La Commission européenne a récemment décidé d’évaluer l'opportunité et le bien-fondé de conclure un accord de partenariat pour une pêche durable (APPD) avec la République d'Angola.
Cela répond au souhait exprimé par le Ministre angolais de l'Agriculture et de la Pêche de négocier un tel accord avec l'UE, ainsi que de renforcer la coopération avec l’UE dans le domaine de l'économie bleue.
Des bateaux européens, en particulier des thoniers, pêchent déjà dans les eaux angolaises avec des autorisations privées. Un éventuel accord thonier donnerait un cadre clair pour la capture par la flotte européenne des thons migrateurs dans les eaux angolaises, et permettrait aussi à l’Angola, via la compensation financière versée par l’UE, d’engranger des bénéfices plus importants de la présence temporaire de cette flotte thonière dans leur ZEE. A travers l’appui sectoriel d’un tel APPD, l’Angola pourrait aussi consacrer une partie de cette compensation à soutenir la gestion durable de la pêche et le développement du secteur local.
Mais un partenariat dans le secteur de la pêche entre l’Angola et l’UE pourrait-il aussi inclure l’accès à d’autres espèces de haute valeur commerciale, comme les crevettes, -voire même les petits pélagiques-, tout en restant dans le cadre d’une exploitation durable ? Dans le contexte de surexploitation des ressources et avec les problèmes de gouvernance de la pêche que connaît le pays, rien n’est moins sûr.
Plus de 100.000 personnes vivent de la pêche artisanale en Angola
Les principales espèces pêchées dans les eaux angolaises sont les sardinelles, le chinchard, le thon, les crevettes, les langoustes, et autres espèces démersales. En 2021, le volume de production du secteur de la pêche (industrielle, semi-industrielle, artisanale, continentale et maritime) et de l’aquaculture dépassait les 400 000 tonnes. Les petits pélagiques, utilisés dans la cuisine traditionnelle angolaise, et d’un prix accessible, représentent 40 % de cette production. Comme dans beaucoup de pays africains, ces petits pélagiques constituent un ‘filet de sécurité alimentaire’ pour la population locale. Les poissons démersaux et les crevettes, sont, eux, expédiés congelés vers l’Asie et l’Europe.
Des entreprises chinoises, russes, sud-coréennes, taïwanaises, mais aussi européennes - polonaises, portugaises, espagnoles, italiennes- opèrent dans le secteur de la pêche industrielle en Angola (selon la loi, des navires de plus de 20 m), basées dans quatre ports principaux : Namibe, Benguela, Porto Amboim et Luanda.
Le secteur de la pêche artisanale angolaise, quant à lui, fait vivre une centaine de milliers d’hommes et de femmes, dont 50.000 pêcheurs, répartis dans 185 communautés de pêche, surtout sur les côtes des provinces de Benguela et Luanda. Les femmes représentent 80 % des emplois dans la transformation et la commercialisation artisanale du poisson. Ce secteur contribue de façon importante à la sécurité alimentaire : 90% du poisson pêché par la pêche artisanale, surtout des petits pélagiques, est vendu sur le marché local, dans un pays ou 26% des protéines animales consommées viennent du poisson.
Les incursions de chalutiers en zone côtière, un fléau pour la pêche artisanale
L’UNCTAD décrit l'Angola comme « un exemple de pays côtier qui n'a pas su tirer parti de ses riches ressources marines en raison d'une gouvernance et d'une structure de gestion des ressources faibles ainsi que des distorsions de l'économie créées par la découverte du pétrole ». Cette situation a entraîné « une surpêche, une diminution de la productivité et de la diversité des ressources ».
Selon un rapport de Sea Around Us, environ 65 % des captures de la pêche industrielle sont des espèces qui sont également capturées par la pêche artisanale. La surpêche de ces ressources met en péril les moyens de subsistance d'une grande partie des communautés côtières de l'Angola et menace la sécurité alimentaire de la population.
Un phénomène qui contribue fortement à la surexploitation des ressources, c’est la présence d’un grand nombre de chalutiers côtiers d’origine étrangère dans les eaux du pays. Certains de ces chalutiers, en particulier d’origine chinoise, sont régulièrement pointés du doigt par les pêcheurs artisans comme faisant des incursions illégales dans la zone côtière réservée à la pêche artisanale.
