La pêche artisanale ghanéenne n'arrive pas à esquiver la fermeture des frontières

Avec pas moins de cinq discours nationaux au cours des deux premières semaines de la crise COVID-19 au Ghana, le président Nana Akufo-Ado a tiré le meilleur parti de son équipe de communication et s'est converti en une sorte de star. Le Ghana a signalé ses deux premiers cas le 12 mars et le Président a immédiatement mis en place un comité composé de responsables de la santé et d'acteurs du secteur privé. Depuis lors, la courbe a connu une croissance exponentielle et, deux mois plus tard, plus de 5 100 cas ont été signalés, avec 22 décès, selon le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies. "Nous savons comment ramener l'économie à la vie", a-t-il déclaré en annonçant les mesures de lutte contre l'épidémie, "ce que nous ne savons pas, c'est comment ramener les gens à la vie".

Le président ghanéen s'est adressé à la nation au moins cinq fois au cours des premières semaines de la crise et a assuré la poursuite des activités dans la chaîne d'approvisionnement alimentaire. Photo : @NAkufoAddo / Photo de l’entête: Samuel Aboh.

Le président ghanéen s'est adressé à la nation au moins cinq fois au cours des premières semaines de la crise et a assuré la poursuite des activités dans la chaîne d'approvisionnement alimentaire. Photo : @NAkufoAddo / Photo de l’entête: Samuel Aboh.

L'accent n'a pas seulement été mis sur la santé et la prévention, le président Akufo-Ado a également pris des mesures proactives pour garantir l'approvisionnement alimentaire des Ghanéens : un confinement moins stricte pour les producteurs de denrées alimentaires, afin qu'ils puissent continuer à travailler. Les prix des denrées alimentaires de base ont augmenté pendant les deux ou trois premiers jours du confinement, mais ils ont ensuite baissé et se sont stabilisés à nouveau. D'autres initiatives, visant à favoriser le respect des mesures sanitaires, comme le lavage des mains, ont également été mises en place : les ménages pouvaient retarder le paiement de la facture d'eau et les quartiers sans eau courante ont été équipés de réservoirs d'eau.

Cependant, pour les pêcheurs ghanéens du secteur informel et artisanal, d'autres obstacles subsistent. La fermeture des frontières signifie la perte de marchés, de clients et d'opportunités. En effet, on trouve des pêcheurs, des femmes transformatrices de poisson et des poissonniers ghanéens dans tous les pays côtiers d'Afrique occidentale jusqu'en Mauritanie, où les transformateurs ghanéens ferment le poisson et le renvoient pour être vendu au Ghana.

M. Noku demande que la pêche artisanale soit autorisée à travailler au-delà des frontières comme pour le secteur agricole et la pêche industrielle.

M. Noku demande que la pêche artisanale soit autorisée à travailler au-delà des frontières comme pour le secteur agricole et la pêche industrielle.

"COVID a eu un impact sur les activités dans les quatre régions", insiste M. Noku, un pêcheur de 54 ans et membre exécutif de la section régionale occidentale du Conseil national des pêcheurs en canoë du Ghana (GNCFC). Il répondait aux questions de Nana Kwame Darko, un journaliste basé à Accra, qui s'est rendu à Axim, une ville côtière de la région Ouest, à l'ouest du Cap Three Points, à environ 100 km de la frontière avec la Côte d'Ivoire, pour parler aux communautés de pêcheurs.

Avant que des mesures visant à empêcher la propagation du virus ne soient prises, les pêcheurs d'Axim travaillaient dans les eaux ghanéennes et ivoiriennes ; une frontière très poreuse avec la Côte d'Ivoire leur permettait de naviguer sans encombre jusqu'à Abidjan. Ils partaient en mer avec peu de glace, pêchaient en cours de route et débarquaient leurs prises dans les ports ivoiriens. Mais avec la fermeture actuelle de la frontière, les pêcheurs ne peuvent plus accéder aux eaux ivoiriennes, ce qui réduit leurs possibilités de capture. "Nous avions l'habitude de vendre à Abidjan, mais nous manquons maintenant de glace avant de retourner à Axim", expliquent les pêcheurs sur la plage qui expliquent que la glace pour garder le poisson frais fond avant qu'ils ne puissent faire l'aller-retour et que le poisson se gâte en cours de route.

Pour réduire les attroupements sur la plage lorsque les pirogues reviennent de la pêche, les pêcheurs sont invités à se relayer en mer. Le reste des pêcheurs attendent sur la plage, ce qui va à l'encontre du but de la mesure. Photo: NKD.

