L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a récemment dressé la carte des principaux accords d'accès aux pêcheries de capture marines, en mettant particulièrement l'accent sur l'accès aux eaux des pays en développement par les flottes des pays pratiquant la pêche en eaux lointaines.
Le rapport se concentre exclusivement sur les activités de pêche industrielle, et inclut les activités des navires d'origine étrangère, dont les propriétaires réels sont étrangers, et qui battent pavillon local.
La plupart des études précédentes sur les accords d'accès ont eu tendance à se concentrer sur les pays et les pavillons de pêche lointaine. Ce rapport-ci va au-delà et examine la stratégie des entreprises de pêche pour garantir leur accès aux ressources, ce qui conditionne leurs relations avec les États du pavillon, les États "hôtes" - les États côtiers - et les États "d'origine" où résident souvent les propriétaires effectifs.
Le rapport fait la distinction entre les accords d'accès de "première génération", où l’allocation d’un accès se fait en échange d'un paiement financier, et les accords d'accès de "deuxième génération", qui prévoient l'attribution d'un accès en échange de l'enregistrement des navires sur place et/ou d'investissements à terre dans des installations de transformation.
Dans le cas des accords de l'UE, cette division peut être un peu plus floue. De manière générale, les accords de partenariat pour une pêche durable (APPD) peuvent être décrits comme des accords d'accès de "première génération". Toutefois, tous les APPD contiennent une clause visant à promouvoir les entreprises conjointes, avec des impacts attendus en termes de création d'emplois, de stimulation des exportations et de transfert de technologies. Le rapport note que « historiquement, les accords de deuxième génération comprenaient des sociétés mixtes avec les gouvernements hôtes (par exemple, le Japon aux îles Fidji et Salomon). Les itérations plus récentes tendent vers des accords dirigés par le secteur privé et assortis d'importantes concessions de l'État (licences de pêche, accès aux terrains, allégements fiscaux et autres incitations), par exemple en Namibie et en Inde. La dimension régionale est souvent associée aux accords de deuxième génération, principalement lorsqu'une flotte de pêche en eaux lointaines utilise l'accès à une ZEE pour bénéficier d'accords de coopération Sud-Sud dans une autre ZEE ».
La constitution de sociétés mixtes est un sujet de préoccupation majeur pour les pêcheurs artisans africains. Dans de nombreux cas documentés, comme en Côte d'Ivoire, au Sénégal, à Madagascar, au Ghana, la constitution de sociétés mixtes n'a pas répondu aux attentes des pays d'accueil en termes d'investissements à long terme, tandis que les activités des navires ayant changé de pavillon ont ajouté une pression de pêche sur les ressources halieutiques africaines, souvent en concurrence avec les pêcheurs artisans. Les parties prenantes africaines et européennes, - y compris, du côté de l'UE, dans le contexte du LDAC - ont plaidé en faveur d'un cadre réglementaire pour les sociétés mixtes, applicable à tous les navires d'origine étrangère et à toutes les étapes de la chaîne de valeur (capture, transformation et commercialisation) qui garantisse que les sociétés mixtes fonctionnent de manière transparente, ne concurrencent pas la pêche artisanale et contribuent aux objectifs de développement du pays d'accueil.
L'Union européenne, l'un des principaux "demandeurs de ressources"
Le rapport de la FAO examine d'abord les accords d'accès conclus par les "demandeurs de ressources" - les flottes de pêche lointaine du Japon, de l'Union européenne, de la Chine, de Taïwan, de la Corée du Sud, des États-Unis, de la Russie et des Philippines. Contrairement à plusieurs autres pays pratiquant la pêche en eaux lointaines, où les conditions d'accès sont souvent entourées de secret, le chapitre consacré à l'UE « bénéficie d'une grande quantité d'informations publiques sur la plupart de ses flottes de pêche en eaux lointaines », ce qui permet de se concentrer sur les dimensions institutionnelles et sur l'évolution dans le temps des accords d'accès de l'UE avec les pays en développement.