Dans une vidéo d’avril dernier, un observateur de la pêche sportive filme plusieurs chalutiers qui pêchent à leur guise dans les quatre miles côtiers réservés à la pêche artisanale (Article 33 de la loi de Pêche). Un journaliste de VOA news, João Marcos, explique que « ce sont des ressortissants chinois, avec des licences délivrées par des Angolais, dans une zone réservée aux pêcheurs artisans ». Victor João, représentant une association de pêche artisanale, ajoute que ces bateaux prennent trop de poisson et « finissent par rejeter le poisson qu’ils viennent de pêcher à la mer » ; ils détruisent également les lieux de reproduction des poissons.
C’est l’activité de toute la filière de pêche artisanale qui est affectée par ces incursions illégales de chalutiers : « Avant, nous allions pêcher pendant un ou deux jours, mais cela prend maintenant une semaine », insiste Victor João. « Nous pêchions ici, dans les ‘bahias’ (baies), maintenant nous devons aller plus loin et dans quelques années, nous irons probablement dans des endroits encore plus éloignés en mer ».
Certains itinéraires choisis s'avèrent risqués, car les bateaux des pêcheurs artisans ne sont pas adaptés pour s'éloigner autant de la côte. Au large des côtes de la province de Namibe, la raréfaction du poisson en zone côtière a poussé les pêcheurs à s'aventurer en pleine mer à bord de petites embarcations, à leurs risques et périls. Selon Albino Ngombe Ongonga, responsable de la sécurité maritime à l'autorité portuaire de Namibe, plus de dix sauvetages sont effectués chaque année en raison de ces changements de zones de pêche. En général, les pêcheurs sont secourus à plus de 50 kilomètres de la côte : « Beaucoup de marins restent parfois deux, dix, quinze jours perdus en mer.... Nous avons eu de la chance plusieurs fois de les récupérer, mais d'autres fois, malheureusement, nous avons constaté leur disparition », déplore-t-il.
André Hossi, pêcheur artisan depuis 20 ans dans la région de Luanda, s’inquiétait aussi de la présence de ces chalutiers et des impacts de leurs activités destructrices sur les activités des femmes : « les vendeuses de poisson se plaignent des prix élevés auxquels elles achètent le poisson pour le vendre, ce qui ne leur laisse pratiquement pas d'argent pour subvenir aux besoins de leur famille ». Pour le président de l'Association des pêcheurs artisans de Namibe, Jorge Hilário de Sousa, les activités de certains chalutiers « violent toutes les lois ».
Les autorités s’efforcent de lutter contre la pêche INN. En 2014, l'Angola a adopté un plan d'action national pour lutter contre la pêche illégale. Le pays est également signataire de l'accord de la FAO sur les mesures de l'État du port (PSMA) et a ratifié l'Accord de conformité de la FAO en 2006. De manière concrète, le Ministère de la Pêche s'efforce de lutter contre la pêche illégale en exploitant 15 navires de patrouille achetés à la Chine et à la France, ainsi que deux navires financés par le gouvernement néerlandais et dotés d'une technologie de repérage des navires. L'Angola collabore avec la Namibie et l'Afrique du Sud pour protéger et surveiller les zones de pêche dans le cadre d'un programme régional de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC). Un centre national en charge de la sécurité des plateformes de production pétrolière a aussi dans ses attributions la lutte contre la pêche illégale et la piraterie.
Carte blanche pour des sociétés mixtes opaques
Mais le mal est peut-être plus profond – ces chalutiers opèrent à travers des sociétés mixtes opaques, dont la création a été fortement encouragée par les autorités. Fort de leur appui en haut lieu, ils semblent faire ce qu’ils veulent, y compris pêcher illégalement dans la zone réservée aux artisans, avec impunité.
En 2004, l’Angola adopte sa nouvelle loi sur les ressources biologiques aquatiques. Cette loi prévoit que les droits de pêche dans la ZEE de l'Angola peuvent être accordés, individuellement ou collectivement, à des ressortissants nationaux ou à des étrangers si ceux-ci sont associés à des ressortissants nationaux dans des sociétés à participation angolaise majoritaire. En 2005, l'article 1er de cette loi était amendé pour clarifier la définition d'une "société angolaise" comme étant une société basée en Angola, dont le capital est détenu à 51 % au moins par des Angolais qui exercent un contrôle effectif sur la société.