Pour réduire les attroupements sur la plage lorsque les pirogues reviennent de la pêche, les pêcheurs sont invités à se relayer en mer. Le reste des pêcheurs attendent sur la plage, ce qui va à l'encontre du but de la mesure. Photo: NKD.

Sur le site de débarquement d'Axim, il y a jusqu'à 500 pirogues enregistrées. Pour réduire les attroupements sur la plage, les pêcheurs ont été invités à se relayer en mer. Mais un nombre réduit de sorties de pêche, avec moins de main-d'œuvre, signifie une diminution des prises, qui à son tour diminue les bénéfices pouvant être utilisés pour acheter du carburant pour la prochaine sortie en mer. Comme ils n'ont rien d'autre à faire, les pêcheurs traînent sur la plage en attendant leur tour, ce qui va à l'encontre de l'objectif de la mesure de décongestion.

De leur propre initiative, ils ont installé des stations de lavage des mains et d'autres désinfectants et assainisseurs nécessaires afin de prévenir la propagation du virus. Les pêcheurs pensent que les autorités chargées de la pêche les ont négligés, mais ils espèrent que le ministère du développement de la pêche et de l'aquaculture va bientôt leur venir en aide.

La fermeture des frontières a eu d'autres conséquences sur les coûts opérationnels, comme la perte de leurs filets de pêche dans les courants marins. "Quand ils dérivent dans les eaux de la Côte d'Ivoire, ils disparaîssent à jamais parce que les gardes-côtes ne nous permettront pas de les récupérer", déplorent-ils.

L'accès réduit aux possibilités de pêche rend les pêcheurs ghanéens aigris : pendant la période initiale du confinement, les Ghanéens ont commencé à s'approvisionner de stocks, ce qui a augmenté la demande en produits de la pêche. La demande a également augmenté grâce à des applications de marketing en ligne qui mettent en relation les pêcheurs et les consommateurs. Néanmoins, des obstacles subsistent dans la chaîne d'approvisionnement, notamment en matière de transport, ce qui rend difficile pour les pêcheurs de profiter de ces nouvelles opportunités. La réduction des sorties de pêche est le coup de grâce. Sur le rivage, lorsque les pirogues débarquent, les femmes poissonnières se rassemblent et peinent à acheter une partie de ces captures réduites.

Pour les poissonniers comme Mme Abena Tawiah, les affaires n'ont jamais été aussi mauvaises. Elle a perdu une grande partie de son poisson transformé depuis que ses clients habituels ne peuvent plus traverser la frontière ivoiro-ghanéenne. Photo: NK…

Pour les poissonniers comme Mme Abena Tawiah, les affaires n'ont jamais été aussi mauvaises. Elle a perdu une grande partie de son poisson transformé depuis que ses clients habituels ne peuvent plus traverser la frontière ivoiro-ghanéenne. Photo: NKD.

Mme Abena Tawiah est poissonnière depuis plus de trente ans, et note que le Coronavirus a énormément affecté ses ventes. "C'est une première depuis que j'ai démarré mon entreprise", dit-elle. Ses clients habituels viennent de Côte d'Ivoire et il leur est désormais interdit d'entrer au Ghana. Son commerce souffre de pertes après récolte, car elle n'est pas en mesure de vendre son poisson sec et salé assez rapidement. Avec la réduction des ventes, elle a moins de fonds pour acheter du poisson frais à transformer, bref, une spirale descendante inévitable. De nombreux poissonniers ont dû licencier la main-d'œuvre, ce qui a mis au chômage de nombreuses femmes et de nombreux jeunes.

D'autre part, les protocoles de distanciation sociale ne laissent pas d'autre choix aux conducteurs et aux transporteurs que de réduire le nombre de passagers, comme le demande le syndicat des transporteurs routiers privés du Ghana (Ghana Private Road Transporters Union - GPRTU). Cette directive fait payer un lourd tribut aux commerçants et aux poissonniers qui opèrent à travers les frontières. Les chauffeurs hésitent à charger leurs marchandises car ils sont contrôlés et harcelés à certains postes de douane et d'autres ne sont tout simplement pas autorisés à entrer en Côte d'Ivoire. La glace fond pendant les longues attentes aux points de contrôle, ce qui rend impossible l'exportation de poisson frais.

M. Noku suggère que, puisque le gouvernement permet aux acteurs des secteurs de l'agriculture et de la pêche d'opérer à travers les frontières, il devrait également accorder une autorisation au secteur de la pêche artisanale, en particulier aux pêcheurs et aux poissonniers qui pêchent et vendent à travers la frontière avec la Côte d'Ivoire.


 
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Est un journaliste de radio basé à Accra et membre du Réseau des journalistes pour une pêche responsable en Afrique (REJOPRA).