Défis pour les communautés artisanales locales dans un éventuel futur APPD UE-Guinée

CAPE envoie des commentaires pour la feuille de route de la Commission européenne sur une éventuelle négociation d’un nouvel accord de pêche entre l’UE et la République de Guinée, qui donnerait un accès pour des bateaux européens à la ZEE guinéenne, et souligne les principaux défis auxquels la pêche artisanale locale est confrontée

La Commission européenne a publié une feuille de route invitant les parties prenantes à donner leur avis sur une éventuelle négociation d’un accord de partenariat pour la pêche durable (APPD) entre l’UE et la République de Guinée. La feuille de route ne préjuge pas de la suite qui sera donnée à l’initiative ni de son contenu final et fixe cinq objectifs pour un nouvel APPD et son protocole : la durabilité environnementale, l’accès à la Zone Économique Exclusive (ZEE) pour la flotte de l’UE, le soutien au secteur de la pêche locale, la lutte contre la pêche INN et l’amélioration des connaissances scientifiques et techniques.

Pour CAPE, dans le cadre d’une éventuelle négociation future d’un accord de pêche avec la Guinée, l’UE devrait s’assurer qu’il contribue à la durabilité des ressources et de l’environnement, et qu’il soutient le développement du secteur de la pêche locale. Dans le climat actuel de tension politique qui règne dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, il est essentiel que les acteurs locaux du secteur de la pêche puissent faire entendre leur voix sans restriction afin de pouvoir aborder certaines questions sensibles, telles que la transparence et la lutte contre la pêche INN. L’UE doit veiller à ce que les activités de pêche artisanale ne soient pas entravées, notamment par les chalutiers côtiers, afin de garantir les moyens de subsistance des communautés côtières et la sécurité alimentaire de la population. Pour cette raison, et aussi en vue du manque de données scientifiques fiables sur la pêche côtière, sans parler de l’existence d’un surplus, les flottes de l’UE ne devraient avoir accès qu’aux espèces de thon.

1. La situation politique tendue : une clause plus forte sur les droits de l’homme

Le 22 mars 2020, en pleine pandémie de Coronavirus, les citoyens guinéens sont allés voter dans un climat de violence et de tension et sous le regard critique de la communauté internationale. L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), la CEDEAO et l’Union africaine avaient insisté à plusieurs reprises sur la nécessité d’organiser des élections libres, transparentes et inclusives, et cette dernière a annulé sa mission d’observation fin février 2020. Plusieurs ONG de défense des droits de l’homme, dont Amnesty International, ont dénoncé la répression contre les leaders de l’opposition, et ont critiqué le « coût en termes de droits de l’homme » d’une « réforme constitutionnelle qui pourrait permettre au président de rester au pouvoir ». L’Union européenne a condamné la violence et l’usage disproportionné de la force par les forces de l’ordre le jour du double scrutin législatif et réferendaire et a déclaré que « le caractère non inclusif et non consensuel des bulletins de vote et du registre électoral compromet la crédibilité des élections » [tdla].

Compte tenu de la situation politique tendue en Guinée, dans l'éventualité d'un lancement de négociations pour un APPD, il est impératif que l'UE, en coopération avec la Guinée, garantisse les termes et conditions de bonne gouvernance et de durabilité définis dans l'accord de Cotonou et dans la future stratégie UE-Afrique. À cet égard, l'UE devrait envisager de renforcer la clause relative aux droits de l'homme, qui permet de dénoncer l'accord en cas de violation des droits universels, y compris le droit à l'alimentation.

2. Contribuer à la durabilité des ressources et de l'environnement :

2.1. Clarifier certains aspects peu précis du plan national de gestion de la pêche

Un futur APPD entre l'UE et la Guinée devrait être conforme et contribuer aux objectifs que la Guinée s'est fixés pour le développement durable de son secteur local de la pêche. Ces objectifs figurent dans le plan d’aménagement et de gestion des pêcheries pour l’année 2020 de la Guinée :

