'2016 devrait être l'Année africaine de la Pêche artisanale'

La Confédération Africaine des Organisations Professionnelles de la Pêche Artisanale (CAOPA) propose que l’Union africaine déclare l’année 2016 Année Africaine de la Pêche artisanale. Gaoussou Gueye, Secrétaire général de la CAOPA, en explique les raisons.

 

Pourquoi faire une telle proposition à l’Union africaine ?

Nous savons tous que la mauvaise gouvernance de la pêche affecte la plupart des pays africains. La première Conférence des Ministres Africains de la Pêche et de l'Aquaculture (CAMFA) a, en 2011, recommandé que les États membres de l'Union africaine examinent la possibilité de réformer leurs politiques de pêche et d’aquaculture.

La stratégie de réforme qui a été développée par la suite identifie les objectifs essentiels pour le développement de la pêche de l'Afrique[1], y compris la conservation et l'utilisation durable des ressources halieutiques à travers la mise en place d’une bonne gouvernance. Sur ce sujet, nous nous réjouissons de l’engagement récent de l’Union africaine, sous l’impulsion de la Mauritanie, présidant alors l’Union africaine, à promouvoir la transparence dans la pêche en Afrique.

Un autre objectif clé de la stratégie de réforme panafricaine, c’est le développement durable de la pêche artisanale, par l'amélioration et le renforcement de la contribution des pêches artisanales à la réduction de la pauvreté, à la sécurité alimentaire et nutritionnelle, et l’amélioration des bénéfices socio- économiques pour les communautés de pêche.

Nous estimons, au sein de la CAOPA, qu’aujourd’hui, la seule façon d’atteindre ces objectifs requiert un engagement actif de l’Union africaine et de ses membres, ainsi que la participation de toutes les parties prenantes, en particulier les communautés côtières africaines qui dépendent de la pêche pour vivre.

Est-ce que vous pensez que la pêche artisanale est aujourd’hui mieux considérée par les décideurs ?

Je pense que, surtout, les décideurs sont aujourd’hui plus conscients de l’importance considérable de la pêche artisanale en Afrique. Les derniers chiffres de la FAO indiquent que 10% de la population du continent africain est engagée dans la pêche et l’aquaculture, ce qui en fait le second continent, après l’Asie, en termes d’emplois créés par ce secteur. Et la vaste majorité de ces 12,3 millions de gens qui vivent de la pêche en Afrique sont dans le secteur de la pêche artisanale : au moins 7,5 millions de pêcheurs et 2,3 millions de femmes. Ces emplois fournissent un revenu à des millions de familles en Afrique ! La pêche artisanale est, de loin, la principale pourvoyeuse d’emplois du secteur.

D'autre part, en Afrique, pour plus de 200 millions de personnes, le poisson est une source de protéines et de nutriments essentiels (acides gras, vitamines, minéraux) à bas prix : le poisson représente en moyenne 22% de l’apport protéique en Afrique sub-saharienne. Dans la plus grande partie de l’Afrique, la pêche et le commerce des artisans fournissent un véritable ‘filet de sécurité alimentaire’ aux populations les plus pauvres. Dans mon pays, le Sénégal, un poisson comme la sardinelle est la source la plus accessible de protéines animales en termes de prix et de quantité. Aujourd’hui, de nombreuses familles sénégalaises ne mangent qu’un repas par jour – à base de riz et de sardinelle.

Un autre aspect qui est important pour nos décideurs, c’est la contribution que fait la pêche aux PIB de nos pays. Là aussi, la pêche artisanale se détache du lot : la contribution de la pêche aux PIB des pays africains atteint presque 2 milliards de dollars, et la pêche artisanale maritime et continentale compte pour plus de la moitié de ce chiffre.

Il est dès lors presque naturel que la communauté internationale reconnaisse de plus en plus l’importance de la pêche artisanale, notamment africaine. Ainsi, dans la Déclaration de la Conférence des Nations Unies sur le Développement Durable de 2012 (Rio+20), la pêche artisanale est présentée comme «catalyseur du développement durable». Cette déclaration insiste aussi sur la nécessaire protection des droits d’accès de la pêche artisanale aux ressources et aux zones côtières.

On retrouve des dispositions similaires dans les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale. Ces Directives aident à établir les conditions pour que les pêcheurs accèdent aux ressources de pêche, renforçant chez eux le souci de protection et de gestion durable de la ressource. En outre, ces Directives sont importantes pour nous, car elles offrent un cadre pour surmonter des obstacles tels que l’analphabétisme, les problèmes de santé, le manque d’accès aux moyens d’existence traditionnels, les privations de libertés civiles et politiques, etc.

Mais la plus grande reconnaissance de l’importance de la pêche artisanale a été obtenue par l’adoption, en Juin 2014, des Directives volontaires visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l'éradication de la pauvreté.