Pour l’Union européenne, c’est le choc : l’accord de pêche avec l’Angola, qui permettait aux chalutiers pavillonnés européens d'accéder aux crevettes et autres ressources démersales angolaises, et donnait accès aux thoniers senneurs et palangriers européens, n’était pas compatible avec cette nouvelle loi qui exigeait le repavillonnement des bateaux, et fût donc dénoncé en 2006. Cela a entraîné le redéploiement de navires de pêche communautaires qui dépendaient de la pêche en Angola vers d’autres zones. Cependant, certains bateaux, en particulier espagnols, ont constitué des sociétés mixtes avec un partenaire angolais et ont pu continuer à pêcher en Angola.
A cette période, la volonté de l'Angola était de réindustrialiser le pays après des années de conflit, et le développement de la flotte de pêche industrielle faisait partie de ce plan. En 2008, par exemple, l’Angola annonçait un projet de « flotte instantanée », de 200 millions de dollars, pour la construction de 600 bateaux de pêche en Chine, au Portugal, en Espagne et en Pologne. Ce projet n’a, semble-t-il, pas été réalisé, mais l’Angola a eu plus de succès en encourageant la constitution de sociétés mixtes pour développer sa flotte industrielle. Mais, comme dans beaucoup d'autres pays africains, ces compagnies se sont révélées des « sociétés de façade » avec le contrôle des opérations qui est resté fermement dans les mains des opérateurs chinois, japonais, coréens, russes, espagnols, polonais. Si on regarde aujourd’hui la liste des bateaux industriels pavillonnés en Angola, on retrouve sans grande surprise, un important contingent de chalutiers d’origine chinoise, ainsi que des espagnols, certains restés en Angola après la dénonciation du dernier protocole d’accord en 2006.
Parmi ces chalutiers côtiers repavillonnés, se cache le super chalutier ARCHIMEDES, anciennement appelé KOVAS, qui traîne derrière lui une longue histoire de pêche illégale dans la région. Un rapport de Greenpeace de 2014 épinglait le KOVAS pour avoir pêché dans une zone interdite au Sénégal et détruit des engins de pêche artisanale. Dernièrement, ce bateau était pavillonné au Cameroun, pays qui a récemment été identifié par l’UE comme pays non coopérant dans la lutte contre la pêche INN. Un bateau comme ARCHIMEDES pêche les petits pélagiques sur toutes les côtes ouest africaines, et il est douteux que l’Angola, tout comme le Cameroun avant lui, ait les moyens de contrôler ses opérations.
La société propriétaire du ARCHIMEDES est européenne, basée en Lituanie : Baltlanta. Cette société détient également d’autres bateaux du même type pavillonnés au Cameroun. Les propriétaires bénéficiaires de cette société restent difficiles à identifier. Détenue tour à tour par des sociétés enregistrées au Lichtenstein, au Panama, en Espagne ou à Hong Kong, Baltlanta est arrivé il y a quelques années dans les mains du suédois Magnus Roth, surnommé ‘the cod father’, et du russe Vitaly Orlov. Même si le propriétaire ultime est difficile à identifier, les liens avec l’Union européenne sont clairs.
Toute discussion pour un éventuel APPD devrait envisager le cas des sociétés mixtes existantes
Les accords de partenariat de pêche durable sont censés garantir la durabilité des activités de pêche couvertes. Pour ce qui est des ressources localisées dans la ZEE de l’état partenaire (en dehors des ressources migratrices comme le thon), les navires de l'UE ne sont autorisés à pêcher que le surplus de ressources qui ne sont pas nécessaires à la pêche locale.
Mais la pression de pêche est déjà forte dans les eaux angolaises : En 2016, un total de 113 navires de pêche étaient autorisés à capturer des espèces démersales, dont 80 pour la flotte industrielle et 33 pour la flotte semi-industrielle. La même année, pour les espèces pélagiques, 100 navires de pêche industrielle et 57 navires de la flotte semi-industrielle ont obtenu une licence. A quoi il faut ajouter les quelques 6000 pirogues de la pêche artisanale.