  • Préserver les ressources de pêche à long terme

  • Améliorer la contribution du poisson à la sécurité alimentaire

  • Améliorer la contribution de la pêche à l'emploi

  • Accroître les avantages économiques de la pêche

La Guinée a signé la Convention sur les Conditions Minimales d'Accès (CMA) de la CSRP, qui insiste sur l'approche de précaution dans la gestion des ressources. Dans le contexte d'éventuelles négociations futures, cette approche de précaution doit être suivie, en particulier compte tenu du manque de données scientifiques sur l'état des stocks de poissons, données qui sont soit inexistantes soit obsolètes, et considérant que plusieurs aspects du plan de gestion des pêcheries pour 2020 restent flous. Par exemple:

  • Nationalité des navires de pêche : il existe une catégorie (‘navires basés’) qui comprend les navires étrangers opérant dans les eaux guinéennes avec des obligations de débarquement en Guinée. Toutefois, en vertu de l'article 14 du code de la pêche maritime, les accords d'affrètement de navires de pêche ne sont pas autorisés. Ces navires ‘basés’ sont autorisés à bénéficier d'une certaine priorité d'accès aux ressources sans conditions clairement définies (article 59 du code de la pêche). Ce statut est ambigu et ne contribue pas à l'exploitation durable des ressources dans la ZEE guinéenne.

  • Tonnage du navire : Pour le calcul, le plan 2020 traite indifféremment le TB et le TJB qui sont deux systèmes de mesure différents. Cela est déroutant, surtout si l'on tient compte du fait que des navires chinois ont massivement sous-déclaré leur tonnage en Guinée.  

  • Les TAC (Total Admissible des Captures) : La Guinée a fait des efforts croissants pour allouer l'accès aux ressources via les TAC, cependant, la manière dont ces TAC sont calculés n'est pas claire.

  • Petits pélagiques : Le plan n'est pas non plus clair en ce qui concerne les types de licences de pêche. Par exemple, il parle de licences ‘poissonnière pélagique’, mais ne précise pas s'il s'agit de licences pour les petits pélagiques ou pour les ressources thonières. Plus loin dans le plan, les licences de ‘pêche thonière’ sont mentionnées, bien que cette catégorie n'apparaisse pas comme un type de licence.

Ces aspects devraient être clarifiés avant que les flottes de l'UE n'accèdent aux ressources de pêche dans les eaux guinéennes.

2.2. Continuer les efforts de transparence

D'autre part, il est important de rappeler que depuis 2016, la Guinée a pris certains engagements en matière de transparence dans le secteur de la pêche, notamment à travers l'Initiative pour la transparence dans les pêches (FiTI). Il convient de saluer ces engagements et les progrès réalisés en matière de transparence, notamment la publication annuelle de la liste des navires ayant une licence de pêche en Guinée et le détail par pêcherie, des redevances perçues par le Ministère des pêches, de l'aquaculture et de l'économie maritime (MPAEM). La transparence dans tous les aspects de la gestion de la pêche devrait être une préoccupation essentielle dans les éventuelles négociations futures.

3. Accès de la flotte de pêche lointaine de l'UE : seulement au thon

Plusieurs navires européens opèrent déjà dans la ZEE guinéenne avec des licences privées, comme la flotte thonière française et espagnole et plusieurs chalutiers espagnols et italiens de pêche crevettière et démersale.

La signature avec l'UE d'un APPD couvrant l'accès des flottes thonières permettrait à la Guinée de tirer de meilleurs avantages économiques des ressources thonières passant par sa ZEE, et améliorerait la manière dont la présence de cette flotte est contrôlée par les deux parties.

En ce qui concerne l'accès à un plus grand nombre d'espèces côtières, dans l'état actuel des lieux, avec le manque de Suivi, Contrôle et Surveillance (SCS) et de capacité de recherche scientifique de la Guinée, y compris le manque de ressources humaines bien formées et bien rémunérées, et en l'absence de données, le fait de disposer d'un accord de partenariat et de coopération permettant aux crevettiers ou aux chalutiers de pêche démersale d'accéder à ces ressources ne permettrait pas d'atteindre l'objectif de promotion d'une pêche durable, comme l'exige la Politique Commune de la Pêche européenne (PCP). En outre, cela mettrait ces navires en concurrence avec les pêcheurs artisanaux locaux, qui dépendent de ces pêches côtières pour leur subsistance. La feuille de route elle-même indique que « les accords de partenariat dans le domaine de la pêche autorisent généralement les navires de l'UE à pêcher en dehors des 12 milles du littoral (eaux territoriales) » (page 2, tout en haut).