Ces Directives se focalisent sur un enjeu clé pour les communautés de pêche africaines : améliorer notre contribution à la sécurité alimentaire et à la nutrition. Ces Directives insistent aussi sur l’aspect ‘équitable’ du développement, pour améliorer la situation socioéconomique des communautés de la pêche artisanale dans un contexte d’exploitation responsable des ressources. Enfin, elles intègrent dans leur approche des enjeux nouveaux auxquels sont confrontés nos communautés, comme les impacts du changement climatique.

Donc, maintenant, nous avons tous ces textes, agréés au niveau international, pour guider nos politiques. Cependant, il faut que les gouvernements africains, les bailleurs de fonds, les organisations professionnelles et les organisations de la société civile s’engagent et s’investissent dans leur mise en oeuvre.

Quelles sont vos priorités pour la mise en œuvre de ces Directives en Afrique ?

Un défi important que nous devons relever, c’est l’impact du changement climatique sur nos communautés. Cela inclut de prendre à bras le corps des enjeux très spécifiques, comme la gouvernance des Aires Marines Protégées, ou bien la promotion de la surveillance participative. Mais cela inclut aussi de reconsidérer des aspects fondamentaux de la pêche artisanale, comme la reconnaissance du rôle des femmes dans ce secteur: en vérité, les femmes sont au centre des activités de la pêche artisanale.

Elle sont présentes à toutes les étapes de la filière, qu’il s’agisse du préfinancement et de la préparation des campagnes de pêche, de la réception du poisson, de sa transformation et de sa commercialisation. Les femmes sont aussi clairement le pilier de la cellule familiale des communautés de pêche artisanale africaine. Au sein de la CAOPA, nous sommes bien conscients de cela, et nous promouvons la parité dans la représentation des femmes et des hommes dans notre organisation : nous avons un bureau composé à parts égales d’hommes et de femmes représentant les communautés de pêche artisanale africaines. Nous avons aussi un programme spécifique concernant les femmes dans la pêche.

 Une chose très importante également : depuis deux ans, la CAOPA organise, à l’occasion de la Journée Internationale de la Femme, le 8 mars, un atelier réunissant les femmes du réseau de la CAOPA. Cette année nous étions à Bissau. On a pu assister à une réelle mobilisation des parties prenantes : ainsi, lors de la Célébration de la Journée du 8 mars par la CAOPA, un millier de pêcheurs, femmes dans la pêche, décideurs et citoyens se sont rassemblés à Bissau ! L’atelier à Bissau a permis aux femmes de se rencontrer, d’échanger et d’aboutir à une Déclaration qui demande clairement à l’Union africaine de déclarer 2016 comme Année Africaine de la Pêche Artisanale. Ce serait pour ces femmes une occasion inestimable de faire reconnaître leur travail et leur investissement dans ce secteur.

Quelles ont été vos démarches jusqu’à présent?

Nous procédons à l’information informelle de partenaires, en leur demandant de soutenir cette initiative, tels que AU IBAR, NEPAD, la CSRP, le PRCM, le PNUD, la FAO, l’UEMOA, la CEDEAO, CAPE, SSNC, Pain pour le Monde, l’UE…

Nous avons déjà eu des retours favorables de Ministres des pêches d’Etats africains comme la Mauritanie, la Guinée Bissau, le Sénégal, la Côte d’Ivoire. Nous comptons également associer d’autres organisations de la société civile et pourquoi pas la COMHAFAT ?

Nous allons bien entendu travailler conjointement avec nos collègues du Réseau Ouest Africain des Journalistes pour une Pêche Responsable (REJOPRAO) afin qu’ils nous aident à mettre en place et à gérer une réelle stratégie de communication.

Quelles sont les prochaines étapes ?

Notre objectif maintenant est de formaliser cette requête auprès de différents partenaires potentiels. Nous devons également affiner notre plaidoyer. En juin, la CAOPA va organiser à cet effet une réunion avec l’ensemble de nos partenaires, pour discuter et approfondir nos propositions, et créer un comité de consultation spécifiquement dédié à promouvoir l’année africaine de la pêche artisanale.

Nous comptons lancer officiellement notre proposition à l’occasion de la célébration de la Journée Mondiale de la Pêche, le 21 novembre 2015, que nous organiserons cette année au Maroc.

En Octobre 2015, nous souhaitons profiter de la réunion organisée par la FAO pour les 20 ans du Code de Conduite pour une pêche responsable pour rencontrer le DG de la FAO.

Notre objectif, c'est de lancer un processus. L’essentiel pour nous est de sensibiliser et mobiliser les parties prenantes de la pêche en Afrique. Et nous appelons toutes les organisations intéressées à nous rejoindre dans cette initiative !

 

 

 

NOTES

[1] http://www.africanfisheries.org/knowledge-output/policy-framework-and-reform-strategy-fisheries-and-aquaculture-africa