocks est la bienvenue.
Cependant, de récents développements suggèrent que l'île Maurice pourrait ne pas respecter son plan de réduction du nombre de navires de pêche étrangers dans ses eaux et dans l'océan Indien. Une recherche de 2020 montre que le Japon a utilisé l'île Maurice comme base pour étendre sa présence de pêche industrielle dans l'océan Indien et autour des côtes africaines. Après le changement de direction à Maurice en 2017, un accord de pêche controversé a été signé en 2018 avec le Japon, auquel les pêcheurs locaux et la société civile se sont opposés.
Depuis, la flotte de pêche japonaise, ciblant le thon mais aussi, semble-t-il, les baleines, a pris le relais des principales opérations de pêche lancées depuis Maurice. Les navires battant pavillon japonais semblent désormais représenter la grande majorité des opérations de pêche industrielle à grande échelle lancées depuis l'île Maurice. Cela soulève des questions sur la volonté de Maurice d'exploiter la capacité de pêche étrangère déployée dans ses eaux et de contribuer efficacement à freiner la surcapacité et la surpêche du thon dans l'océan Indien. C'est une question qui devrait être soulevée dans le cadre du dialogue avec l'UE sur la pêche durable.
Les niveaux d'accès doivent être durables
Il sera essentiel qu'un éventuel futur Accord de partenariat pour une pêche durable (APPD) limite l'accès à un nombre réaliste de navires. Les conditions d'accès doivent être pleinement compatibles avec les mesures de conservation et de gestion de la CTOI, en veillant par exemple à ce que les limitations concernant l'utilisation des Dispositifs de concentration de poissons (DCP) ou des navires de ravitaillement soient dûment respectées.
Les senneurs à senne tournante et les palangriers pourraient potentiellement concurrencer les pêcheurs artisanaux mauriciens locaux sur les ressources, et il est nécessaire d'évaluer de manière transparente ces impacts potentiels des captures des navires de l'UE (à la fois ciblées et accessoires) sur les activités et les captures des pêcheurs à petite échelle, et de revoir l'accès des navires de l'UE en conséquence.
En outre, un futur protocole devrait reconnaître les efforts de Maurice et d'autres pays de la région pour développer des conditions minimales convenues pour l'accès des flottes étrangères (licences, conditions d'exploitation, compensation financière), conformément aux directives récemment approuvées sur les conditions minimales d'accès (MTC) aux pêcheries étrangères dans la région du Sud Ouest de l’Océan Indien (SWIOFC).
Pour Maurice, quelle serait une compensation financière plus équitable ?
Comme les autres membres de la SWIOFC, l'île Maurice estime qu'elle ne reçoit que très peu de la valeur du thon qui nage de façon saisonnière dans ses eaux. Dans le cadre du MTC, les membres de la SWIOFC ont souligné que la compensation financière "pour permettre à un navire de pêche, de ravitaillement ou de transport d'opérer dans les eaux relevant de leur juridiction nationale devrait tenir compte, entre autres, de la capture potentielle, de sa valeur potentielle sur la base du prix du marché en vigueur, et du coût de la gestion des ressources en thon et en espèces apparentées". Selon elles, la compensation financière prévue dans un accord d'accès au thon devrait être "au minimum de douze (12 %) pour cent de la valeur marchande moyenne en vigueur des ressources en thon et en espèces apparentées".
Les autorités mauriciennes ont annoncé une révision des droits de licence et des conditions pour les navires étrangers pêchant dans la ZEE de l'île Maurice afin de s'assurer qu'ils fournissent des retours plus équitables au pays. Ces mesures devraient être prises en considération dans le cadre de l'éventuel futur accord de partenariat avec l'UE.
Appui sectoriel : accent sur la pêche à petite échelle et la transparence
En tant que principal fournisseur de poisson frais pour les marchés locaux, la pêche artisanale à Maurice est essentielle pour la sécurité alimentaire de l'île, fournissant des opportunités d'emploi et des protéines à des milliers de ménages. Mais la crise du covid-19, ainsi que la marée noire du Wakashio ont paralysé de nombreuses activités de pêche artisanale.
L'année dernière, pour soutenir le secteur, Maurice a annoncé un programme de financement des petites et moyennes entreprises (PME) pour trois ans, "qui inclut les chaînes de valeur de l'industrie de la pêche à petite échelle et supprime tous les frais commerciaux pour les entreprises qui ne génèrent pas plus de 5 000 MUR [123 EUR]". Maurice propose également d'autres mesures, comme l'utilisation de labels pour la pêche artisanale, et la mise en place d'un marché de poisson en ligne pour mettre en relation les pêcheurs et les acheteurs, pour les marchés locaux et internationaux. À la mi-2020, le leader du syndicat des pêcheurs artisanaux mauriciens a également mis en avant certaines des priorités du secteur pour l'après-covid : "Un comité consultatif pour écouter les doléances des pêcheurs, des écoles spécialisées pour les apprentis pêcheurs, plus de soutien pour les demandeurs de prêts et un plan de relance pour le secteur de la pêche."
Face aux défis du redémarrage après Covid 19 et aux conséquences de la marée noire de Wakashio, les communautés locales de pêcheurs doivent constater les effets concrets du soutien sectoriel de l'UE. Il sera donc très important de prendre sérieusement en considération les priorités exprimées par les pêcheurs, en termes de soutien financier.
Il sera également important de s'assurer que, sous le couvert de la promotion de l'économie bleue par le biais du soutien sectoriel, des activités telles que l'aquaculture industrielle côtière, soient soigneusement analysées en termes de pollution qu'elles génèrent, et de concurrence pour l'espace avec le secteur artisanal.
La demande des pêcheurs d'un "comité consultatif pour écouter les doléances des pêcheurs" est également un élément à prendre en compte pour tout futur protocole APPD. L'information des parties prenantes locales, des pêcheurs et des associations de la société civile, sur les questions soulevées par le renouvellement potentiel de l'Accord est essentielle. Un mécanisme de participation permanent devrait être mis en place pour leur permettre d'engager un dialogue avec les autorités pendant toute la durée du protocole.
Cependant, une participation efficace des parties prenantes doit être informée. Une "clause de transparence", telle que celle qui figure dans les accords avec la Mauritanie (article 1, paragraphe 6, du protocole) et la Côte d'Ivoire (article 2), visant à promouvoir la publication de tous les accords d'accès conclus par Maurice, tant publics que privés, devrait être incluse dans le protocole relatif à l'APPD. Ceci est également conforme à la résolution de la CTOI sur les informations relatives aux accords d'accès. Pour une participation plus efficace, les rapports et les procès-verbaux du comité mixte de l'APPD, ainsi que les rapports annuels de l'utilisation du soutien sectoriel, devraient être mis à la disposition de toutes les parties prenantes.
Photo de la bannière: Jo Anne McArthur/Unsplash
SWIOTUNA et la FPAOI ont organisé un événement parallèle à la 27ème session de la CTOI qui s'est tenue à l'île Maurice début mai. Elles ont fait le point sur les défis auxquels sont confrontés les pêcheurs de thon artisanaux dans la région et ont publié une déclaration commune.