À cet égard, nous sommes surpris que ces chalutiers européens, y compris les navires italiens impliqués dans des opérations de pêche INN en Afrique de l'Ouest, ont réussi à prouver la durabilité de leurs activités et ont reçu une autorisation de pêche en 2019. En effet, conformément aux articles 17 et 18 du règlement SMEFF, l'opérateur doit fournir une évaluation scientifique démontrant la durabilité des opérations de pêche prévues à l'État membre du pavillon pour obtenir une autorisation de pêche.

« 1. L’État membre du pavillon ne peut délivrer une autorisation de pêche pour des opérations de pêche menées dans les eaux de pays tiers en dehors d’un accord visé à la section 1 ou 2 que si:
[...]
(c) l’opérateur a fourni chacune des informations suivantes:
[...]
— une évaluation scientifique prouvant la durabilité des opérations de pêche envisagées, y compris la cohérence avec les dispositions de l’article 62 de la CNUDM, selon le cas, »
— Article 17.1.c du RÈGLEMENT (UE) 2017/2403 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 12 décembre 2017 relatif à la gestion durable des flottes de pêche externes


4. Contribuer à la lutte contre la pêche INN :

La pêche INN est un problème crucial en termes de durabilité et de moyens de subsistance. Car les activités illégales dans les zones côtières empiètent sur des zones et des ressources également utilisées par la pêche artisanale. La pêche INN affecte également l'égalité des conditions de concurrence entre les différentes flottes opérant dans les eaux guinéennes. La lutte contre la pêche INN devrait donc être un élément essentiel de tout futur APPD, notamment par le renforcement des capacités de SCS.

Des sources locales ont informé de récentes incursions de chalutiers (asiatiques) dans la zone de pêche artisanale de la région de Kamsar (Nord). Ces chalutiers perdent souvent leurs filets et entrent parfois en collision avec des pirogues artisanales. Les autorités de surveillance affirment qu'elles n'ont pas les moyens de les arrêter et sans l'identification des navires, les pêcheurs artisanaux n'ont droit à aucune indemnisation pour les dommages subis.

Le code de la pêche de Guinée souligne la surveillance participative comme élément de cogestion des pêcheries.

Le code de la pêche de Guinée souligne la surveillance participative comme élément de cogestion des pêcheries.

Il faut également noter que plusieurs navires de la société chinoise LIAN RUN ont reçu une licence en 2019. Cette société a été citée à plusieurs reprises dans des rapports d'ONG sur la pêche INN en Guinée depuis 2006. En outre, les navires ayant obtenu une licence en 2019 avaient été accusés de pêche illégale en 2018 et les autorités chinoises leur ont retiré leur autorisation de pêche. Le fait que ces acteurs soient toujours présents dans la pêche industrielle guinéenne suggère que le problème de la mauvaise gouvernance va au-delà du manque de capacité de la Guinée à contrôler sa ZEE.

En fait, la poursuite de cette pêche illégale est difficile à comprendre dans le contexte du « suivi intense » du dialogue sur la pêche INN entre l'UE et la Guinée après la levée de son ‘carton rouge’ en 2016. Il est crucial de s’assurer, dans le cas de futures négociations, de la détermination et la volonté politique de la Guinée dans la lutte contre la pêche INN.

« En vertu du règlement INN, les pays tiers identifiés comme n’ayant pas mis en place des mesures adéquates pour prévenir et lutter contre la pêche INN reçoivent un avertissement officiel (carton jaune) pour améliorer la situation. S’ils ne le font pas, ils risquent de voir leur poisson interdit sur le marché de l’UE (carton rouge), entre autres mesures.  »
— Pour les détails, voir le Chapitre VI du RÈGLEMENT (CE) No 1005/2008 DU CONSEIL du 29 septembre 2008 établissant un système communautaire destiné à prévenir, à décourager et à éradiquer la pêche illicite, non déclarée et non réglementée


5. Utiliser l'appui sectoriel efficacement : recherche, SCS, soutien aux communautés de pêche

Compte tenu de tous les points mentionnés ci-dessus, l'appui sectoriel devrait être utilisé pour améliorer la recherche scientifique ainsi que les capacités de SCS, notamment parce qu'en 2015, la ZEE de la Guinée a augmenté de manière significative.