Le rapport examine non seulement les accords de partenariat pour une pêche durable (APPD), mais souligne également l'importance du règlement relatif à la gestion durable des flottes de pêche externes (SMEFF), qui établit des critères d'éligibilité communs pour tous les navires battant pavillon européen, qu'ils pêchent ou non dans le cadre d'un APPD. En vertu de cette réglementation, un État membre de l'UE ne peut délivrer une autorisation de pêche à un navire pour pêcher en dehors des eaux de l'UE que s'il a reçu des informations complètes et précises sur le navire de pêche qui montrent que ses opérations sont conformes à une pêche durable et légale.
Cependant, la mise en œuvre du SMEFF est encore inégale, comme nous l'avons montré dans le cas des navires italiens pêchant en Afrique de l'Ouest. De plus, ce nouveau règlement n'aborde pas le cas des entreprises basées dans l'UE qui utilisent des registres de pays tiers, - comme les chalutiers pélagiques d'Europe de l'Est qui battent pavillon du Cameroun et qui se lancent dans des opérations de pêche non durables, parfois illégales, dans toute l'Afrique de l'Ouest.
Il faut plus de transparence sur les entreprises communes
Il convient de souligner que le règlement INN de l'UE prévoit des sanctions à l'encontre des nationaux européens exerçant des activités en dehors des eaux de l'UE, y compris à bord de navires de pêche immatriculés dans des pays tiers. Toutefois, à ce jour, ni l'UE ni les États membres de l'UE n'ont pris de mesures systématiques significatives à l'encontre de ces ressortissants de l'UE bénéficiant d'opérations INN et non durables.
Une nouvelle étude de l'UE a examiné la capacité des États membres de l'UE à mettre en œuvre efficacement cet aspect du règlement INN et à sanctionner leurs ressortissants impliqués dans ces opérations de pêche illégale. Leur évaluation révèle des faiblesses importantes dans la plupart des États membres de l'UE à cet égard, en particulier la quasi-inexistence de sanctions. Un autre rapport récent de l'ONG Oceana sur ce sujet ajoute que « [d]u fait du manque actuel d'informations publiques, on ne sait pas exactement combien de ressortissants de l'UE bénéficient éventuellement de la pêche INN, ce qui a conduit à une situation où très peu de mesures sont prises pour mettre fin à cette pratique ».
Identifier les ressortissants de l'UE impliqués dans des activités de pêche en dehors des eaux de l'UE, collecter et publier des données à leur sujet est, pour beaucoup, le point de départ pour s'assurer que les navires battant pavillon de l'UE ne puissent pas agir en toute impunité. Dans ses recommandations, l'étude de l'UE propose « la création d'un instrument commun d'enregistrement des citoyens de l'UE engagés dans des activités de pêche, avec des obligations contraignantes pour les États membres en vertu des règlements de l'UE et contrôlé par une agence de l'UE (EFCA ou autre)". Oceana propose, elle, de "créer un registre public des navires appartenant à l'UE et enregistrés sous des pavillons non européens ».
Ces appels ont été relayés récemment, au niveau international, par l'Organisation des pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OACP) qui s'est engagée, lors de la 7eme réunion des Ministres de l’OACP chargés de la pêche et de l'aquaculture, à « prendre des mesures, en tant qu'États du pavillon ou États côtiers, pour actualiser et mettre en œuvre la législation nationale exigeant la déclaration des propriétaires réels ultimes des navires et des sociétés de pêche lors de l'octroi du pavillon ou de l'autorisation de pêcher, pour tenir un registre des propriétaires réels des navires de pêche au niveau national et pour renforcer les poursuites et les sanctions en cas de non-divulgation des propriétaires réels ».
Cela semble indiquer un intérêt, parmi un nombre important de membres de la FAO, pour créer plus de transparence sur les ressortissants des pays "chercheurs de ressources" qui opèrent dans les pêcheries des pays en développement sous des pavillons locaux, souvent sous le couvert desociétés mixtes, et pour les sanctionner lorsqu'ils agissent en violation de la loi.
La Chine et la pêche en Afrique : humble début au milieu des années 80, puissance de pêche lointaine majeure aujourd’hui
À l'heure où l'UE redéfinit ses relations avec la Chine, le chapitre sur la Chine du rapport de la FAO constitue une lecture intéressante. Il commence par un compte rendu historique de la montée en puissance de la Chine en tant que nation de pêche lointaine, à partir de 1985, lorsque la China National Fisheries (Group) Corporation (CNFC) a envoyé sa première flotte en Afrique de l'Ouest, ciblant le Gabon, la Gambie, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Mauritanie, le Maroc, le Sénégal et la Sierra Leone. Depuis lors, la Chine et d'autres "demandeurs de ressources", comme l'Union européenne, se font concurrence pour accéder aux ressources halieutiques de l'Afrique.