Pour gérer ces activités de ces flottes, les moyens, et la volonté politique, manquent cruellement. La recherche halieutique a peu de moyens, et les données sur l'état des ressources sont pauvres. Il est à noter que fin 2022, l'Espagne a organisé une campagne d'évaluation des ressources démersales dans les eaux angolaises. Cela va, il faut l’espérer, améliorer les connaissances sur ces espèces, et les résultats vont sans doute influencer la motivation des flottes espagnoles pour l'accès à ces espèces dans un éventuel accord de pêche.
Si des moyens croissants sont mis à disposition pour le Suivi, Contrôle et Surveillance, la pêche illicite, encouragée par des pratiques de corruption, reste florissante, en particulier en ce qui concerne les activités des chalutiers côtiers re-pavillonnés qui viennent pêcher dans la zone de pêche artisanale.
Dans ces conditions, si un APPD couvrait d'autres espèces que les thonidés, et sans adresser le problème posé par les sociétés mixtes opaques, la présence de flottes européennes dans des pêcheries autres que thonières ne feront qu’ajouter au problème de la surexploitation et à la misère des pêcheurs artisans.
Dans tout APPD, on retrouve un article qui promeut les sociétés mixtes dans la pêche. Dans la mesure où les autorités angolaises sont intéressées à explorer le sujet, comme semble le suggérer le dialogue entre l’UE et l’Angola sur l’économie bleue, il serait important pour l’UE de discuter avec l’Angola du cadre dans lequel ces sociétés mixtes, y compris les sociétés mixtes existantes, doivent opérer afin de contribuer durablement au développement du pays : de manière transparente, sans entrer en compétition avec la pêche artisanale locale et sans contribuer à la surexploitation des ressources et à la destruction des écosystèmes côtiers.
L’UE devra également traiter la question de la présence de bateaux d’origine européenne traînant des casseroles, comme le ARCHIMEDES – comment envisager que l’UE puisse tenir un discours de promotion de la pêche durable en Angola si un tel bateau, d’origine lituanienne, continue de pêcher dans la région sans réel contrôle ?
Conclusion
Au vu de son importance pour l’emploi, la sécurité alimentaire notamment, un accent devrait être mis sur la protection et la promotion de la pêche artisanale angolaise dans toute discussion pour un APPD. En nous inspirant de l'Appel à l'Action lancé par la pêche artisanale en 2022, nous avons identifié une série d’enjeux.
Le premier, peut-être un des plus importants pour le secteur est de comment mieux protéger la zone de pêche artisanale des 4 miles des incursions des chalutiers ? Des aspects de surveillance de la zone, mais aussi de transparence et de redevabilité, afin de mettre fin à l’impunité, sont à discuter.
Au niveau de l'appui sectoriel, il est important d’envisager comment assurer que les acteurs du secteur (en particulier la pêche artisanale) et de la société civile puissent participer, de manière transparente et sensible aux enjeux de genre, à l'identification des actions à soutenir, à leur mise en œuvre et à leur évaluation. L’appui sectoriel pourrait soutenir de cette manière des initiatives qui vont dans le sens d’un renforcement du secteur (que ce soit en termes d’infrastructures, d’appui aux activités de transformation des femmes, etc.). Il est à noter que l'Angola a ratifié la Convention 188 de l'OIT sur l'amélioration des conditions de travail dans la pêche, y compris artisanale. L'appui sectoriel pourrait soutenir la sécurité en mer des pêcheurs artisans (par ex gilets de sauvetage, équipements de géolocalisation, formation des capitaines à la sécurité, etc.).
Certains Etats membres de l’UE sont déjà actifs pour le développement de la pêche en Angola. Par exemple, la Pologne a financé la construction d'une académie de formation et de soutien technique à la pêche dans la province de Namibe en 2006, pour un montant de 14 millions de dollars. En 2010, la Pologne a accordé une autre ligne de crédit de 60 millions d’euros à l'Angola pour la deuxième phase de l'académie de pêche de Namibe, destinée à former jusqu'à 2 000 étudiants. Si un éventuel accord de pêche prévoyait l’embarquement de marins angolais à bord des bateaux, il serait intéressant de voir comment cette académie pourrait contribuer à les former.
Photo de l’entête: Bateaux chavirés dans la Baie de Luanda, par Jorge Sá Pinheiro.
Dans une prise de position, APRAPAM s’interroge sur la proposition du gouvernement de soutenir la production d’aliments de poissons et insiste plutôt sur l’importance d’un plan d’aménagement pour les petits pélagiques et la priorisation de l’alimentation humaine.