Étapes de la marche de la CAOPA pour les droits des femmes dans la pêche artisanale africaine dans les dix dernières années [1]
Le 19 mars 2010, à Banjul, en Gambie, des hommes et des femmes professionnels du secteur de la pêche artisanale de neuf pays d'Afrique de l'Ouest ont présidé à la création et au lancement de la Confédération africaine des Organisations professionnelles de pêche artisanale - CAOPA.
Dix ans plus tard, la CAOPA est devenue une plateforme de défense des droits des communautés de pêche artisanale africaines, entrant en dialogue avec les décideurs africains, ainsi qu'avec des partenaires internationaux, comme l'UE et la FAO. La CAOPA est aujourd'hui plus forte: elle compte des organisations membres dans 24 pays d'Afrique de l'Ouest, de l'Est, du Nord et de l'Océan Indien. Chaque 21 novembre, la CAOPA profite de la Journée Mondiale de la Pêche pour établir son programme de plaidoyer pour l'année à venir.
Depuis le début, la CAOPA a appelé à la reconnaissance, au respect et à la promotion du rôle des femmes dans la pêche artisanale africaine. Toutefois, au cours de ses premières années d'existence, son plaidoyer était principalement axé sur les préoccupations des pêcheurs, notamment en vue d'obtenir un meilleur accès aux zones de pêche.
Le tournant s'est produit en Mars 2014, lorsque l'organisation a célébré la première Journée internationale de la femme à Abidjan/Grand Bassam, en Côte d'Ivoire. Ce fut l'occasion pour les femmes de 16 pays africains de se réunir et de mettre en avant leurs rôles divers et multiples dans le secteur de la pêche artisanale. Si les femmes sont particulièrement actives dans la transformation et la commercialisation du poisson, elles sont présentes tout au long de la chaîne de valeur de la pêche artisanale, à la fois dans les activités avant et après capture, et en tant que propriétaires de pirogues et d'engins de pêche. Elles préfinancent les sorties de pêche, payent le carburant et la nourriture de l'équipage, trient le poisson débarqué, le transforment et le commercialisent, s'occupent des contacts avec la banque et l'administration, prennent soin de leur famille. Les femmes jouent également un rôle important dans la résolution des conflits au sein des communautés et dans la sensibilisation à diverses questions, notamment la sécurité en mer. Souvent, les hommes doivent être persuadés par les femmes de porter un gilet de sauvetage lorsqu'ils vont en mer, car beaucoup considèrent cela comme un aveu de faiblesse. "Sans la présence des femmes dans le secteur de la pêche, il n'y aura pas de pêche durable", a souligné Micheline Dion Somplehi, Présidente des Coopératives de Femmes Transformatrices de Poisson en Côte d'Ivoire, à l'issue de cette première rencontre des femmes.
Ce message, constamment mis en avant depuis lors dans les réunions de la CAOPA, a progressivement conduit à la reconnaissance et au respect des femmes par leurs collègues masculins en tant qu'actrices dans tous les aspects de la pêche, allant de la gestion des ressources halieutiques au financement des opérations de pêche, en passant par la transformation et le commerce. Cette reconnaissance a également été intégrée dans la structure de l'organisation. Le bureau de la CAOPA est constitué sur base paritaire hommes-femmes, avec 4 hommes et 4 femmes.
Depuis 2014, les femmes des organisations membres de la CAOPA se réunissent chaque année à l'occasion de la Journée internationale de la femme, dans différents pays africains : Guinée Bissau, Mauritanie, Ouganda, Gambie et Guinée. Dans tous ces pays, l'organisation de cet événement international a été l'occasion de donner une visibilité aux organisations locales de femmes dans la pêche, de sensibiliser le public à leur rôle dans le secteur de la pêche locale et de faire en sorte que les décideurs locaux soient à l'écoute de leurs préoccupations. Le résultat a été la création, ou le renforcement, d'un dialogue entre les gouvernements nationaux et les organisations de femmes.
La célébration par la CAOPA de la Journée internationale de la femme a également influencé l'orientation de l'organisation en ce qui concerne le plaidoyer. Elle a permis aux femmes de discuter de leurs propres priorités, et le processus les a aidées à parler d'une seule voix lorsque le programme de plaidoyer est discuté en novembre parmi tous les membres de la CAOPA, lors des célébrations de la Journée Mondiale de la Pêche.
On peut voir un exemple de cette influence dans le processus qui a conduit la CAOPA à se faire le champion de la mise en œuvre des Directives volontaires pour assurer une pêche durable à petite échelle dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l'éradication de la pauvreté (Directives SSF) en Afrique. Lors de la réunion de la Journée internationale de la femme en 2017 en Ouganda, les participantes ont appelé les États africains, en préparation de l'Année internationale de la pêche et de l'aquaculture artisanales en 2022, "à élaborer, de manière participative, transparente et sensible à la dimension de genre, un plan d'action national et, le cas échéant, régional, pour la mise en œuvre des directives de la FAO sur la pêche à petite échelle durable".