Le chapitre sur la Chine donne également un aperçu des différentes politiques, politique de la pêche, mais aussi politiques d'investissement, d'aide, qui façonnent les relations de pêche entre la Chine et les pays en développement, y compris les pays africains.
Le rapport conclut son compte-rendu historique du développement de la pêche lointaine chinoise : « La Chine est rapidement passée de ce petit début à une puissance mondiale de la pêche, dans les segments de la capture, de la transformation et du commerce des produits de la mer au niveau mondiale. En effet, depuis les années 1990, la Chine est la première nation de pêche au monde en termes de volume de poissons capturés ».
L’Afrique est lésée dans les accords d'accès et voit ses ressources et ses communautés menacées
Une autre section du rapport de la FAO examine les accords d'accès par région du monde du point de vue des "détenteurs de ressources", en se penchant sur des études de cas telles que les flottes de chalutiers en eaux lointaines ciblant les petites espèces pélagiques ou les espèces démersales dans les eaux africaines. Le rapport note que, dans la plupart des cas, « les chalutiers étrangers opèrent dans toute la région par le biais d'accords d'accès entre entreprises et gouvernements, avec des prix forfaitaires prédéterminés pour les licences en fonction du type de navire/pêcherie, ou d'accords de deuxième génération, qui sont souvent basés sur des sociétés mixtes [...] ». Le rapport explique que les activités des chalutiers étrangers ont eu des impacts environnementaux et sociaux négatifs dans les eaux des pays d'Afrique de l'Ouest. Ces navires ne respectent souvent pas les réglementations des pays côtiers. De nombreuses études de cas « suggèrent que ces arrangements ont été économiquement sous-optimaux pour les États côtiers ».
Ce chapitre met également l'accent sur les dommages causés aux pêcheurs artisans par les flottes de chalutiers côtiers en eaux lointaines : « le chalutage dans les eaux côtières tropicales, riches en ressources mais fragiles, cause des dommages aux pêcheries artisanales et à l'environnement marin en capturant sans discernement tous les types de créatures marines, y compris les poissons juvéniles, et en endommageant les fonds marins ». L'étude conclut que les pays d'Afrique de l'Ouest ont été lésés par ces accords d'accès : ils s'attendaient à tirer des revenus de l'octroi de licences, à développer la capacité de pêche nationale et/ou à fournir des installations de transformation locales, mais la plupart de ces attentes n'ont pas été pleinement satisfaites. En outre, « les impacts négatifs des opérations de ces flottes industrielles sur les perspectives de développement de la pêche artisanale locale ont été sous-estimés dans les accords d'accès à la pêche ».
Ces observations rejoignent celles de nombreux pêcheurs artisans dans le monde, y compris la Confédération africaine des organisations de pêche artisanale (CAOPA) qui, dans leur appel à l'action, demandent que les zones côtières soient protégées contre les incursions des navires industriels, en particulier des chalutiers, en accordant aux pêcheurs artisans des droits d'accès exclusifs aux zones côtières.
D'autre part, le rapport de la FAO examine les accords d'accès au thon dans l'océan Indien occidental (OIO). La pêche au thon à la senne dans la région est dominée par les flottes espagnoles et françaises, qui pêchent par le biais d'un réseau d'APPD avec les petits états insulaires indépendants de la région, à savoir Maurice, les Seychelles et Madagascar. Le rapport souligne que « certaines entreprises de l'UE font re-pavillonnent leurs bateaux localement sous des entités commerciales locales, en particulier en utilisant les registres de l'île Maurice et des Seychelles ». Madagascar, les Seychelles et l'île Maurice disposent également « d'installations de transformation du thon à terre qui dépendent à la fois du marché de l'UE et des flottes de l'UE pour l’approvisionnement en matière première ». Cela tend à montrer que la dynamique de la pêche de ces pays est fortement influencée par leurs relations d'accès avec l'UE. Le rapport de la FAO décrit les efforts déployés au fil du temps par ces petits États insulaires en développement « pour plus contrôler ces relations d'accès en utilisant la coopération Sud-Sud ». Parmi ces efforts, citons les Directives sur des termes et conditions minimales d’accès pour les flottes étrangères adoptées en 2019 par les pays de la Commission des pêches du sud-ouest de l'océan Indien (SWIOFC). Une autre voie que ces pays pourraient explorer est la manière d'établir un système plus équitable d'attribution de l'accès aux pêcheries de thon de la région qui donne la priorité aux pêcheurs qui pêchent le plus durablement et apportent le plus d'avantages sociaux et économiques aux pays de la région.