Premièrement, en ce qui concerne la recherche scientifique, il y a un manque évident de données scientifiques sur l'état des stocks de poissons dans les eaux guinéennes. Alors que la Guinée a signé la convention CMA de la CSRP, cependant, il n'est pas clair comment le plan de gestion des pêches intègre l'approche de précaution pour gérer les ressources guinéennes. Il est donc vital d'améliorer les capacités de recherche.

Concernant les capacités de MCS, le code de la pêche (voir la Section 2) mentionne le développement de la surveillance participative comme un élément essentiel de la cogestion. Au début des années 2000, un projet pilote de surveillance participative a été lancé dans la partie nord de la côte, où certains pêcheurs communiquaient directement avec les autorités à l'aide de radios et de GPS. Le projet a permis d'améliorer les conditions de vie des pêcheurs et de réduire de 60 % les activités illégales, notamment dans la zone de pêche réservée aux pêcheurs artisanaux. Malheureusement, ce projet n'a pas été étendu au reste du pays, ni perpétué, comme le demandait la population côtière.

La crise Covid-19 a fortement impacté les chaines de transformation et de distribution de poisson. Djeinab Camara devait dormir sur place au site de transformation de Teminetaye (Conakry) car elle ne pouvait plus se permettre le coût du transport.

La crise Covid-19 a fortement impacté les chaines de transformation et de distribution de poisson. Djeinab Camara devait dormir sur place au site de transformation de Teminetaye (Conakry) car elle ne pouvait plus se permettre le coût du transport.

Une attention particulière doit également être accordée aux besoins des femmes transformatrices de poisson, car elles sont une composante essentielle de la contribution de la chaîne de valeur du poisson à la sécurité alimentaire. Elles travaillent dans des conditions désastreuses et sont dans une situation précaire, fortement impactées par les récentes mesures mises en œuvre pour lutter contre la propagation du Covid-19. Ces femmes sont souvent contraintes de dormir sur les sites de transformation parce qu'elles ne peuvent pas payer le prix du transport et certaines vendent leurs produits à perte. 

DROIT FONCIER: Le cas du port de Koulewondy

Dans certains cas, la situation des communautés côtières va au-delà des mauvaises conditions de travail et met en évidence des problèmes de gouvernance. Par exemple, début décembre 2019, une communauté de pêcheurs a été expulsée de force d'un site de débarquement et de transformation à Conakry et son hangar a été détruit par des bulldozers en raison d'un bail du gouvernement pour un hôtel de luxe. Comme nous l'avions dénoncé à l'époque, cette expulsion va à l'encontre des Directives volontaires pour la sécurisation de la pêche artisanale et des Directives sur la gouvernance responsable de la tenure des terres, des pêches et des forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire auxquelles la Guinée souscrit. Bien qu'une compensation et un site alternatif aient été promis aux femmes transformatrices de poisson et que le ministre ait répondu à notre lettre de plainte en nous assurant de sa volonté d'accompagner la communauté « conformément aux obligations internationales », à ce jour et selon des sources locales, les femmes continuent de fumer le poisson sur les terres évincées, bravant le soleil et la pluie pour subvenir à leurs besoins quotidiens.

Enfin, la participation de tous les acteurs locaux du secteur de la pêche est un aspect essentiel pour une bonne mise en œuvre d'un APPD, y compris dans l'utilisation des fonds sectoriels. Comme mentionné dans l'introduction, la situation politique est actuellement tendue en Guinée, un contexte qui pourrait empêcher la société civile de parler ouvertement et de s'impliquer dans des questions essentielles mais sensibles, telles que la transparence ou la pêche INN. Dans un premier temps, la société civile devrait être associée à la prise de décision et à la mise en œuvre des projets qui seront financés par l'appui sectoriel. En Guinée, il existe non seulement plusieurs organisations locales de pêche (pêcheurs, femmes transformatrices de poisson, organisations d'appui...) mais aussi, début 2020, une plateforme d'acteurs non étatiques de la pêche a été créée avec l'appui de l'Union africaine, en partenariat avec la CEDEAO et l'UE (PESCAO). Cette plateforme est reconnue tant par les acteurs que par l'administration, et l'inclusion d'une telle partie prenante dans le processus permettrait d'entamer un dialogue social plus large pour promouvoir une pêche durable dans le cadre des relations UE-Guinée.



Photos: Mamadou Aliou Diallo.