Cette recommandation a été reprise par le CAOPA, qui en a fait une de ses principales priorités de plaidoyer, exprimée à la fois lors de la conférence "Notre océan" à Malte à la fin de 2017, et lors de la 33e session du COFI en 2018. En collaboration avec les organisations locales de femmes et d'hommes, la CAOPA a entamé un dialogue avec les gouvernements de Côte d'Ivoire, de Guinée et du Sénégal pour élaborer de tels plans d'action nationaux. Le premier résultat a été l'élaboration, avec la participation des femmes, du plan d'action national du Sénégal pour la mise en œuvre des directives SSF, qui devait être lancé début mars mais qui a été reporté en raison de la pandémie COVID-19.
Avec cette initiative, le Sénégal reconnaît le rôle central du secteur artisanal dans la lutte contre la pauvreté et la promotion de la sécurité alimentaire, ainsi que l'importance d'assurer sa pérennité. Cependant, il faut noter que, dans le même temps, le Sénégal continue d'autoriser une douzaine d'usines de farine de poisson à fonctionner. Ces usines de farine de poisson sont en concurrence directe avec les femmes sénégalaises transformatrices de poisson pour l'accès aux petits pélagiques comme matière première. Cette forte demande de petits pélagiques aggrave également la pression de pêche sur ces ressources déjà surexploitées. Les pêcheurs artisanaux font partie de ceux qui fournissent les petits pélagiques à ces usines de farine de poisson, soit parce qu'ils obtiennent un meilleur prix que lorsqu'ils vendent aux femmes, soit parce qu'ils ont conclu un contrat à long terme avec l'usine qui ne leur laisse pas le choix. Dans le cadre de ces contrats, ils ne sont payés qu'au bout de plusieurs mois, ce qui signifie qu'ils doivent constamment pêcher pour ces usines s'ils veulent être payés. Cette situation crée des tensions entre les femmes transformatrices de poisson et certains pêcheurs, et même entre les pêcheurs qui pêchent pour les usines de farine de poisson et ceux qui pêchent pour les marchés locaux.
Les femmes transformatrices de poisson ont été à l'avant-garde de la campagne menée au Sénégal pour réclamer la fermeture des usines de farine de poisson, demandant à leur gouvernement "de s'engager résolument dans la gestion durable et transparente des ressources halieutiques et de donner un accès prioritaire à ceux qui contribuent à la sécurité alimentaire et nutritionnelle de la population" – un objectif auquel le Sénégal s'est engagé, en théorie, par le biais de son plan d'action national sur les lignes directrices pour une pêche artisanale durable. Ce manque de cohérence des politiques est préjudiciable aux intérêts des femmes dans le secteur de la pêche et à la sécurité alimentaire. Il appelle à un meilleur alignement de toutes les politiques du Sénégal qui touchent les femmes dans la pêche avec le Plan d'action national pour la mise en œuvre des lignes directrices pour une pêche artisanale durable.
En 2017, la célébration par la CAOPA de la Journée internationale de la femme en Gambie s'est concentrée sur "Le rôle des femmes dans la promotion de pratiques de pêche durables sur le plan environnemental et social". Les discussions ont porté sur les pratiques illégales de pêche, tant dans le secteur industriel que dans le secteur artisanal, et sur le manque de volonté politique et de moyens des gouvernements pour s'attaquer à ce problème. Les femmes de pays comme le Liberia, la Sierra Leone, la Tunisie, la Gambie, le Mali et le Nigeria ont toutes convenu que la pêche illégale et la mauvaise gestion des ressources avaient un impact négatif sur leurs activités. Mais, au lieu de se contenter de demander à leurs gouvernements d'agir, elles ont également pris les choses en main et se sont engagées à ne plus transformer de poissons juvéniles, illégalement pêchés par les pêcheurs artisanaux.
Ces exemples révèlent comment l'implication croissante des femmes dans la définition des priorités de plaidoyer de la CAOPA et dans ses actions a contribué à montrer que les communautés de pêche artisanale, en particulier les femmes, sont des innovatrices et des actrices actives dans le processus de prise de décision.
Notes
[1] Cet article a été publié pour la première fois dans le bulletin d'information de l'ICSF Yemaya sur le genre et la pêche, numéro d'avril 2020 (seulement disponible en anglais).
En septembre 2024, les Ministres en charge de la Pêche de l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OEACP) se sont rencontrés à Dar es Salaam (Tanzanie) pour échanger sur le thème « Accélérer les actions pour les océans, une pêche et une aquaculture durables et résilients dans les pays et régions membres de l’OEACP ».