Les relations d'accès, « un élément fondamental de la pêche dans le monde »
Dans ses réflexions finales, le rapport de la FAO souligne que « les relations d'accès sont un élément fondamental de la pêche dans le monde entier : elles façonnent et sont façonnées par les politiques et les pratiques d'aménagement des pêches, ainsi que par les marchés et les échanges nationaux et mondiaux qui, ensemble, transforment le poisson d'une ressource gérée en un élément vital des systèmes alimentaires dans le monde entier ».
Les impacts des accords d'accès sont également très spécifiques au contexte : « le potentiel d'investissements à terre liés à l'accès ou le potentiel de conflit entre les flottes de pêche lointaines et la pêche artisanale sera distinct pour les pêcheries démersales et pélagiques et également influencé par des facteurs tels que la présence ou l'absence de société civile ou de syndicats, [...] « . Par conséquent, le rapport suggère à juste titre que « si les mouvements vers les "meilleures pratiques" dans les accords d'accès sont essentiels, la nature et les résultats des accords et propositions d'accès seront en fin de compte une question empirique spécifique à chaque cas ».
C'est pourquoi, afin de renforcer la capacité des pays en développement à négocier des accords d'accès sur une base équitable et durable, c'est-à-dire en maximisant les avantages sociaux et économiques et en évitant les effets négatifs sur les écosystèmes et les communautés côtières, un dialogue entre les autorités nationales engagées dans la négociation de ces accords et les parties prenantes locales est essentiel.
Les parties prenantes locales, en particulier les pêcheurs, ont des connaissances importantes à partager avec les autorités sur la façon dont les conditions d'un accord d'accès auront un impact sur les perspectives de développement de la pêche locale, et sur des questions de société plus larges, comme la sécurité alimentaire. De plus en plus, la société civile préoccupée par l'avenir de la pêche s'organise - que ce soit au sein du secteur de la pêche, comme la CAOPA en Afrique, ou en regroupant les parties prenantes de la société civile, comme les plateformes nationales, régionales et panafricaines d'acteurs non étatiques de la pêche (Afrifish-net). L'information et la consultation de ces organisations avant et pendant les négociations des accords d'accès permettraient, à long terme, d'assurer aux pays africains de meilleures retombées de la signature des accords d'accès.
Depuis plusieurs années, les Nations unies, dans leur résolution annuelle sur la pêche durable, demandent aux pays pratiquant la pêche en eaux lointaines, lorsqu'ils négocient des accords d'accès avec les États côtiers en développement, de le faire "sur une base équitable et durable" et de tenir compte de « leur attente légitime de bénéficier pleinement de l'utilisation durable des ressources naturelles de leurs zones économiques exclusives » (§237, 238).
Le rapport de cartographie de la FAO, présenté comme une première étape pour faciliter « l'identification des possibilités d'améliorer le commerce des services liés à la pêche, en particulier pour les pays en développement », contribuera certainement au débat international sur la question des modalités d'accès. Ce rapport arrive également à point nommé, puisque le dernier COFI de la FAO a décidé de maintenir un accent particulier sur l'aménagement des pêches en créant un sous-comité sur l'aménagement des pêches, qui pourrait choisir de poursuivre la discussion sur l'équité et la durabilité des accords d'accès.
Photo de l’entête: Pour illustrer, de Canva Pro.
Le commissaire chypriote désigné a répondu aux questions de la commission de la pêche du Parlement européen (PECH) concernant le cadre stratégique qui devrait assurer la cohérence des politiques liées aux océans, y compris la politique commune de la pêche. La commission PECH lui a apporté son soutien pour son futur mandat.